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Sophie Rèfle (Traducteur)
EAN : 9782330137342
224 pages
Actes Sud (04/11/2020)
3.58/5   20 notes
Résumé :
Enfant pendant la guerre mais de santé fragile, le narrateur-auteur de ce livre échappe à l’armée et poursuit ses études. Devenu adulte, il incarne la chance plus ou moins confortable de ne pas avoir été l’acteur ou le témoin du pire. D’où quelques pointes d’absurde et d’ironie dans ses récits. Contemplatif, il se souvient de Tokyo : les incendies, les déménagements incessants, les expéditions en campagne pour trouver du riz, les usines de ses frères, où il travaill... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Dans ce recueil de dix nouvelles, écrites dans le registre du shishosetsu, genre littéraire japonais proche de l'autofiction, Akira Yoshimura entremêle présent et passé au fil des événements qui se croisent, se reproduisent, se répondent d'une nouvelle à l'autre. Akira, le narrateur, un écrivain connu à la vie modeste racole le présent au passé unissant le partage du moment dans l'action, l'écoute et la contemplation , aux souvenirs.

Le poisson rouge, considéré comme un talisman contre les bombardements font remonter des souvenirs peu reluisants d'une guerre à laquelle il a essayé d'y échapper, y étant peu motivé,
Le souvenir douloureux de la famine durant l'occupation américaine donne l'anecdote incroyable du troc de riz clandestin auquel il participa avec succès,
La visite du Nouvel An au temple familiale au Mont Fuji est l'occasion de remémorer les coutumes mortuaires et ses parents, et surtout son père , grand amateur de saké et de femmes, et dont une anecdote libertine qu'il citera dans un de ses livres sera sujet d'embarras envers un tiers,….
La dernière nouvelle , celle qui donne son nom au titre convie le narrateur à assister à un feu d'artifice ,d'un bateau-restaurant sur la Sumida. Mais même venu y passer un bon moment en bonne compagnie, il est rattrapé par son passé qui suscite l'irruption de souvenirs désagréables de la guerre .
Pas de paix pour Yoshimura, dont tous les récits baignent dans les thèmes de la guerre, la maladie, la mort et les liens sociaux et familiaux. Des textes sombres , intéressants balayés par des magnifiques faisceaux lumineux de descriptions très visuelles : « Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu de mante religieuse, et je n'avais jamais eu l'occasion d'en observer de près. Ses yeux à facettes, qui ressemblaient à des étamines de lys tigré, ne bougèrent pas quand j'approchai mon visage, qu'elle m'ait ou non vu. La pince de sa patte avant baissée avait la transparence d'une agate. Elle lissait parfois son aile brun clair, visible au point de jonction de la patte arrière, laquelle avait l'aspect d'une scie à découper. » Des anecdotes autobiographiques qui raconte une vie personnelle assez tragique et complexe , sans aucun doute la meilleure clé pour l'appréciation et la compréhension de la suite de son oeuvre immense. C'est émouvant, c'est étrange, c'est particulier, c'est Akira Yoshimura.
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Bizarres ces nouvelles nipponnes. Empruntées car amie Babéliote en avait lu et j'avais envie de changer de style entre deux lectures déprimantes et/ou sérieuses. Tout réside dans l'atmosphère. A cheval sur la fin de la seconde guerre mondiale et la période qui suit, l'auteur nous baigne dans la pénurie de denrées, de matériel de base qui a constitué le quotidien des populations des pays dévastés à cette époque. Il ne faut pas chercher forcément d'intrigue, de fil narratif, il y en a peu : un trajet en train pour récupérer du riz au marché noir en échappant à la police, une rencontre avec une vieille femme évoquant un non-dit du passé avec le mont Fuji en arrière-plan... Cela m'a fait penser à Jiro Taniguchi . . .
L'ensemble brosse un état des lieux presque psychologique de ce Japon se relevant de la deuxième guerre mondiale et qui allait se lancer à la conquête économique du monde dans un temps relativement plus pacifié.
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Akira Yoshimura est un auteur que j'ai découvert par le très étrange et prenant Naufrages. Et je n'ai pas continué la lecture de son oeuvre, pas par refus, mais par manque d'occasions. Jusqu'à ce que je tombe sur ce recueil de nouvelles. Or, en ce moment, je préfère le format court, plus adapté à mon esprit surchargé. C'est sans a priori que j'ai entamé la lecture de ces textes assez brefs, sans même connaître les thèmes abordés.

