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EAN : 9782021497687
120 pages
Seuil (01/04/2022)
3.88/5   12 notes
Résumé :
Le 7 février 1497, le moine Savonarole fait édifier à Florence un immense bûcher, dans lequel sont jetés œuvres d’art et accessoires frivoles ; le même jour, Josquin Des Prés compose un lamento à la mémoire du maître de chapelle Johannes Ockeghem. Là où l’un décompose, l’autre propose ; d’un côté les flammes rageuses de la destruction, de l’autre l’eau vive de la déploration.

Partant de ces deux conceptions opposées de la vanité humaine, Sous d’autres... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Dérivé de la phrase d'ouverture du Livre de l'Ecclésiaste de l'Ancien Testament, Vanitas vanitatum et omnia vanitas (Vanité des vanités, et tout est vanité), souvent associé à la locution Memento mori (Souviens-toi que tu vas mourir), le terme vanité nous rappelle l'éphémère condition de l'existence. Parfois prétexte à de sévères positions moralisatrices dont on peut trouver un paroxysme dans le bûcher des vanités du moine Savonarole au XVe siècle, le thème a aussi de tout temps obsédé la création artistique, en particulier la littérature.


Nous entraînant, entre fascination et répulsion, des corps pétrifiés de Pompéi aux stupéfiants lithopédions - ces foetus extra-utérins calcifiés dans le ventre maternel faute d'un terme possible à la grossesse - , des théâtres anatomiques aux peintures de vanités flamandes, enfin du film d'épouvante La Momie de Karl Freund à l'inconcevable mort de son père, Claro s'en empare à son tour, dans une exploration de notre rapport à la mort et de son influence sur l'écriture, en particulier la poésie.


De cette méditation résulte une mélopée en quatre longs couplets, se concluant chacun par leur « précipité », soit une suite obsédante de mots clés qui semblent le fruit d'une écriture automatique. Scandée sur un rythme poétique où les strophes déferlent en une vaste respiration, la prose s'écoule telle une rivière en une phrase unique, sans majuscule initiale ni point final, créant sa propre ponctuation comme pour mieux simuler cet infini passage de la vie dont chaque homme n'est qu'un maillon. Et comme il réinvente - à point on ne peut plus nommé - le jeu surréaliste du cadavre exquis en mêlant à sa logorrhée les vers d'innombrables de ses prédécesseurs, sa propre voix semble se fondre dans la clameur déploratoire de tous ces poètes depuis longtemps retournés à la poussière, avant que d'autres ne viennent à l'infini prendre le relais.


Indéniable et géniale prouesse littéraire, cet ouvrage bluffant que l'on se plaît à imaginer déclamé sur une scène de théâtre - en compatissant volontiers pour la mémoire du récitant -, nécessite aussi quelque effort côté lecture. Très peu conventionnel, parfois même assez hermétique, il pourra séduire autant que rebuter, mais n'en restera pas moins une expérience littéraire de qualité.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Memento mori et bûchers des vanités : sous couvert funèbre, une formidable exploration poétique du lieu mystérieux où se nouent la littérature et la vie. Claro au sommet de son chant.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/04/19/note-de-lecture-sous-dautres-formes-nous-reviendrons-claro/

Le 7 février 1497, le moine dominicain Girolamo Savonarole dresse à Florence, qu'il dirige depuis trois ans à la faveur de la conquête française, son bûcher des vanités, où se tordent dans les flammes miroirs, cosmétiques, robes et bijoux, tous ces facilitateurs du péché vigoureusement collectés auprès des habitants par une armée de jeunes disciples.

À peine un an plus tard, le 23 mai 1498, sur la même piazza Signoria, c'est le corps du prédicateur politicien, excommunié et destitué, qui vient se tordre dans les flammes matérielles de la condamnation spirituelle.

Le 6 février 1497, un jour seulement avant que les fards ne se consument en étincelles à Florence, Johannes Ockeghem, compositeur influent – déjà décisif, pourrait-on tenter presque anachroniquement – entre Guillaume Dufay et Josquin des Prés (qui lui consacrera un lamento à cinq voix en forme d'hommage funèbre), s'éteignait à Tours, dans la paisible bienveillance convenant à un talentueux maître de chapelle des rois de France.

