Voilà plus d'un an que
Nicolas Sarkozy a quitté l'Elysée.
Les
mémoires de ses conseillers obtiennent un grand succès de librairie. Preuve, s'il en est besoin, de la fascination que l'ancien président continue d'exercer sur un lectorat, séduit ou hostile, avide de connaître les dessous de son règne et/ou de sa défaite.
Chaque conseiller imprime à ses
mémoires une patte bien personnelle. Pour
Henri Guaino, c'est le prétexte à une ode à la République. Pour Camille Pascal, qui se camperait bien en
Saint-Simon, c'est l'occasion d'une visite guidée d'un monument historique et d'un portrait en pied d'un Roi Soleil. le livre de Marie de Gandt est beaucoup plus inattendu. C'est l'autobiographie d'une schizophrénie assumée. Car Marie de Gandt est de gauche. Et elle n'en revient pas. Tout au long de son livre, elle laisse irrésolue la question qui la taraude depuis que les hasards de la vie l'ont conduit à servir un gouvernement de droite : comment moi, une fille de la banlieue rouge, la femme d'un homme de gauche, ai-je pu consacrer cinq ans de ma vie à coucher sur le papier des idées qui ne sont pas les miennes ?
Marie de Gandt fait partie d'une corporation méconnue du grand public qui joue pourtant un rôle capital dans le fonctionnement de la République. Elle est une Plume. La Plume, souvent une normalienne (
Marie de Gandt est spécialiste de
Stendhal et a mis un point d'honneur à ne pas abandonner ses cours à Bordeaux III), rédige les discours de son ministre. Et un ministre, on l'ignore trop souvent, passe ses journées à en prononcer : inaugurations, hommages funèbres, remises de décorations, cérémonie des voeux … Qu'elles soient imposées par l'agenda politique ou désirées par une personnalité en mal de visibilité médiatique, ces interventions publiques sont toujours l'occasion de préparations minutieuses et de relectures harassantes.
Sans toujours connaître le fond des dossiers (c'est aux conseillers techniques de leur fournir les « briques » qu'elles ont la charge d'assembler), sans toujours être familières des personnalités pour lesquelles elles écrivent (
Marie de Gandt ne connaissait ni Dominique Bussereau, ni Xavier Bertrand, ni
Hervé Morin, ni
Nicolas Sarkozy avant qu'ils l'embauchent), les Plumes doivent trouver les mots et le phrasé, ni trop technocratiques, ni trop familiers, qui donneront corps aux idées de leur ministre.
Marie de Gandt ne cède pas à la facilité de l'anecdote. Son livre est autrement plus profond. Elle s'interroge sur l'homme de pouvoir à l'ère démocratique, sur l'âme et le corps, sur le pouvoir du langage. Dépassant l'écume des petits faits qui ont parsemé son quotidien et dont elle a l'intelligence de reconnaître, avec le recul, la futilité, elle s'attache à en comprendre la raison d'être. Mais ce que son livre gagne en profondeur, il le perd en intérêt. le lecteur, avide sinon de potins du moins d'histoires vécues, est frustré par l'anonymat que s'est imposée l'auteur. Anonymat à géométrie variable : pourquoi nommer les ministres (au premier rang desquels
Laurent Wauquiez, son camarade de khâgne, avec lequel
Marie de Gandt semble engager dans une étonnante rivalité à distance) et pas les conseillers du Président ? Les insiders mettront des noms aux ombres chinoises esquissées par l'auteur (
Ramon Fernandez, Jean-David Levitte, Camille Pascal …) ; les autres pourront légitimement se sentir frustrés.
La sincérité de Marie de Gandt n'est pas en cause. Au contraire. C'est peut-être son absence de toute pudeur qui est la plus surprenante. Quand elle raconte sa fausse couche ou explique comment, le soir du second tour, elle a aidé son mari à rédiger le discours de
François Hollande, on en vient, avec elle, à s'interroger sur les limites de la schizophrénie public-privé, droite-gauche.