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sur 4701 notes
°°° Rentrée littéraire 2019 #12 °°°

Quel livre magistralement construit !

Les quatre premiers chapitres sont autant de présentations des quatre principaux personnages : d'abord Claire, brillante essayiste féministe, puis Jean son ex-compagnon, journaliste politique vedette de la télévision, Adam Wizman, son nouveau compagnon et enfin Alexandre, le fils De Claire et Jean, étudiant prometteur à Stanford. Ces chapitres sont un régal par leur façon de caractériser de façon incisive et précise la psychologie des personnages, on cerne parfaitement leurs ressorts intimes, leurs failles éventuelles.

Et puis on attend tout en se délectant de cette radiographie très balzacienne du monde de nos élites intellectuelles. On attend la déflagration. Ou plutôt la "diffraction", titre de la première partie. C'est-à-dire le comportement des ondes lorsqu'elles rencontrent un obstacle, leur déviation du point initial. On connait la nature du choc qui va permettre cette diffraction. Karine Tuil l'a annoncée dès la première ligne comme une quasi prophétie : « La déflagration extrême, la combustion définitive, c'était le sexe, rien d'autre - fin de la mystification." Il arrive à la page 152 et à partir de là, le roman s'enflamme, le rythme s'emballe, les pages se tournent avec fébrilité.

Reste à savoir quel personnage va en être le déclencheur.

Reste surtout à savoir comment chacun va se diffracter et voir sa vie bouleverser par la violence du choc qui le touche directement ou indirectement. De Balzac, on bascule dans la tragédie grecque.

Et là, le roman prend une ampleur inouïe en brassant avec une acuité remarquable des thèmes terriblement contemporains « me too » - la question du consentement, du viol, de l'emballement médiatico-judiciaire – sans perdre de vue ses personnages et leur devenir. Tous sont d'une grande densité psychologique, mêmes les secondaires, toujours complexes, tour à tour attachants, détestables, lâches. Celui qui m'a le plus touchée est celui De Claire, féministe éclairée qui voit ses certitudes philosophiques ébranlées par la déflagration, voyant ses actes et pensées de crise contredire tout ce qu'elle a pu construire précédemment. Le lecteur ne peut qu'être profondément questionné sur son positionnement face à l'affaire, c'en est souvent dérangeant et malaisant.

Assurément, Les Choses humaines ( magnifique titre au regard de son contenu ), est un grand roman, une oeuvre de forte magnitude qui embrasse la complexité de la société française, la décrit, la décrypte, la décortique, fait réfléchir, et ce sans jamais tomber dans la caricature ou le cynisme. Puissant et intelligent.

Lu dans le cadre du Club des Explorateurs de la rentrée 2019 Lecteurs.com


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Vous reprendrez bien un peu de rentrée littéraire?

 Après un Jean-Paul Dubois décevant, voici le dernier Tuil - eh!je n'ai pas dit la dernière Tuil, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit!

Karine Tuil, je dois dire, je n'aime guère:  toujours dans l'air du temps, à surfer sur les vagues à la mode, un grand sens de la caricature et peu de profondeur, simplifiant les personnages à grands traits, avançant à grands pas, sociologue  efficace, déguisée en romancière, qui sait qu'elle va faire mouche-et qu'elle va vendre- parce qu'elle va nous parler de ce qui nous harcèle,  nous obsède, de ce qui nous rebat les oreilles aussi...

Mais ce livre-là,  on m'en avait dit tant de bien...J'ai retenté l'expérience.

Va pour Les choses humaines, comme dans la chanson.. .

Je l'ai lu, je l'ai même dévoré,  en un jour.
Succès? Surprise? Réconciliation?

Je l'ai laissé tiédir un peu : trop chaud- bouillant. J'avais envie de voir ce qui restait des Choses humaines, justement. À froid.

Eh bien, je pourrais reprendre mon troisième paragraphe mot pour mot: Les Choses Humaines est un produit marketing parfait. Il sera lu, apprécié, il fera réfléchir, discuter. Mais ce n'est pas un roman. Il y manque le style, la chair, l'invention. Il y manque l'art.