De ce télescopage simultanément doux et brutal de dates, de lieux et de visées, mais aussi de celui, pouvant être orchestré en mobilisant les imaginations littéraire et poétique (mais aussi intime et politique, on le verra), du lithopédion d'Auxerre ou d'ailleurs – cet « enfant de pierre », résidu calcifié d'une grossesses ignorée – et de la figure de la momie telle que Karl Freund la confiait à Boris Karloff en 1932, comme de quelques autres rencontres au coin des tables de dissection, Claro extrait le plus formidable et lancinant Memento mori – ce si fameux « Souviens-toi que tu vas mourir », censé éclairer pour le meilleur ou le pire notre vie terrestre, dans l'esprit du christianisme médiéval où il fut d'abord popularisé, si l'on ose dire – qui puisse être imaginé, transmutant l'obsession flagrante de la peinture flamande des quinzième et seizième siècles et les formes moins constantes qu'elle prit jusqu'à nos jours, jusqu'à celle, ironique en diable, des Streets de Mike Skinner (« Memento mori, memento mori / It's latin and it says we must all die / I tried it for a while but it's a load of boring shit / So I buy buy buy buy buy buy »).

Publié en avril 2022 dans la collection Fiction & Cie du Seuil, ce « Sous d'autres formes nous reviendrons » me semble constituer un livre essentiel en général et dans l'écriture de Claro, en particulier.

Utilisant comme en se jouant, en guise de matériau brut initial, les entrechocs historiques et pop-culturels qui fondaient « Livre XIX » (1997) et « CosmoZ » (2010), il produit ici une ahurissante et précieuse synthèse de l'exploratoire (« Hors du charnier natal », 2017), du vertige de l'au-delà (« Substance », 2019) et de l'intime comme enquête jamais achevée (« La maison indigène », 2020), synthèse provisoire dont il confie la maîtrise à la poésie, celle qui hantait les phrases palimpsestes de « Tous les diamants du ciel » (2012) et les échafaudages typographiques de « Crash-test » (2015), celle qui se dévoilait en rage majestueuse dans « Comment rester immobile quand on est en feu ? » (2016), et celle qui, ici, à la fin de certains paragraphes (on aurait envie d'écrire de certaines strophes, évidemment), signalée par un discret [entre crochets] dans la marge, sourd littéralement des convocations méticuleuses d'Antonin Artaud et de Franck Venaille, au tout premier chef, mais aussi de celles de Jacques Roubaud, Virginia Woolf, Armand Robin, Pierre Jean Jouve, André Suarès, Frédéric Boyer, Michel Butor ou Pierre Guyotat, entre autres voix d'épaulements ici si judicieux.

Comme Antoine Volodine tel que le lisait Lionel Ruffel en 2007, et bien qu'évoluant dans un univers à la fois totalement différent et tout aussi personnel, Claro échafaude ici un puissant dispositif scénique : en quatre mouvements, séparés et suivis de quatre précipités, il impose un sillon opiniâtre dans la tourmente, qu'elle tienne de la tempête sous les crânes, du vertige des listes ou du risque d'une résignation politique. « Se vêtir de cendres », « Retourner les morts », « Écrire à creux perdu », « Ramener à la vie » : quatre titres intermédiaires qui sonnent comme l'énoncé programmatique d'une littérature-monde. Là où Frédéric FiolofFinir les restes ») et Pierre DemartyManhattan Volcano ») proposaient leurs intenses contournements face à la sidération et au deuil, Claro invente une scansion poétique spécifique et fraternelle pour donner tout son sens à l'écriture, pourvu qu'elle sache toujours ⦁ échouer mieux ⦁ [beckett] et ⦁ crustacer ⦁ autant que possible [simon].
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Alors que nous nous remettons à peine de “La maison indigène” ( 2020, Actes Sud), l'auteur de Livre XIX, Chair électrique, Bunker anatomie, CosmoZ ou encore Tous les diamants du ciel ( liste très loin d'être exhaustive) revient avec deux tritres en 2022. Il y a tout d'abord « Amour laine » ( Les petites Allées éditions) pour dire une photographie de Marc Donikian, et puis au Seuil débarque « Sous d'autres formes nous reviendrons ».

