Trois femmes, chacun d'elle enfermée dans le rôle que la société lui attribue, et dont les vies sont bouleversées par Tosca. Anita, baronne vieillissante qui se réfugie dans la mélancolie d'une ancienne passion, Alina, adolescente en colère qui va trouver sa voie dans le plus inatendu des lieux, et Hélène, pressée comme un citron par son job et son rôle de jeune mère, qui ne trouve plus de sens à sa vie.
Pour son premier roman,
Sophie van der Stegen réussit l'exploit de construire un véritable page-turner, un récit choral qui vous prend par la main et ne vous lâche plus. Moi qui n'aime pas l'opéra et qui n'y connais rien, ce roman m'a passionnée et sa construction en crescendo m'a happée. L'autrice connaît son sujet et sa vision du milieu de la musique classique et de le place qui y est réservée aux femmes est percutante.
"On a beau être au XXI siècle, très peu de maisons d'opéra sont dirigées par des femmes. (...). Dans l'écrasante majorité, les metteurs en scène sont des hommes, ainsi que les chefs d'orchestre. (...). A l'opéra, les femmes n'existent que pour mourir sur scène, dans un dernier chant. D'amour, si possible. pour un homme, bien entendu.".
Roman féministe, "
L'envol de Tosca" n'épargne pas ses personnages masculins : directeur tyrannique, compagnon infidèle et lâche, père absent, mariage de raison ... Seul Sergei et son violon font rêver, Anita comme le lecteur.
Quant à l'intrigue, prenant pour fil conducteur la perte d'une bague, et l'enquête pour la retrouver, l'autrice mêle les destins de ses trois héroïnes, chacune perdue dans sa vie de femme à différents âges : Alina, en recherche d'identité, Hélène en quête de sens, Anita qui vit dans les brouillards de ses regrets.
Entrecoupé d'interludes mettant en scène Pucini et son entourage féminin, "
L'envol de Tosca" nous plonge dans le monde de l'opéra, de ses intrigues cruelles, de ses compositeurs torturés. Un milieu snob aussi, composé de gens fortunés venant pour être vus, un microcosme où tout le monde se connaît, fait aussi bien d'amateurs du genre que de critiques méprisants, en passant par les vieilles rombières qui roucoulent leur mécénat.
Sophie van der Stegen nous fait vivre aussi l'envers du décor, le stress, la pression, les répétitions, les soirées interminables, la fatigue du lendemain.
"Le travail dans la Culture, c'est parfois épuisant, n'est-ce pas ? le fameux Show must go on ?".
Choral, noir, féministe, "
L'envol de Tosca" est un formidable premier roman, dont l'intrigue habilement construite tient le lecteur en haleine, dont on ne veut pas quitter les personnages attachants (mention spéciale à Anita), qui décrit merveilleusement bien un certain milieu huppé Bruxellois, et le monde de la culture et du spectacle ; sans pitié.
Parlons enfin du style : l'écriture est incisive et percutante, mêlant le sens de la formule à quelques touches d'humour (la domestique d'Anita et ses points d'interrogations). L'autrice a d'ores et déjà reçu le Prix du Roman Noir de la Foire du Livre de Bruxelles 2023, et pour un premier roman, ce n'est pas rien.
Gageons que
Sophie van der Stegen, dramaturge de son état, nous en offrira d'autres tout aussi percutants.
A lire d'urgence !