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Lors d'une sortie en vue de trouver de quoi survivre, Rachel tombe sur un être bizarre, étrange. Elle ne sait pas ce que c'est, ne peut même pas bien dire à quoi cela ressemble. Mais elle s'attache immédiatement à cet être. Elle lui trouve un nom, « Borne ». Puisqu'en quelque sorte, c'est elle qui l'a amené à la vie en le trouvant (« born » signifie « naître » en anglais, pour ceux qui, comme moi, ont un niveau dans cette langue assez limite). Avec lui, avec cet « hybride d'anémone de mer et de calmar », Rachel va ouvrir les yeux sur son monde.

Cet auteur, cela fait un moment que je tourne autour. J'avais regardé sa trilogie du Rempart Sud à la médiathèque. J'ai entamé sa très curieuse Cité des Saints et des Fous. Mais le moment n'était pas adéquat et je l'ai rapidement abandonnée, en me disant que plus tard… Enfin, vous connaissez ça. Et puis j'ai découvert le titre du roman qui paraît en ce mois de septembre : Astronautes morts. Coup de foudre. Mais je me suis rapidement aperçu que ce récit prenait place dans un univers déjà décrit dans une autre oeuvre. Or, je déteste débarquer au milieu d'un spectacle déjà commencé (la même mésaventure m'est arrivée cet été pour la lecture de la mer de la tranquillité d'Emily St. John Mandel). Chacun d'entre nous a ses lubies. Donc, j'ai laissé de côté mes astronautes pour aller vers Borne.

Mais je connaissais la réputation de cet auteur. Et le peu que j'en avais lu, associé aux premières lignes de ce roman proposées par Zoé sur son blog que je suis activement, m'inquiétait un peu. Et je n'ai pas été déçu. On parle de weird science, et ce terme convient tout à fait. Comme chez Jeff Noon (serait-ce une affaire de prénom ? Jeff ?), dans Un homme d'ombres par exemple, tout prend des proportions étranges. Même ce qui pourrait être banal, courant, ne l'est pas. Et là, de toute façon, pas de banalité. Car Jeff Vandermeer met en place un monde hors norme, empli de ses visions. La trame peut en sembler assez classique : scène post-apocalyptique, plusieurs clans s'affrontent, les héros sont au milieu de tout cela et tentent de survivre, un ou deux bons gros secrets pimentent le tout et leur révélation apporte un nouveau regard sur l'histoire. Mais la façon dont l'auteur met tout cela en scène et, surtout, les images qu'il y ajoute ! Je ne suis pas certain que j'aimerais pénétrer l'esprit de M. Vandermeer.

Car tout change de forme. Sortir de son refuge est synonyme de mise en danger. le moindre être vivant semble n'exister que pour faire peur, faire mal, piéger. Même la rivière qui traverse la ville est empoisonnée, repoussoir atroce malgré la soif qui se fait sentir en permanence. En avançant dans les rues, on trouve des « pendus aux lampadaires brisés », des « cadavres mutilés et brûlés ». Car la ville est le terrain d'une guerre. Entre la Compagnie, qui semble avoir créé nombre des horreurs qui tuent encore, malgré sa déchéance, et un groupe dirigé par la Sorcière, dont on ne sait pas grand-chose au début du roman. Et surtout, la ville est sous le pouvoir de Mord, créature créée par cette même Compagnie : un « ours géant » capable, lui, de boire sans dégât dans la rivière empoisonnée ; dont les griffes et les crocs sont capables d'« éviscérer et éliminer en un éclair » n'importe quoi ; qui vole au-dessus de son domaine et tue, sans pitié, sans même s'en apercevoir tout et n'importe quoi. Un monde de folie où survivent, on ne sait comment, plusieurs individus. Dont Rachel.