En fait, ces nouvelles sont en grande partie autobiographique et l'on y découvre par exemple la jeunesse d'Akira Yoshimura en pleine guerre. Mais aussi ses relations avec sa famille. Et l'avancée de l'âge, avec son cortège de maux et de maladies, de décès et donc d'enterrements. Et enfin la nature, thème classique de la littérature japonaise. La narration possède un rythme qui ménage la contemplation et l'action. Très peu de temps morts, des sauts dans le temps parfois, beaucoup d'expressions des sentiments du narrateur, de ses doutes de ses réflexions. Ces qualités m'ont rendu la lecture de ce recueil plaisante et enrichissante.

Ce recueil peut très bien se lire sans avoir une connaissance du reste de l'oeuvre d'Akira Yohimura.

« Poissons rouges » : nouvelle inaugurale, ce texte raconte les efforts fournis par le narrateur-auteur pour ne pas se faire incorporer dans l'armée japonaise au moment de la Guerre du Pacifique, alors qu'il était encore lycéen. Sa santé précaire ne lui permettant pas, finalement, d'y échapper, il recherche une filière qui lui permettrait de continuer ses études plutôt que d'aller risquer sa vie. La narration, douce, circonstanciée, permet de saisir ses motivations et de comprendre sa cause. Même si on sent bien à travers certaines répétitions, à travers sa rencontre avec un ancien camarade qui le bat froid, qu'il regrette ce choix, il n'en reste pas moins déterminé à se tenir loin des champs de bataille. Une image marque ce récit : la vision qu'il a eu des passagers d'un bombardier américain qui allait détruire une partie de sa ville. Presque surréaliste (même si ce terme est galvaudé), ce passage mêle poésie et horreur (sous-entendue, car Akira Yoshimura ne se complaît pas dans les descriptions morbides : il se contente de décrire presque platement l'accumulation des cadavres, au détour d'une page). Une belle entrée en matière.

« Fumée de charbon » : au sortir de la guerre, la situation est terrible pour les habitants de grandes villes comme Tokyo. de nombreuses demeures sont détruites. Et même pour ceux qui, comme le narrateur, ont un toit solide sur la tête (grâce à un frère – le thème de la famille est omniprésent dans ce recueil, assez logiquement vu la place qu'elle occupe dans la culture japonaise du XXe siècle), c'est la nourriture qui vient à manquer. Aussi, on organise des trocs, des échanges. Ici, des vêtements fabriqués avec des restes de coton importés avant le conflit (Tokyo) contre du riz (cultivé dans la campagne). Mais procéder à cette transaction est rendu difficile par le manque de moyens de transport d'abord. Et surtout par l'illégalité de ce procédé et le risque de se faire prendre par la police. Un texte éclairant sur cette période et qui ménage un certain suspens jusqu'au bout.

« Le premier mont Fuji » : Pour fêter le nouvel an, le narrateur se décide, cette année, à ne pas rester chez lui à rédiger ses cartes de voeux, mais à se rendre dans le temple familial, au pied du mont Fuji, avec son frère et son épouse, ainsi que sa belle-soeur (son frère est mort à la guerre). L'occasion d'admirer des paysages envoûtants. Et de découvrir davantage la famille d'Akira Yoshimura, dont les ancêtres ont fait bâtir un temple et se sont gardé des places pour les tombes. On s'aperçoit aussi qu'écrire sur ses proches peut avoir des conséquences comme le découvre à ses dépens le narrateur. Évocation tendre de souvenirs parfois douloureux.

« Début de printemps » : Un cousin du narrateur lui demande de venir s'entretenir avec sa mère adoptive (la tante d'Akira Yoshimura). Akira se demande bien les raisons de cette future discussion : une question d'argent ? le cancer déclaré de son mari (mais tu au principal intéressé et à la famille – d'ailleurs, dans ces nouvelles, c'est fou comme les médecins et la famille proche ne révèlent pas l'imminence de la mort à certains patients, pour ne pas leur gâcher leurs derniers jours) ? Ce sera les nombreuses aventures de l'oncle que tenait à révéler la tante. Et la réaction du narrateur et des autres hommes a de quoi choquer, enfin, à mon avis : ils s'en amusent, sourient devant la colère de la tante, comme si il était normal de tromper sa femme, comme si on n'y pouvait rien. Je peux concevoir que cette idée ait été répandue, mais aujourd'hui, elle paraît dépassée. Vraiment. Cela n'enlève rien à l'intérêt de cette nouvelle, bien rythmée, elle aussi, mêlant avec talent réflexions et souvenirs.

