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Jean Staune/
Notre existence a-t-elle un sens ?
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Jean Staune nous fait voyager à travers l'infiniment petit et l'infiniment grand, les sciences de la vie et les sciences de la conscience. Un parcours fascinant qui nous amène à une incroyable conclusion : la vision classique que nous avons aujourd'hui de l'homme et du monde est aussi inexacte que pouvait l'être au Moyen Âge celle d'un Univers de petite dimension dont la Terre occupait le centre ! La vision nouvelle issue de cette synthèse nous décrit un monde ouvert sur d'autres niveaux de réalité, où notre conscience ne se résumerait pas à l'activité de nos neurones, où la vie serait inscrite dans les lois de l'Univers. de telles découvertes, qui selon de nombreux scientifiques permettent un " réenchantement du monde ", ont de très grandes implications philosophiques et sociétales. Parmi celles-ci, la possibilité d'un rapprochement, après des siècles de séparation, de nos connaissances rationnelles et des intuitions des grandes traditions religieuses, pour contribuer à donner aux hommes du XXIe siècle une vision unifiée et cohérente du monde. » »
Telle se trouve être la présentation de cet ouvrage passionnant dont je viens de terminer la lecture.
Le chapitre du livre de Staune consacré à l'évolutionnisme est particulièrement intéressant. Parvenu à la page 274 du livre, j'ai besoin de cogiter un peu plus sur tout ce que je viens de lire et je suppose que ceux qui l'ont lu, ont fait de même. Car cette question est cruciale, essentielle et promesse d'un avenir hasardeux, mais peut-être pas si hasardeux que cela s'il s'avère que l'évolution est orientée et que la mutation fruit du hasard est corrigée par la sélection naturelle.
L'évolution est un fait et le darwinisme et le néodarwinisme qui a intégré plus tard la génétique qu'ignorait Darwin, permettent de comprendre bien des choses même s'ils n'expliquent pas tout. N'oublions pas que toutes les grandes théories n'ont que partiellement expliqué ce qu'elles étaient censées élucider. D'autres théories ont été en général élaborées pour compléter les lacunes des premières.
Ce que j'ai trouvé particulièrement étonnant, ce sont les récents travaux montrant que certaines mutations semblent bien se produire plus souvent si l'organisme dans lequel elles apparaissent se trouve dans un environnement où de telles mutations sont nécessaire à sa survie ; les mutations ne se produisent donc pas toujours par hasard. Ce sont les idées des néolamarckiens.
Quoi qu'il en soit, tout porte à croire que la sélection naturelle avec son pouvoir d'optimisation (travaux de
Dawkins), arrive au même résultat que des mutations orientées.
Très intéressante aussi la théorie de
Dawkins sur
le gène égoïste et celle de Wilson sur le gène de l'altruisme réciproque.
L'adaptionnisme de Dennett est aussi une idée qui vient compléter cette orientation de l'évolution. La sélection naturelle est extrêmement efficace car elle est capable de susciter des adaptations extraordinaires à partir de mutations dues au seul hasard.
Bien sûr il y a des darwiniens qui avancent sur la pointe des pieds ou même à reculons. C'est le cas de
S. J. Gould qui doute parfois de l'évolution progressive. Il observe une stabilité des espèces en observant les fossiles sur une longue durée. Par contre, il croit à l'apparition soudaine localement de nouveaux caractères par mutation. Gould parle alors « d'équilibre ponctué ». Des mutations apparaissent au sein de petites populations soumises à de fortes contraintes qui aboutissent à une « spéciation », c'est à dire apparition d'une nouvelle espèce. D'où la rareté des fossiles de ce genre d'espèces. On parle alors de « macro-évolution », cas où les transitions sont soudaines et non graduelles.
Gould par ailleurs soutient qu'il n'y a pas d'évolution vers une plus grande complexité et imagine un « mur de la complexité minimale », en se livrant à une étude détaillée des bactéries, les êtres parmi les moins complexes qui puissent exister, pour conclure que ce qui semble un progrès n'est qu'un phénomène aléatoire éloignant les organismes de leurs minuscules ancêtres, de façon inévitable. Pour lui, l'être humain est un pur produit du hasard et non le résultat inéluctable de la directionnalité de la vie ou des mécanismes de l'évolution.
Selon de Duve, le hasard cependant est canalisé, et les lois de la biochimie doivent forcément amener non seulement la production de la vie, mais encore celle de la conscience au cours de l'évolution. Ainsi donc, dans ce cas,
De Duve considère qu'il y a un progrès vers plus de complexité. L'évolution n'est pas un processus aveugle, mais un processus ouvert se dirigeant vers une fin qui n'est écrite nulle part.