Rachel, qui forme avec Wick, un couple étrange mais stable. Ce dernier a été lié à la compagnie. On ne sait pas bien comment au début. Juste qu'il semble avoir été un inventeur, un créateur. Et qu'il continue, avec ses faibles moyens. Mais à la Vandermeer. On n'est pas dans un labo design. Non. Wick a une piscine où nagent ses embryons de création. Tout est monstre, de toute façon. Et, la plupart du temps, monstre menaçant de par sa propre nature. Face à cette hostilité permanente, Rachel reste en grande partie humaine. Mais une humaine affûtée, réduite à sa part animale, qui se méfie de tout et est prête à se battre, même contre ses congénères, afin d'obtenir de quoi tenir encore quelques temps. L'arrivée de Borne va tout changer. L'équilibre est rompu : Rachel délaisse un peu Wick, son mentor, son amant, au profit de Borne, son « bébé ». La voilà mère, aux prises avec les affres de l'éducation. Car Borne grandit et veut apprendre. Et cela va tout changer.

Je ne me frotte pas si souvent que cela au genre New Weird, mais j'en sors souvent plutôt satisfait. Et cette plongée, improvisée, dans le monde de Borne ne fait pas exception à la règle. Si je ne sors pas transcendé par cette lecture, j'ai passé un moment très agréable, occupé à mettre des images sur les mots de Jeff Vandermeer, regrettant parfois de l'avoir fait ; à me demander si tout finirait comme je l'avais prévu (en grande partie, malgré quelques surprises qui m'ont étonné) ; à observer l'irruption de ces astronautes morts dont je vais bientôt lire le roman.
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Jeff Vandermeer est un génie.
Posons ça là, immédiatement, pour clarifier les choses.
Jeff Vandermeer est aussi l'un des auteurs américains les plus injustement méconnus en France une fois sorti du microcosme de l'imaginaire.
L'auteur du monumental La Cité des Saints et des Fous a pourtant connu une seconde chance dans l'Hexagone avec sa Trilogie du Rempart Sud publiée chez Au Diable Vauvert à l'occasion de son adaptation filmique par Alex Garland sous le titre d'Annihilation.
Mais de nombreuses oeuvres de l'américain restent encore indisponibles à ce jour dans la langue de Molière, cela malgré une popularité croissante Outre-Atlantique et un engouement critique qui ne se dément pas avec les années.
Si l'on attend toujours de façon désespérée la traduction de son Veniss Underground, c'est avec l'un de ses ouvrages les plus récents que revient Jeff Vandermeer sous nos latitudes : Borne.
Une occasion forcément immanquable pour le lecteur français de plonger dans l'univers weird et curieusement émouvant de cet auteur unique en son genre.

It's a strange world, after all
Tout commence par une découverte, celle faites par notre narratrice, Rachel, sur la fourrure de Mord, un ours géant qui vole.
Cette découverte ? Borne, un être bizarre, étrange, impossible à cataloguer, tantôt en forme de vase inversé tantôt tentaculaire et végétal.
Intriguée par cette chose, Rachel lui accorde le droit de vivre au sein des Falaises à Balcons où elle vit avec Wick, un scientifique sur le déclin.
Bien vite, Borne se met à bouger, à manger, à changer…à parler !
Mais… attendez une minute… un ours géant qui vole ?
Borne prend place dans une immense cité en ruines, sans nom, abandonnée, effrayante, dangereuse. Tout droit sortie d'un cauchemar Volodinien, la cité n'a pas vraiment de passé clairement défini. Les souvenirs dans Borne sont flous, pour les êtres vivants comme pour la pierre et les rivières toxiques. Jadis, l'univers de Rachel a connu des guerres, des massacres, des accalmies, une lente décrépitude… que s'est-il passé exactement ?
La seule chose que l'on sait avec certitude dans le monde inventé par Jeff Vandermeer, c'est que la cité a vu une mystérieuse Compagnie s'installer en son sein. Un édifice tentaculaire qui l'a drainé de sa substance vitale et l'a inondé de choses recréées, difformes, dangereuses, étranges.
C'est d'une des expériences de la Compagnie qu'est né Mord, un ours plus grand qu'un immeuble et qui a la faculté pour le moins inattendue… de voler !
Depuis, la situation a empiré. Mord fait régner la terreur, ses intermédiaires (de plus petits ours génétiquement modifiés et venimeux à souhait) surveillent son territoire et La Magicienne, une des survivantes de la Compagnie, transforme les enfants abandonnés de la cité pour en faire de parfaits petits soldats à ses ordres.
De loin, Wick et Rachel survivent dans un édifice en ruines, peut-être jadis un immeuble majestueux, aujourd'hui un labyrinthe parsemé de pièges où la biotech de Wick peut saisir l'intrus à n'importe quel tournant. Cette cohabitation fragile bien que profitable pour les deux partis, est mise en péril par l'arrivée de Borne, un nouveau rouage dans la machinerie qui risque de tout déstabiliser. Et si Wick ne lui fait pas confiance, Rachel, elle, se prend à aimer son nouveau compagnon comme une mère…

