En ouvrant «
le Boxeur », que
Jim Tully a écrit en 1936 après avoir lui-même combattu, je souhaitais comprendre un peu mieux le « noble art », ce sport de coups : Pourquoi (et à mon niveau : comment peut-on) aimer le pratiquer, ou même le regarder ? Ne se prend-on pas assez de coup dans la vie ? Où est le plaisir à voir les autres en prendre ? S'imagine-t-on les donner ? Est-ce une sorte d'exutoire autorisé et encadré ?
L'histoire est celle de Shane Rory, un vagabond qui apprend à
boxer sur le tas pour gagner de l'argent lors de combats organisés pour les paris. On suit son ascension de ville en ville, au gré des trains de marchandises qu'il emprunte. Il s'entraine dans les salles qui veulent bien l'accueillir, sert de partenaire aux plus anciens, commence à se faire un nom dans le milieu, sans autre but que gagner sa croûte, même s'il en ressent de plus en plus une certaine fierté.
C'est lorsqu'il est confronté aux magouilles du circuit, à un match trafiqué qu'il va perdre, que sa motivation bascule. Atteint dans son coeur et sa fierté, il décide de montrer au monde entier qu'il est le meilleur. Pourtant, sa rencontre avec un ancien champion, rendu quasi-légume par les combats, l'interrogera sur l'intérêt de sacrifier sa vie de cette manière pour finir seul, en asile.
On ne le comprend pas tout de suite, mais ce sont ses discussions d'apparence anodines avec celle qu'il aime (qui est visiblement en plein oedipe, mais c'est une autre histoire) qui lui donneront LA raison de remonter sur le ring. Plus déterminé que jamais, il nous offrira alors le combat final : celui du championnat des poids lourds, où la majorité le parie déjà perdant…
*****
Même pour les novices hypersensibles comme moi, c'est une belle peinture de l'époque, de ce milieu fermé, du contexte économique et social dans lequel il s'est développé, de l'ambiance lors des combats et avec les journalistes. On finit par s'attacher à la fine équipe qui se monte au fil des péripéties. Décrits par cet ancien
boxeur, on visualise les mouvements, les presque-pas de danse ; le ballet du ring.
Shane n'étant pas le narrateur, je ne pensais pas pouvoir pénétrer ses motivations profondes (autres que l'argent), ni les sentiments qui le poussent à continuer malgré ses tourments. A cela s'ajoute un récit constitué de nombreux dialogues, en langage très parlé, qui laissent peu de place à une analyse psychologique approfondie. Mais après le combat final, l'auteur nous livre la conclusion de Shane. Une seule phrase, qui éclaire tout son parcours.
Jean-Claude Bouttier, champion d'Europe des poids moyens en 1971, dira plus tard : « Pour tous ces jeunes,
la boxe est un moyen de se mettre dans le droit chemin et d'accéder à une certaine noblesse ». Ce fut sûrement en partie le cas pour Shane, lorsqu'on comprend ce qu'il voulait prouver à la personne qui comptait pour lui. Sa conclusion explique sa détermination, donne un sens à son histoire.
Au total, la plume demeure très factuelle, et la construction est tout ce qu'il y a de plus linéaire. Mais elle nous mène inéluctablement vers son point d'orgue, cette lutte finale qui sera finalement aussi mentale que physique. Contre quoi va lutter Shane en réalité : Contre son adversaire, contre lui-même, contre les a priori des autres ? Contre la vie ou bien la mort ? Quel que soit ce combat, j'étais moi aussi derrière lui, serrant les poings et les mâchoires, concentrée sur la posture de mon challenger pour vérifier qu'il applique bien le conseil secret de son entraineur dans le dernier round. Même si je n'ai pas trouvé dans ce roman tout de ce que j'étais venue y chercher (notamment la réponse à ma question : dans l'absolu, pourquoi aime-t-on un sport qui consiste soit à blesser soit à être blessé soit à regarder des gens se blesser ?), je me suis laissée prendre au jeu le temps du championnat !