Pour Conway-Morris, les phénomènes de convergence rendent l'émergence de quelque chose comme nous à peu près inévitable. La convergence signifie que de nombreuses voies différentes conduisent à des résultats quasi identiques ; dans cette perspective, l'ensemble de toutes les formes biologiques possibles est limité et cette limitation exerce des contraintes sur l ‘évolution.
Pour Kaufman, il n'y a pas de hasard et l'ordre n'est pas un accident. Les lois de la Nature font spontanément émerger des niveaux d'ordre complexes qui donnent à la sélection naturelle un « matériau de base » de toute autre nature que des mutations dues au hasard.
Mais on peut trouver plus fort encore avec Denton qui soutient que les formes biologiques épousent des formes mathématiques complexes qui seraient sous-jacentes à la structure des protéines ; l'évolution est ainsi guidée par les lois de la nature. On parle alors de morphologies rationnelles. La thèse téléologique se trouve ainsi renforcée.
Un autre concept de la sélection est mis en avant par
Mae Wan Ho, celui d'auto-organisation faisant émerger des formes plus complexes au cours de l'évolution.
Pour Chauvin, l'évolution correspond à un programme interne qui se déroule, ce qui revient un peu au même.
Très révolutionnaires et très contestés sont les travaux de
Rosine Chandebois qui affirme que c'est le cytoplasme qui serait l'architecte, tandis que l'ADN ne définirait que les matériaux employés pour la construction. Ses conceptions sont renforcées par les travaux récents de Paldi sur la génétique. Pour eux, l'évolution est l'exécution d'un programme initial qui se déroule depuis l'origine.
Le rôle des gènes de régulation mis en avant par J.
Chaline dans le contrôle de l'architecture des organismes, explique la macro-évolution qui fait faire des sauts à l'évolution, alors que la micro-évolution procède graduellement grâce aux mutations au sein des gènes classiques, avec sélection naturelle .
Très intéressante est la thèse néo-lamarckiste grâce aux travaux de Cairns qui prend en compte la pression de l'environnement dans le phénomène des mutations. Il y existe comme une génération sélective de mutations pense Steele. L'explication de tout cela, bien difficile à trouver, a été suggérée par Mac Fadden qui parle alors d'évolution quantique et Schäfer parle même de sélection quantique. Cette piste me semble prometteuse, qui va dans le sens d'une nouvelle logique, celle de Lupasco ; on retrouve là les notions d'états virtuels (ou potentiels) et celles d'actualisation montrant que la mutation est un phénomène véritablement quantique.
Pour conclure, disons qu'un Einstein de la biologie est attendu comme dirait
Jean Staune, pour unifier toutes ces notions tentant d'expliquer l'évolution qui reste un phénomène indéniable, mais ô combien complexe qu'une seule théorie ne peut, à elle seule, expliquer intégralement.
A présent, je veux donner mon avis sur la suite de ce livre que
Jean Staune a mis dix-neuf ans à écrire ! Il faut dire qu'en matière de transdisciplinarité, il ouvre bien large la voie et offre des pistes aux théoriciens de tout bord. Une attitude zététique s'impose pour aboutir au paradigme nouveau que
Jean Staune appelle de tous ses voeux. Finies les divagations des créationnistes et autres farfelus, fini la procrastination constante : nous devons tous revoir notre vision du monde pour découvrir et surtout comprendre du nouveau.
L'exposé de Staune est passionnant et peu à peu passionnel, surtout dans la deuxième partie de l'ouvrage. Tandis que le début aborde la physique quantique de façon simplifiée, la suite, après l'évolutionnisme traite de la conscience et de la neuro physiologie ; et consécutivement, Staune semble vouloir nous faire partager son idée d'un nouveau pari pascalien, plus moderne en émettant des conclusions anthropiques et spiritualistes. Chacun jugera, adhérera on non. Mais ce dialogue entre foi et raison reste d'une belle tenue.
Donc, revenons au début. Pour tout dire, alors que
Bernard d'Espagnat qui a fait une présentation du livre à l'Académie, et est souvent cité au fil des chapitres, a mis deux jours pour lire les 540 pages, je dois dire que j'ai mis 55 jours, soit environ 10 pages par jour ! J'ai certes intercalé la lecture de trois romans pour reposer un peu mes neurones… !
