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Critiques de Yôko Ogawa (1423)
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Petites boîtes

La narratrice vit dans une ancienne école maternelle, à présent déserte. Tout est de taille réduite et elle-même se fond dans ce décor miniature. Un ancien conservateur de musée qui ne s’exprime qu’en chantant vient lui rendre visite. Elle décrypte pour lui des lettres aux caractères de plus en plus minuscules que sa bien-aimée lui envoie. Dans l’ancien auditorium, à l’écart, sont entreposées de petites boîtes transparentes...



Je n’ai pas été envoutée du tout par cet ouvrage. Le malaise était trop fort pour que je sois sensible à la poésie du livre et aux mythes revisités : la lyre et autres instruments de musique composée d’os et de cheveux d’enfants morts m’ont achevée. J’ai parcouru la fin du livre à grandes enjambées. J’étouffais.

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Parfum de glace

Une amie babéliote me fait depuis un long moment moult commentaires

jubilatoires sur cette auteure japonaise...Ce roman, "Parfum de glace", je l'avais d'ailleurs choisi en sa compagnie, en nous rendant à une rencontre littéraire à la librairie Charybde, dans le 12e parisien..., fin décembre 2014, déjà !!



Plus de deux années que ce roman bouleversant et troublant, attendait que je "daigne" l'ouvrir... non par faute d'attrait, mais à cause de ma boulimie pathologique, qui me fait me disperser plus que de raison et accumuler plus de livres que je ne peux en lire !!



Un roman des plus troublants et des plus émotionnants qui soit!...



Une jeune femme a le bonheur de fêter une année de vie commune avec son compagnon, parfumeur, qui, pour l'occasion lui a confectionné un parfum original...

Le lendemain, il se suicide. tétanisée, abattue par le chagrin, elle part sur le passé de son compagnon, pour tenter de comprendre... Aux obsèques, elle fait la connaissance de son jeune beau-frère, Akira...



elle ira de surprise en surprise. En réalité, elle se rend compte graduellement, à quel point elle ne savait rien de lui. Il cachait tout de lui, n'était fait que de jardins bien secrets: sa passion inaltérable pour le patinage, son don

précoce pour les mathématiques, ses multiples curiosités et talents, dont celui pour le théâtre...



Un texte troublant, car il touche au mystère des êtres...



Deux personnes peuvent vivre ensemble et posséder des zones d'ombre , immenses; rester des énigmes

l'une pour l'autre.



Pudeur extrême, solitude absolue de chacun, douleur de vivre cachée ou non formulée... situation de décalage , telle qu'on est convaincu que l'autre ne parviendra pas à comprendre...



Dans ce roman, il s'agit d'un prodige des mathématiques, adulé mais également "vampirisé" par une mère exclusive, et dévoré par une fierté sans bornes pour ce fils aîné, si brillant, si talentueux, en tout...



Etre solaire...si différent des autres enfants. Enfant, puis jeune homme, à qui on demande éternellement les bonnes réponses, les trophées et les victoires !



Une souffrance intérieure grandissante et silencieuse semble avoir grandi en lui, l'avoir miné...mis définitivement à l'écart des autres !



Le récit nous fait ressentir l'intensité de sa différence; cet homme qui se calfeutre dans la confection de ses parfums et le silence...



Ecrit envoûtant qu exprime de façon poignante l'unicité absolue de chaque individu.



Moult critiques fort élogieuses, à fort juste titre !



Ce texte est captivant et dérangeant, d'autant plus dérangeant qu'il va au coeur de la solitude et de la douleur d'exister de chacun...



Premier texte découvert de cette auteure... et m'attendent sur l'étagère des dernières acquisitions, trois autres romans de cette écrivaine:

- Les Petits oiseaux

- Jeune fille à l'ouvrage

et - Les Tendres plaintes, dont j'enchaîne la lecture !!!



Une très forte lecture que cette première approche... Une belle découverte: j'en profite pour remercier abondamment, une nouvelle fois, l'amie babéliote qui a stimulé ma curiosité par son enthousiasme communicatif à l'égard de cette auteure japonaise



"Je pensais que le monde n'avait aucun mystère. Je pensais qu'il les résoudrait tous tant qu'il serait à mes côtés. Nulle part il n'y avait de signe annonçant sa mort. "(p. 108)

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Cristallisation secrète

Quel régal que ce Cristallisation secrète de Yoko Ogawa ! Décidément, les écrivains japonais contemporains réussissent à m’entraîner dans leur imaginaire. J’appréciais déjà particulièrement celui de Murakami, cette auteure que je découvre m’a tout autant convaincu. Son roman est une très belle manière d’aborder des sujets comme le totalitarisme et la fabrique du consentement que ce type de régime met en œuvre pour contrôler les populations. Les ingrédients sont toujours identiques, mais dosés différemment, ils participent d’une recette commune fondée sur la peur, des gardes prétoriennes impitoyables, la manipulation de l’information qui met sous tutelle les cerveaux, l’acceptation ou la résignation.

Sa narratrice peut s’apparenter à une Anne Franck nippone qui nous plonge dans le quotidien de son île étrange où la matérialité du réel s’efface progressivement pour ne laisser survivre qu’un monde formaté à l’aune des directives gouvernementales, pour ne proposer comme refuge qu’un univers intérieur dans lequel se cachent les derniers réfractaires à l’ordre dominant.

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Parfum de glace

Ce que j'aime par dessus tout chez Yoko Ogawa, c'est sa poésie de l'inexplicable, c'est plonger comme envoutée dans des aventures que je ne vais pas toujours comprendre mais sans que cela me dérange de déambuler au milieu de mille questions sans réponse.



Le point de départ est classique : Rooky, un jeune homme créateur de parfum s'est suicidé, sa petite amie Ryoko enquête en remontant jusqu'au passé de son amoureux disparu, espérant trouver une explication à ce geste qu'elle n'a pas vu venir.



S'en suit un thriller de l'intime, de l'infime qui se transforme en réflexion sur le deuil, sur les relations familiales ( très belles pages sur la mère du suicidé ) sur la résilience qu'on parvient à atteindre ou pas. le rythme est lent, triste mais jamais mélo car chez l'auteur, l'irréel et le réel s'entremêle comme si c'était tout à fait banal, des événements déroutants font irruption et pourtant lorsqu'on lit, leur logique à s'insérer dans la raison fluidifie le récit.



Magnifique idée que celle des paons vivant dans une grotte sous la surveillance d'un gardien aux contours flous lorsque l'héroïne le rencontre : chaque paon a pour rôle de recueillir les mots de ceux qui sont venus ici raconter leurs souvenirs, chacun de leur coeur est conservé dans un bocal à la mort du conteur, des porteurs de mémoire dont l'odeur peut être reconstituée par un parfumeur doué.