Weird, Weird…et Weird
Borne n'est pas un roman de Jeff Vandermeer pour rien. Comme toujours, on y retrouve un bestiaire aux confins d'une fantasy malsaine et d'une science-fiction organique en diable, avec des ours géants et des renards intelligents, des enfants-guêpe et des poissons à tête humain. Comme toujours aussi, des leitmotivs, des éléments entêtants qui viennent et reviennent au gré des pages et dans la tête du lecteur, si les ours remplacent les champignons d'Ambregris et si les suricates de Veniss laissent la place aux renards, le principe reste le même : créer un surréalisme horrifique par la répétition, l'omniprésence.
La ville, elle, n'est qu'un terrain apocalyptique de plus de prime abord mais trouve, petit à petit, un caractère propre. Comme le monde imaginaire de Peter Pan redessiné par un scientifique fou, avec des enfants perdus chirurgicalement défigurés et un Peter Pan qui rentre à la maison en bestiole biotech à la fois émouvante et dévastatrice.
Dans l'univers de Jeff Vandermeer, rien n'est ce qu'il semble être, tout cache un vilain secret. Entre les cendres d'une ville détruite et les dépouilles sinistres d'astronautes morts qui n'en sont pas vraiment, Rachel et Borne vont apprendre à s'apprivoiser, à se connaître et à s'aimer.
Mais surtout, à se redécouvrir.

Élever un enfant…différent
Ce grand roman weird, c'est avant tout un roman d'apprentissage, celui d'une créature aussi peu humaine qu'émouvante du nom de Borne. Rachel, pour une raison qui n'appartient qu'à elle (et que l'on comprendra à la toute fin de son récit), s'attache à cet enfant qu'elle a trouvé, un petit être qui ne sait ni parler ni marcher et qui, petit à petit, va grandir, apprendre, changer.
Jeff Vandermeer imagine l'éducation d'une créature non-humaine à l'aune de critères, de sentiments et de jugements humains. Forcément, Borne attendrit le lecteur, maladroit et comique, toujours bienveillant envers sa mère adoptive…mais Borne reste Borne, une créature différente avec une nature profonde qui diffère de l'humain, qui remonte à la surface de façon inévitable. Métaphore de l'adolescence, du passage à l'âge adulte, de l'amour que peut porter une mère à son enfant alors que celui-ci n'en est plus un depuis longtemps, Borne théorise le nouvel adulte sous le signe de l'étrange et de l'absurde, pousse le sentiment de changement à l'extrême, physiquement et psychiquement.
Tout ça pour arriver à une question essentielle : qu'est-ce qu'une personne… qu'est-ce qu'être une personne ? Notre capacité à se mentir ? À se penser personne ? Humain ? À connaître la mort ? le bien et le mal ?
Jeff Vandermeer, sous le soleil post-apocalyptique et le passage régulier d'un ours volant géant dans l'intervalle, brise les rêves imaginaires et confronte ses étranges personnages au réel.