Dès l'abord, on se trouve plongé dans un monde étrange, le nôtre pourtant, dans lequel, des phénomènes bizarres s'avèrent être le reflet d'une réalité qui nous est voilée : je veux parler de la « non localité », de la « décohérence », de la « non-séparabilité », des particules subatomiques. L'incertitude, l'indétermination, l'imprédictibilité, l'incomplétude, l'indécidabilité règnent en absolu dans le monde de la matière. de Heisenberg à Gödel, en passant par Bohr et Planck, tout devient imprécis, mais plus proche de la réalité qui nous reste toutefois dissimulée comme l'affirmait avec justesse, il y a deux mille ans déjà,
Platon.
La suite concerne l'évolutionnisme dont j'ai déjà parlé.
Puis au fil du chapitre concernant la neurophysiologie, on sent renaître une façon de dualisme. le chapitre concernant le monde mathématique m'a particulièrement intéressé car personnellement, j'ai toujours eu une attitude plutôt platonicienne sur la question. Comme Staune me le confirme, il semble bien exister un monde mathématique que depuis des millénaires les savants tentent de découvrir par bribes ; des coins du voile sont soulevés par période, et des inspirations inexpliquées transportent des chercheurs comme Andrew WILES dans un monde fabuleux pour redécouvrir 350 ans après la démonstration du théorème de Fermat. Les mathématiques ne sont pas une construction de l'esprit humain. Les hommes explorent cet immense continent peu à peu. Et Gödel de renchérir sur la question avec son sublime théorème d'incomplétude pour affirmer que nombres de propositions mathématiques peuvent être à la fois, vraies et indémontrables. Pour lui, l'intuition mathématique peut se passer de toute démonstration. Et il va encore plus loin hors des sentiers battus, en bon dualiste qu'il était : il affirme « qu'il se pourrait bien qu'il n'y ait pas assez de cellules nerveuses pour accomplir toutes les fonctions de l'esprit. » Avouez que pour un scientifique, il faut oser le dire !!! Déduisez-en ce que vous voulez mais là, Gödel a frappé fort.
La conclusion de Staune est assez ambiguë sur le sujet ; je vous la livre et commentez si le coeur vous en dit : « L'esprit qui nous anime n'est pas uniquement un produit de l'activité neuronale, même s'il ne peut pas s'exprimer sans l'aide de celle-ci. »
La belle phrase de Bernard d'
Espagnat est aussi une conclusion, plus générale cette fois : « La réalité ne s'épuise pas à ce que nous pouvons voir, toucher, mesurer et peser. » Il faut bien s'avouer l'insuffisance ontologique de la réalité dans laquelle nous vivons.
Comme je l'avais évoqué précédemment au sujet de l'évolutionnisme, toute quête d'un nouveau paradigme pourrait être accompagnée de la nouvelle logique ternaire de
Stéphane LUPASCO, en vue de cerner le caractère holistique de cette nouvelle réalité.
Bon, disons-le enfin : oui, pour Staune, notre existence a bien un sens, vous l'aviez deviné.
Enfin, la postface de B.
Laplane est d'une très grande qualité et couronne parfaitement l'édifice, la cerise sur le gâteau en somme. On y trouve quelques vérités bien assénées et des critiques acerbes. Dont voici quelques échantillons :
« Je trouve scandaleux, dans un pays qui se vante d'avoir établi l'enseignement de la philosophie dans le cursus pré-universitaire, de constater que l'on ne donne à ceux qui seront de jeunes bacheliers aucune information sur la physique quantique. »
« Si les théories se succèdent, elles ne reviennent jamais au point de départ. »
« La liberté n'est pas la capacité de faire n'importe quoi…L'addiction à la drogue est à la fois la conséquence de ce que les sociologues appellent la liberté, et une perte de liberté. »
Je vous invite tous à lire cet énorme ouvrage qui part dans tous les sens pour tenter d'ouvrir une voie et suggérer des idées nouvelles susceptibles d'orienter la recherche, dans une attitude zététique et heuristique.
Jean Staune dans cet ouvrage magnifique, nous entrouvre la porte de la transdisciplinarité et la voie vers un nouveau paradigme pour essayer de comprendre davantage notre monde. Il faut tout revoir de fond en comble, mais tout en sachant que
Platon aura encore raison avec son mythe de la caverne...Nous n'aurons toujours qu'un aperçu lié aux limites de nos sens.
Beau dialogue entre raison et foi.
Le chapitre traitant de l'Évolution est très bien conçu et plus loin celui relatif au monde étrange des mathématiques, passionnant.
D'une lecture relativement facile, ce livre doit rejoindre le chevet en se laissant feuilleter dans le désordre.