Les quatre personnages principaux sont brossés à grands traits, ce sont des types socio-psy' - le self made man, vieille star télévisuelle qui n'arrive pas à quitter le plateau, l'intellectuelle écartelée entre principes et réalité, le fils à papa voué à la réussite sous peine d'inexistence,   la fille timide, traumatisée, coincée entre tradition et émancipation- des "caractères" comme ceux de la Bruyère mais  au temps des empires médiatiques,  de Twitter et de Facebook,  ce sont aussi des silhouettes piquées  à l'actualité récente -l'affaire DSK, l'affaire Weinstein, #balance ton porc - ou à des couples médiatiques célèbres , PPDA /CHAZAL, JJSS /GIROUD.

Karine Tuil, en abeille diligente,  butine à toutes les fleurs, et en fait son miel.

Le bonbon plait. Même si les ficelles sont un peu grosses. Même si c'est le Bûcher des Vanités à l'heure de Me#Too...en version française et en beaucoup moins fouillé,  beaucoup plus sensationaliste et beaucoup moins époustouflant que l'incroyable livre de Tom Wolfe où un simple accrochage déclenche un tsunami social .

Les personnages une fois campés,  l'intrigue déroule sa mécanique inexorable: on l'avait compris, ces quatre-là mis dans le même bocal doivent déclencher une catastrophe.  Un vrai cas d'école. Jusqu'ici, rien que du très attendu ou du déjà vu.
.
Il s'agit d'un viol. Ou pas.  D'un consentement. Tacite. Ou d'un refus. Muet. On est dans cette fameuse "zone grise" qui fait le bonheur des intrigues judiciaires et des versions contradictoires.

 Et c'est dans la seconde partie, toute entière consacrée à l'enquête de police, aux dépositions, confrontations, puis au procès qu'enfin Karine Tuil excelle.

 Pas une ligne de gras, rien que du factuel, des questions, des réponses,  des plaidoiries, des témoignages, un verdict. Et pas le moindre commentaire, la plus timide prise de position. Au lecteur de juger. Il a toutes les cartes, toutes les pièces en main. C'est un grand garçon, ou une grande fille. Qu'il/elle ( je reprends ce tic d'écriture que Karine Tuil a heureusement perdu depuis L'invention de nos vies!), qu'il/elle donc se débrouille..

La rentrée littéraire, n'en déplaise à Babelio qui en fait ses choux gras, n'est pas la meilleure opportunité  pour aborder un livre - trop de battage, trop d'avis, trop d'enjeux -,   ni pour retrouver un auteur qu'on aime ( j'ai été déçue par le dernier livre de mon cher Jean-Paul Dubois! ),  ni pour découvrir le talent d'un auteur vraiment inconnu, ni pour réhabiliter un auteur mésestimé.

Ce livre de Karine Tuil avait tout pour me déplaire, (auteur, sujet, style)  et pourtant je l'ai lu toutes affaires cessantes, sans pouvoir m'en détacher.

Je reste convaincue que c'est un habile produit marketing, mais la dernière partie m'a bluffée et sauve le livre de son habileté marchande. Dommage qu'il faille en passer par tant de clichés pour atteindre cette verité-là.

Traquées,  quadrillées,  cernées par la machine judiciaire, elles sont bien floues et incertaines, Les choses humaines..
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Les choses humaines, aimer, être aimé, jusqu'à l'inverse, jusqu'au point de non retour. Les erreurs... tant de choses humaines au final.

Karin Tuil nous offre lors de cette rentrée littéraire un roman puissant à son effigie : identité, société et psychologie. Elle fouille, creuse, tord ses personnages dans toute leur complexité, dans chacune de leur faille, et c'est ce travail d'orfèvre qui est fascinant avec elle. Pas de roman de pacotille, une grande oeuvre, un tourbillon au coeur de la société d'aujourd'hui dans ce qu'elle contient de plus redoutable.

Un couple, Jean et Claire. Deux personnalités médiatiques, le premier est un grand journaliste renommé, la seconde une littéraire au sommet des droits féministes. Leur fils, Alexandre.
Trois personnages clé qui nous apparaissent durant plus de 200 pages déshabillés de leurs travers. Orgueil, fibre maternelle, égo, compétition, amour, raison, autant de sentiments qui traversent ces personnages travaillés comme de l'or brut.
C'est immersif, on les voit, on les sent, on passe plusieurs heures à les regarder se débattre, se morfondre, piétiner l'un et l'autre, passer à côté de leur vie pour une carrière, pour un trauma vécu durant l'enfance. Une grande scène de vie que voilà. Jusqu'au jour du drame. Une histoire de vingt minutes d'égarement. Et tout bascule à cette plainte: viol.

La machine judiciaire se met en place. Et cette partie est absolument fascinante. On va suivre le procès, différentes vérités, l'auteur, la victime et l'interrogation. Admirable !

