Les événements actuels en Russie

L'agitation des Zemstvos (1905)

Il faut dire d'entrée qu'à ce moment là, La figure de Tolstoï était légendaire, il avait 77 ans, limite pour lire Tintin et Milou dans une autre vie. Il était ou il fut surnommé le tsar II, il bénéficiait d'une notoriété dans le monde hors normes, il était considéré comme le plus grand romancier de la planète au tournant du siècle. Il adressait des lettres de réprobation sans réserve au tsar, aux révolutionnaires de tout poil pour leur faire entendre raison, considérant qu'il était trop tard, le peuple ne pouvait plus attendre, un tel point de crispation était atteint que la situation devenait ingérable, chaque camp accusant l'autre. Et l'opposition au tsar, Nicolas II, était composite : bolcheviks, socialistes révolutionnaires, anarchistes, nihilistes : le règne des minorités agissantes en cette année 1905 qui a bien failli être la fin du régime tsariste. Ceux-là considéraient qu'il fallait abattre les Assemblées : les Zemstvos. Déjà si on pensait que tout ce monde là allait s'entendre comme un seul homme, on se mettait le doigt dans l'oeil. La politique muselait l'ambiance, semait la confusion, rien n'était conciliable, comme si on cherchait de part et d'autre à ce que cela ne le fût pas, et seulement ça, c'est bien l'erreur ! Les Assemblées de province, d'essence censitaire, devaient être réformées de fond en comble ..

Un journal américain commanda à Léon Tolstoï début 1905 son point de vue sur l'agitation des Zemstvos. le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils ne furent pas déçus de la réponse comme les protagonistes russes en présence. Cette réponse suscita de nombreux remous et l'indignation. Puisque en gros, il renvoyait tout le monde dos à dos, sauf les paysans ; mais les paysans étaient roulés dans la farine comme ils l'étaient depuis des lustres. Selon lui personne ne possédait la clef pour résoudre le problème posé aux russes, les exigences ou les revendications de la fronde étaient selon Tolstoï inutiles et nuisibles, puisqu'à supposer qu'elles triomphent, elles ne répondaient en rien à l'aspiration profonde du peuple. Selon lui, "la véritable amélioration sociale ne s'obtient que par le perfectionnement religieux et moral de l'individu." La branche de l'intelligentsia au sein des Assemblées qui voulait s'imposer n'était pas légitime, ça ne pouvait que foirer, les prétendus mandants du peuple étaient politisés, agissants mais une poignée sur l'ensemble du peuple russe, environ 50 millions de paysans floués. 70% des terres n'appartenaient pas aux paysans, plus de quarante ans après que les lois d'émancipation furent décrétées par Alexandre II ..

On serait tenté d'y voir des points d'analogie avec la situation française d'aujourd'hui bien sûr, bien que trop de choses diffèrent. Même si j'y pense au moment de rédiger ce billet, mon propos n'est pas celui-là. IL est de rapporter le point de vue d'un homme visionnaire sur la situation russe de 1905 qui ne l'a pas toujours été d'ailleurs dans ses jeunes années. Mais peut-on reprocher à quelqu'un fût-il de la graine d'artiste la plus prometteuse de n'être qu'un pâle gestionnaire quand on se retrouve à 19 ans à la tête d'un vaste domaine par héritage ? Bien sûr que non ! On peut lire à ce sujet ses doutes voire sa gaucherie dans l'exploitation de son domaine dans La Matinée d'un seigneur. Ici je lis sous sa plume : "Les paysans n'ont que faire de tout cela, (les revendications des opposants), il leur faut autre chose : ce qu'ils attendent et désirent depuis longtemps, ce à quoi ils pensent et dont ils parlent sans cesse, - et dont il n'y a pas un seul mot dans toutes les adresses libérales et les discours, et qu'on mentionne à peine, en passant, dans les programmes révolutionnaires et socialistes - ce que le peuple attend et désire, c'est l'affranchissement de la terre du droit de propriété, la socialisation de la terre. Quand le paysan jouira de la terre, ses enfants n'iront plus aux fabriques, et ceux qui voudraient y aller établiront eux-mêmes, pour eux, le nombre d'heures de travail et de salaire.
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