Un univers très onirique pour lequel il ne faut pas chercher à avoir de réponses sur les visées finales de l'auteur, juste se laisser porter par cette ambiance évanescente très singulière, mélancolico-magique.
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L'annulaire

M. Deshimaru, taxidermiste de son état, embauche une jeune femme comme assistante. Ce n'est pas tout-à-fait un travail comme les autres. M.Deshimaru est taxidermiste du souvenir. Une bribe du passé, est consignée et répertoriée dans ce laboratoire pour le moins insolite chaque fois qu'un client en fait la demande .



Jusque-là j'ai cru à une fable poétique, une figure de style que je trouvais fort originale. Une liberté touchante qui augurait une lecture confortable. Je respirais à fond.

Mais je ne connaissais pas encore, M.Deshimaru, cet homme en grande blouse blanche qui parlait peu, ne posait pas de question à la candidate, mais précisait tout-de-même qu'aucune employée n'avait désiré rester à ce poste. Les conditions salariales sont très avantageuses, le travail n'est pas harassant, tout est lisse. Tout semble parfait. Une chance incroyable.....





Cependant, sur la poche droite, les poignées et la poitrine de la blouse de cet homme "irréprochable, équilibré" il y avait comme des traces de larmes. ah! La candidate ne sait pas pourquoi "mais elle sent l'imminence un danger qui la rend réticente";

Et là, tout doucement, la plume de l'auteur Yoko Ogawa me fait décoller, tranquillement mais sûrement.



Chaque interrogation de cette très jeune femme va être déjouée par cet homme au regard puissant.

J'ai pris de la hauteur et je me trouve au niveau des nuages. La jeune femme a maintenant pris ses fonctions, ses habitudes de travail. M.Deshimaru offre à son employée une très belle paire de chaussures en cuir noir. Il lui essaie, d'un geste ferme, sans forcer. Elles sont si adaptées "qu'on les croirait faites sur mesure". Il jette les vieilles chaussures. Et Clac elle est ferrée! Hier c'est fini. Hors d'usage. Aujourd'hui est une autre histoire.

Je continue à lire et prend de l'altitude. Je manque d'oxygène. J'étouffe. Les gestes de M. Deshimaru sont toujours fermes, et la jeune femme douce et inexpérimentée franchit les étapes de l'asservissement, puis de la manipulation, du harcèlement.



Il s'agit d'un roman court, intense. Chaque mot à sa place, une place stratégique, dépendante, magnétique.

Parfois je me dis que c'est incroyable: Que Vingt six lettres, toujours les mêmes depuis des siècles, brassées d'une façon tellement étudiée, tellement précise puissent provoquer de telles émotions, de tels ressentis, un tel mal-être, une telle ambiguïté malsaine.



Ce compte rendu ne concerne que le début du livre. Un petit livre d'une centaine de pages à peine que vous découvrirez vous-mêmes.

Je l'ai fermé. J'ai repris pied avec ma réalité. Je vous invite vraiment à monter à bord. Vous aussi vous serez probablement mal à l'aise, vous aussi vous noterez que la perversion rencontre parfois la pureté, la piétine comme on le ferait avec une vieille paire de chaussures usée, et vous direz comme moi, qu'un écrivain peut partager son talent même dans les couloirs de l'obscurité.

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Instantanés d'Ambre

J'aime retrouver régulièrement Yoko Ogawa. Cette auteure japonaise propose à ses lecteurs des instants de pure grâce, de délicatesse, et de magie.

De son écriture élégante et légère, elle dessine une petite porte dérobée qui s'ouvre rien que pour nous, sur un monde étonnant, entre réalité et imaginaire, empli de douceur et de silence dans lequel s'invite le mystère, les non-dits.



*

Ce roman était dans ma bibliothèque depuis un petit moment déjà, suite à magnifique critique de Sachka que je remercie. Je l'ai choisi parmi tant d'autres, attirée par sa couverture, sûrement parce que j'étais encore profondément imprégnée des majestueuses forêts canadiennes de mon précédent roman.



Dans ce roman-ci, il ne s'agit ni de forêt, ni d'écologie. Ce n'est qu'un simple jardin muré dans lequel une mère va décider de cloitrer ses trois enfants, suite au décès de la petite dernière.



Elle va leur demander d'être silencieux, de tout oublier jusqu'à leur prénom, et surtout de ne jamais sortir de l'enceinte du jardin, afin que rien ne puisse leur arriver.

Intuitivement, les enfants comprennent que leur mère est fragile, perturbée et qu'il faut la préserver. Par amour, ils vont suivre ses consignes à la règle et vivre repliés sur eux-mêmes dans la crainte du monde extérieur, déposant « au fond de leur coeur » tous leurs souvenirs d'avant.



« Un voyage sans retour pour survivre dans un monde où la benjamine n'était plus. »



L'auteure nous livre ici une solide réflexion sur la maltraitance, la résilience chez l'enfant, l'amour filial et l'amour maternel.



*

Seuls toute la journée, ils vont se réfugier dans le cabinet de lecture de leur père et trouver la sécurité au milieu des livres et des encyclopédies. Les livres ont la précieuse faculté de contenir le monde et c'est même dans l'un d'entre eux, l'encyclopédie des sciences, que chacun va se choisir un nouveau prénom, un nom de pierre : Opale, Ambre et Agate.



Derrière les hauts murs de brique, les trois enfants imaginent de nouveaux jeux avec trois fois rien, apprennent grâce aux livres. Leur imagination, fertile, belle, s'épanouit, inventant le monde du dehors.



« Quand Opale dansait, le jardin se transformait à leurs yeux en un univers plus vaste que celui qu'ils connaissaient. Pour eux, ce jardin était toujours aussi immense, mais la danse de leur aînée lui donnait davantage de profondeur. »



*

Si Yoko Ogawa n'a pas son pareil pour nous entraîner dans un huis-clos dérangeant, elle a aussi tout le talent pour introduire une touche de surnaturel.

C'est avec Ambre que le récit bascule dans la magie et le fantastique car ce petit garçon est atteint d'une étrange maladie : son oeil gauche se teinte progressivement d'ambre.



« Tout d'abord, non loin du coin de l'oeil la limite entre le noir et le blanc s'estompa, le marron de l'iris déborda en marbrures qui bientôt s'étendirent à la totalité de l'oeil gauche. Elles coulaient le long des vaisseaux capillaires, se déposaient, sédimentaient. Et les strates venant s'imprégner de larmes comme de résine, il se forma bientôt une concrétion d'ambre. »



Et l'enfant va découvrir la silhouette de sa petite soeur défunte jouant dans les filaments protéiformes pareils à des araignées d'eau qui se déplacent le long de sa rétine.

Il s'invente un monde imaginaire dans lequel la benjamine prend vie dans des folioscopes.



