LES MANGEURS DE PIERRES PRÉCIEUSES
Parfois, quand les soucis ordinaires me sont épargnés et que j'ai pu oublier un temps toute agitation, je fais des rêves tout éveillés, tantôt flous comme des ombres, tantôt tangibles et bien réels comme le monde matériel sous mes pieds. Qu'ils soient flous ou tangibles, ils sont toujours hors de portée du pouvoir de ma volonté de les changer en aucune façon. Ils possèdent leur propre volonté et vont de-ci de-là, et changent au gré de ses injonctions. Un jour, j'ai aperçu une immense fosse de ténèbres, autour de laquelle courrait un parapet circulaire, sur lequel étaient assis d'innombrables singes en train de manger des pierres précieuses dans le creux des mains. Les pierres billaient de mille éclats verts et cramoisis, et les singes les dévoraient insatiablement. Je savais que j'étais en train de voir l'Enfer celtique et mon propre Enfer, l'Enfer de l'artiste et que tous ceux qui cherchaient de belles choses merveilleuses trop avidement, perdaient leur paix et leur forme, et devenaient ordinaires et informes. J'ai aussi eu un aperçu de l'Enfer des autres gens et j'ai vu dans l'un d'entre eux un Pierre infernal, qui avait un visage noir et des lèvres blanches, et qui soupesait sur une étrange balance à deux plateaux non seulement les mauvaises actions commises par certaines ombres invisibles, mais les bonnes actions qu'elles n'avaient pas accomplies. Je pouvais voir les plateaux qui montaient et descendaient, mais je ne parvenais pas à voir les ombres qui, je le savais, se pressaient autour de lui. Une autre fois, je vis un certain nombre de démons de toutes formes - ressemblant à des poissons, des serpents des singes ou des chiens - assis autour d'une fosse noire comme celle de mon propre Enfer et qui regardaient une lune, comme le reflet des Cieux qui montaient des profondeurs de la fosse.
p. 152-153
Finalement, elle sembla s'impatienter, car elle écrivit pour moi ce message sur le sable - le sable de la vision intérieure - : "Prenez garde, et ne cherchez pas à en savoir trop sur nous". Voyant que je l'avais offensée, je la remerciai pour ce qu'elle nous avait dit, et je la laissai repartir vers sa caverne. Au bout de quelques instants la jeune fille sortit de son état de transe, sentit le vent froid de la mer et se mit à frissonner.
Time drops in decay
Like a candle burnt out.
And the mountains and woods
Have their day, have their day;
But, kindly old rout
Of the fire-born moods,
You pass not away.
Rendez-vous ce mercredi 4 octobre : deuxième épisode de notre série Dans les pages, où des écrivains se promènent dans la librairie pour nous parler de leurs livres préférés. Au programme : G. Simenon, F. Aubenas, J. Vallès, Antigone d'Anouilh (on ne peut pas oublier "Le quatrième mur" ) et le grand poète irlandais W.B. Yeats.
Merci Sorj et @editionsgrasset7893
Arthur Scanu à la réalisation au montage et à la prise de son et Antoine Daviaud au mastering
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