« Bientôt l'automne » : L'automne, oui, donc la saison avant l'hiver, avant la mort. Et les maladies se multiplient. le narrateur est atteint d'un rhume dont il ne parvient pas à se débarrasser et l'inquiétude le gagne. Il consulte et le médecin, dans l'attente de résultats d'analyse, lui demande de ne plus boire du tout d'alcool. Ce qui le désole, car il s'ennuie le soir, s'il ne peut pas boire. Il se retrouve à regarder des émissions télévisées sans intérêt et, surtout, peine à s'endormir car l'alcool lui servait de somnifère. Parallèlement, une connaissance (la patronne d'un bar qu'il fréquentait) meurt d'un cancer. Ce qui le fait relativiser, mais l'inquiète fortement. On sent les préoccupations de l'âge qui progressent, au fur et à mesure. Touchant.

« L'échantillon » : Curieuse histoire que celle-là ! le narrateur a, dans sa jeunesse, subi une thoracoplastie, c'est à dire une ablation de certaines côtes, pour soigner une pleurésie (dont il a parlé dans la première nouvelle, « Poissons rouges »). Opération extrêmement douloureuse, semble-t-il, abandonnée par la suite, quand des antibiotiques ont pu soigner cette maladie sans attenter ainsi à l'intégrité physique des malades. Dans ce texte, le médecin qui avait opéré Akira Yoshimura lui apprend que l'hôpital a conservé les côtes retirées des années plus tôt et lui propose d'aller les regarder. Moment surprenant, où l'on est aussi retourné que le narrateur.

« Cigale du Japon » : Encore une histoire d'os. Sur la fin, en tout cas. le narrateur se rend à un enterrement (encore, pourrait-on se dire : l'auteur semble arrivé à un âge où il est cerné par les proches – plus ou moins – qui passent de vie à trépas ou qui sont atteint d'un cancer – maladie qui finit par effrayer Akira Yoshimura, presque comme si elle pouvait être contagieuse, à la fin) et évoque le dernier moment passé avec la défunte. Encore des impressions et des sensations (la chaleur est accablante) mêlées intimement dans une nouvelle très sensible. Et à la fin, lors de la cérémonie, les bonzes proposent à la famille de laver les os de la défunte qui vient d'être incinéré, surprenant ainsi les personnes concernées qui ne connaissaient pas cette coutume. Passage surprenant, voire écoeurant, quand le narrateur sort ses mains grasses d'avoir trempé dans l'eau pleine des cendres de la morte. Encore une découverte.

« Pluie de printemps » : le narrateur se laisse convaincre d'aller à une cérémonie de funérailles d'une femme qu'il croisait parfois dans un cercle littéraire. Il le regrette au début mais finalement est content d'y être allé quand il s'aperçoit de la solitude dans laquelle cette femme a fini sa vie. Il a apporté quelque chose par sa présence. de plus, il rencontre une amie poétesse qu'il apprécie. Et évoque ce personnage avec légèreté, alors qu'il parle de ses nombreuses tentatives de suicide, suite à des déceptions amoureuses. Toujours cette impression de n'être pas particulièrement touché par la vie des autres. Serait-ce de l'égoïsme ? Encore une nouvelle agréable et éclairante sur les rites funéraires au Japon.

« Le mur blanc » : Dernière nouvelle de ce recueil située dans l'univers médical. le narrateur, pour les besoins d'une opération de l'oreille, passe du temps dans un hôpital. Il y croise, au début, d'autres patients atteints de maladies peu graves. Puis il s'aperçoit de la présence de personnes très malades, voire condamnées. Comme dans les autres textes, il a du mal à s'approcher de ces gens, mais finit par s'attacher à un jeune homme, en principe destiné à sortir assez vite. Encore un texte délicat, mais il était temps que l'auteur cesse de parler de cancer, de maladies, d'hôpitaux, car cela finit par devenir répétitif, d'autant qu'il éprouve toujours les mêmes sentiments vis à vis de ces pathologies.

« Un dîner en bateau » : le narrateur est invité à aller profiter du feu d'artifice depuis un bateau. le trajet jusqu'au point de vue le ramène des années en arrière, pendant la guerre, quand la Sumida (le fleuve qui traverse Tokyo) était couverte de cadavres : personnes ayant tenté d'échapper aux incendies, victimes des bombardements. Une plongée dans ce passé violent qui l'a marqué, à raison. Une évocation presque froide par endroits, mais ô combien éclairante sur cette période terrible pour les civils. La boucle est bouclée, puisque l'on finit, comme on a commencé, avec la guerre et ses ravages, ses traces dans les mémoires.
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C'est avec ce recueil de dix nouvelles autobiographiques que je découvre l'écrivain japonais, Akira Yoshimura (1927-2006). Elles viennent seulement d'être traduites en français et publiées, alors qu'elles sont parues au Japon entre 1976 et 1988. Dans cet ouvrage, elles apparaissent par ordre chronologique, ce qui permet au lecteur d'en apprendre beaucoup sur la vie de l'auteur, l'histoire et les us et coutumes japonaises.