Ayant lu une garde majorité des romans de cette auteure, je constate qu'elle tient un grand rôle aux questions identitaires et toujours cette psychologie minutieuse et impeccable. J'accorde le carton plein pour L'invention de nos vies qui par son thème et la perfection littéraire autour d'un seul narrateur m'avait subjuguée. Dans les choses humaines, mon bémol serait peut-être qu'en seconde partie on perd un peu nos personnages au profit du procès. Même si cette partie se veut différente et axée sur la machine judiciaire, de ce fait tout à fait fascinant, je regrette une trop grande scission entre l'extérieur (les personnages, leur vie) et l'intérieur (le tribunal, vingt minutes d'égarement). Ce roman aurait été à mon sens parfait si l'extérieur et l'intérieur avaient continué à corréler ensemble.

Néanmoins, ça reste un roman intelligent qui nous mitraille de réflexions autour du consentement sexuel mais pas que. Pour arriver à vingt minutes d'égarement, il faut se rappeler comment et pourquoi le personnage en est arrivé là. C'est dans ce point que Karin Tuil excelle avec brio, talent et intelligence stylistique et narrative. Bravo.
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Les choses humaines ? Inhumaines surtout.

Inhumaine la violence psychologique et physique d'un viol.

Inhumaine la façon dont la victime est traitée depuis la nuit des temps.

Inhumaine la société qui pense qu'elle l'a bien cherché, finalement, habillée sexy, un p'tit coup dans l'nez, et puis qui l'a même suivi… c'est un sacré raccourci. (Parce qu'un homme qui n'a pas d'idée tordue derrière la tête est tout à fait capable de discuter avec une femme dans un coin sans lui sauter dessus, même derrière des poubelles).

Inhumaine la réalité des réseaux sociaux qui stigmatisent systématiquement,
même un présumé innocent. No sang.

Inhumaine la justice quand elle laisse en liberté des criminels du sexe, et c'est souvent.

Inhumaine les personnes dans le déni face à l'évidente culpabilité, au sein des familles.

Inhumaine la prison pour les innocents, mais sans prison encore du sang.

Inhumaine la sentence pour la violée : traumatisme à perpétuité.

Inhumaine la mafia des puissants qui protègent même les impuissants.

Tout est abordé dans ce roman finement construit, qui amène à la réflexion au-delà de sa lecture, et qui rend compte de toute la difficulté de rendre la justice. Malheureusement, ce roman est trop proche de la réalité, et l'analyse très subtile, car bien souvent, c'est la parole de la victime contre celle du violeur.

Un adulte qui commet un crime, quelles que soient les circonstances, est responsable de ses actes, et donc des conséquences.

Une victime n'a jamais demandé à l'être, et la sidération lors du viol peut malheureusement être interprétée comme une absence de défense, alors qu'en réalité, on passe un cran au-dessus : celui de l'espoir de ne pas être tuée après.
Beaucoup de psychologie dans cette oeuvre à lire à différents niveaux.
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L'écriture de Karine Tuil a quelque chose de besogneux. Sa façon d'évoquer, au travers de personnages stéréotypés, les problèmes agitant la société contemporaine est parfois intéressante, voire pertinente, mais je la trouve impersonnelle et superficielle quand elle se réduit à la froideur d'un catalogue (attentats, crise de l'institution familiale, tyrannie des réseaux sociaux, xénophobie, antisémitisme). Comme souvent le travail de Karine Tuil s’apparente à celui d'une élève appliquée qui chercherait à plaire, mais qui oublierait qu'il importe plus de toucher le lecteur, de le faire réfléchir, que de lister des phénomènes sociétaux — sujets par ailleurs rebattus.

Reste qu'en ce qui concerne la violence faite aux femmes, démontant le fonctionnement de la justice après une accusation de viol, l'auteure soulève le problème brûlant du consentement dans le contexte du #MeToo, #BalanceTonPorc — faisant suite à l'affaire du producteur américain Harvey Weinstein. Un sujet parfaitement traité par Karine Tuil, au point que s'il n'y avait qu'une bonne raison de lire Les choses humaines ce serait celle-là.
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« Toute sa vie durant, elle n'avait fait qu'agir en contradiction avec les valeurs qu'elle prétendait publiquement défendre. C'était ça, la violence : le mensonge - une représentation falsifiée de son existence. le déni : la voie qu'elle avait substituée au réel pour pouvoir le supporter. ».