Dans son nouveau livre Claro part du 17 février 1497, d'un coté le moine Savonarole, qui à Florence met au bûcher tout ce qui s'apparente à un symbole de richesse, ici brûle « poudres jaunes et sèches, fards aux tons pastel, pommades et onguents portant encore traces de doigt, peignes d'ivoire entre les dents desquels luisent quelques pois vénitiens arrachés à de clairs pubis, miroirs piqués, voilés, dentelles, étoles guipures, squelettes de percale, tanagras craquelés, globes de cristal plus fragiles que la plus fragile corné, incunables au cuir fendu, almanachs obscènes, libelles orduriers,gravures aux chairs roses, robes de bal aux manches épileptiques, jupons ajourés par le feu troussés, tibias percés des flûtes où siffle un faux parcelet, boyaux des cordes claquant au creux des braises, tableautins offensants, coupes agrémentées de putti replets, ciboires naguère consacrés au sang vicié des vignes, éventails satinés, gants de soie,… » Pendant que le même jour Josquin des Prés compose un lamento à cinq voix, une « Déploration » à la mémoire de son mentor Johan Ockecghem sur un poème de Molinet, « Nymphes des bois ».

Partant de ses deux versants de la même date, Claro va brasser des moments clés, des histoires, des lieux, des personnages pour mettre en opposition la vacuité inhérente à chacun que nous tentons invariablement de remplir par ce que l'on crée et la fatalité mortifère qu'est la fin de vie.

Ainsi l'auteur, par son récit dit l'impossible, tend à quérir l'alchimie qui se refuse au vivant, en tentant de s'affranchir de la mort par l'écriture. Ici le corps se meurt, l'esprit s'évapore mais les mots, et par son truchement la pensée, reste, ad vitam, l'empreinte qui légifère sur ce dogme qu'est la mortalité intrinsèque au vivant.

« ::: mort-vivant écrivant me voici en équilibre, autre moi-même gris et noir tour à tour entier et sécable, tenaillé entre tronc-oui et écorce-non, face à mon dos et dos à ma face, en état de mi-néant, »

L'auteur dit, écrit, dépose dans ses mots, et ceux empruntés à ses pairs l'apparente vanité de créer, si ce n'est cette nécessité vitale, cette urgence, de remplacer la vacuité par autre chose, un bout de soi, de son histoire, des histoires et de cette étincelle qui électrise le champ de possibles.

Mais au-delà de ce que l'auteur dit, il y a ce que le lecteur prend et lit. S'aventurer dans ” Sous d'autres formes nous reviendrons c' est accepter de plonger dans les cercles de la création avec Claro en Virgile, c'est accepter de se laisser balader et recevoir sans filtre les images et sensations que nous transmet l'auteur. Puis c'est cette sensation, ce moment qui suit une expérience forte, cet état, celui de n'être plus comme avant. Ici, le texte laisse sa griffe, marque en profondeur et interroge individuellement notre rapport aux vanités, à la vacuité et au besoin de créer avant la fin.

Passionnant, fin et érudit, ” Sous d'autres formes nous reviendrons” est un texte fascinant regorgeant de détails, de sens de la formule imparable et d'une poésie douce amer poignante portant en elle une envie de transcender le cadre du livre. Prenons le pari, lisez des passages à haute voix, écoutez les mots prendre leurs places dans l'espace, ce texte est bel et bien vivant et habité.

Tentez l'expérience de Claro, lisez ” Sous d'autres formes nous reviendrons” à coup sûr ce texte vous marquera autant par le fond que par la forme.