« Venant de découvrir un moyen de reproduire sur les pages de l'encyclopédie ce qui apparaissait dans son oeil gauche, Ambre choisit pour redonner vie à la benjamine l'Encyclopédie illustrée des sciences pour enfants. Il pensait que sa petite soeur devait tout naturellement se joindre à ce volume où Opale, Agate et lui-même avaient choisi leur nom. »



*

Le temps défile sans que le lecteur n'arrive vraiment à cerner le nombre d'années qui passe.

Mais leur monde se craquelle insensiblement à mesure qu'ils grandissent.

*

J'ai aimé ce monde créé par Yoko Ogawa. Son écriture épurée et poétique est propice à nous envelopper dans une atmosphère rêveuse et calme, à transformer progressivement notre regard, à le rendre contemplatif et introspectif. Rien n'est dit de manière frontale. Tout se devine lentement, par petites touches, comme un peintre impressionniste qui apposerait des impressions, des émotions.



Si cette ambiance est onirique et féérique, elle est également tragique et bouleversante. Yoko Ogawa se concentre essentiellement sur les trois enfants, mais en filigrane, le lecteur saisit le drame que vit cette jeune mère qui a perdu son mari, puis son plus jeune enfant.



« Le commencement de tout fut la mort de la benjamine. Elle venait tout juste d'avoir trois ans lorsqu'un jour au jardin public, un chien famélique était venu lui lécher le visage : le lendemain elle avait eu une forte poussée de fièvre, et son état de santé s'aggravant rapidement, elle était morte brutalement. le médecin avait dit qu'il s'agissait d'une pneumonie, mais leur mère n'avait jamais voulu le reconnaître.

— C'est le chien maléfique. À cause de sa langue, ne cessait-elle de répéter malgré les dénégations du médecin. »



On retrouve les composantes de l'univers de l'auteure : le sentiment d'enfermement, la nostalgie d'un temps révolu, la mémoire, les souvenirs, l'obsession.

Pour ma part, j'ai eu un sentiment de malaise, partagée entre l'amour de cette mère qui veut préserver ses enfants de la mort en les soustrayant au monde extérieur et la magie du monde de l'enfance. Mais à vouloir trop les protéger et les préserver, ne risque-t-on pas au contraire de les fragiliser et de les rendre inaptes à la vie en société ?



*

Pour conclure, cette atmosphère presque irréelle, entre huis-clos et monde merveilleux, à la fois fascinante et dérangeante, ne plaira sans doute pas à tout le monde. Mais ce roman d'apparence simple fait parti de ces lectures qui laissent une impression profonde après l'avoir refermé, suscitant un sentiment troublant et subtil de solitude, de malaise et de paix.

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L'annulaire

Étrange.

Comme un roman d’atmosphère.

Comme un sentiment indéfinissable.

Fascination ou simple extravagance littéraire ?



Une jeune femme découvre sur la porte d’un édifice entre délabré et abandonné une offre d’emploi pour devenir la secrétaire de M. Deshimaru, taxidermiste de « spécimens ». Dans le mot « spécimen » se cachent tous vos désirs d’oublis et de chagrin. Il n’est pas juste question d’emmener son animal mort pour le faire empailler. M. Deshimaru s’occupe de tout : des ossements, des notes de musique, des champignons… Un roman de Yoko Ogawa mystérieux et envoutant.



En confiant leurs « précieux » objets au taxidermiste, les visiteurs – ou clients – espèrent ainsi se décharger d’une partie de leur peine ou de leur angoisse. Comme de leur enlever le poids d’un deuil ou d’une blessure profonde inscrite en eux. Alors que les demandes se succèdent, régulièrement, que les objets à naturaliser s’entassent dans des tubes à essais, M. Deshimaru semble exercer sur sa jeune secrétaire un étrange envoûtement.



Il est le maître du jeu, elle se soumet totalement à ses désirs, à ses caresses, à ses demandes surprenantes dans la salle de bain désaffectée, lieu de rencontre dans l’intimité de ces deux êtres solitaires. Fascination ou malaise, je n’arrive pas à définir la frontière entre ces deux perceptions de l’amour. Mais peut-être est-ce au-delà de l’amour, vers un abandon total de la jeune femme vers cet homme.



Un roman – que je trouve – étouffant presque oppressant. Je suis un fidèle de Yoko Ogawa, depuis ses premiers romans. Je suis fasciné par ses histoires si banales et si étranges à la fois, comme envouté ou ensorcelé suivant le degrés pervers ou malsain qu’elle distille dans sa plume poétique. Mort et sexualité, perte et possession, des thèmes qui se rejoignent ici, derrière la porte du laboratoire du taxidermiste.


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L'annulaire

L’annulaire, joli symbole pour commencer la littérature japonaise.



Au japon, cette symbolique peut être perçue de manière différente et plus ambiguë. L’union, chez le plus commun des mortels, mais la mutilation de ce doigt gauche est un signe d’humiliation très ancré dans la pègre japonaise et d’appartenance chez les prostituées. Dans ce court récit, seule l’image de l’appartenance flotte comme une légère brise malsaine qui surplombe l’ambiance. Un sentiment de gêne, d’inquiétude et d’étouffement, règne tout au long de ce roman.



La narratrice, une jeune japonaise de 21 ans, amputée d’une infime partie de son corps, se retrouve par le plus pur des hasards, enfin est-ce vraiment le hasard ou le destin, à travailler chez un taxidermiste du souvenir. L’immense laboratoire, un ancien foyer de jeunes filles, abrite les spécimens. Mais dans ce laboratoire tenu par cet étrange M. Deshimaru pas d’animaux empaillés, les cas sont souvent de matière inorganique. Les visiteurs viennent se libérer d’une réminiscence, d’une souffrance, d’une cicatrice, d’une mélodie qui les empêche d’aller de l’avant. Après avoir naturalisé et préparé cérémonieusement la trace du délit, M. Deshimaru les enferme dans un tube à essai. Les cas sont référencés et soigneusement conservés par son assistante. En cas de nostalgie, les clients peuvent venir leur rendre visite, ce qui est rare car « le sens de ces spécimens est d’enfermer, séparer et d’achever ». Entre M. Deshimaru et son assistante, une étrange relation s’installe empreinte de sensualité, de désirs, de malaise, de mutisme et de trouble. Le tout baigné dans une odeur nauséabonde de formol et un lourd climat d’anxiété qui règne dans ce long couloir et cette mystérieuse porte fermée à double tour.



J’avais pour règle en lisant ce livre de ne pas avoir peur de ne pas aimer. Beaucoup de négations mais ce fut libérateur afin de pouvoir le lire en toute sérénité. Ce roman m’a laissé une empreinte étrange tel celle d’un haïku : On aime la poésie qu’il s’en dégage mais il est difficile d’en expliquer le pourquoi. Ce récit a effleuré et caressé mon âme. Les deux personnages m’ont envoûté et absorbé dans leur existence dès la première seconde. Il n’y avait plus que ce petit livre, ma conscience et ce doux parfum de cerisiers du Japon. Je n’ai désormais qu’une envie, comme une urgence, replonger dans l’univers troublant de Yôko Ogawa. Cette auteure a ce don particulier de rendre les gens ordinaires extraordinaires et sa plume lyrique et troublante rend ce récit tout simplement beau et touchant.