Claire Davis-Farel incarne ainsi l'adage de Paul Bourget dans « Le démon de midi » « Il faut vivre comme on pense, sinon tôt ou tard on finit par penser comme on a vécu ».

« Le territoire de la violence » que démasque Karine Tuil ce sont les affaires de moeurs, de corruption, de drogue, de règlements de comptes qui sont le quotidien de Johnny, alias Jean Farel, de Léo son frère et porte flingue, de Yasmina Vasseur et Ballard.

Ce sont les réseaux sociaux qui véhiculent exhibitionnisme et raclures, les médias qui sombrent dans le voyeurisme et se dotent d'une façade morale en laissant des essayistes prêcher des discours éthiques déconnectés de leur vie personnelle. Un milieu qui sombre de l'immoral vers l'amoral et qui, par son pouvoir médiatique, conduit notre pays au naufrage ; un milieu où les parents n'ont pas le temps d'éduquer leurs enfants et en font des violeurs.

Le contraste avec la rigueur des policiers, des magistrats, est saisissant et la deuxième partie du roman, en dévoilant les rouages d'un procès en cour d'assises, évoque les scénarios de John Grisham et m'a passionnée.

Mais la chute de ce roman est vraiment désolante et lamentable car, à l'inverse d'un Grisham qui montre souvent les criminels se repentir et entrer dans les voies de la rédemption, le violeur devient ici proxénète et lance Loving un site de rencontres tarifées !

Que les lycéens aient élu ce roman « Goncourt 2019 » laisse perplexe s'ils considèrent Alexandre Farel comme un modèle ?

Ce livre est un page turner passionnant, avec une intrigue inspirée de l'actualité, dans un milieu que la romancière connait manifestement fort bien, gâché par quelques énormités du style « Passé 50 ans, les femmes sont transparentes », des acteurs tous plus antipathiques les uns que les autres à l'exception notable de Claude.

Claude, le chien de Françoise, est attentif, affectueux, dévoué, désintéressé, fidèle … l'opposé de ce que « les choses humaines » illustrent.

PS : mon ressenti de "Six mois, six jours"
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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En apparence, les Farel forment un couple on ne peut plus glamour, envié presque, à qui tout semble réussir. Jean est un célèbre journaliste politique, animateur et producteur de son émission. Alors en pleine gloire médiatique, et après son divorce, il épouse Claire, de 27 ans sa cadette. Si elle a renoncé à une carrière dans l'administration américaine, elle est aujourd'hui reconnue dans le monde littéraire pour avoir écrit des essais et des articles féministes. Si, au fil des ans, leur couple a perdu de son sens, lui menant une double vie avec Françoise depuis 18 ans, elle ayant rencontré Adam, un professeur de français, ils sont restés liés grâce à leur fils, Alexandre. À 21 ans, après Polytechnique, il est aujourd'hui étudiant à Stanford, en Californie, et est promu à un bel avenir. Si Claire décide de quitter Jean pour vivre pleinement sa relation avec Adam, c'est un tout autre drame qui va bientôt faire vaciller ce fragile équilibre familial...

« Les choses humaines » est un roman fort et poignant, à l'ère du mouvement #MeToo. Pendant plus de 150 pages, Karine Tuil prend le temps de nous présenter les différents protagonistes, aussi bien sur le plan personnel que professionnel. Et l'on se délecte de ce tableau qui peu à peu perd de ses couleurs et se craquelle. Jusqu'au point de rupture où tout va basculer. Dès lors, l'auteure nous entraine dans le rouages de la justice et dépeint, avec force et fracas, combien ce drame va bouleverser toute la famille Farel. Avec habileté mais aussi impartialité, elle énonce les faits tels quels et ce sera au lecteur de parfaire son opinion. Ce roman prenant, diabolique, déstabilisant parfois, et parfaitement maîtrisé aborde aussi bien l'univers médiatique, la famille, la sexualité, la notion de consentement, la domination masculine que les travers de notre société.
Un roman passionnant et tragique...

