Selon le fameux "
Time Magazine"
Dorothy Thompson était une des 2 dames les plus influentes de son époque dans son pays, l'autre était....
Eleanor Roosevelt, l'épouse du Président
Franklin Delano Roosevelt.
Peut-être la raison que le futur horrible Führer ait bien "daigné" rencontrer cette journaliste célèbre, en mars 1931, soit 21/22 mois avant de devenir officiellement chancelier d'Allemagne, le 30 janvier 1933, et de rester le tout-puissant chef nazi jusqu'à son suicide 12 ans plus tard, le 30 avril 1945 à Berlin.
Une rencontre pas si évidente que cela. Dans son livre, la reporter admet qu'elle avait essayé depuis 7 ans de le rencontrer. La première fois en 1923 après son coup loupé à Munich (le putsch de la brasserie du 9 novembre), lorsqu'il était en fuite et avant d'être incarcéré à Landsberg où il a pu écrire son programme "Mein Kampf" (mon combat).
À 27 ans,
Dorothy Thompson, fraîchement diplômée de l'université de Syracuse (État de New York) en politique et économie avait déjà réussi l'exploit d'interviewer Terence MacSwiney, le maire Sinn Féin de Cork en Irlande, peu avant son décès après 74 jours de grève de la faim en octobre 1920, à l'âge de 41 ans.
Notre Dorothy était née à Lancaster (New York) en 1893, la fille du pasteur méthodiste Peter et de Margaret Thompson, qui mourut en1901, lorsqu'elle avait 7 ans. Comme elle ne s'entendait pas avec la seconde épouse de son père, elle a mené une enfance isolée, mais dans la lecture. Très tôt elle devint une suffragette active.
Pendant ses pérégrinations journalistiques en Europe, elle a rencontré plusieurs grands auteurs, tels
Thomas Mann,
Bertolt Brecht,
Stefan Zweig etc. Elle était proche du dramaturge allemand
Carl Zuckmayer.
Pourtant c'est avec un écrivain hongrois,
Joseph Bard qu'elle s'est mariée en 1923 et avec qui elle a vécu 5 ans.
De 1928 à 1942, elle sera l'épouse du Prix Nobel Littérature, 1930, Sinclair Lewis, l'auteur américain de "Babbitt" et "Main Street" et avec qui elle a eu un fils, Michael (1930-1974). (Voire la photo du couple et du fils de 1935 que j'ai rajoutée). En 1945, elle se marie avec l'artiste peintre autrichien, Maxim Kopf, avec qui elle vit jusqu'à sa mort en 1958.
Elle-même meurt en 1961 à Lisbonne, à l'âge de 67 ans.
Entre 1928 et 1957,
Dorothy Thompson a publié 18 ouvrages, entre autres un guide politique et un livre sur la crise de l'Occident "The Crisis of the West" (1955). le nombre d'articles de journaux d'elle et ses prises de positions à la radio sont quasiment incalculables. Elle restera célèbre pour sa défense du jeune Polonais, Herschel Grynzpan, qui avait abattu le conseiller de l'ambassade allemande à Paris, Ernst von Rath, le 7 novembre 1938. Une affaire qui déclenchera la Nuit de Cristal. Il n'y a pas d'indications quant à la fin exacte du terroriste de 17 ans, qui a disparu dans les camps. Même Eichmann, interrogé à Jérusalem en 1962, l'ignorait. L'essayiste genevoise,
Corinne Chaponnière, a publié un intéressant ouvrage à ce sujet "
Les quatre coups de la Nuit de cristal" en 2015.
Hitler n'aimait guère les journalistes étrangers, mais élections obligent n'est-ce pas ? Par surcroît, il exigeait les questions par écrit et 24 heures à l'avance et finit par réduire leur nombre à 3 : 1) ses intentions pour la classe ouvrière ; 2) ses intentions par rapport à la Constitution ; 3) ses intentions pour le désarmement international et "comment gérez-vous la question de la France" ?
Dorothy Thompson reconnaît qu'elle était "un peu nerveuse" en attendant l'arrivée d'Adolf, qui était en retard, dans sa suite de l'hôtel Kaiserhof à Berlin. Son apparition l'a ébahi. Comme
Hannah Arendt, des années plus tard, en parlant d'Eichmann emploiera le terme "banalité", elle penchait pour "nullité" et "effroyable insignifiance" en observant
Hitler. La journaliste a cependant commis l'erreur de ne pouvoir concevoir son arrivée au pouvoir, ce en quoi elle s'est lamentablement trompée, bien entendu. En revanche, elle a bien saisi le personnage et la fascination qu'il exerçait sur un certain public. Pour le reste elle en a fait un tel portrait peu flatteur qu'elle sera la première représentante de la presse frappée d'une interdiction de séjour en Allemagne nazie.
Comme tout le monde, la journaliste apprendra qu'il est impossible d'avoir une conversation normale avec le futur dictateur, qui ne s'arrête jamais de parler comme s'il s'adressait à une foule. "Il est incohérent, jacasseur, ne tient pas en place... a des gestes maladroits... tape du poing sur la table... et s'exprime dans un fort patois (autrichien)".
En fait, la seule déclaration cruciale se résume à : "J'arriverai au pouvoir de manière légale, à la suite de quoi je supprimerai le Parlement et la Constitution de Weimar. Je fonderai un État autoritaire..." (page 43). Une promesse des plus claires !
Il s'agit, en somme, d'un tout petit opus d'à peine 76 pages (au texte espacé et caractères plutôt larges), pas du tout la biographie magistrale d'
Hitler par l'historien britannique,
Ian Kershaw, de 2039 pages (Livre I, "Hubris" - 1889/1935 : 839 pages et livre II, "Némésis" - 1936/1945 : 1200 pages, dans ma langue).
L'essayiste et écrivaine
Elisa Rodriguez a assuré un avant-propos révélateur et
Laurent Barucq une traduction soignée.
Une "curiosité" qu'il est intéressant de lire pour la qualité de son auteure et pour l'aspect insolite de sa démarche !