Dans l'ombre des choses

Amoureuse de l'epistolaire et ne connaissant pas l'auteur (sauf de louanges de certains compagnons de livres), l'idée de faire connaissance en lisant certaines de ses lettres me plaisait beaucoup.
Engagées, optimistes, de leur époque, ces missives furent hélas pour moi trop décousues pour y prendre plaisir, nombreux correspondants, différents contextes et années. J'ai préféré lire la préface et le travail explicatif autour des lettres de Marco Federici Solari.
Il m'en reste néanmoins de belles phrases et l'envie de lire un de ses livres.

Je ne peux non plus faire l'impasse sur cette série de petits ouvrages dont la couverture ingénieuse se transforme en enveloppe ! Quel dommage que l'objet me soit parvenu dans un gros carton (oui, je râle beaucoup). Néanmoins plusieurs autres auteurs sont également publiés, des correspondances je suppose, et j'ai grande envie de réitérer dans cette collection avec des auteurs, des autrices surtout, que j'aime beaucoup: Charlotte Brontë, Virginia Wolf ou Jane Austen.

[Masse Critique]

Zweig
« Dans l'ombre des choses »
Lettres d'un humaniste impénitent.
Lettres choisies et présentées par Marco Federeci Solari.
Traduction des lettres : Corinna Gepner.
Traduction des apparats : Delphine Ménage.
« L'utopie d'un homme qui, empli de compassion car connaisseur des bas-fonds de l'âme, lutta sans relâche afin que l'on cessât d'employer le mot « ennemi » pour décrire un autre être humain. »
« L'itinéraire d'un pacifique qui, face à la barbarie de l'Histoire, voulut faire entendre une voix raisonnable et élever une conscience contre la violence. »
Précieux, cet écrin épistolaire aux 23 lettres choisies avec une haute pertinence est une valeur sûre. 
Dans l'ombre des choses, de Rainer Maria Rilke à Herwarth Waiden, toutes cosmopolites, pacifiques, empreintes de cette plume d'un illustre citoyen du monde, « A l'heure actuelle, le silence et l'indifférence sont un crime… Ne sommes-nous pas le coeur de l'Europe, la France et l'Allemagne ? Il faudra bien que ces deux pays se comprennent. » écrit-il à Romain Rolland en 1914. Les apparats sont éclairants. Des photographies, affiche, frontispice de la première édition du Monde d'hier, Souvenir d'un Européen…
Le 30 janvier 1942 il écrit à Berthold Viertel, « Mon malheur en cette période réside dans ce qui faisait autrefois ma force : voir clair et très loin, ne pas m'abuser ni tromper les autres avec des chimères et des formules toutes faites. le sort de notre génération est scellé, nous n'avons ni le pouvoir d'influer le cours des évènements ni le droit de donner des conseils à la génération suivante après avoir nous-mêmes échoué. »
Après une lecture attentive, glissez ce pli-prêt-à-expédier dans une boîte aux lettres pour un être cher au coeur. Ici, vous avez le renom d'un biographe, traducteur, grand voyageur et citoyen du monde. Une vie bien trop courte si humaniste et visionnaire.
« On n'écrit des livres que pour se lier à d'autres, par-delà son propre souffle. »
Ce pli-prêt-à-expédier raffiné et érudit, au doux prix de 7,95 € fera d'un expéditeur attentif à l'objet-livre voyageur, un destinataire comblé par une biographie épistolaire au regard aiguisé.
Publié par les majeures éditions L'Orma.

Première bonne impression : bien que le format soit de poche (une cinquantaine de pages dans un tout petit format), l'édition est originale avec sa jaquette pliable sous forme d'enveloppe et de qualité est très appréciable (pages cousues). Lire des courriers qui ne nous sont pas destinés me semblait a priori quelque chose d'un peu étrange, mais ayant apprécié la lecture du Joueur d'échecs, j'ai pensé qu'il serait intéressant d'en apprendre un peu plus sur l'auteur, présenté comme humaniste et pacifiste.

On commence la lecture par des lettres écrites un peu avant la première guerre mondiale. Y lire l'optimisme (ou la naïveté) de Zweig sur les relations franco-allemandes m'a fait sourire, dans un premier temps, car il est aisé, au XXIe siècle de prédire les événements du XXe…

Dans un second temps, le parallèle avec l'actualité saute aux yeux et la lecture me bouleverse alors bien plus : la montée des nationalismes, les prises de pouvoirs de populistes extrémistes, la polarisation des idées, les conflits interétatiques actuels qui prennent des tournures dramatiques et pourraient bien se mondialiser… S'il y a quelques années, on m'avait dit d'investir massivement dans l'armée en prévision des conflits à venir, n'aurais-je pas été au moins aussi optimiste et naïf que Zweig ? le spectre de la guerre, les restrictions d'énergies ou les pénuries de certains aliments n'avaient jamais vraiment été concrets dans mon esprit. Jusqu'à aujourd'hui, les deux conflits mondiaux m'ont toujours semblé horribles mais à distance car vu à travers les cours d'histoires, documentaires ou films. Sans l'actualité, j'aurais probablement eu l'impression de lire les correspondances d'un auteur du siècle précédent au coeur de guerres jaunies par le temps, l'actualité m'a donné l'impression d'être projeté dans le contexte de l'époque et m'a permis une bien triste mais intéressante immersion.

Même si une ou deux fois les mises en contexte donnent une petite impression de répétition, elles restent primordiales et particulièrement intéressantes pour appréhender ces lettres. En seulement quelques pages, je me suis attaché à Zweig et j'ai été assez surpris d'être plutôt ému par sa vie.

Emouvante sélection de la correspondance de Zweig à travers ses échanges avec les grandes figures de la littérature européenne: Romain Rolland, Martin Buber, Freud, Joseph Roth. Malgré sa brièveté, ce petit volume donne un aperçu de ce que cela a signifié pour d'être européen au fil du XXème siècle et de ses catastrophes : ni une évidence, ni un opinion facile à tenir, mais bien une conviction, un engagement. Un rappel bienvenu par les temps qui courent.

Ayant beaucoup entendu parler de Zweig mais n'ayant pas lu son oeuvre, j'avais envie de le connaître un peu mieux avant de me lancer dans ses écrits.
Et c'est chose faite car cette collection nous donne un aperçu de ce qu'il était, de ce qu'il a vécu et ressenti. Destin tragique d'un auteur pacifiste, peut-être trop idéaliste. J'ai appris des tas de choses et je penserai à la personne qu'il était lors de mes futures lectures le concernant.