À noter que ce roman a été adapté au cinéma par Yvan Attal...
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Alexandre, jeune adulte, est le fils de Jean Farel, un célèbre journaliste politique français et de Claire, une franco-américaine plus jeune que son mari. Tous deux ne forment plus un couple uni. Jean a une bonne amie depuis des années et Claire tombe amoureuse d'un professeur juif dans une école juive.
Alexandre étudie dans une université prestigieuse en Californie et quand il revient pour un séjour à Paris, il se retrouve seul dans l'appartement et se sent parfois mal.
De plus, avant de partir aux Etats-Unis, il avait vécu une histoire d'amour qui s'était mal terminée.
Il sort beaucoup avec ses copains et ce ne sont pas des petits chérubins. Les substances illicites sont généralisées lors de leurs sorties ainsi que des paris idiots, irrespectueux pour les filles.
Un soir, tout cela finit très mal et une fille de son entourage très proche l'accuse de viol et porte plainte.
Ses parents sont effarés, sa mère, surtout, n'y croit pas.
Elle, qui défendait les droits de la femme dans un cas de maltraitance surtout, se rend compte que c'est très difficile d'appliquer ses belles idées quand on est soi-même concerné.
L'enquête est très approfondie, sonde aussi bien la vie d'Alexandre que celle de ses parents.
Arrive le procès et devant les tribunaux la vie intime, familiale d'Alexandre, de son père, de sa mère sont exposées , surtout lors des plaidoiries, des rapports des psychologues, des témoignages.
Karine Tuil nous montre à quel point cela doit être pénible un tel déballage de détails mais il faut rendre la justice dans un contexte où beaucoup de femmes se révoltent contre des hommes maltraitants, usant de leur pouvoir.
La fin nous dévoile comment chaque protagoniste ressort de cette affaire et, de nouveau, l'auteure se montre très habile, loin de toute superficialité.
Une lecture passionnante.



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Alexandre Farel est fils d'un journaliste politique célèbre et d'une féministe active. Plutôt précoce, impétueux, sûr de lui, il poursuit de brillantes études. Nous suivons chaque membre de cette famille peu ordinaire et dont les liens se sont peu à peu distendus. Des chapitres étoffés nous permettent de vivre dans cet environnement et de mieux cerner les personnages. Mais chaque lecteur les découvrira.

Alexandre est accusé de viol et se retrouve aux assises après avoir fait un séjour en prison en proie à l'acharnement et à la violence des autres détenus. Son procès dure cinq jours. Cinq jours pendant lesquels sa vie va être passée au peigne fin, livrée en pâture à un public friand surtout lorsqu'il s'agit du fils d'un couple célèbre. D'ailleurs parfois il vaudrait mieux être un peu plus anonyme.

Nous assistons au procès. le passé, le présent, l'avenir du jeune Farel est décortiqué, ses failles, ses dérapages, ses forces, ses faiblesses, les relations qu'il a avec ses parents, ses amis tout est exposé sous les projecteurs.
C'est le procès d'Alexandre mais c'est aussi le procès d'une caste privilégiée, un procès politique.
Karine Tuil établit en filigrane un état des lieux choc sur le rapport hommes-femmes mais aussi sur les chances inégales de s'en sortir devant de telles accusations si l'on est nanti financièrement, si l'on a des relations, une culture solide et une facilité d'expression.

L'auteure montre s'il en était besoin le caractère néfaste des réseaux sociaux qui viennent alimenter les courants d'influence, mettant à mort une cible, encensant une idée, trainant dans la boue un bouc émissaire ou sanctifiant un être juste parce qu'ils l'ont décidé.

Ayant été juré d'assises pendant environ un mois, j'ai assisté avec intérêt à cinq procès. J'ai retrouvé dans ce livre l'ambiance du tribunal, les manières d'intervenir, les chuchotements et les indignations de la salle, les silences lourds et les interventions des avocats qui concluent : « je n'ai rien à ajouter » Ce qui veut dire en clair : je pose une question clé. A vous de réfléchir et de rebattre vos cartes. Je me souviens de la pensée instinctive et sincère que j'ai eu en pensant aux accusés et aux victimes : C'est la première fois que je fais connaissance aussi profondément avec des êtres humains. Je me souviens du président qui nous disait : Vous connaissez tous des personnes qui ont les troubles psychiques qui vont vous être expliqués. La seule différence avec les prévenus c'est qu'ils ne sont pas passés à l'acte. Et c'était vrai……

Et lorsque des vies se déroulent avec autant de précision, rassemblant en quelques feuilles tout ce qui a pu servir à orienter ou désorienter une vie, tout ce qui peut la faire déraper. Lorsque l'on extrait les racines pour analyser leur enchevêtrement, la manière dont elles ont poussé, sont elles ont pris forme, forcément la culpabilité, la honte, les regrets, les remords, la souffrance jaillit de cet étalage public.

