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René-Noël Raimbault (Autre)G.-L. Rousselet (Autre)Roger Grenier (Autre)
EAN : 9782070375318
339 pages
Gallimard (22/02/1984)
3.81/5   107 notes
Résumé :
Elle était arrivée au sol avec sa robe, que le vent avait déchirée ou libérée des courroies du parachute, remontée jusqu'aux aisselles, et elle avait été traînée le long du terrain jusqu'à ce qu'elle fût rejointe par une foule hurlante d'hommes et de jeunes gens, au centre de laquelle elle était maintenant étendue à terre, vêtue seulement, des pieds à la ceinture, de boue, des courroies du parachute et de ses bas.
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Pylon
Traduction : R. N. Raimbault & G. L. Rousselet
Préface : Roger Grenier

ISBN : 9782070375318

Extraits
Personnages


"Pylône" est un roman déconcertant. Peut-être parce que, pour une fois, Faulkner abandonne le comté dont il s'affirmait avec panache le "seul propriétaire" et qu'il avait créé en se fondant sur ses souvenirs d'enfance dans le Mississippi, à savoir le comté de Yoknapatawpha. Pour autant, nous ne quittons pas le Sud des Etats-Unis car la ville de New-Valois n'est autre que La Nouvelle-Orleans. Mais si l'on excepte cette localisation, rien, dans "Pylon" ne se rattache aux grands mythes et traditions sudistes - ce qui explique pourquoi son auteur le tenait pour "anti-faulknerien". William Faulkner, qui s'inventa sans vergogne un glorieux passé de pilote de guerre alors qu'il ne fut - et pour cause, la Grande guerre s'acheva quelques mois avant que lui-même eût terminé sa formation - jamais envoyé au front, rend ici hommage aux pilotes professionnels, aux "fous volants" à une époque où, rappelons-le, l'aviation était encore une activité des plus dangereuses. Rappelons aussi au passage que, avec les droits d'auteur qu'il reçut pour "Sanctuaire", Faulkner, en qui on retrouve beaucoup du jeune Bayard Sartoris et de sa passion de la vitesse, s'offrit un petit avion qu'il donna ensuite à son frère Dean. Or, celui-ci devait y trouver la mort l'année même de la parution de "Pylône", en 1935.

L'intrigue est pour ainsi dire minimaliste même si, comme d'habitude chez Faulkner, le lecteur retrouve ce style incomparable, que la traduction ne peut entamer et qui se perd si souvent dans un véritable labyrinthe de phrases qui se croisent, s'entrecroisent et sinuent à travers tout le texte, un peu à la façon d'un Proust qui aurait lu Joyce. Un journaliste - dont on ne saura jamais le nom, nom qui semble pourtant assez connu toutes les fois qu'il le révèle mais jamais au lecteur, hélas ! toujours à tel ou tel personnage qui, à son tour, ne le reprend pas, se contentant de s'étonner - se rend à une manifestation aéronautique. Là, il tombe sur un trio qui le fascine d'emblée : Roger Shumann, pilote aussi habile que téméraire, son épouse, Laverne, mécanicienne et parachutiste quand il le faut, et Jack Holmes, un parachutiste professionnel. Etrange triangle amoureux (ou simplement sexuel ?), presque toujours sur les nerfs, qui prend cependant grand soin de l'enfant que Laverne a eu officiellement de Shumann même si, en réalité - on ne le saura qu'à la toute fin du livre - Holmes en est le vrai père.

C'est cette histoire pour le moins embrouillée et assez glauque, qui en choque plus d'un dans le milieu pourtant assez libre où évolue le trio, que Jiggs, mécanicien qui travaille avec le trio, raconte au journaliste, déjà largement sous le charme de Laverne et de ses deux chevaliers servants. le coup de foudre ressenti par le journaliste s'applique aussi bien à l'ambiguïté sexuelle de l'affaire qu'à cet ensemble en apparence si parfait, si fluide, si étranger à sa propre condition personnelle que forment le trio, l'enfant, le mécanicien alcoolique et le mode de vie à risques qu'ils semblent avoir choisi sans aucune hésitation. Il se lie avec eux ou disons qu'il s'impose à eux et va leur permettre, après un accident qui les prive de leur vieux coucou, de se procurer un autre avion, de façon à ce que Shumann puisse concourir une nouvelle fois et remporter un prix substantiel qui permettra au trio - et à leur enfant - de vivre jusqu'au prochain meeting sans problème financier.

