Éric Zemmour veut-il tenter l'aventure présidentielle, avec les obstacles inhérents à une telle décision ? Celles et ceux qui cherchent une réponse dans ce livre seront sans doute déçus car, à défaut d'un programme politique, l'auteur y poursuit ses observations du Suicide français, de l'année 2006 à nos jours, pour dresser un bilan de la France des dernières années. Bilan qui s'achève sur un constat implacable : « Nous devons nous battre sur tous les fronts. Pour sauvegarder notre identité et rétablir notre souveraineté. Tous ces combats sont liés. »
Une France qu'il compare au Kosovo ; une France qui se déteste un peu plus chaque jour, au point que la recherche elle-même est conditionnée aux désidératas idéologiques des nouveaux maîtres et non plus à la raison.
Et l'auteur de rappeler les déboires du médiéviste Sylvain Gougenheim avec son livre « blasphématoire »
Aristote au Mont Saint-Michel, qui postulait que la culture européenne s'était construite essentiellement sans l'islam. Horreur, car dans la nouvelle France déracinée on peut être condamné pour de tels propos, « non parce que cela est faux, mais parce que cela ne se dit pas, ne se pense pas »…
Éric Zemmour, journaliste politique d'expérience, raconte surtout ses rencontres avec les figures politiques des cinquante dernières années, saupoudrant çà et là son texte d'anecdotes qui montrent à la fois la versatilité des uns et des autres – lire à ce propos le très édifiant portrait de
Jacques Toubon – mais encore leur égotisme, bien plus pathétique que stendhalien !
Il y aussi les hommages, dont celui – mérité – rendu au cinéma de Gérard Oury, et particulièrement cette phrase : « Oury est au cinéma ce que
De Gaulle fut à
la politique : le grand réconciliateur. » Un autre hommage touchant est celui adressé à
Philippe Séguin, décédé en 2010.
Comme dans ses ouvrages précédents, l'auteur revient sur ses sujets de prédilection. Une pensée toujours aussi aiguisée – même si je trouve ce livre bâclé – passe ainsi en revue la société française depuis 2006. On regrettera toutefois les sempiternelles sorties un tantinet misogynes sur les femmes – une obsession zemmourienne. de la même manière, l'auteur égratigne – avec raison – le « clergé non élu de juges et journalistes », qui tiennent respectivement « le marteau judiciaire » et « l'enclume médiatique ».
Parfois il se méprend tout de même, entre autres lorsqu'il fait des suppositions hasardeuses, notamment à propos des enfants juifs massacrés par Merah et qui ont été enterrés en Israël. La réponse est pourtant évidente : leurs familles voulaient éviter que les tombes de ces martyrs innocents ne soient profanées. C'est pourquoi je trouve cette phrase, qui vise à la fois le tueur – dont je me félicite qu'il ne soit pas enterré en France ! – et ses victimes, particulièrement fausse et déplacée : « Étrangers avant tout et voulant le rester par-delà la mort. »
Et puis il y a cette phrase proprement injuste et fausse : (Éric Zemmour parle de
Johnny Hallyday) « On imagine qu'il n'avait que mépris pour ceux qui l'adulaient. » À force d'avoir subi l'opprobre, l'auteur semble ne plus voir que le mal et la duplicité partout. de plus, je pense que cette phrase lui coûtera cher. L'avenir le dira…
Mais le sens de l'analyse est là, étayé par des révélations piquantes qui lèvent le rideau sur
la politique de renonciation des pouvoirs publics ; dont cette phrase lapidaire de
Jean-Louis Borloo lancée à l'intéressé au cours d'un repas (il y en a beaucoup dans ce livre) : « Tu sais, avec ces 40 milliards [dans le cadre du “plan pour les banlieues”], j'ai retardé la guerre civile de dix ans. »
Il y a aussi l'évocation émue de Charlie : «
Charlie Hebdo, c'était l'esprit soixante-huitard qui ne voulait pas mourir. Un esprit de 68 dont j'étais devenu, avec mon Suicide français, un des plus vibrants contempteurs ; mais dont je me souvenais en ce moment précis qu'il avait fait la joie de ma jeunesse rebelle et avide de liberté. Les hommes ne sont pas faits d'un seul tenant. » Étonnant, à ce propos, qu'il ne s'attarde pas sur les attentats du 13
Novembre à Paris et du 14 Juillet à Nice, les deux plus effroyables massacres terroristes sur le sol français.