Beaucoup de choses plus pertinentes ont été dites sur son dernier roman, pour avoir une analyse complémentaire et plus complète je vous invite à lire l'excellent article d'Hugues Robert ici, et celui Mathieu Jung juste là.
Lien : https://www.undernierlivre.n..
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Pfiou quelle lecture...Claro revient sur la condition de mortel de l'homme, unique certitude de nos existences. Il y oppose la création comme un acte de vanité et ce y compris le travail d'écrivain. Pourtant, l'idée même de la mort est inspirante et créatrice... C'est là le noeud de nos existences et de l'art qui évoluent malgré la fatalité. Pour l'exprimer, Claro travaille une prose rythmée à la frontière de notre idée de la poésie, à la fois concrète et évocatrice. Il la construit sans point, sans affirmation et nous laisse combler les espaces. Il y glisse surtout des citations qu'il fait siennes, en convoquant des auteurs souvent méconnus (par moi la première), il élabore un texte sans âge qui se lit comme une prouesse d'écriture.
"Sous d'autres formes nous reviendrons" est un texte exigeant qu'on ne peut qu'imaginer récité -si jamais on me demande, c'est Itsik Elbaz qui doit s'en emparer sur scène. Je ne vais pas mentir, j'ai dû me relancer plusieurs fois dans les premières pages avant d'arriver à suivre les sinuosités du texte et de vivre cette belle mais sombre expérience de lecture.
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Ce livre si puissant tord les tripes triture les mots broie les chairs
Les mots fondent bouche, deviennent des ovnis vaniteux, la langue réinventée reprise étendue élastique sur les bords flous des corps. Inconstante la mort regarde le trou la face baignée de larmes elle implore restée côté, celui qui admire la lumière derrière l'étrange fascination des vivants envers ce qui n'est plus mais encore.
Le corps dépouillé découpé examiné sous les yeux puissants de ceux qui pensent à la place.
Les poètes sont des monstres révoltés, Claro est un maître.
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critiques presse (1)
LeMonde
22 avril 2022
Les deux choses que j’éprouve aussitôt en commençant Sous d’autres formes nous reviendrons, de Claro, c’est d’une part la nécessité de lire ce texte à voix haute, de le faire résonner et entendre, d’autre part le désir ardent de le citer longuement, encore et encore.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
::: sous terre on le sait les défunts pompéiens durent patienter sous trois mètres de terre pesante, calés voûtés pliés sous des tombereaux de lave, de pierres ponces, blanches puis gris verdâtre, de couches de sable volcanique et de lapilli, de cendre et de sable mêlés de bois calciné, et encore de la cendre, encore des lapilli, puis, enfin, couronnant le tout, la terre, rien que la terre, à fouler mille fois sous d’autres temps par d’autres hommes d’autres mémoires, d’autres mémoires d’hommes nus eux aussi,

::: et il faut attendre 1860 pour qu’une parodie de renaissance soit offerte aux cadavres vésuviens, et qu’un inspecteur des fouilles du nom de Giuseppe Fiorelli injecte du plâtre liquide sous pression dans les cavités ménagées par leurs corps défendus, travaillant ainsi à creux perdu, puisque telle est la formule de rigueur, confectionnant un moule à partir de celui, naturel, créé par l’alliage de roches et de cendres, n’ayant plus alors qu’à détruire le moule ainsi obtenu pour mettre à nu le plâtre originel, et dans ce travail à creux perdu se joue peut-être l’impossible résurrection, l’ultime avatar de la chose humaine tour à tour surprise effrayée asphyxiée ensevelie calcinée décomposée moulée exhumée démoulée et enfin exposée, son être transitoire renonçant à la vanité de sa présence sur terre pour s’épanouir dans la vacuité de son absence sous terre, renaissant alors, à la faveur d’une archéologique prestidigitation, sous forme statuaire, comme si vivant l’enterré l’était en soi-même, sa mort à jamais protégée • car c’est tout de suite, c’est à présent, c’est maintenant à chaque instant que s’accomplit sous nos yeux la tombée en cendres de nos existences • délivrés de nos souffles, [frédéric boyer]
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::: si les objets sont pareils à des morts, et qu’une fois déposés sur la toile ils deviennent ce qu’on appelle des vanités, se peut-il que sur la page – celle-ci ? – certaines choses finissent par prendre une teinte autre, une teinte en creux mais non moins éloquente, disons en vrac : la figure du père ou l’ombre de la mère, tel souvenir d’enfance tel dépôt de savoir, ce qui fait qu’une maille un jour s’est défaite, disons le vrac et tout ce qui va à l’avenant d’une vie mal vécue, et qui ici, tracé à l’encre noire, serait susceptible de trôner tel un crâne caressé par la lumière d’un Philippe de Champaigne, et aussitôt s’impose à moi une analogie, qu’à raison sans doute j’ai qualifiée plus haut d’inquiétude : un livre en sa somme, la somme qu’un livre assume, n’est-elle qu’un impur ramassis de vanités ?