Yoshimura, issu d'une famille très nombreuse, était adolescent lorsque la seconde guerre mondiale a éclaté, de santé très fragile il n'a jamais été incorporé pour défendre sa patrie, et d'ailleurs longtemps après il culpabilisera. Néanmoins il sera marqué à tout jamais par ce conflit, il échappera miraculeusement aux bombardements américains, mais subira les suites désastreuses et les pénuries alimentaires dans un pays dévasté. de surcroit, durant toute son existence, il a côtoyé la maladie, en l'occurrence le cancer, et la mort, qui toucheront bon nombre de ses proches dont ses parents. Ces thèmes sont récurrents dans ces nouvelles qui sont autant de souvenirs lointains ; ils les imprègnent d'une atmosphère mélancolique et souvent pesante.

« Des dix enfants que mes parents ont eus, neuf garçons et une fille, il ne me reste plus que trois frères, tous plus âgés que moi, et ce seul cousin. Dans dix ans j'aurai de la chance si nous sommes encore deux ou trois, et je serai peut-être mort, me suis-je dit… »

Plusieurs de ces nouvelles ont pour décor, un hôpital, une visite à un grand malade, une veillée funèbre, un cimetière ou un crématorium. Toutefois, le narrateur / l'auteur est modéré, pudique, factuel mais minutieux dans ses récits, il ne tombe pas dans le pathos et introduit des faits plus légers, comme par exemple l'observation d'une mante religieuse sur le mur blanc de sa chambre d'hôpital.

Comme souvent dans la littérature japonaise, j'ai apprécié l'écriture d'Akira Yoshimura. Son style est sobre, posé, élégant, sensible et souvent très poétique. C'est un plaisir de le lire.

Je dois avouer, qu'il est préférable de découvrir cette oeuvre, lorsque l'on se sent en pleine forme, sans aucun souci. En cas de déprime, même passagère, il vaut mieux attendre des conditions plus favorables. Malgré tout j'ai aimé ce recueil de nouvelles sombres mais très touchantes. Au fur et à mesure qu'on avance dans la lecture, on sent que l'auteur vieillit et se laisse rattraper par ses traumatismes de jeunesse et par la maladie.

"D'étranges idées me sont venues à l'esprit : à peine quarante ans auparavant, le fleuve charriait des corps, et combien de ceux qui étaient assis autour de la table aujourd'hui seraient encore vivants dans quarante ans ? Je n'en ferai pas partie, et au moins la moitié d'entre eux non plus."