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Les tendres plaintes

Yoko Ogawa est une auteure japonaise que j'aime pour les émotions qu'elle suscite à chacune de ses lectures. Elle prend ses lecteurs par la main et les emmène dans son univers, tantôt doux, calme, reposant, tantôt inquiétant, dérangeant.



*

Ne pouvant plus supporter l'infidélité et la violence de son mari, Ruriko décide de disparaître. Elle quitte Tokyo et part se réfugier en pleine forêt, dans le chalet de son enfance afin de réfléchir, dans le calme, à son avenir et retrouver la sérénité propice à son métier de calligraphe.



Rapidement, elle fait la connaissance de ses plus proches voisins qui habitent un chalet voisin.

Nitta, un ancien pianiste, devenu facteur de clavecins, vit seul avec son vieux chien aveugle et sourd. Il est assisté dans son travail par une jeune femme vive et joyeuse, Kaoru, avec laquelle il entretient des relations ambiguës.

Tous deux l'accueillent gentiment et lui ouvrent les portes de leur atelier.



*

Dans cette première partie, j'ai trouvé l'écriture de Yoko Ogawa, paisible, délicate, en harmonie avec les sentiments de Ruriko. Je suis donc entrée à pas feutrés dans la vie de la jeune femme, ne voulant pas être indiscrète, sentant au fond de moi sa fragilité et sa vulnérabilité.



« Mais les ténèbres qui s'installaient dans le bois étaient d'une autre sorte. Elles remplissaient mon coeur à ras bord pour le glacer et je ne pouvais plus bouger. Et je savais que même lui ne pourrait sans doute calmer cette angoisse. Elles étaient envahissantes, beaucoup plus écrasantes. J'avais l'impression de me retrouver égarée au fond de la mer, seule, loin de toute lumière. »



*

J'ai aimé le cadre de ce roman. La forêt est comme un baume cicatrisant, un abri coupé du monde, hors du temps, un refuge pour reprendre pied, se reconnecter avec son propre corps, panser toutes ses blessures, physiques comme psychologiques.

Les images pour décrire cette forêt et les bruits qui l'imprègnent, le bruissement des feuilles dans les arbres, le chant des oiseaux, m'ont enveloppée d'un voile de douceur et de bien-être.



Si la forêt apporte une musicalité chaleureuse, la fabrication d'instruments de musique, le travail du bois, les gestes répétés, les parfums boisés ajoutent à cette ambiance agréable. le monde de la musique se mêle ainsi à celui des liens et des sentiments entre les personnages.



« Les résonances du clavecin parvenaient au plus profond de mon coeur. Elles remplissaient lentement la petite obscurité que ni la lumière ni les paroles n'atteignaient. Elles ne s'écoulaient nulle part. Elles restaient là indéfiniment. »



*

Pourtant, dans cette atmosphère rassurante, Yoko Ogawa fait progressivement monter une tension et un sentiment de malaise chez le lecteur.

Le ton change insensiblement et on sent que Nitta et Kaoru sont également des êtres écorchés qui se reconstruisent paisiblement dans l'isolement, dans un environnement bienveillant et reposant, grâce à leur passion commune pour la musique.



Autant la première partie m'a emportée par sa douceur satinée, je me suis sentie enrobée et protégée par le calme de cette forêt, autant la deuxième m'a troublée et sortie de ma placidité, de mes douces rêveries. J'ai senti Ruriko totalement perdue, abandonnée, seule, de sorte que ses sentiments et les miens me semblent encore confus.

Dans cette relation triangulaire qui se noue, les émotions se bousculent, arrivent par vagues.



« J'étais un clavecin qu'on détruisait. »







*

La psychologie du personnage de Ruriko est très fine, magnifiquement décrite.

On ressent, sous l'apparence calme de Ruriko, un volcan intérieur prêt à exploser qui puise dans son inconscient.



Par contre, l'auteure garde une certaine distance vis à vis des deux autres personnages, les esquissant de quelques traits, les floutant légèrement afin de laisser le lecteur dans l'incertitude sur leur relation.

Nitta reste très secret sur ses sentiments, son passé, et parle peu.

En revanche, je me suis attachée à Kaoru, à son sourire et sa gaieté.



*

Ecrites en 1996, “Les Tendres Plaintes” nous berce des accords nostalgiques et plaintifs du clavecin.



Avec le recul, ce texte, en apparence posé et lent, est chargé d'émotions. Je l'ai trouvé à postériori, en faisant cette critique, plus puissant et profond que lors de ma lecture.

L'écriture de l'auteure, simple, épurée, sensible est vraiment belle pour décrire les ambiances, la nature, les sonorités, les couleurs, les odeurs. D'une main délicate et légère, elle porte également un beau regard sur ses personnages, leur indicible solitude, leurs relations fugitives et blessantes.



« Je pensais que les larmes étaient moins cruelles que les paroles. »



***

Merci à Prisca (Pris), DianaAuzou, Pirouette et Berni_29 (Bernard) pour cette belle lecture commune, riche de nos échanges et d'une belle convivialité.
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L'annulaire

''Recherchons employée de bureau aide à la fabrication de spécimens expérience, âge indifférents, sonnez ici.''

Une jeune fille fraîchement débarquée de sa campagne tombe par hasard sur cette petite annonce collée sur un pilier devant un immeuble vétuste. Elle arrive en ville après un incident dans l'usine où elle travaillait. Un petit bout de son annulaire est tombée dans une cuve de limonade, perdu à tout jamais. Quand elle sonne, c'est M. Deshimaru qui ouvre la porte. Vêtu d'une blouse blanche, franc et poli, l'homme lui explique le fonctionnement de son laboratoire. Il s'agit de préparer et de conserver des ''spécimens''. La jeune fille n'y comprend pas grand chose mais elle devient l'assistante de M. Deshimura et se familiariser avec l'endroit et le travail. Le laboratoire est un ancien pensionnat de jeunes filles, désormais voué à la conservation des souvenirs douloureux que les clients viennent déposer. Consciencieusement M. Deshimura naturalise des champignons microscopiques, une mélodie, une cicatrice...Si tout cela reste un mystère pour son assistante, elle s'intéresse aux clients et à son patron avec qui elle entretient une relation charnelle dans la salle de bain désaffectée de l'établissement.