::: de même que le peintre ordonne sur la toile les divers attributs de la vie vaine, de même l’écrivain ne fait-il pas de la page un autel, une branlante prédelle sur laquelle exhiber, maquillées, ses icônes intimes, otages du vide de la page qui tremble et ne tremble pas,

::: aveugle métier que celui d’écrivain, aveugle celui qui de ce métier fait et défait sa vie, amer ce cœur vinaigre qu’il presse éponge, ce cœur de rouille qu’il démonte rouage après rouage, le jour entier décanté en un bloc de nuit qu’il voudrait baroque, carrossé de mille palpitations, aveugle et sourd, imbécile, hanté de tout et de rien, et si ce métier est le mien c’est bien qu’en lui un vide m’attire, et que par sa pratique je cherche à faire rendre gorge à je ne sais quel horrible vacuum encombré de mots, à moins qu’il s’agisse d’éprouver la résistance d’une membrane, de percer cette drôle de peau de pourceau raclé qui enveloppe protège quoi recèle quoi interdit quoi – le secret de soi sûrement pas, la mémoire de ce qui me précède j’en doute – mais quoi alors, quel infâme couac, serait-ce l’énigme de la mort vivante qui scintille dans le travail d’écriture, comme si écrire c’était épouser une spirale descendante où se vrillant soi-même on pourrait s’extraire tout entier de soi-même, afin de laisser s’exprimer, une fois expulsé tout ce qui fait office de soi, l’être-trou, • la tristesse hideuse du vide, / du trou où il n’y a rien, / il ne souffle pas le rien, / il n’y a rien, / c’est autour du trou, / au point où les mots se retirent, / un trou sans mots, / syllabes sans sons • [artaud]

::: écrivant-écrivain au fond du vain cherchant à passer outre, est-ce là une ruse du vain, qui veut croire qu’en deçà il y a quelque chose, autre chose, ni vérité ni mensonge, juste un brin, un grain, une graine, à cultiver envers et contre tout, pour mieux recommencer, ne pas capituler, tant pis si c’est à rebours de soi qu’il faut désormais s’avancer • je me dis que quelqu’un qui n’est plus un vivant et, le temps de quelques lignes, pas un mort, ce doit être ça un écrivain • [fourcade]
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::: le sachant le voulant je reviens aux vanités
et les vanités me reviennent, dans mon corps
elles incubent et de lui se repaissent, comme
un amour ancien qui se croit tout permis, leur
heure n’est jamais la mienne, vanités chéries,
éternelles offenses à l’horloge du monde,
le bruit qu’elles font c’est le silence que
j’entends, et j’ai beau peupler de langage le
langage, rien n’y fait, le carton se détrempe le
papier se fend la peau cède, sous le paragraphe
rêvé et charnu on perçoit comme un très léger
vrombissement, la lugubre aria des vrillettes,
des larves de vrillettes qui forent inexorable-
ment pendant que que la langue lèche la langue,
mettant à nu une absurde cathédrale d’os,
et au centre de cette nef creuse et décharnée
que dire penser écrire ⦁ je ne suis rien / et
le monde m’échappe / je fais un grand tas
de bois de ma vie / et dans les longues nuits
venises / timidement m’en réchauffe / que fait
la flamme / qui s’élance impalpable ? / je ne
suis rien / que cet homme brûlé / voici les
parcours sans fin de la terrible mémoire du
monde / d’où je sors consumé / jamais né
pourtant ! / rien / vraiment / que brasero /
autour duquel / j’organise la danse ⦁ [venaille]
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::: (...), et de même qu’il existe des vierges encloses sous verre, ou plutôt des statuettes représentant la vierge que mouche une cloche, comme si on voulait en préservant cette sainte icône de la moindre poussière établir la preuve irréductible de sa virginité, et peut-être par là même changer son immaculée réclusion en éternité de solitude,