On s'en doutait depuis le début, le Destin en décidera tout autrement.

Livre tragique une fois encore, "Pylône" raconte l'errance complètement folle et abondamment alcoolisée - le journaliste sans nom et Jiggs sont des ivrognes invétérés - de quelques personnages résolument marginaux, pour qui l'existence ne se conçoit pas sans qu'ils puissent la vivre comme ils l'entendent. Tous, sans exception, ont ce grain de folie, cette obsession fatale qui accablent les héros faulkneriens. le thème de l'homosexualité latente, inhérent à un monde qui s'affiche comme strictement viril, et qui perce par ailleurs chez des personnages comme le Joe Christmas de "Lumière d'Août" ou encore dans la relation entre Charles Bon et le fils Sutpen d'"Absalon ! Absalon !", affleure avec plus ou moins de netteté, uni à cette vision souvent trop négative que Faulkner avait de la Femme. Esquissée d'un trait plus fantastique que réaliste, et pourtant très présente, la ville de New-Valois prête à l'histoire la moiteur paresseuse de ses nuits tièdes où, parmi les senteurs des magnolias, déambulent, se poursuivent et se déchirent nos personnages, plongés dans une quête mal définie et qui n'est sans doute que celle de ce qu'ils sont vraiment. de temps à autre, les avions ronflent, s'élèvent, atterrissent mais aussi s'écrasent ... La vie, on le sait bien, ne fait pas de cadeaux. Surtout pas chez Faulkner.