Un roman énigmatique, suffocant, teinté d'érotisme dans la veine des autres romans de Yōko Ogawa. On y retrouve cette atmosphère étrange, éthérée, parfois malsaine, ses personnages froids en apparence, aux sentiments troubles, ses lieux bizarres qui sont sa marque. Ici, le malaise s'installe d'emblée à cause sans doute de ces ''spécimens'' qu'on a du mal à appréhender et de la personnalité de Monsieur Deshimaru qu'on soupçonne du pire dès les premières pages, trop poli pour être honnête. Très vite, il domine son assistante, pervers manipulateur, sans jamais abandonner ses bonnes manières, et sans qu'elle ne réagisse. Complètement à sa merci, elle a conscience du danger mais ne cherche pas à se révolter. Par faiblesse, imprudence, apathie, désespoir ? Là où les clients se délestent du poids qui les écrase, mauvais souvenirs enfermés pour toujours dans les tubes à essai de Deshimaru, la jeune fille semble incapable d'un sursaut salvateur, paralysée par le malheur des autres, soumise à une atmosphère et à un homme, malgré une lucidité exacerbée...Un roman tout simplement fascinant.
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Les paupières

Huit nouvelles qui tournent autour du sommeil ou de son absence, mais où affleurent aussi le rêve, la rencontre, le regard, l'immobilité, l'abandon.



En définitive, quelques jours après avoir refermé ce livre, j'en garde l'impression tenace d'avoir au fil des histoires pénétré un univers très personnel teinté subtilement d'insolite, de fantaisie aigre-douce, flirtant avec le fantastique.

Quelle imagination et quelle subtilité dans l'art de la narration ! Je ne suis pas très fan de nouvelles d'ordinaire, préférant l'espace du roman qui permet à l'auteur de prendre de l'ampleur, de développer à son aise arguments et intrigues. En fait, je trouve souvent une nouvelle étriquée et pour tout dire pauvre par rapport au roman. Rien de tout ceci ici, j'ai dévoré avec délectation ce recueil enchaînant les nouvelles d'une trentaine de pages en moyenne ( douze pages même pour la plus courte ), agréablement surprise par leur originalité, leur intensité et leur ton si particulier.



Chaque histoire est très différente, mais que l'on soit embarqué à bord d'un avion, installé dans un jardin, une cuisine, au bord d'une piscine, en quelques phrases précises au style magnifique, le cadre est planté, l'intrigue se noue, la magie opère et la chute est toujours surprenante et inattendue, incomplète presque, ouvrant la porte à l'imagination du lecteur, sans frustration.

Bien sûr, parmi ces huit nouvelles, j'ai mes préférées...Gardez les paupières ouvertes pour choisir les vôtres.
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La mer

Ce recueil de sept nouvelles concentre toute la poésie, souvent étrange de Yôko Ogawa. Cette poésie s'incarne parfois dans l'anecdote, comme dans ces deux micro-nouvelles : d'abord « le crochet argenté », narrant en deux pages nostalgiques le voyage en train de la narratrice, qui part célébrer dans la tradition bouddhiste les treize ans de la mort de sa grand-mère. Elle observe face à elle une vieille femme tricotant…de quoi faire remonter les souvenirs d'enfance au contact de la disparue. Ensuite « Boîtes de pastilles », encore plus courte, à peine plus d'une page. Un chauffeur de bus scolaire de 65 ans, célibataire depuis l'âge de 40 ans et le départ de sa femme, et qui n'a jamais eu d'enfants, trouve son bonheur quotidien au contact de ces enfants parfois turbulents…C'est qu'il a appris à les rendre heureux, tout en s'assurant un parcours tranquille, en trichant un peu pour satisfaire le goût de chacun en matière de petits bonbons.



Le récit éponyme La Mer est celui qui m'a le moins plu. le narrateur qui est invité pour la première fois chez ses beaux-parents va dormir dans la chambre du petit frère de sa copine. le cadet est dans son monde, et prétend avoir inventé un instrument de musique, le Meirinkin, qui pour être un gros coquillage, vibre en présence d'une brise de mer…



Dans « le camion de poussins », un homme noue une silencieuse complicité avec une petite fille, muette, un peu autiste et fascinée par les carapaces issues des mues d'insectes, mais aussi par un camion qui passe périodiquement, transportant des milliers de poussins colorés. Un jour, le camion se renverse sous leurs yeux, libérant ces myriades de petits êtres fragiles…évènement qui peut-être déclenchera une véritable mue chez la fillette...



« Voyage à Vienne » met en scène la narratrice et une corpulente femme veuve de la soixantaine, Kotoko, qui a choisi cette destination pour y retrouver la trace de Johan, un ancien amoureux à l'article de la mort dans une maison de retraite…C'était 45 ans en arrière, elle avait 19 ans, lui 34, ils n'étaient pas bien chouettes physiquement, se sont rencontrés dans l'usine de jambon où ils travaillaient, et aujourd'hui elle n'a pas l'air très aidée ni même finalement très emballée à l'idée de retrouver le bonhomme. On sent bien que l'ambiance est foireuse, et elle le sera jusqu'au bout ! Une nouvelle à chute, une ambiance douce-amère qui flirte avec le dérisoire et l'absurde, pleine d'humanité face à l'absurdité de la vie et de notre destin commun.



« le Bureau de dactylographie japonaise Butterfly » est une nouvelle troublante. Une jeune femme se fait embaucher comme dactylo au bureau Butterfly, aux côtés de quatre autres dactylos plus expérimentées. L'ambiance est besogneuse, il y a peu d'occasions de parler. Peu après, un de ses caractères étant abîmé, elle va le faire réparer auprès du gardien des caractères d'imprimerie situé un peu à l'écart dans les locaux. En quelques mots échangés à travers une vitre sombre, des paroles d'expert chargées d'ambiguïtés, la jeune femme devient bientôt sujette au lapsus, à des maladresses...et trouve des prétextes pour renouveler ce contact, quitte à volontairement maltraiter son matériel…Avec cette vague montante de pensées et allusions à la fois ingénues et perverses, Ogawa fait monter la tension sexuelle, dans une excellente nouvelle qui n'est pas sans rappeler l'atmosphère de ses romans L'annulaire et Hôtel Iris.



« La Guide » ponctue joliment ce recueil, grâce à un attachant gamin, admiratif de sa guide de maman. A force de l'accompagner dans les visites de touristes, il en connaît un rayon et se verrait bien reprendre le flambeau, ou plutôt le drapeau vert un peu crasseux que sa mère a perdu et qui lui servait à rassembler son groupe. Du coup, un vieux touriste s'est égaré. Le gamin va le retrouver, et le temps de quelques heures, nouer une sorte de complicité avec cet ancien poète qui se dit devenu titreur…de souvenirs…



Etrangeté souvent donc, mais aussi des atmosphères au fond tendres, simples et pudiques, un peu mélancoliques, mais néanmoins fraîches et juvéniles, et même teintées d'humour et d'une pincée d'impertinence. Avec tous ces ingrédients réunis, ces récits procurent un grand plaisir de lecture. L'image est peut-être saugrenue, mais cela m'a fait penser au plaisir de la dégustation lente d'un carré de chocolat fin aux accords subtiles. Une fois de plus, ces nouvelles font appel à tous nos sens, toujours sollicités d'une manière ou d'une autre. C'est vraiment la patte magique de Yôko Ogawa, qui sans effet de style particulier arrive à nous charmer.

