Les préoccupations picturales, qui semblent revenir au premier plan depuis la rupture avec le Parti communiste, n’empêchent pas que se prolonge la ligne du moindre mal politique. Elle passe alors par le rapprochement avec Trotski et la IVe Internationale. À Mexico, Breton publie avec Diego Rivera et l’auteur des Crimes de Staline le manifeste Pour un an révolutionnaire indépendant. Dali, dont le jeu d’imbécile congénital a fini par lasser, est exclu et va s’employer désormais sans réserve à tirer du principe d’obscurantisme et des symptômes de démence précoce une technique que la publicité d’avant-garde n’a pas fini d’exploiter. En dépit du surnom anagrammatique dont l’a flétri Breton, « Avida Dollars », il a le mérite d’identifier ouvertement l’art et la marchandise, et de poursuivre sans vergogne l’argent, les contrats et les honneurs comme s’y attachent honteusement Ernst, Miró, Picasso et tous les artistes, de quelque talent qu’ils soient.
Breton se réconcilie avec Artaud et Prévert. Rien, au fond, n’aurait dû les séparer. Prévert et Péret coulaient de la même source. Il y avait en Breton beaucoup d’Artaud maîtrisé. Tous quatre ne cessent de mener la vie rude à l’idéologie surréaliste, à la récupération croissante du mouvement. Mais le surréalisme est, dès son origine, une idéologie, il est, dès le départ, condamné à jouer le jeu du nouveau et de l’ancien en culture (à moins, par exemple, que la révolution espagnole triomphant conjointement des staliniens et des fascistes ne rendît possible sa correction et sa reconversion en théorie révolutionnaire). En l’ignorant et en refusant de l’accepter, leur lutte a les accents glorieux d’un chant de défaite. Artaud, Breton, Péret, Prévert, c’est le dernier carré, qui ne se rendra jamais parce qu’il n’a plus rien à perdre.
Au contraire, Salvador Dali a assumé le surréalisme comme une idéologie à plein espace-temps. Il se rallie au fascisme, au catholicisme, à Franco, comme Aragon a rallié le stalinisme. À son tour, Éluard prend le même chemin.
Au début, la sincérité et la colère l’emportent encore sur le souci de l’image poétique. Dans « La Révolution, c’est-à-dire la Terreur » (La Révolution surréaliste, numéro 3), Desnos retrouve le ton des meilleurs libertaires :
« Mais l’épuration méthodique de la population : les fondateurs de famille, les créateurs d’œuvres de bienfaisance (la charité est une tare), les curés et les pasteurs (je ne veux pas les oublier, ceux-là), les militaires, les gens qui rapportent à leur propriétaire les portefeuilles trouvés dans la rue, les pères cornéliens, les mères de famille nombreuse, les adhérents à la caisse d’épargne (plus méprisables que les capitalistes), la police en bloc, les hommes et les femmes de lettres, les inventeurs de sérums contre les épidémies, les “bienfaiteurs de l’humanité”, les pratiquants et les bénéficiaires de la pitié, toute cette tourbe enfin disparue, quel soulagement ! Les grandes Révolutions naissent de la reconnaissance d’un principe unique : celui de la liberté absolue sera le mobile de la prochaine. »
Crevel, faisant le point en 1931, écrit dans le numéro 3 du Surréalisme au service de la révolution :
« Le surréalisme : pas une école, un mouvement, donc ne parle pas ex cathedra mais va y voir, va à la connaissance, à la connaissance appliquée à la Révolution (par un chemin poétique). Lautréamont avait dit : la poésie doit être faite par tous, non par un. Éluard a commenté ainsi cette phrase : la poésie purifiera tous les hommes. Toutes les tours d’ivoire seront démolies. »
Benjamin Péret publie Je ne mange pas de ce pain-là, où la poésie cherche véritablement sa pratique, en incitant à la liquidation de l’armée, de la police, des prêtres, des patrons, de l’argent, du travail et de toutes les autres forces d’abrutissement. Péret, qui a le courage de ses partis pris, s’engage au côté des anarchistes dans la révolution espagnole. Il sera le seul surréaliste de ce combat, que tous ses amis firent leur avec enthousiasme, mais de loin.
Paul Nougé, du groupe surréaliste belge, traduit une préoccupation importante du mouvement lorsqu’il écrit :
« Tirons de ce qui pourrait être nôtre le meilleur parti. Que l’homme aille où il n’a jamais été, éprouve ce qu’il n’a jamais éprouvé, pense ce qu’il n’a jamais pensé, soit ce qu’il n’a jamais été. Il faut l’y aider, il nous faut provoquer ce transport et cette crise, créons des objets bouleversants. »
Le 22.05.18, Thibault Henneton recevait Gérard Berréby dans "À voix nue" (France Culture), pour un entretien en cinq parties :
"Gérard Berréby vit de petits boulots et se met en quête : que faisaient les Guy Debord, Raoul Vaneigem et consorts avant 1968 ?
Sa première rencontre, c?est avec le poète et plasticien Gil Joseph Wolman, membre fondateur de l?Internationale lettriste : point de départ d?une généalogie des avant-gardes qui le conduira à rassembler et publier, en 1985, ses Documents relatifs à la fondation de l?Internationale situationniste. Ce qui n?a pas plu à tout le monde."
Photo : Gérard Berréby et Ralph Rumney à Cosio d'Arroscia. © Pauline Langlois.
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