Un roman assez court, ramassé et puissant. Une oeuvre peut-être mineure diront certains mais alors mineure comme le sont ces textes sur lesquels l'écrivain, quel qu'il soit, se repose, au sein d'un vaste cycle, avant de plonger à nouveau dans sa "grande oeuvre." "Pylône" fut, dit-on, d'ailleurs conçu alors que son auteur se trouvait en panne d'inspiration pour "Absalon ! Absalon !" Et précisons aussi, à tous les traumatisés du "Bruit et la Fureur", que le style de "Pylône", malgré certaines déviances aussi poétiques que fortement éthyliques, respecte pour une fois la linéarité du récit. Nous espérons que cela les encouragera à persévérer dans leur découverte de celui qui fut, peut-être, le plus grand écrivain américain du XXème siècle. ;o)
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Beaucoup pensent que Faulkner a donné un grand coup dans le derrière ronflant de la littérature de son époque par son écriture cinglante, acerbe et tranchante, par sa forme déstructurée, délinéarisée, composée de manques, de zones d'ombre qui, quand ils sont éclairés et comblés, le sont bien après, le temps de laisser le lecteur dans l'incertitude et la perplexité ; et par la vérité et l'intensité de ses tragédies.
De ce fait, lire Faulkner est une véritable aventure, un véritable travail. On ne s'amuse pas lorsqu'on lit Faulkner. On s'interroge, on s'énerve, on s'irrite, mais au bout du compte on est bouleversé parce qu'on se laisse toujours prendre au piège de ses pathétiques récits, on se laisse toujours attendrir par ses personnages insignifiants, décalés, marginaux, et idiots qui choisissent toujours le mauvais chemin, celui qui les amènera vers le précipice.
"Pylône" , écrit en 1934, fait partie des grandes oeuvres de Faulkner, récit du passage d'aviateurs saltimbanques et acrobates dans une ville ressemblant à la Nouvelle Orléans, venus célébrer l'inauguration du nouvel aéroport. La fête peut sembler belle, mais à y regarder de plus près, les guirlandes défraîchies et les confetti maculés de vomissures croupissants près des caniveaux nous montrent que les héros de ses réjouissances en sont aussi les victimes.
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Drame.
Pas de pylônes dignes d'un agent edf ou des telecom, ici le pylône est celui de tous les dangers, le catapulteur d'adrénaline, celui qui délimite la course et la peur. Ces avions qui se lancent dans ce premier quart du XXème siècle dans des courses folles lors de meeting, qui se tordent d'un pylône jusqu'à l'autre, voilà les deux épingles que Faulkner tend à rompre au dessus de la trame de son roman.
Trame pour drame et quatre ou cinq personnages pour ce théâtre fou. Car c'est la folie qui dirige ici ne vous y trompez pas, Faulkner ne souhaite nul salut pour vos âmes éperdues, ils veut vous perdre bien au contraire. New Valois pour Nouvelle Orléans, mais peu importe, Faulkner assène le drame d'une écriture de dégénéré, fou, et nous livre un pilote, un parachutiste, leur femme, son enfant, un mécano et un reporter, ce funambule sans nom, jouant sa vie sur le fil de sa prose, les événements floutant sa perception, l'alcool aidant, et réalisant lui-même cette histoire. Il est Faulkner parce qu'il construit la déchéance des personnages qui l'entoure.
Pylône est un roman fou, impitoyable pour le lecteur tant le rythme vacille à chaque page, tant l'action ne noie dans un flux de paroles, dans l'inintelligibilité, tant les personnages grandissent comme des ombres au fil de la lecture venant noircir de leur pauvres ongles le peu de cohérence qu'on aurait pu ici distinguer, grattant les lignes et les paragraphes, nous éloignant du sens, peu à peu, à mesure que le drame se noue.
Pylône est un roman de William Faulkner qui, à cours d'inspiration dans la rédaction d'Absalon, Absalons ! décida de livrer un opus sur les courses d'aviations, théâtres de héros modernes. Lui-même pilote mais frustré de guerre, il dirige le roman comme une charge, vers qui, pourquoi ? Qui sait ? Pylône est un roman difficile qui heurt longtemps le rythme que l'on croyait pouvoir tenir un livre en main, voilà aussi pourquoi c'est un livre essentiel pour le moins.
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Une histoire d'amour maléfique, une passion pour l'aviation après la seconde guerre mondiale, une tragédie faulknérienne qui nous entraîne sur les traces de pilotes et parachutistes brinquebalants, dont une femme, deux hommes et un enfant, né sur un parachute dans un hangar. Les héros de Pylône risquent leur vie au gré des meetings aériens et ont une frénésie à voler, en passant de manière effrénée de courses empathiques à fêtes de quartier, dans la ville américaine fictive de New Valois en Franciana, inspirée de la Nouvelle Orléans. le grand écrivain William Faulkner, prix Nobel de littérature en 1949, commence ainsi son premier roman Monnaie de singe : « On avait arrêté la guerre avant qu'il n'ait eu le temps d'y entrer ». Lui-même engagé dans l'armée canadienne durant la seconde guerre mondiale et démobilisé, dès l'armistice en 1918, avant d'avoir terminé sa formation de pilote, mentira ensuite sur de soi-disant séquelles rapportées du combat. Dans Pylône, il rend hommage à sa passion inaboutie pour l'aviation, dont les bienfaits littéraires et les relations humaines diffusent la tristesse terrienne de sueur et de sang. Une stimulation intellectuelle intéressante, pour la mission Alpha de l'astronaute Thomas Pesquet, en 2021, prévue aujourd'hui, le 22 avril, et déjà décalée. Il faut savoir être patient lorsqu'on aime l'air !
A lire et à relire.
Livrement vôtre
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Roger Shumann et Jack Holmes sont des déclassés, des marginaux saltimbanques, des prolétaires trompe-la-mort. Accompagnés de Laverne avec qui ils forment un nébuleux ménage à trois et de son fils Jack, dont on ne sait pas précisément lequel des deux est le véritable père, secondés d'un jeune mécano, Jiggs, ils sillonnent le sud des Etat-Unis, de meeting en meeting pour gagner de quoi vivre et joindre la prochaine étape. Ils misent leur vie, encore et encore, à se produire, véritables phénomènes de foire : Roger dans des courses aériennes autour de pylônes à bord de coucous, de zinc essoufflés qui ne lui appartiennent pas ; Jack en pratiquant des sauts en parachute, affublé d'un sac de farine pour rendre sa chute vertigineuse visible aux foules massées en contrebas et avides d'émotions faciles aux dépens de pauvres ères en quête de primes et de prix aux montants dérisoires. Un reporter paumé, étique et délabré les rencontre, qui partagera l'absurde de leur existence, comme hypnotisé, étourdit par les vapeurs d'alcool, menacé par les vertiges de l'inanition et rongé par l'insomnie. La prose de Faulkner étire le temps et le fragmente; le récit se déroule, énigmatique et curieux, s'étire et se déforme dans une mise au point progressive et retardée, pour se résolver finalement, comme de guerre lasse. Une oeuvre noire, curieuse et désespérée.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... Les deux [avions] qui tenaient la tête amorcèrent leur virage en même temps, côte à côte, leur grondement sourd augmentant et diminuant comme s'ils l'aspiraient dans le ciel au lieu de le produire. Le reporter avait encore la bouche ouverte ; il s'en aperçut au picotement nerveux de sa mâchoire endolorie. Plus tard, il devait se rappeler avoir vu le cornet de glace s'écraser dans sa main et dégouliner entre ses doigts tandis qu'il faisait glisser à terre le petit garçon et le prenait par la main. Mais ce n'était pas encore maintenant. Maintenant les deux avions côte à côte, Shumann en-dehors et au-dessus, contournaient le pylône comme s'ils étaient liés, lorsque soudain le reporter vit quelque chose comme un léger éparpillement de papier brûlé ou de plumes flottant dans l'air au-dessus du sommet du pylône. Il regardait, la bouche toujours ouverte, quand une voix quelque part fit "Ahhh !" et il vit Shumann bondir à ce moment presque à la verticale, puis une pleine corbeille à papier de légers débris s'échapper de l'avion.

