Casanova, la contagion du plaisir

Chantal Thomas dans Casanova, un voyage libertin démontre avec talent et volupté qu’il n’est pas de tabou qui interdise aux femmes d’écrire sur Casanova sous le prétexte que « le gibier ne saurait aimer le chasseur ».

Un phénomène qui s’apparente à l’ennui a été décrit par Wilson sous le nom d’ « effet coolidge ». Lorsqu’une femelle désirable est introduite dans la cage d’un rat, celui-ci met un certain temps à s’intéresser à l’intruse ; les travaux d’approche se font avec hésitation et l’acte sexuel une fois déclenché traîne en longueur. Après l’éjaculation, le rat se repose quelque temps et monte à nouveau sur la femelle, l’acte est cette fois bref et sans atermoiement. Il est ensuite répété quatre ou cinq fois à intervalles rapprochés, toujours aussi rapide et décidé. Et brusquement tout s’arrête, la femelle cesse d’intéresser le mâle. On pourrait croire celui-ci épuisé, comblé, en état de satiété sexuelle ; erreur, le rat s’ennuie. Il suffit d’introduire dans la cage une nouvelle femelle pour que les ébats reprennent avec le même enthousiasme. Des dosages de dopamine libérée dans une région du cerveau, le noyau accumbens, montrent que le taux de cette substance suit fidèlement chaque montée du désir et s’effondre après chaque éjaculation. Ainsi l’ennui lié à l’absence de nouveauté est-il une activation assez puissante pour s’opposer à un désir qui ne demande qu’à s’exprimer… autrement.

Pour tromper une attente insupportable, Casanova choisit le dérivatif qui avec les femmes et les livres occupera le plus clair de son temps : le jeu. Plus tard, lorsqu’il sera retiré de la carrière de joueur, n’ayant plus les moyens de miser, il écrira un traité des jeux de cartes. Comme pour l’amour des femmes, l’écriture lui offrira les moyens de la revie.

La conversation nous éloigne de l’ennui et maintient notre curiosité en éveil. Casanova est un virtuose de la conversation. Il cause comme il respire. On dirait qu’il vit pour raconter. Giacomo n’est pas onaniste ; la présence de l’Autre, imaginaire ou réelle, est nécessaire au jaillissement des mots.

« Ne pouvant donc me trouver dans la certitude parfaite d’être immortel qu’après avoir cessé de vivre, on me pardonnera si je ne suis pas pressé de connaître cette vérité. Une connaissance qui coûte la vie coûte trop cher. En attendant, j’adore Dieu, me défendant toute action injuste, et abhorrant les hommes injustes sans cependant leur faire de mal. Il me suffit de m’abstenir de leur faire du bien. Il ne faut pas nourrir les serpents. » Casanova

« Casanova communique aux femmes qu’il aime le désir de se laisser surprendre, celui d’être prise au plaisir que l’on donne comme d’être persuadée de l’effet de ses propres arguments. L’enseignement de Casanova serait plutôt d’ordre musical. Entre une femme et lui se chante un duo. Ils prennent ensemble le ton du monde. » Chantal Thomas