Âmes brisées en quête de souvenirs
Un réel brisé, en miettes, détruit. Un monde cassé qu'il faudrait réparé, mais comment ? Chaque personnage ici incarne l'une des facettes de ce monde en morceaux.
Rachel, la récupératrice au passé couturé de cicatrices, aux recoins obscurs, en besoin d'amour, en besoin d'aimer.
Wick, le scientifique en perdition, rongé par le remord, méfiant de tout, de tous, perdu dans ses créations absurdes.
Borne, l'animal-chose qui voudrait être un « vrai p'tit garçon » , être gentil, être entier pour exister, tiraillé entre ses pulsions meurtrières et son amour étrangement humain.
Même La Magicienne, ennemie errante dont on ne sait rien ou presque, qui rêve de mettre à bas Mord, expérience ratée ou terreur ultime.
Dans le monde créé par Jeff Vandermeer, la vie semble cruelle mais pourtant délicieuse, intense, surprenante. La capacité de l'américain à changer les formes, à transformer de vieux équipements NBC en combinaisons d'astronautes morts, à imaginer des médicaments sous forme de pillules-nautiles, à dessiner des vers-diagnostics et des scarabées de combats, tout ça mène à une sorte de ré-enchantement glauque d'un réel en perdition, d'un réel qui, pourtant, recèle toujours une part de beauté et d'espoir.
L'espoir d'être un jour une personne, de savoir qui l'on est, d'accomplir quelque chose.
La terreur elle, guette toujours, Vandermeer ne déroge pas à ses passions premières. Dans les profondeurs du bâtiment de la Compagnie, sur un toit entouré d'ours venimeux, dans une chambre torturé par des enfants-mutants… la terreur reste mais l'amour aussi, jusqu'à la fin, au-delà du miroir, au-delà du sacrifice.

Roman du pardon et de l'amour, de la mémoire et du malaise, de l'être et du non-être, Borne trouve la beauté absolue au coeur de l'horreur organique et surréaliste dont raffole son auteur. Singulier jusqu'au bout de ses griffes et de ses tentacules, Borne réaffirme encore et encore que l'univers de Jeff Vandermeer reste l'un des plus originaux, des plus forts et des plus beaux de l'univers.
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Rachel est récupératrice. Dans les décombres d'une ville ravagée, secouée d'une violence de chaque instant et surplombée par les ruines de la Compagnie, elle cherche tout ce qui se mange, tout ce qui peut être utile. « La ville gisait grande ouverte telle un trésor pour psychopathes. Des gens disparaissaient tout le temps. Des gens mouraient assez fréquemment. » (p. 292) C'est en accomplissant une tournée banale de récupération que Rachel trouve Borne, accroché à la fourrure nauséabonde de Mord, ours haut de trois étages et qui vole. Borne est-il une plante ? Un crustacé ? Ou un assemblage inédit de biotech doué de pensée ? « Rachel, Rachel... qu'est-ce que je suis ? » (p. 130) Être mouvant dont les capacités grandissent chaque jour, Borne est loin d'être inoffensif. Et sans tenir compte de l'amour qu'elle lui porte, Rachel devra accepter la véritable nature de son ami. « Borne m'apprenait continuellement comment le « lire », mais que voulait dire cette forme, à part que j'étais censée accepter l'impossible ? » (p. 137)

Vous qui ouvrez ce roman, ne cherchez pas à tout comprendre ou à comparer avec d'autres textes. Une fois encore, après Annihilation, autorité et Acceptation, Jeff Vandermeer propose une science-fiction qui bouscule tous les codes et refuse toutes les facilités. Tout est étrangement beau dans son monde cruel, et même poétiquement dégoûtant. Il faut sans aucun doute saluer le travail de traduction de Gilles Goulet, car la lecture est fluide en dépit des curieux concepts développés par l'auteur. Magie ou ultra-technologie, à vous de voir par quoi est animé Borne. Moi, j'ai plongé avec délectation dans le récit a posteriori du désastre personnel de Rachel. Jeff Vandermeer excelle dans la construction d'univers où rien n'est certain, où tout est ouvert à l'interprétation. Ainsi, il offre à ses lecteurs la chance d'exercer leur imagination, et c'est un don aussi beau que le texte lui-même.
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J'étais très intriguée par ce roman qui ne ressemble pas à grand chose d'autre, peut-être "Scrops !" de Maëlig Duval pour un univers futuriste vraiment dépaysant et la réflexion d'humanité et donc aussi dans une moindre mesure "L'incivilité des fantômes" de Solomon Rivers.
J'ai trouvé l'écriture riche et aimé la relation de la narratrice avec Borne mais j'ai néanmoins abandonné ma lecture après un tiers à peu près du livre. Pas suffisamment curieuse pour voir où cela nous mènerait mais heureuse d'avoir baigné dans cette ambiance très très étrange pendant une grosse centaine de pages.
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Au milieu des ruines hantées par l'ours géant génétiquement modifié, il faut bien survivre, tant bien que mal. Et comprendre peut-être ce qu'est Borne, l'étrange petite créature trouvée un jour comme par hasard. Jeff VanderMeer au sommet de son art et de sa création, maître comme jamais des ruses du langage et des représentations.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/14/note-de-lecture-borne-jeff-vandermeer/