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Les tendres plaintes

Un roman qui rassemble trois êtres solitaires et un chien. Trois blessures.

Au fond de la forêt, leurs chalets les abritent avec leurs passions. Loin du monde.

L’une est calligraphe et les deux autres facteurs de clavecins. Ils fabriquent avec soin des lettres ou des notes. Le tout s’allie merveilleusement bien à la nature environnante. Une poésie de sons et de couleurs.



Un roman sur la nature, la sensibilité, la fragilité. L’écriture est délicate, comme si la plume du calligraphe et les doigts du pianiste s’étaient joints à la musique de la nature pour jouer Les Tendres Plaintes.

Une lecture paisible et tellement poétique.
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Hôtel Iris

J'ai approché Yôko Ogawa par La formule préférée du professeur : dont je mentionnait dans ma critique : "Parfait comme ce petit livre qui dans mon firmament vient rejoindre pas moins que la planète du Petit Prince." C'est dire si je ne m'attendais pas nécessairement qu'une rencontre aussi magique se répète avec Hôtel Iris. Mon expérience avec St Exupéry a été qu'aucun de ses romans ne m'a jamais emporté aussi haut que le Petit Prince. Ce n'est donc pas une déception, loin s'en faut ! J'ai vraiment beaucoup aimé cette plongée dans un univers complètement différent dont seule la beauté de l'écriture est commune.



C'est l'histoire d'une Lolita de 17 ans, quand même, qui est troublée par l'éclat de voix d'un homme, de 50 ans plus âgé, sur une prostituée qu'il jette dans le plus simple appareil hors de sa chambre d'hôtel où elle Mari, fille de la propriétaire, opère comme réceptionniste. Troublée au point de pister l'homme un dimanche après-midi quand elle l'aperçoit lors d'une promenade en ville dans cette station balnéaire au Japon. Le suivre évidemment jusqu'à ce qu'il s'en rende compte, au point que la rencontre ait lieu et d'apprendre qu'il est traducteur de Russe vivant seul sur l'île d'en face... C'est le début d'un étrange amour...



- Etrange jusqu'où ?

- En amour, cela ne peut être que jusqu'au bout.

- Attachée à ce point ? A un vieux de 67 ans ?

- Oui mais Mari, son papa est mort lors d'une rixe lorsqu'elle avait huit ans et son papy peu après.

- D'accord, mais attachée ?

- Il faut savoir que Mari, sa maman n'a jamais voulu autre chose qu'une fille docile. A 17 ans si souple, encore si malléable.

- Et lui, sa femme morte de façon tragique et mystérieuse ?

Ah, comme Yôko Ogawa, m'interpelle. Et qu'il est difficile de ne pas juger !



Etrange plongée dans une aquarelle. Fascinant Japon où l'écriture est un art, l'emballage aussi et les bouquets naturellement : Iris. Et puis, plus troublant, le kinbaku*. Trouble des sentiments, trouble des sens, découverte du corps, voilà où nous entraîne cette belle écriture sensuelle empreinte d'un profond érotisme et d'une grande connaissance de l'âme humaine et ainsi l'on se retrouve, sans même vraiment s'en rendre compte, enchaîné à cette histoire et exposé à nous-même. Obsédant, déstabilisant, jamais glauque.



Mais pour Mari la plongée est douloureuse et dangereuse, car le traducteur a parfois des montées de colère froide qu'il ne contrôle pas. Et comme il n'y a rien de plus beau qu'un amour tragique, on ne peut s'empêcher de trembler, jusqu'à la fin. Tenter de reprendre son souffle... à la limite de l'asphyxie, et s'interroger pendant et encore après. Du grand art, je dis !



* J'en ai appris des nouveaux mots sur ce site comme BDSM, et moi, pauvre clown qui croyait que c'était une BD sado-maso. Pas du tout ! Heureusement, il y a wiki.

Par hasard j'ai aussi trouvé le mot kinbaku dans une autre critique alors j'ai été regarder sur le net avant de l'utiliser et voilà ce que j'ai trouvé :

"Le kinbaku, tout comme le shibari, est une pratique éroticisée dérivant de l'hojojutsu. Les méthodes autrefois utilisées pour restreindre des prisonniers ont été légèrement modifiées pour jouer sur la frontière entre douleur et plaisir... l'intention initiale de torture devient un élément consensuel dans le cadre du BDSM."



Etrange Japon qui continue à me fasciner...
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Le petit joueur d'échecs

Le petit joueur d'échecs est né les lèvres soudées, comme s'il voulait rester silencieux et garder tous les secrets au fond de son esprit.

De son handicap naîtra un don extraordinaire, celui de la concentration et de l'imagination. Il fait peu de rencontres, mais elles sont décisives. Comme aux échecs, il ne choisit pas le chemin du plus fort, mais celui qui émet la mélodie la plus douce, qui crée le poème le plus léger.

Il vit comme effacé au monde, mais ceux pour qui il n'est pas invisible sont éblouis.

Recroquevillé sous sa table d'échecs, invisible aux regards, l'infini s'offre à lui. Le monde des échecs lui permet de voyager, de ressentir les émotions, d'établir un lien avec les personnes, sans qu'il ait besoin de mots ou de regards.

Il vit dans le monde des échecs, car c'est l'endroit qui lui convient. Oublier sa propre personne, dépasser les limites de son corps, et se sentir libre.

Si les échecs sont un miroir de ce qu'est l'homme, comme le dit le maître de l'autobus, le petit joueur d'échecs est immense, malgré sa petite taille.



Un roman puissant qui nous fait entrevoir le monde des échecs comme un miroir de la vie. Yôko Ogawa a beaucoup de talent pour nous transporter aussi loin dans l'imagination et dans l'émotion, même si comme moi, on n'y connaît rien aux échecs.



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La Marche de Mina

Frais et lumineux comme un jardin après la pluie, voici un petit roman qui fait du bien, touchant, amusant mais avec ses zones d'ombre et la fugacité de l'enfance.

Orpheline de père, sa mère reprenant ses études, Tomoko va passer un an dans la famille de sa tante à Ashiya. Elle va y découvrir un univers excentrique et affectueux, entre la grand-mère allemande, la cuisinière qui dirige la maisonnée, le père dandy et Pochiko, l'hippopotame nain qui vit dans le jardin! Mais il y a surtout Mina, cette cousine fragile, asthmatique et précoce dont elle devient aussitôt inséparable.

