Roman jeunesse si l'on veut MAIS, encore une fois, hyper intéressant.
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Même si l'histoire est différente, sur le principe elle m'a rappelé
Acide Sulfurique d'
Amélie Notomb où, grâce à une émission de téléréalité, le public pouvait faire tuer des gens impunément. Je vous mets un extrait du résumé car c'est un des rares livres de l'auteure que j'ai adoré :
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« Concentration : la dernière-née des émissions télévisées. On enlève des gens, on recrute des kapos, on filme… Quand les organisateurs du jeu, pour stimuler encore l'audience, décident de faire voter le public pour désigner les prisonniers à abattre, un tollé médiatique s'élève mais personne ne s'abstient de voter »…
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L'auteure avait choisi un scénario puissant, choquant, marquant et qui faisait réfléchir, en mettant en parallèle d'un côté la violence de ces téléréalités (vote pour sélection/élimination etc...) et les dérives qu'elles pourraient avoir, et de l'autre les « éliminations » nazies.
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Acide sulfurique est sorti dans les années 2000, à l'époque où la téléréalité faisait rage et où elle était aussi encensée pour son côté star système et voyeurisme que critiquée notamment pour ses références aux anciens zoos humains.
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Ici, l'histoire est remise au goût des années 2020 avec des « applis » et les dérives des réseaux sociaux ! l'auteur surfe donc sur la double vague de la technologie actuelle mais aussi d'un sujet d'actualité : la « justice » populaire. On peut le rapprocher de divers actu de ces dernières années, comme la proposition de filmer les procès pour que tout le monde y ait accès, qui a finalement été encadré, ou encore la peine de mort qui, bien qu'abolie en France, n'est malgré tout jamais tapie bien loin.
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Dans le monde de ce roman, elle demeure abolie officiellement par l'Etat… Sauf « justice » populaire :
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« Loi sur le relâchement :
Toute personne ayant purgé les trois premières années de sa peine de prison est susceptible d'être désignée pour la procédure dite de justice populaire, pour être relâchée.
Le relâché restera coupable aux yeux de la justice et de la population. Il sera donc livré à lui-même et ne pourra réclamer aucun soutien ou aide d'une quelconque autorité de l'état.
Les personnes ou groupe de personnes qui porteront atteinte à la vie du relâché bénéficieront de l'impunité totale.
Toutefois, la séquestration, la torture ainsi que toute violence inutile demeurent interdites et pourront faire l'objet de poursuites. »
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L'application « Guilty » (« Coupable ») n'est ni plus ni moins qu'un réseau social. Elle permet de localiser une fois par jour le coupable, mais aussi de signaler ou il a été vu et de s'acharner sur son cas. La chasse à l'homme est lancée. Elle sera entrecoupée d'extrait de messages sur l'application - déferlement incroyable de haine et d'incitation au meurtre, de la part de famille de la victime ou même de gens qui ne le connaissent même pas - et d'interrogatoires de Diego avant sa condamnation, qui rendent la lecture plus ludique, réelle et captivante.
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Comme dans «
le dernier jour d'un condamné » de
Victor Hugo, on sait dès le départ que le héros est coupable et cela donne plus de poids à l'histoire car cela démontre que, même sur un coupable, le procédé est inhumain, la vengeance n'a jamais été la justice - alors a fortiori en cas d'erreur judiciaire. Et pour le coup autant le héros de Hugo m'avait paru chouiner tout du long, autant celui-ci, malgré sa faute que j'aurais du mal à excuser, m'a paru attachant tant il voulait assumer.
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Le thème de la justice populaire est chatouilleux car, comme la justice est rendue au nom du peuple, ce dernier aimerait bien parfois y prendre une part plus active : plus voyeuriste, mais aussi plus vengeresse. Lorsqu'on lit les messages, on perçoit que sous prétexte de protéger la société de ces criminels, la violence ressemble à un exutoire, un peu comme les jeux du cirque à Rome. Et pour cette raison que nous avons des institutions, afin de ne pas mélanger justice et vindicte populaire voire lynchage publique.
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L'histoire est bien écrite, fluide, prenante et intelligente pour les réflexions suscitées, et les arguments apportés. du fait qu'il s'agisse d'un roman jeunesse, il y a un bon équilibre, ni trop sombre, ni trop léger. On perçoit parfaitement le cheminement du public en mode : s'il a tué cette fille, les nôtres sont en danger, il faut éliminer les déviants pour être tranquilles. Mais alors, des gens à qui il n'a rien fait deviennent à leur tour des meurtriers… protégés par la loi : Où est la justice et la logique là-dedans ?
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Le tome paraît achever l'histoire de Diego mais une ouverture sur d'autres tomes clôt le roman, et j'ai très envie de les découvrir même si j'espère ne pas me lasser. La société va-t-elle se réveiller ? Des gens vont-ils l'aider ? Sera-t-il plus malin ou succombera-t-il ? Diego, pas tout à fait libre dans sa tête, derrière les barreau de sa fenêtre, déjà mort ; Peut-être... (le ver d'oreille c'est gratuit, ne me dites pas merci^^)