Je demanderai à l'avocat de la défense Maître Célérier de m'aider à conclure mon billet en citant Nietzsche, « La vérité n'existe pas. Il n'y a que des perspectives sur la vérité. ».
Un roman ou des vies sont « pelées à vif », à l'écriture aussi alerte qu'un passage à l'acte présumé, aussi rapide qu'une chute vertigineuse, aussi conséquente qu'une accusation, aussi émouvante que deux avenirs brisés.
Un très bon bouquin.
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Balance ton sort

Analyste subtile de l'époque, Karine Tuil signe avec «Les choses humaines» LE roman de cette rentrée. Ce procès pour viol, après l'affaire Weinstein, a tout pour séduire, y compris les jurys des Prix littéraires de cet automne.

Si vous ne deviez lire qu'un seul livre de cette rentrée littéraire, alors je vous conseille celui-ci, pour trois raisons. Tout d'abord parce que Karine Tuil ne déçoit jamais. L'insouciance, son précédent roman, était formidable. Les choses humaines est encore mieux! Ensuite parce que ce roman s'empare d'un thème universel, la sexualité et le statut des femmes en l'ancrant dans l'actualité la plus brûlante, celle qui à la suite de l'affaire Weinstein a libéré la parole et suscité un déferlement de témoignages et d'accusations, sans qu'il soit toujours possible de séparer le bon grain de l'ivraie. Et enfin, parce que le scénario – diabolique – conçu par la romancière en fait un page turner d'une efficacité redoutable.
La première partie nous permet de découvrir Claire et Jean Farel. Elle est essayiste et féministe, il est homme de médias, et notamment présentateur d'une émission politique suivie avec intérêt. Et bien que septuagénaire, il n'a pas l'intention de prendre sa retraite. Ils forment «l'un de ces couples de pouvoir que la société médiatique révérait». Après la naissance de leur fils Alexandre, ils essaient de surmonter l'usure du couple en concluant un pacte leur permettant quelques escapades. En fait, Jean mène une double vie avec Françoise Merle, lui promettant qu'un jour ils seraient ensemble. «Elle ne s'était pas mariée, n'avait pas eu d'enfant, elle l'avait attendu vai¬nement; il n'avait pas eu le courage de divorcer, moins par amour pour sa femme – il y avait longtemps que son intérêt pour Claire était circonscrit à la vie familiale – que par désir de protéger son fils, lui assurer un cadre stable, équilibré.»
Mais les tensions vont se faire plus vives au fil des ans jusqu'à atteindre le point de rupture. En 2015, leur séparation est actée. Claire part s'installer avec Adam Wisman, tandis que Jean profite de cette liberté pour batifoler avec une stagiaire, une liaison qui semble lui donner un second souffle. Et comme il est attendu à l'Élysée pour y recevoir la Légion d'honneur, il a toutes les raisons de se réjouir. D'autant qu'Alexandre, qui suit des études à Stanford, assistera à l'événement.
Alors que l'avenir s'annonce radieux, tout bascule soudain. Mila, la fille d'Adam Wisman dépose plainte pour viol et accuse Alexandre qui avait accepté qu'elle l'accompagne à la soirée étudiante à laquelle il était convié.
Les circonstances du drame restent floues, d'autant que les deux protagonistes ont bu et ont pris de la drogue. Mais la machine judiciaire est lancée et, s'agissant du fils de deux personnalités, les médias et les réseaux sociaux se déchaînent. La déflagration est d'autant plus forte qu'elle arrive après l'affaire Weinstein et que le cocktail, sexe, argent, et pouvoir ne peut qu'enflammer les esprits. La présomption d'innocence vole en éclats, la mise en examen vaut déjà condamnation. Aussi bien pour Alexandre que pour ses parents.
Karine Tuil décrit avec précision les étapes, de l'incarcération au procès, et met en parallèle les deux versions qui s'opposent, sans prendre parti. Ce qui donne encore davantage de force au roman. Comme le rappelle le juge aux jurés, «Il n'y a pas une seule vérité. On peut assister à la même scène, voir la même chose et l'interpréter de manière différente. "Il n'y a pas de vérité, écrivait Nietzsche. Il n'y a que des perspectives sur la vérité".» Au lecteur de se faire sa propre opinion, tout en constatant que la violence prend ici le pas sur la justice. Que personne ne sort indemne d'une telle épreuve. Qu'il ne reste rien des choses humaines.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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