Akira Yoshimura mourra en 2006 des suites d'un cancer du pancréas, après avoir refusé l'acharnement thérapeutique et demandé l'euthanasie.
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En déambulant dans ma librairie préférée, j'ai à nouveau fait une halte au Pays du Soleil Levant pour jeter mon dévolu sur Un Dîner en Bateau, recueil de nouvelles écrites par Akira YOSHIMURA (1927-2006) et traduites par Sophie Refle. Son roman le plus connu à l'étranger est le Convoi de l'Eau.
Ces dix nouvelles sont autant de souvenirs, vraisemblablement autobiographiques, racontés avec une apparente simplicité. Ils ont trait à des petits riens de la vie, à des retrouvailles avec un ancien camarade de classe, un court séjour en clinique, une visite à un oncle ou une escapade dans la campagne tokyoïte. Vous vous laisserez emporter facilement dans ces courts récits.
Derrière chacune des nouvelles dont les histoires s'échelonnent entre la jeunesse et le grand âge du narrateur, on devine les meurtrissures laissées par plusieurs années de guerre. Il y a la nostalgie des temps d'avant, la mélancolie mais aussi la tristesse devant tant de destructions et de souffrance. La guerre, même des décennies après sa conclusion, reste prégnante, elle est constitutive de la pensée de l'auteur, elle reste dans ses propos, ressurgit dans ses pensées quand une odeur, un bruit, une sensation l'effleure.
Fumée de charbon (la deuxième nouvelle) évoque la faim intense et la misère qui ont régné à Tokyo dans les mois et les années d'après-guerre.
Sur mon trajet jusqu'à Ochanomizu, je croisais de nombreux sans-abris et enfants des rues, et j'avais vu plusieurs fois les corps sans vie de victimes de la faim sur le trottoir. Ma vie me paraissait trop facile par rapport à l'époque, et cela me donnait des complexes. Certes, je m'occupais du bureau aux côtés de cette jeune fille, mais elle faisait l'essentiel et j'étudiais en cachette mon carnet de vocabulaire ou le dictionnaire de langue classique que je dissimulais dans un tiroir. Ma mère était morte de maladie l'été de l'année précédente, mon père hospitalisé pour des problèmes hépatiques, et je vivais aux crochets de mon frère. Si j'avais dû survivre en me nourrissant exclusivement avec les tickets de rationnement, j'aurais souffert de la faim. Grâce à mon frère et à ma belle-soeur, je bénéficiais de trois repas par jour, et j'avais conscience de ma dette à leur égard. Je m'étais porté volontaire pour aller chercher du riz dans l'espoir d'atténuer mon sentiment d'être un pique-assiette.
La pénurie est omniprésente et la contrebande fonctionne sous forme de troc : vêtements de coton contre sacs de riz. Mais gare à qui se fait prendre ! Dans ce pays déshonoré par la défaite, on ne badine pas avec la loi.
Une heure plus tard, une vive agitation s'empara de notre voiture lorsque le train fit halte dans une gare proche de la rivière Tone. Je secouais Hisano par l'épaule pour le réveiller. le quai offrait une vision terrifiante : du riz s'amoncelait en tas sur des nattes, à côté de sacs à dos et de pièces de tissu vides. Les policiers qui les surveillaient regardaient dans notre direction. Les passagers du train précédent avaient été contraints d'en descendre, et leur riz avait été saisi. Hisano pâlit. Je cachais mon sac sous mes jambes en observant les policiers à la dérobée. La satisfaction du travail bien fait se lisait sur leurs visages, et ils ne nous fixaient pas d'un oeil suspicieux. Un brouhaha joyeux monta dans le wagon lorsque le train repartit après cet arrêt qui nous parut long. Mon camarade esquissa un sourire crispé, et répéta plusieurs fois que le boulet n'était pas passé loin. Nous aurions tout perdu si nous avions pris le train précédent.

La confiance, les scrupules, la peur, la chance sont autant de thèmes qui traversent ces nouvelles dont le phrasé est fluide et léger. La mort est également souvent évoquée. Avec distance, presqu'avec froideur. Les descriptions sont parfois d'une telle précision qu'on croirait l'auteur issu d'un croisement entre un généalogiste et une cartographe !
Cette écriture très maitrisée révèle une grande maturité. Akira YOSHIMURA construit son récit entre passé et présent par touches impressionnistes qui esquissent un pays, ses croyances, ses contemporains. C'est incontestablement sombre, mais le noir a de belles nuances.
Pour moi, une nouvelle facette de la littérature japonaise.

Paru chez Actes Sud en novembre 2020, 220 pages.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Sa décision d’en finir ainsi en entraînant les siens, alors que chacun craignait de perdre la vie dans les bombardements qui s’intensifiaient, m’avait paru singulière. Sa vision de la mort comme une solution à ses problèmes me choquait. Que sa passion pour sa maîtresse ait été si forte que la vie avec sa femme lui ait paru insupportable me semblait stupéfiant. Ce choix, compréhensible en temps de paix, ne l’était pas quand l’existence même des familles était menacée.
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Figurez-vous que pendant l’opération, elle m’a dit quelque chose comme : “Faites attention à ne pas vous tromper, docteur !” Ça m’a troublé. Opérer quelqu’un qui parle, ce n’est pas facile. Je préfère de loin le faire sous anesthésie générale.
(L’échantillon)
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Depuis un mois, ou plus précisément depuis que j'avais dû cesser de boire de l'alcool, je ne savais que faire de mes soirées.

(Bientôt l'automne)
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Dorénavant, profite bien de la vie, ne mégote pas. Fais des voyages, mange de bonnes choses... Je ne veux pas te porter malheur, mais toi aussi, un jour, tu sera allongé sur un lit d'hôpital, aussi incapable de bouger que si tu étais ligoté. C'est maintenant qu'il faut profiter de la vie.
Page 162
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De retour chez moi, j’ai rempli le bocal d’eau et j’y ai fait fondre quelques grains à l’apparence de sucre candi, du thiosulfate de sodium, afin de neutraliser le chlore présent dans l’eau du robinet pour la désinfecter. Puis j’y ai plongé le sac plastique et j’ai attendu que les deux eaux aient la même température. Un brusque changement aurait pu être fatal au poisson rouge. Ils sont fragiles à cet égard.
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