Mathieu Terence affectionne une langue dont la distinction évoque les écrivains à tendance sombre du 19ème siècle. Pourtant ses histoires sont bien ancrées dans notre 21ème siècle et elles donnent une étrange impression d'irréalité ou plutôt d'intemporalité. Son recueil de nouvelles
Les filles de l'ombre lui emprunte également au 19ème siècle son étrangeté et sa noirceur en y ajoutant une sensualité trouble.
Chaque nouvelle met en scène une jeune fille, aux prénoms rares (Isild, Albane etc.) auxquels répondent des personnages masculins eux-mêmes nommés Miremort ou Ferraguste. Des jeunes filles souvent silencieuses, pleines de désirs rentrés qui se perdent dans des histoires où s'exacerbent Éros et Thanatos.
Ici l'attraction des corps n'est qu'un trompe-l'oeil au danger de mort. Qu'il s'agisse de Trois temps ou le manège, le sexe est déviant, la menace plane.
Mathieu Terence écrit avec une précision et une distance qui renforce l'impact tragique de ses histoires. Jusque dans son abus de la recherche du mot juste (« Il s'enfonce entre ses fesses, au creux de l'orifice qu'un théologien luthérien – littérateur au demeurant – se plaît dans l'une de ses soties à nommer le vacuum. » Un peu ampoulé pour décrire une sodomie ! ).
Certaines nouvelles du recueil sont par ailleurs déroutantes car de purs exercices de style : Étude de jeune fille qui décrit longuement une adolescente prenant son bain et s'observant sous toutes les coutures ou La bande dessinée qui détaille… une bande dessinée érotique lue par une jeune fille dans un taxi. Exercices de style donc, et d'un intérêt très inférieur en comparaison des autres nouvelles du recueil qui peuvent aisément se placer sous le patronage de
Charles Baudelaire quand il dit le beau est toujours bizarre.
Les filles de l'ombre a le défaut souvent inévitable du recueil de nouvelles, l'irrégularité dans la qualité. Mais quand la qualité est là, elle ne l'est pas à moitié, en maintenant une ambiance obscure, charnelle et angoissante.