On dit de
Carlos Zanon qu'il est le
Jim Thompson espagnol, ce qui a suffi à attiser ma convoitise. Je n'ai pas pu me procurer l'édition espagnole de
Soudain trop tard, paru l'année dernière chez Asphalte. Heureusement son dernier roman No llames a casa, prochainement adapté au cinéma bénéficie d'une bonne couverture médiatique, ce qui est rare dans un pays où se procurer un roman noir est aussi difficile que de trouver du beurre en branche. Pour paraphraser l'expression "grande claque littéraire", je dirai que la lecture du roman s'apparente plutôt à un violent coup de boule qui m'a laissée sonnée tant par la qualité de son écriture que par la noirceur de son propos. Rarement un roman s'est aussi bien inscrit dans le contexte politique et social de son temps. Zanon nous plonge sans ménagement la tête dans la brutalité de la crise financière et dans la déliquescence d'un société espagnole à la dérive.
Roman noir sans flic, ni détective, ni enquête, No llames a casa dépeint le quotidien de trois losers, Raquel, Bruno et Cristian, dont le seul objectif est de survivre. Las de dormir dans des voitures ou des squatts, leur seule échappatoire est de faire chanter les couples illégitimes qui louent des chambres à l'heure ou à la journée. Suspendus à leurs téléphones, ils harcèlent les pigeons qui finissent par payer pour sauver leur mariage. L'argent facilement gagné leur permet de tenir encore un peu dans un Barcelone (El Raval?) sale et misérable, véritable paysage de désolation qui rappelle le Madrid de
Marcelo Lujan dans
La mala espera. Jusqu'au jour où, bien sûr, leur chemin va croiser celui de Max, courtier en assurances récemment divorcé qui vit une véritable descente aux enfers et qui survit grâce aux rencontres avec sa maîtresse Merche, mariée et mère de famille. Si la crise enfonce plus violemment encore "ceux d'en-bas" dans la précarité, elle touche désormais ceux qui, honteux, hagards, incapables de payer leur hypothèque font désormais la queue à la soupe populaire. Ceux qui surnagent dans ce marigot s'accrochent désespérément à ce qu'ils ont, hantés par le spectre du déclassement et de la déchéance sociale. No llames a casa est un portrait au vitriol de la société espagnole qui a perdu toute son humanité, une dénonciation de la misère morale et de la résignation. Cependant le roman ne véhicule aucun message politique, aucun appel à l'engagement. Un des protagonistes s'étonne d'ailleurs de voir les classes moyennes soumises, résignées et qui subissent au lieu de se révolter, de piller et détruire le monde alentour, dans un dernier baroud d'honneur. Dans ce chaos ambiant, seul le droit au bonheur domestique est un objectif pour les personnages, voire un facteur de justice sociale. Plus que jamais, le foyer, autrefois fui par ennui ou par goût de l'aventure, devient un refuge, un cocon contre la dureté du monde. Les protagonistes de No llames a casa, feront tout pour l'obtenir, ou le récupérer, quitte à commettre l'irréparable. Au fil des pages, la tension dramatique va crescendo, les choix faits par les personnages vont déterminer leur survie physique ou morale, sans possibilité de faire machine arrière. Dans cet extraordinaire roman choral brillamment construit,
Carlos Zanon réussit le tour de force de retarder l'acmé jusqu'au dernier chapitre du roman, et nous achève d'un ultime coup de talon sur la tête. Zanon Vainqueur , Lecteur K.O.