Jadis florissante cité scientifique dédiée principalement à la biotech, autour de l'imposant siège social et des nombreux laboratoires souterrains de la Compagnie, la Ville s'est effondrée, comme le reste de la civilisation. Ours géant survitaminé intellectuellement et manipulé génétiquement, ayant depuis longtemps échappé à ses créateurs corporate, Mord, avec ses centaines d'adeptes et d'auxiliaires, règne sur ses ruines cernées par le désert – qui menace chaque année de progresser. Une forme d'opposition au pouvoir de Mord semble exister, plus ou moins souterrainement, incarnée par la Magicienne et ses troupes discrètes d'enfants ensauvagés et quelque peu modifiés. Dans les interstices, une économie charognarde subsiste, friande de pièces détachées et d'artefacts biotech plus ou moins bien identifiés : on y trouve notamment Wick, bio-ingénieur renégat de la Compagnie, chassé en son temps dans des circonstances mal élucidées, et son associée et compagne, Rachel – qui est aussi la narratrice de ce roman, et bien davantage que ce qu'elle semble initialement laisser voir.

Lorsqu'un beau jour, peut-être par hasard, Rachel met la main sur une bien étrange créature qu'elle décide d'appeler Borne (il y a là un jeu de mots largement intraduisible en français autour de born et borne, naturellement), créature dont le développement imprévisible bouleversera peut-être bien ce petit monde en apparence si figé dans sa déliquescence presque terminale.

Au moins depuis « Veniss Underground » (2003, non traduit en français) et « La Cité des Saints et des Fous » (2001), Jeff VanderMeer nous a amplement démontré, bien au-delà de cette étiquette littéraire du « new weird » qu'il a tant contribué à façonner, aux côtés de son épouse Ann, de Neil Gaiman ou de China Miéville, qu'il compte aujourd'hui parmi les plus grands créateurs artistiques contemporains. Son audace perpétuelle a trouvé une juste consécration avec la trilogie du Rempart Sud en 2014(« Annihilation », « autorité » et « Acceptation »), dont le premier tome a fourni la carburant conceptuel du magnifique film éponyme d'Alex Garland, en 2018, avec Natalie Portman et Jennifer Jason Leigh.

Publié en 2017, traduit en 2020 par Gilles Goullet chez Au Diable Vauvert, « Borne » nous introduit avec ruse et flamboyance à un nouvel univers. Au milieu de ces gravats minés de pièges biologiques et technologiques, rebuts précieux et souvenirs délétères, ruines en perpétuel mouvement sous l'effet de la danse de l'ours, il se joue quelque chose comme une tragédie à huis clos, toute de chants et de contre-chants, de manigances innocentes et de non-dits menaçants. Il y a beaucoup de mensonges, de dissimulations, de travestissements et d'omissions dans ce magnifique roman de récupération, où affirmer toute forme de destin semble relever de la gageure absolue pour ses protagonistes, tous claudiquants à divers degrés.