Une année passe au rythme des saisons et on se prend à aimer cette famille, à se sentir bien dans cette maison occidentale, vivant selon les absences mystérieuses de ce père chaleureux et les crises d'asthme de Mina, surprotégée par son entourage. On y mange de délicieux plats, on y pioche dans l'immense bibliothèque de grands classiques contemporains, on s'y fait dorloter. Mais, il y a aussi la solitude et l'ennui de la mère, délaissée, et les hospitalisations de Mina.

Le style simple, limpide de Yoko Ogawa, que je découvre, me fait beaucoup penser à celui de Banana Yoshimoto, et je suis admirative de ces descriptions si fragiles et fugaces des émotions ou des reflets qui peuvent danser dans une tasse, dans un rideau.

Une jolie découverte (et ma 500ième critique!)

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Hôtel Iris

A dix-sept ans, Mari tient la réception de l'hôtel Iris, l'établissement un peu miteux appartenant à sa mère, une femme autoritaire qui la brime. Dans cette station balnéaire japonaise, les distractions sont rares pour Mari, occupée à l'hôtel du matin au soir.

Une nuit, le silence est brisé par une terrible dispute. Une prostituée échevelée et nue fuit la chambre 202 en accusant son occupant des pires perversions. Tandis qu'elle hurle, l'homme la fait taire en quelques mots, d'une voix calme et ferme. Et Mari est immédiatement envoûtée par cette voix qui l'apaise. L'homme est âgé, sa réputation sulfureuse, mais la jeune fille ne peut s'empêcher de le suivre lorsqu'elle le retrouve par hasard en ville. Commence alors entre la réceptionniste et celui qui se présente comme un traducteur du russe, une relation, d'abord épistolaire, qui finit par devenir physique. Mari invente tous les prétextes pour rejoindre le traducteur sur son île et se soumettre à sa volonté de fer. Timide et respectueux en public, le vieil homme devient un maître du bondage et du sado-masochisme dans le secret de sa cabane.





Etrange plongée dans l'écriture fascinante et dérangeante de Yôko Ogawa. Poésie et délicatesse y tutoient violence et cruauté. le malaise que l'on ressent à la lecture de ce roman vient bien sûr du sujet, la relation sado masochiste entre une jeune fille et un vieillard. Mais elle se ressent aussi dans l'ambivalence des personnages. Ce vieux monsieur solitaire, poli, au look désuet, peut se monter d'une extrême prévenance mais aussi d'une extrême violence. Sujet à des crises, il souffle le chaud et le froid. Mais rien ne semble déstabiliser sa jeune partenaire, mélange de naïveté et de perversion. Mari est amoureuse, attachée dans tous les sens du terme et ne vit que pour obéir à son amant et tenter de le satisfaire du mieux qu'elle peut. Les sévices et les humiliations n'ont aucune prise sur ses sentiments qu'elle juge normaux et naturels. Pourtant une telle relation est vouée à s'achever dans le drame. C'est par le biais d'une troisième personne qu'il adviendra. La mère ? Non, elle semble trop égocentrique pour se rendre compte des changements intervenus chez sa fille. La femme de ménage de l'hôtel ? Elle sait que Mari est amoureuse mais ne peut la dénoncer à sa mère car la jeune fille connait aussi l'un de ses secrets. Non, le déséquilibre viendra du neveu du traducteur, un jeune homme muet car privé de sa langue pour lequel son oncle déploie des trésors d'ingéniosité en cuisine. Cet être étrange qui ne communique que par écrit va faire basculer la relation entre les amants…

Un roman qui dérange, qui flirte avec le malsain mais sans jamais tomber dans le glauque. Ogawa reste toujours sur la ligne de crête, les descriptions sont suggestives, sensuelles, érotiques sans être pornographiques. Malgré la violence, la cruauté n'est peut-être pas dans les gestes mais dans le jeu des sentiments subtilement pervers qui s'établit entre ces personnages ambigus dans leur banalité opposée à la violence de leur passion. Comme toujours avec cette auteure, la lecture n'est pas un long fleuve tranquille mais une suite de surprises qui piquent la curiosité, qui grattent les certitudes, qui distillent le malaise. Une grande auteure.

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Instantanés d'Ambre

Je referme le roman de Yôko Ogawa, doucement, avec précaution, du bout des doigts, comme l'aurait fait Monsieur Amber avec les pages de ses encyclopédies. Quel beau voyage j'ai fait...

Dans ce roman mélancolique et très poétique la narratrice est une femme âgée, nous ne savons rien d'elle si ce n'est qu'elle a été pianiste autrefois et qu'elle recueille les confidences d'un Monsieur Amber âgé et quasi aveugle avec lequel elle semble avoir tissé un lien profond et que tous 2 demeurent dans ce qui semble être un établissement pour personnes âgées.

Au fur et à mesure de leurs apartés elle nous raconte une bien étrange histoire. L'histoire d'une mère qui n'a pas réussi à surmonter la perte de son premier enfant et qui entraîne les 3 autres enfants de la fratrie dans sa propre folie en les séquestrant dans une vieille maison ayant appartenu au père de famille. L'histoire d'une mère qui dépossède ses enfants de leur identité, qui leur impose des interdictions, qui exerce sur eux une emprise psychologique, qui leur fait porter le poids d'un deuil trop lourd finalement.

L'écriture de Yôko Ogawa est envoûtante, je me suis laissée glisser avec plaisir dans son récit où l'imaginaire et l'aspect visuel tiennent une place importante. Elle nous raconte un long moment, six années de la vie de ces 3 enfants, : Ambre, Opale, et Agate, qui, pour supporter l'enfermement et se protéger des névroses de leur mère, vont se refugier dans l'imaginaire de "l'oeil d'Ambre", cet œil qui change progressivement de couleur et perçoit un monde qui lui est propre au travers des silhouettes qu'il dessine en marge des pages des encyclopédies du cabinet de lecture.

Ce roman est une ode à l'enfance perdue et à l'innocence, il a su me rendre nostalgique de ma propre enfance, j'ai parfois même arrêté ma lecture pour me remémorer les moments de complicité que j'ai pu avoir avec ma sœur jumelle quand nous etions enfants, nos jeux, les nuits passées à chuchoter, à se raconter des histoires dans le noir, à s'endormir blotties l'une contre l'autre pour se rassurer... Un magnifique roman !





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La Formule préférée du professeur

"𝘓𝘦𝘴 𝘩𝘢𝘶𝘵𝘦𝘴 𝘮𝘢𝘵𝘩𝘦́𝘮𝘢𝘵𝘪𝘲𝘶𝘦𝘴 𝘴𝘰𝘯𝘵 𝘭'𝘢𝘶𝘵𝘳𝘦 𝘮𝘶𝘴𝘪𝘲𝘶𝘦 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘱𝘦𝘯𝘴𝘦́𝘦", - George Steiner -



Saviez-vous qu'une équipe de neurobiologistes de l'𝘜𝘯𝘪𝘷𝘦𝘳𝘴𝘪𝘵𝘺 𝘊𝘰𝘭𝘭𝘦𝘨𝘦 𝘰𝘧 𝘓𝘰𝘯𝘥𝘰𝘯 publia en 1994 un article dans « 𝘍𝘳𝘰𝘯𝘵𝘪𝘦𝘳𝘴 𝘪𝘯 𝘏𝘶𝘮𝘢𝘯 𝘕𝘦𝘶𝘳𝘰𝘴𝘤𝘪𝘦𝘯𝘤𝘦 », dans lequel elle démontra que l'activité neurologique d'un patient appréciant la beauté des mathématiques se situait dans le cortex orbitofrontal, soit cette même zone du cerveau qu'activerait avec autant d'intensité un amoureux de poésie, littérature, peinture, musique ou sculpture ?