Un peu plus tard, les gens racontaient sur la piste qu'il avait utilisé le peu de contrôle qui lui restait, avant que le fuselage ne se brisât, pour s'éloigner par une montée en chandelle des deux avions qui se trouvaient derrière lui, tandis qu'il regardait au-dessous de lui le terrain bondé de spectateurs, puis le lac désert, et choisissait, avant que le gouvernail de profondeur ne fût devenu complètement fou. Mais la plupart étaient fort occupés à raconter comment sa femme avait supporté la chose : elle n'avait pas crié, ne s'était pas évanouie - elle était tout près du micro, assez près pour qu'il eût pu capter le cri - mais elle était simplement restée là, debout, regardant le fuselage se casser en deux en disant : "Oh ! maudit Roger ! maudit ! maudit !" puis, se retournant, elle avait empoigné la main du petit garçon et couru vers la digue, l'enfant agitant vainement ses petites jambes entre elle et le reporter qui, tenant l'autre main de l'enfant, courait de son galop dégingandé avec un léger bruit, comme un épouvantail dans une tempête, après le fantôme étincelant et pur de l'amour. Peut-être fut-ce le poids supplémentaire qui fit que, toujours courant, elle se retourna et lui lança un simple regard, glacial, terrible, en criant : "Que le diable vous emporte ! Foutez-moi le camp !" ... [...]
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[...] ... [Le reporter] tenait le journal à distance, la figure penchée de côté, ses yeux louchant pour éviter la fumée. "Shumann stupéfie les spectateurs en enlevant à Bullitt la seconde place," lut-il. "Qu'est-ce que vous pensez de ça ?

- Je pense qu'ils sont tous dingos," répondit le liftier sans lever les yeux sur le reporter. Il reçut la pièce de monnaie dans la même main qui étreignait une pipe en épi de maïs culottée et éteinte, toujours sans le regarder. "Ceux qui font ça et ceux qui paient pour le voir." Le reporter ne le regarda pas davantage.

- "Oui, il les a épatés," poursuivit celui-ci en lisant le journal, puis il le plia et essaya de le fourrer dans sa poche avec l'autre déjà plié et exactement semblable. "Parfaitement, un tour de plus et il les aurait encore plus épatés en enlevant à Myers la première place." L'ascenseur s'arrêta. "Oui, épatés ... Quelle heure est-il ?" De la main qui, à présent, tenait à la fois la pièce de monnaie et la pipe, le liftier souleva la montre, dont le cadran était en dessous, et la lui présenta. Pas un mot, pas même un regard vers le reporter ; il était seulement assis là, attendant, tenant la montre avec une sorte de lassitude patiente, comme l'invité de la maison faisant voir sa montre au dernier d'une ribambelle d'enfants. "Dix heures deux ?" fit le reporter. "Exactement dix heures deux ? Diable !