En parfaite filiation avec son travail au sein de la trilogie du Rempart Sud, Jeff VanderMeer déploie ici toute sa puissance dans la création d'êtres et de lieux, mais oriente qui plus est son inventivité foisonnante du côté des frontières poreuses entre naturel et artificiel (« Par-delà nature et culture » dirait-on en une virevolte avec Philippe Descola), du côté de la mise en forme discrète d'une diplomatie apprenante (et Baptiste Morizot ne serait alors peut-être pas si loin) et du côté, en matière d'éducation et d'apprentissage « humains », de l'identité et de ses manifestations, éventuellement conflictuelles. Aussi insaisissable et protéiforme que le « Palafox » d'Éric Chevillard, Borne est comme lui un extraordinaire révélateur de contradictions et d'attentes à déjouer, par la création d'une langue et d'une écriture conçues bien à dessein – et c'est ainsi que la science-fiction, l'imaginaire, le new weird, comme toute littérature, se recréent toujours poésie efficace, perpétuellement hors d'atteinte des modèles de langage dont la statistique portée à échelle inimaginable se voudrait éventuellement souveraine.
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Borne de Jeff VanderMeer aux éditions Au diable vauvert

Dans un monde post-apocalyptique, Rachel est récupératrice dans une ville en ruine où les hommes se battent pour survivre. Un jour lors d'une mission auprès de Mord l'ours géant volant, elle découvre une chose vivante, sorte de masse gélatineuse, qu'elle ramène chez elle, la nomme Borne et s'y attache comme à un enfant. Mais la créature douée de parole et de réflexion grandit et menace l'équilibre précaire régnant dans la ville... 🐻

J'ai fait une erreur avec VanderMeer, j'ai débuté par Astronautes Morts (que j'ai beaucoup aimé ceci-dit).
J'aurais dû commencer par lire Borne qui met en place le monde apocalyptique où les deux histoires se déroulent.
On y découvre la ville détruite, la Compagnie et ses expériences aux effets dévastateurs, les monstres qui y ont été créés par biotechnologie... On y croise Mord l'ours gigantesque volant faisant régner la terreur dans la ville, la Magicienne manipulant des enfants défigurés, des renards intelligents (pas encore bleus), ainsi que les fameux astronautes morts... 👨
L'histoire y est cette fois-ci linéaire, jonglant entre science fiction et fantasy. On s'attache à Rachel la narratrice, à Wick, son compagnon ayant travaillé pour la Compagnie, ainsi qu'à Borne qui découvre le monde, la vie, les sentiments et la violence...
L'écriture est fluide et addictive, belle et poétique, l'univers weird à souhait, le bestiaire foisonnant et toujours malaisant. Un roman d'apprentissage glauque et attendrissant, dans lequel il ne faut pas toujours chercher à comprendre ce qu'on lit...
Difficile pour moi par contre de ne pas me mélanger avec les événements du livre suivant (tant pis 🤷).

Et merci à la Bibliothèque de l'Espace Maurice Carème pour le prêt. 📚 (et à ma fille pour les peluches 🦊🐻, même si on a pas trouvé d'astronaute mort pour illustrer 😁 )
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J'avais entendu dire que ce roman de science-fiction post-apocalyptique était vraiment inusité, alors je m'attendais à être étonnée, déstabilisée, voire choquée, par ma lecture. Peut-être est-ce parce que mes goûts littéraires sont déjà trop bizarres en-soi, mais je n'ai pas trouvé ce livre vraiment étrange. Certes, certains éléments de l'histoire sont fantaisistes – notamment la présence d'un ours volant godzillesque hors de contrôle détruisant tout sur son passage! –, mais ça me semble aller un peu de soi lorsqu'il est question de littérature de l'imaginaire...

C'est avant tout un roman permettant de réfléchir sur ce que cela signifie que d'être humain. Dans un futur peuplé de créatures biotechnologiques et de mutants, la protagoniste en vient à s'interroger. Faut-il être humain pour être une personne? Où se trouve la ligne de démarcation? Et peut-on perdre son humanité à force de voir ou de commettre des atrocités? Est-on encore quelqu'un si on ne sait plus qui on est?