Étonnant, non ?



Pourtant, l'on peut parler de beauté mathématique comme nous parlerions de beauté artistique à la vue des courbes pures et parfaites de la Pietà de Michel-Ange ou du trait de pinceau d'un chef-d'oeuvre de la renaissance, à l'écoute harmonieuse de la Symphonie n°25 de Mozart ou de la suite pour orchestres n°3 de Bach ou encore à la lecture si chantante d'un poème de Rimbaud ou de Baudelaire.





La formule préférée du professeur, elle, fait partie de ces beautés que nous offrent les mathématiques, au même titre que le nombre d'or, si bien représenté par de Vinci dans son Homme de Vitruve et que l'on peut retrouver dans l'Art comme dans la nature.



Pour tout vous dire, il parait que cette formule a même été élue en 1988 « plus belle équation de l'Histoire », dans un concours international très sérieux où des Miss Équations ont joué de leurs charmes sur fond de musique s+e+x=y, dans un show se terminant en nu intégrales (et dérivées)... Oui oui, comme je vous le dis.



Cette formule, la préférée du professeur donc, est l'identité d'Euler (erronément appelée formule d'Euler dans le roman d'ailleurs – mais on ne va pas pinailler pour si peu, non ?).



Elle s'exprime comme ceci : e exp(i x pi) + 1 = 0



Oui, je sais, c'est fourni brut de décoffrage comme ça, et même si vous trouvez ça aussi sexy qu'un Hollandais tout rouge de coups de soleil, en Bob, Marcel, chaussettes de tennis et claquettes, sachez tout de même que cette formule a la particularité de relier entre elle cinq nombres parmi les plus remarquables des mathématiques en une équation des plus simples.



Il y a là le Un, que tout le monde connait (même les plus nuls en maths).



Il y a là le Zéro, qui symbolise le vide, le néant.



Il y a là le Pi (qui a dû donner des cauchemars à ceux d'entre vous qui n'étaient pas copains avec la trigonométrie) et le e, la base des logarithmes aussi appelé nombre d'Euler, tous deux étant des nombres transcendants (si si, croyez-moi sur parole).



Et puis il y à là le i, un nombre à la base des nombres complexes, qui vous ouvre la porte des mathématiques sur un monde imaginaire, dans lequel votre professeur de mathématiques, après vous avoir expliqué pendant un paquet d'années qu'un nombre élevé au carré était toujours positif, finira par vous dire qu'il peut finalement aussi être négatif... Pfff... Il aurait pas pu le dire plus tôt ?



Bref... Je commence à dériver exponentiellement dans une sorte d'ellipse hyperbolique à limite infinie et il me faut dès lors amorcer un demi-tour serré pour vous parler tout de même de ce très beau roman !





La formule préférée du professeur est l'histoire tendre et touchante d'un professeur de mathématiques arrivé au seuil de la vieillesse après avoir vécu un traumatisme crânien trente ans auparavant, lui laissant à jamais sa mémoire bloquée dans sa jeunesse passée.



Son cerveau ne pouvant plus enregistrer de souvenirs au-delà d'une fenêtre temporelle de quatre-vingt minutes, ses souvenirs quotidiens s'effacent jour après jour, en un éternel recommencement, ne laissant dans sa mémoire que le néant (tel le Zéro d'Euler).



Sa vie n'est dès lors plus rythmée que par sa confection des petits papiers qu'il s'attache à ses vêtements, comme des aide-mémoire pour ne pas oublier les choses essentielles, et aux allers-retours incessants entre son lit, son fauteuil et son bureau où il s'adonne à ses deux passions : la collection de cartes de joueurs de base-ball et les énigmes mathématiques, seules activités où son cerveau peut encore laisser parler son imaginaire (tel le i d'Euler).



Jusqu'à ce qu'arrivent dans sa vie sa nouvelle aide-ménagère, maman célibataire, et son petit garçon de dix ans, que le vieux professeur surnommera tendrement Root, en référence à la racine carrée que lui rappelle la forme plate de son crâne.



Le professeur leur fera découvrir son univers complexe, il leur parlera des nombres amis et des nombres jumeaux et leur apprendra la beauté des mathématiques.

De Root et sa maman, il apprendra à s'ouvrir sur le monde extérieur quatre-vingt minutes durant, jour après jour.



A force de patience, de petites attentions et de beaucoup d'amour, ces trois-là élèveront leurs trois coeurs en un lien asymptotique transcendant (tels le e et le Pi d'Euler) qui les unira à jamais.





Une histoire tendre, touchante, que Yôko Ogawa dépeint avec beaucoup de pureté et de pudeur, un long poème sur les petits plaisirs de la vie, sur les liens intergénérationnels et sur les troubles de la vieillesse.



Une émotion particulière en repensant à mon grand-père dont la mémoire s'est un jour envolée, pour quatre-vingt minutes, puis pour quelques mois puis pour ses dernières années, sans que des petites notes accrochées à sa veste ne lui soient d'un quelconque secours. Une période où je l'écoutais tendrement me conter les petites anecdotes « du jour », sans pouvoir lui dire qu'elles dataient parfois d'un temps certain...



Je lui dédie ce billet... Il aurait eu cent ans cette année.

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La Formule préférée du professeur

« La vérité ultime des mathématiques se dissimule discrètement à l'insu de tous au bout d'un chemin qui n'en est pas un. »



Quel livre magnifique ! C'est d'une poésie et d'une délicatesse...



Je n'aime pas particulièrement les mathématiques (doux euphémisme) mais je les ai vues enfin d'une autre manière. Comme un tout qui compose l'univers. Comme une partie de moi et moi reliée à l'univers. Même des formules avec des e ou une racine carrée ont une beauté que je n'imaginais pas. Root. Tout comme l'aide ménagère, j'ai eu une révélation en quelque sorte grâce à la lecture de ce livre. L'infini... Autre chose qui m'a beaucoup marqué avec cette lecture, c'est le respect et l'empathie pour l'autre. La manière dont l'aide ménagère et son fils prennent soin du vieux professeur pour ne pas le heurter avec sa mémoire limitée, à plus d'une heure. Et l'amour de l'enfance qu'il faut protéger à tout prix. C'était vraiment beau.
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