On sonne à la porte. C'est le facteur qui me remet un grand paquet très lourd. En participant à cette édition de Masse critique, je ne m'attendais pas à recevoir un aussi beau cadeau. Ce luxueux volume cartonné est un catalogue d'exposition ? Quelle merveille ! Je ne me souviens pas d'en avoir déjà rencontré d'aussi précieux.
En lisant «
La tristesse des femmes en mousseline » de
Jean-Daniel Baltassat, j'avais rencontré un
Paul Valéry absorbé dans la contemplation d'une toile de
Berthe Morisot. Je vais en apprendre beaucoup plus dans ce riche volume. La ville de Sète a voulu célébrer le cinquantième anniversaire du musée consacré à l'auteur qui y a vu le jour. Comment mieux le fêter qu'en rassemblant les oeuvres de peintres qu'il a connus et aimés, dont il a parlé dans ses textes ou conférences ?
Dans un temps très lointain maintenant, j'avais découvert
Paul Valéry grâce à un cours universitaire. Je dois bien avouer qu'il ne figure pas en première place de mon Panthéon littéraire. Je trouve ses écrit froids, érudits, cérébraux. Je n'y décèle pas les sentiments qui m'émeuvent en poésie. Mais je ne me souviens pas que notre professeur nous ait entretenus du goût de Valéry pour la peinture, à tel point que, non content de fréquenter Degas, Bonnard, Picasso et tant d'autres, le poète a lui-même manié le pinceau ou le crayon. Il épouse Jeannie Gobillard, nièce de
Berthe Morisot et vit avec d'autres membres de leur famille dans un immeuble que la peintre avait fait construire et dans lequel « non seulement les murs sont couverts d'oeuvres de Manet, Morisot, Degas, Renoir... mais tous les membres de la famille peignent. » Une sorte de paradis pour les artistes, donc.
Paul Valéry était tellement amateur d'art que, lorsqu'il découvre une toile qui le touche tout particulièrement, la « Sainte Agathe » de Zurbaran, il ne se limite pas à lui dédier une délicate prose poétique, dans laquelle il évoque, de façon éthérée un épisode particulièrement barbare, « Car, issues des folles manches citrines, les mains pieuses conservent le plat d'argent où pâlissent les seins coupés par le bourreau... Les seins inutiles qui se fanent ». Son admiration est telle qu'il nommera sa fille en l'honneur du tableau.
On surprend un Valéry couvrant ses cahiers, carnets, feuilles ou notes « de dessins liés à l'environnement ou au contexte dans lequel il se trouve ».
En feuilletant ce somptueux volume, je pourrai admirer des reproductions d'une qualité exceptionnelle. de temps à autre, on aura même droit à un détail significatif qui occupe une page entière et dont on pourra déjà se faire une idée en détaillant la couverture. Elle isole la fillette au bord de l'eau, dont on trouve, dans le livre, la peinture complète, face au visage de l'enfant qui a droit à une pleine page. Valéry la décrit comme « une petite toile peinte au bord du lac, par temps voilé. Cela est fait de rien, un rien multiplié par l'art suprême de la touche, un rien de brume, des soupçons de cygnes, prestiges d'une brosse qui frotte à peine le tissu. »
J'ai pu me régaler des tableaux d'artistes que j'affectionne :
Berthe Morisot,
Marie Laurencin, Monet, Matisse... J'ai relevé des allusions à des auteurs que j'ai beaucoup lus et que je croyais, hélas, tombés dans l'oubli :
Henri de Régnier, Pierre Louÿs.
J'ai regretté qu'il n'y ait pas davantage d'explications à propos des oeuvres présentées (mais ce n'était pas le but de l'ouvrage).
La découverte qui m'a le plus frappée : cette « salle à manger rue de Villejust au petit jour » que
Paul Valéry réalise à l'encre de Chine et aquarelle.
Dans notre drôle d'époque où nous sommes confinés chez nous et condamnés à ne regarder le monde qu'à travers la fenêtre, ce paysage de maisons, toits, verdure sonne juste et actuel. Et je ne me doutais pas que l'écrivain avait autant de talent !
J'ai donc énormément apprécié ce catalogue qui m'est arrivé tel un cadeau de fin d'année, grâce à Babelio et à cette providentielle Masse critique, ainsi qu'aux éditions Loubatières, dont une main anonyme avait glissé la carte, tellement jolie, sur laquelle figuraient deux mots tracés la plume. J'espère que la personne qui a pris la peine de les écrire découvrira dans cette chronique un témoignage de toute ma gratitude.