Même si je m'attendais à être davantage surprise par ma lecture, ça reste un livre intéressant. Des personnages crédibles et attachants dans un univers original et des questionnements existentiels : que demander de plus d'un roman de science fiction?
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Je me suis toujours demandée pourquoi on choisit un livre plutôt qu'un autre, ce qui nous attire dans une couverture et fait que ce livre rejoint notre pile à lire et un jour, devient l'Elu ... Les couleurs, le petit mot "Coup de coeur du libraire", une vibration indétectable, un appel subconscient ou peut-être tout ça à la fois. En tout cas, ce Borne, qui et quel soit-il je l'ai aimé dès les premières pages, tout comme Rachel qui l'élève comme un enfant et lui apprend la vie, les bonnes manières, le sens des mots et des émotions dans un monde qui ne fait plus rêver et où seul l'instinct de survie a pris le dessus.
Et ce Borne, mi-plante, mi-animal, mi-je ne sais quoi va en retour réveiller, chez Rachel, des émotions, des perceptions enfouies depuis bien longtemps et tout doucement raviver cette ville en ruines et modifier l'ordre établi.

Une dystopie qui passe du gris à la couleur, tout en douceur, très originale et surprenante. Comme dans le livre "Sur la route", on sait pas pourquoi ce monde est parti en ruines, mais en revanche, ce qui diffère, c'est que celui-ci, avec l'arrivée de Borne, recommence à respirer. Ce livre laisse beaucoup de place à l'imagination et à l'espoir et je dois avouer qu'il restera dans un de mes préférés en matière de dystopie.
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Un monde misérable, dévasté, pollué, un monde d'après qui tremble . Soumis à une créature volante qui ressemble à un ours, mais format Godzilla: Mord. Un monde où l'on doit se battre pour satisfaire ses besoins les plus élémentaires, où rien ne peut se créer, mais où l'on récupère tout. de la viande avariée, des composants électroniques, des machins et des choses. Rachel est spécialiste de ce travail de récupération.
Et un beau jour elle trouve Borne.
Une bizarrerie de couleur mauve, accrochée à la fourrure de l'ours volant. Un truc mou qui ressemble à un calmar, inoffensif, décoratif. Ou une plante en pot. Ou un bocal de slime.
Bref, un bidule.
Sauf que le bidule grandit. Et se déplace. Et finit par s'exprimer.
Par se faire aimer, aussi.
Mais peut-on s'offrir le luxe d'aimer dans un tel monde ?
Un roman qui commence petitement, aussi doucement que la croissance de Borne, et qui dépasse très vite les limites de ce à qui l'on s'attendait. Un merveilleux moment d'émotion, de réflexion, sans jamais tomber dans la grandiloquence et la philosophie de comptoir. Une réussite, quoi.
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Je ne savais absolument pas à quoi m'attendre quand j'ai coché ce livre lors du dernier Masse Critique, et j'avoue que je craignais d'être déçue. Surtout que j'ai appris après coup que Jeff VanderMeer n'est autre que celui qui a écrit Annihilation, dont j'avais vu l'adaptation sur Netflix à sa sortie et qu'il m'avait laissé un sentiment plutôt perplexe. Au final, je ne sais pas trop comment aborder ce commentaire mais ce qui est sûr, c'est qu'il risque d'y avoir beaucoup de superlatifs dans ce qui suit.
Borne, c'est un roman-alien à l'atmosphère très particulière, à l'univers très particulier et une histoire très particulière... tout est particulier dans ce livre mais d'une manière étrangement positive, fascinante et addictive. J'ai eu beaucoup de mal à lâcher ce livre pendant les quelques jours où il m'a accompagnée, parfois même pas pour le lire. Juste pour le plaisir de porter cette histoire singulière avec moi (et de caresser cette couverture irrésistible).
Je ne suis pas fortiche pour les grandes analyses de texte alors je ne m'y risquerai pas, surtout pas avec un roman aussi spécial. C'est le genre de roman qu'il est impossible de classer dans une seule catégorie et qui n'a de toute façon pas besoin d'être classé. SF ? Dystopie ? Post-apo ? On s'en fout. le plus important, c'est de se laisser porter par ce récit bluffant et puissant et la plume envoûtante de Jeff VanderMeer.
En résumé, un coup de coeur inattendu et assez difficile à exprimer mais indéniablement l'une de mes plus belles surprises de l'année.
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