Vieu-tu qu’on s’pille ? m’a proposé un violent petit rouquin irrité par le fait que, nouveau dans la classe, j’attirais trop l’attention des enfants à la récréation. Je n’avais pas encore mes sept ans et je n’étais jamais allé à l’école. Se piller, c’est se battre. Mon manque d’entendement m’évita une bagarre où je n’aurais eu aucune chance. J’appréciai, au contraire, quand deux ou trois jours après, une petite fille courut à mes côtés, tenant un pan de ma blouse en vichy bleu, elle répétait j’t’eume bin, ma ! Je me suis mis assez vite à employer le patois entendu de la bouche des enfants puis, à partir de dix ans, dans la ferme voisine où je passais mes journées.
Ce parler campagnard était un mélange de mots anciens, de conjugaisons particulières et de quelques déformations, le tout pris dans une prononciation qui ne laissait guère saisir à l’auditeur citadin que les rares mots d’un argot venu des villes avant guerre. Aujourd’hui, en 2012, osons une mesure faite à l’oreille : les cultivateurs qui ont cinquante ans comprennent encore le patois, mais ils ne l’emploient presque plus.
Il en était autrement en 1940. Les enfants qui ne s’exprimaient qu’en français dans la classe, d’une façon plus ou moins adroite, retrouvaient leur spontanéité dans la cour, pour jouer il fallait entendre leur vocabulaire. Dans les réponses données en classe, les phrases construites pour illustrer la grammaire, ou les rédactions, s’il arrivait qu’un mot de patois se faufilât, sans orthographe certaine puisque prononcé souvent mais jamais écrit avant cette occasion, notre instituteur s’en amusait et faisait corriger.
Demeuré avec lui dans une vive affection jusqu’à sa fin au-delà de quatre-vingt-dix ans, je me suis permis d’affirmer qu’il eût été intéressant de montrer aux enfants, sur quelques termes au moins, la chaîne des mots : latin, Ancien Français et patois, puis français moderne. Audace répréhensible car la mission de l’école était de faire parler la même langue à tous les enfants du pays, quitte à écraser de mépris — et sans regret — le parler ancestral !
Ce patois mayennais n’étant pas ma langue maternelle, je le réservais pour des échanges très limités avec les enfants. Ma mère, venue du Mans, n’y entendait rien, pourtant je pense qu’elle aurait pu en aimer une certaine sauvagerie. Mon père, né dans un village normand pas très éloigné, comprenait au moins certains mots. Il était habitué aussi à converser dans le bourg avec les cultivateurs et les artisans, mais ceux-là, lui parlant, s’efforçaient d’employer plutôt le français de l’école. Ce qu’il appréciait surtout c’était la couleur de certaines phrases qu’il rapportait à ma mère, il les a même notées. Ainsi le jugement d’un cultivateur, connu comme original, sur le cidre qu’un autre lui avait fait tester : goulayant, drèt en goût, justificatif et qui vous fout dans les qualités de l’homme ! C’est à dire assez alcoolisé pour saouler. Ou l’expression de notre voisine à propos d’un marchand de chevaux qui trafiquait durant la guerre sous un nom d’emprunt : i s’teu faö nommeu ! Ou encore celle de la fermière voulant, au soir, faire rentrer ses lapins qui couraient dans le poulailler j’y fus à la breune mais, dame, je n’les veuyais ni d’la tête ni du cul !
J’avais l’impression, en mâchant ces mots-là, de produire des sons qui furent mêlés à la terre quand s’inscrivaient les premières ornières ou qu’étaient taillés les premiers champs puis, plus tard, finie la vaine pâture, élevés et battus à la pelle les talus de nos haies.
Là se rencontrent, en effet, et côtoient, parmi charrois, cultures, défrichements à la hache, à la houe, les racines gauloises et latines, graines semées entre les bruits de sabots et d’écuelles dans l’oreille des enfants, moisson par la génération suivante à la bouche de ses père et mère, patois issu du patois, soupirs, silences qui en disent long.
Significations :
Achée, substantif féminin : les poules et les pêcheurs se les disputent
Arocher, verbe : se pratique en discipline olympique
Berouette, substantif féminin : trop facile, je n’aide pas
Claver, verbe : assez facile aussi, mais à l’oreille j’aurais écrit “quieuver”
Cotir, verbe : attention à vous
Emeuiller, verbe : très présent dans ma langue maternelle et, telle mère telle fille, je m’émeuille assez souvent
Frembeyer, verbe : du boulot dans l’étable
Significations :
Guibet, substantif masculin : désagréable au cycliste
Juper, verbe : moins fort !
Micer, verbe : petit, petit, petit
Mucer (se), verbe : mais où ?
Rote, substantif féminin : interdit aux poids lourds
Seuyer, verbe : nécessite un outil
Touser, verbe : bien dégagé
La Fête du Livre de Bron propose chaque année une journée de réflexion sur des enjeux majeurs de la littérature contemporaine. le vendredi 8 mars 2019, nous proposions un focus sur les liens entre littérature, nature sauvage, grands espaces, sciences humaines et environnement.
Lors de cette 33ème édition, nous avions la chance d'accueillir Pierre Schoentjes, professeur à l'Université de Gand, spécialiste du « nature writing » en langue française pour un grand entretien exceptionnel, animé par Thierry Guichard, à revivre ici en intégralité.
Dans Ecopoétique, Pierre Schoentjes étudie les spécificités du « nature writing » en langue française – le terroir plus que la terre, le lieu plutôt que le paysage, l'esthétique plutôt que l'éthique – en délimitant un corpus littéraire constitué d'écrivains comme Jean-Loup Trassard, Pierre Gascar, Charles-Ferdinand Ramuz ou Philippe Jaccottet. Mais il explore aussi les oeuvres d'écrivains très contemporains comme Emmanuelle Pagano, Belinda Cannone ou Marie-Hélène Lafon.
En partenariat avec l'Université Lyon 2, la Médiathèque Départementale du Rhône et Médiat Rhône-Alpes.
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Un grand merci à Stéphane Cayrol, Julien Prudent et David Mamousse.
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