Côté immigration massive, et même s'ils fuient la guerre, Zemmour répond : « En 1914, les Français envahis du nord et de l'est de notre pays ont-ils fui vers l'Amérique ou l'Afrique ? En 1940, les populations de l'exode sont-elles sorties de nos frontières ? »
Publié dans une certaine urgence – l'auteur ayant été lâché par son éditeur Albin-Michel –, le livre pèche – et non « pêche », comme on peut le lire en première page – çà et là au niveau des erreurs et approximations. Par exemple, l'empire romain d'Orient (ou Empire byzantin) n'est pas tombé il y a mille ans entre les mains de l'islam mais en 1453, avec la chute de Constantinople. Pas plus que l'Égypte n'est devenue musulmane il y a cinq cents ans, mais depuis le VIIe siècle ; toutes choses que l'auteur sait cependant parfaitement pour en avoir maintes fois parlé.
Là, il est question des « ors chargés d'histoire millénaire du Louvre ». Pas vraiment, non, car le bâtiment dont parle l'auteur – l'ancien ministère de l'Économie et des Finances – est l'aile Richelieu, construite sous le règne de
Napoléon III. Quant à la partie la plus ancienne du Louvre – dont les fondations sont visibles dans les sous-sols du musée – elle date de Philippe-Auguste, ce qui ne fait toujours pas millénaire.
Plus loin on lit : « Je découvrais le balcon duquel Lamartine avait salué la foule après l'avoir dissuadée de troquer le drapeau rouge pour le tricolore. » C'est exactement le contraire : Lamartine refusait le « drapeau du sang », le rouge en l'occurrence.
S'agissant des obsèques de
Jacques Chirac – personnage dont l'auteur se souvient à la manière de
Georges Pérec –, elles ont eu lieu, à Paris, en l'église Saint-Sulpice – après une cérémonie intime en la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides – et non à La Madeleine.
Sur le plan de la littérature, dans l'Éducation sentimentale, de
Flaubert, Madame Arnoux revient à Frédéric. Et si la « belle » ne se s'abandonne finalement pas à « ses coupables ébats », ce n'est pas à cause de son fils malade :
« Frédéric soupçonna Mme Arnoux d'être venue pour s'offrir ; et il était repris par une convoitise plus forte que jamais, furieuse, enragée. Cependant, il sentait quelque chose d'inexprimable, une répulsion, et comme l'effroi d'un inceste. Une autre crainte l'arrêta, celle d'en avoir dégoût plus tard. D'ailleurs, quel embarras ce serait !, − et tout à la fois par prudence et pour ne pas dégrader son idéal, il tourna sur ses talons et se mit à faire une cigarette. »
Quant à
Jean-Pierre Marielle, il n'a jamais incarné le « marquis de Queffélec » dans le fim de Bertrand Tavernier Que la fête commence, mais le marquis de Pontcallec.
Pourquoi une telle énumération de ma part ? Parce que j'attendais plus de rigueur de la part d'un auteur pétri de culture. Parce que ce livre a été écrit trop vite et ne reflète en rien la rigueur à laquelle Éric Zemmour – qu'on l'apprécie ou non, ce n'est pas la question – nous avait habitués.
Enfin, que l'auteur prenne garde à ne pas devenir ce qu'il reproche à certain dans ce même livre : « Il s'écoute parler et se regarde briller avec un contentement de soi qu'il ne parvient pas à dissimuler. »
(PS: je salue ici-même l'auteur pour sa compassion à l'égard des Gilets jaunes)