::: de même certaines de nos idées, forgées sans doute par le mensonge, nous les enfermons dans une bulle d’apparat, interdisant ainsi aux autres d’y toucher, les mettant au défi de déposer à leur surface l’insultante crasse de leur suspicion, jusqu’au jour où, soit maladresse, soit agacement, l’ensemble soudain bascule, le verre en mille éclats se disperse, et sur le sol c’est-à-dire sous nos yeux c’est-à-dire dans notre esprit voilà l’idée naguère pérenne réduite à sa plus concrète expression dispersion reddition, gisante parmi les gisantes,

::: les oubliées, et de même que Marie dé-transfigurée par quelque vandale apparaîtra sous la forme d’une femme en plastique enduite de peinture phosphorescente et pourvue d’une auréole amovible, de même l’idée, une fois dessertie de son socle de vaine évidence, nous semblera un piètre artefact, ou mieux, ou pire, une poupée sotte et qui plus est contenant peut-être, contenant encore, l’être tout aussi sot qui la crut à jamais à l’abri du calcaire du temps, le débile démiurge qui l’espéra pure alors qu’elle n’était que corruption manufacturée, plastique en sursis, enduit verdâtre, aussi verdâtre que les organes qui en elle et en nous à chaque seconde apprennent l’art de pourrir en silence • car nous allons comme des vessies soufflées, nous ne sommes pas plus qu’une bulle d’air • [pétrone]
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au-dessus des reliques du défunt maître…



::: au-dessus des reliques du défunt maître de
chapelle s'élance alors le requiescat de saint
Josquinus, un quintuor vocal – superius, altus,
contratenor, tenor & bassus – qui tisse sa prière
contrapuntique à des milliers de lieues et cris
de Savonarole, oui, voilà qu'aux prêches
météoriques du Florentin répond, flanqué de
fidèles harmoniques, le cantus firmus du teneur
qui, loin de fracturer les cieux ou dépouiller les
corps, porte la paix de l'âme à son plus haut
point de réfraction • car d'Atropos les
molestations / vostr' Ockeghem par sa rigueur
attrape / vray tresoir de musique et chief
d'oeuvre • et bientôt meurt le moine, pris aux
rets mêmes qu’il avait tendus afin de
braconner les âmes volages, tandis
qu’Ockeghem s’en va reposer dans le lit d’une
rivière votive, chacun d’entre nous invité à se
vêtir de cendres • acoutrez vous d’abitz de
doeul, / Josquin, Brumel, Pierchon, Compere,
/ et plorez grosses larmes d’oeul, / perdu avez
vostre bon père, / requiescat in pace, amen •
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Pourquoi l'échec serait-il forcément négatif. N'y aurait-il pas un peu de plaisir coupable à échouer ? Avec ce nouvel essai, L'échec paru aux éditions Autrement, Claro pose la question de Comment échouer mieux. "Seul l'exercice de l'échec permet d'élargir le champ des possibles. Si, comme le disait Beckett, il importe d'échouer mieux, c'est sans doute parce que créer ne veut pas dire réussir, mais plutôt soutirer à l'obscurité un aveu de lumière. Au risque, consenti, d'aboutir à une impasse – c'est là non une malédiction, mais une chance". Pour ce faire, Claro aborde entre autres Kafka, Pessoa, Cocteau et Hitchcock, des grands noms qui ont un point en commun, celui d'avoir échoué. Avec beaucoup d'humour et une grande sensibilité, l'auteur nous invite à réfléchir et à repenser nos limites ainsi que nos faiblesses et les regarder avec un nouveau prisme pour que ces derniers nous aident à avancer.
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