- Ôtez-vous de la porte," dit le liftier. "Ca fait courant d'air par ici." La porte claqua de nouveau derrière le reporter. En traversant le hall, il essaya encore de fourrer le journal dans sa poche avec l'autre. Grotesque et multiple, son image miroita dans les glaces de la porte, puis disparut brusquement. La rue était déserte, et pourtant même là, à quatorze minutes de marche de la rue Grandlieu, la nuit de février était pleine d'un brouhaha confus, d'un sabbat assagi et discipliné. Au-dessus de la tête, au-delà des bouquets de palmiers, le ciel nébuleux reflétait la faible lueur de ce cañon interdit, submergé de serpentins et de confetti, à travers lesquels, comme sous une averse ininterrompue, défilaient les chars portant des mimes grimaçants et grotesques, rabougris, enfarinés, lamentables, entre deux haies contemplatives et statiques de visages éberlués couverts de confetti. Il marchait, non pas positivement vite, mais avec une sorte de hâte nonchalante et sans but, comme si ce n'était pas, en vérité, des figures humaines qu'il cherchait mais la solitude qu'il fuyait, ou même comme s'il rentrait réellement chez lui, ainsi que le rédacteur-en-chef le lui avait dit, mais en songeant à la rue Grandlieu, qu'il lui faudrait pour cela traverser, il ne savait comment. "Oui," pensa-t-il, "il aurait dû me renvoyer chez moi par la poste aérienne." Tandis qu'il passait d'un lampadaire à l'autre, son ombre le suivait résolument, à un demi-pas de distance, sur le trottoir et sur le mur. Dans la glace sombre d'une devanture, en jetant un regard de côté, il se vit marchant à côté de lui-même. Il s'arrêta, pivota, de sorte que, provisoirement, son ombre et son image se superposèrent. Il se contempla avec stupéfaction, comme s'il voyait encore sa propre épaule ployant sous le fardeau fantôme de la défunte après-midi, et il revit dans la glace, auprès de sa propre image, le sweater, la jupe, la claire chevelure indisciplinée [= de Laverne], tandis que, portant sur son épaule cet enfant doublement pourvu de père, il marchait côte à côte avec cette femme inconsciente doublement adultère.

- "Ah !" pensa-t-il, "le sacré petit bâtard à tête blonde ... Oui, ils vont se coucher maintenant, pour dormir ; tous les trois dans le même lit, à moins qu'ils ne l'occupent la nuit à tour de rôle, ou qu'il suffise d'y poser son chapeau le premier, comme chez le coiffeur." Il se regardait dans la glace obscure, long, maigre, mal ficelé, l'air d'un échalas dans des vêtements d'homme. "Ah," pensa-t-il, "le pauvre petit enfant de putain avec ses cheveux couleur filasse." Quand il changea de place, ce fut pour reculer devant un vieux bonhomme presque chancelant de fatigue, hâve, falot, encore plus minablement vêtu que lui-même. Il lui tendit les deux journaux pliés en même temps qu'une pièce de monnaie. "Tiens, grand-père," dit-il, "tu pourras peut-être encore te faire dix cents avec eux et te payer un demi de bière." ... [...]
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Car ils n’ont pas besoin d’argent ; ce n’est pas après l’argent qu’ils courent, pas plus qu’après la gloire, parce que la gloire, ça ne peut durer seulement que jusqu’à la course suivante, c’est-à-dire pas même jusqu’au lendemain. Il n’est donc pas besoin d’argent, sauf de temps en temps quand ils prennent contact avec l’espèce humaine, par exemple, une fois en passant, pour dormir ou manger dans un hôtel, ou encore pour acheter un pantalon ou une chemise afin de ne pas attirer l’attention de la police.
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Elle serait là - (l'éternelle odeur de café, de sucre, de chanvre s'égouttant lentement sur des plaques de fer au-dessus des plis lourds de l'eau brune, et, là-bas, là-bas, là-bas, tout le bleu suprême de l'espace et de l'horizon ; la pluie chaude à pleins canivaux charriant les têtes des crevettes mangées ; les dix mille inéluctables matins où dis mille plantes épiphytes ponctuent de leurs oscillations les efflorescences ramollies et scrofuleuses de la brique suintante, et les dix mille paires de pieds léonoriens, plats, bruns et mercenaires, tigrés de rayures par suite d'un armistice entre les jalousies et l'invincible soleil : le café noir et faible, la myriade de poissons mijotés dans un océan d'huile) - elle serait là demain et demain et demain ; non seulement ne pas espèrer, pas même attendre : seulement souffrir.
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Aussitôt la voiture quitta en se dandinant la rue Grandlieu et Jiggs se vit plonger au milieu des balcons de fer, embrassant au passage, d’un coup d’œil rapide, des cours dallées et malpropres, tandis que le bus avait l’air de se ruer à toute allure, avec un tintamarre épouvantable, à travers des rues pavées trop étroites, semblait-il, pour le contenir, entre de petits murs de brique d’où paraissait s’exhaler une lourde, substantielle et surabondante odeur de poisson, de café et de sucre et une autre indéfinissable et faible senteur sui generis de soutane et de renfermé : quelque relent ascétique de couvent médiéval.
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