Priam était assis aux portes de sa cité, entouré de vieillards. Il contemplait, le cœur étreint d’anxiété, ces jeunes hommes, espoir de sa patrie, qui s’en allaient vers le hasard meurtrier des combats. À ses pieds Hélène était assise. Elle levait avec tristesse ses beaux yeux pleins de prière vers le visage majestueux et doux de Priam. Sur ses cheveux aux reflets de soleil, elle avait posé un voile de lin transparent, et une agrafe d’or retenait sa tunique sur son épaule d’une blancheur rosée.
Les regards de tous, épouses anxieuses, enfants étonnés, vieillards douloureux, se fixaient sur cette femme qui avait apporté avec elle tant de malheurs à sa patrie. Combien de sang avait déjà rougi les plaines de la Troade pour l’amour d’elle ! Quel sombre avenir flottait dans les plis de son voile et de sa robe ! Et cependant aucune clameur, aucune insulte ne s’élevait autour de la Grecque. Elle était nimbée par sa beauté, par l’amour que sa vue seule mettait aux cœurs, par toute cette passion, cette haine et ces morts que la Fatalité avait semés autour de ses pas. Un silence craintif s’établissait quand elle passait, quand elle parlait ; ceux qui pleuraient un fils, un frère, un époux morts détournaient la tête pour ne pas la voir, mais nul n’eût osé lever la main sur cette Hélène que chérissait Vénus, déesse de la Beauté. Et Priam, le vieux roi, étendait sa protection et sa pitié sur l’étrangère sans orgueil dont chaque regard semblait demander pardon d’avoir inspiré l’amour.
CHANT II
Les résultats d’un duel
— Vous voulez la lutte, dit-il, soit. Faisons encore cet effort. Nous savons que les Dieux s’intéressent aux Grecs. Touchés par notre patience, ils accorderont à notre courage le prix qu’il mérite. Demain à l’aube nous attaquerons. Apprêtons nos armes et qu’un grand sacrifice nous rende favorable le maître des Dieux.
Le reste du jour s’écoule en préparatifs guerriers. Les esclaves fourbissent les armes, décorent et réparent les chars, harnachant les chevaux. Les guerriers se montrent pleins d’entrain. Chacun se sent certain de triompher et se voit, en imagination, vainqueur du héros troyen, d’Hector lui-même. Il n’est question que de butin dans chaque tente. Les inutiles tentatives de tant d’années ont disparu des esprits, la Grèce est aimée des Dieux, elle doit vaincre, elle vaincra.
CHANT I
Colères de rois
Le Destin est entre ses mains.
C’est lui, le roi des Dieux, que les hommes implorent. Troyens et Grecs le supplient avec une égale ferveur, lui faisant des sacrifices et des offrandes qui lui sont pareillement agréables. Et, depuis dix années, sur les autels de Troie comme sur ceux que les Grecs ont élevés parmi les rochers du rivage, des spirales d’encens montent vers le Père impassible.
Peut-être une secrète espérance habite-t-elle le cœur tout-puissant : cette Troie qu’il sait condamnée par le Destin – l’inflexible loi qui mène toutes choses – l’émeut par son héroïque résistance. Mais, malgré la pitié qu’il ressent pour la race et la ville de Priam, il ne les dérobera pas au tragique sort qui les attend, à la punition qu’a méritée le crime de Pâris.
CHANT I
Colères de rois
Ménélas a une armure moins superbe que celle du Troyen, mais la rage qui brûle son cœur semble jeter des flammes par ses yeux, et, sous sa cuirasse aux agrafes d’argent, Paris sent sa chair frissonner.
CHANT II
Les résultats d’un duel
Depuis près de dix années, les Grecs ont mis le siège devant Troie.
Troie est l’antique et puissante cité de Priam, le descendant de Dardanus. Elle est située au nord-ouest de l’Asie Mineure, et si fortifiée que le vieux roi qui la reçut en héritage parcourt ses remparts sans trop d’inquiétude.
« Pourtant, de l’autre côté de la plaine sablonneuse qui sépare la ville de la mer, l’armée des Grecs s’est installée. Elle est nombreuse ; ses tentes de lin safrané et pourpre se dressent comme une autre cité ; et les mâts des douze cents vaisseaux qui l’ont amenée sur le rivage asiatique se profilent sur le bleu profond de la mer comme une sombre forêt.
CHANT I
Colères de rois