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3,89

sur 1126 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
J'apprécie énormément Laurent Gaudé, et une fois de plus je ne suis pas déçue par la qualité de son écriture, ni son honnêteté d'écrivain. Cependant, j'ai été gênée par la structure du roman, ou des périodes de l'Histoire mondiale se télescopent, où l'on retrouve en dehors de toute chronologie, Hannibal marchant contre l'Empire Romain, Grant livrant bataille aux armées sudistes, Halié Sélassié, roi des rois, tentant de sauver l'Ethiopie face à l'armée de Mussolini, et qui bien des années plus tard sera haï par son peuple, et puis l'époque contemporaine avec ses luttes contre la barbarie et l'obscurantisme. Un livre très intéressant, très documenté, très riche, mais que j'ai trouvé parfois un peu confus par sa présentation, et donc pas si aisé que cela à lire. Un bon roman, mais pas un coup de coeur.
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Ecoutez nos défaites.
Ecoutez nos victoires qui se gagnent à coup de charniers.
Ecoutez nos victoires qui ont le goût amer de la défaite.
Ecouter les cris et les gémissements de douleur des combattants.
Ecouter le silence de la mort.
Ecoutez la complainte des hommes sacrifiés.
*
Laurent Gaudé est un très grand conteur. Je me suis laissée à nouveau emporter par ces multiples histoires. L'écriture, toujours aussi séduisante et mélodieuse, est une réflexion sur la futilité de guerre à travers les siècles avec ce constat :
« On ne peut partir au combat avec l'espoir de revenir intact. »
*
Quel est le prix à payer pour chaque victoire ?
Chaque conquête, chaque bataille n'est-elle pas entachée par ces milliers de morts qui reviennent nous hanter jour après jour ?
Le prix à payer n'est-il pas si lourd que chaque victoire s'apparente à une défaite ?
Que gagne-t-on au final ?
Comment peut-on vivre après une défaite, une victoire ?
Quelle cause vaut la peine de se battre ?
Quelle bataille gagnée est une victoire ?
*
Toutes ces questions sont au coeur de ce roman. Laurent Gaudé a choisi d'entremêler plusieurs histoires et plusieurs périodes historiques pour délivrer son message et nous amener à réfléchir sur le sens de la guerre.
Dès que l'on s'engage sur cette voie, on peut bien sûr y perdre la vie, mais, même si on en ressort victorieux, l'horreur de la guerre a amputé une part de notre humanité.
*
Assem Graïeb, surnommé « le chasseur », est un agent au service de la France. Après dix ans de missions d'élimination au Moyen-Orient et au Sahel, il est à un tournant de sa vie où, témoin des conflits de notre époque, il se pose des questions et commence à montrer des fêlures. Avec cette question qui revient comme un leitmotiv « Es-tu prêt à partir ? ». Sa prochaine mission consiste à approcher et évaluer un ancien membre des unités spéciales américain, Sullivan Sicoh, soupçonné de divers trafics, et de le « neutraliser » s'il n'est plus fiable.
*
Il croise le chemin, le temps d'une nuit, une jeune femme, Mariam, archéologue irakienne engagée dans un long combat pour préserver le patrimoine irakien de l'obscurantisme et du fanatisme d'hommes radicalisés. Elle est chargée de retrouver, d'expertiser les oeuvres d'art volées sur des sites archéologiques et dans les musées, mais aussi de tenter de préserver ce patrimoine du pillage et du saccage.
Ces quelques heures d'amour volées à leur vie d'engagement, de courage et de sacrifice ont déposé une trace indélébile sur leur existence et leur vision du monde.
*
Leur combat rappelle d'autres combats passés, des pages d'Histoire qui se sont construites dans le sang, la souffrance, la honte aussi parfois : celle d'Hannibal le carthaginois, fin stratège, marchant fièrement sur Rome ; celle du général Grant écrasant les confédérés durant la guerre de sécession ; ou celle moins connue d'Hailé Sélassié et de ses guerriers éthiopiens luttant avec courage et désespoir contre l'armée mussolinienne. Et bien sûr, toutes ces pages sanglantes d'hier et d'aujourd'hui qui ne sont pas évoquées dans ce roman, mais auxquelles on pense indiscutablement.
*
La construction du récit est assez déroutante et complexe au départ, car elle s'articule autour de fenêtres qui s'ouvrent sur un temps, sur un personnage et son histoire, entraînant un changement de narrateur et d'époque. Passée la surprise de cette narration inattendue, on suit avec plaisir les différents protagonistes. Les époques se chevauchent et s'entremêlent, mêlant les cris de souffrance et d'agonie dans un seul et même combat.
Tout cela pour nous rappeler que L Histoire a une odeur, celle des charniers, du sang qui coule et des viscères qui se répandent sur la terre.
Témoin muet et mémoire de nos batailles, de nos vies éphémères, L Histoire glisse sur le temps et le destin des hommes dont les traces encore visibles longtemps après leur passage doivent servir de leçon aux générations futures.
*
Mais au-delà de toute cette noirceur, il y a aussi un message d'espoir et d'amour. Un hommage pour le courage de ces femmes et de ces hommes qui luttent pour de justes causes. « Pour elle, vivre c'est vaincre… Tant qu'elle vivait, elle était victorieuse, et son existence seule les giflait comme un outrage. »
*
C'est le genre de romans que j'adore. Une « belle » histoire, des valeurs à transmettre, une réflexion sur notre humanité et la vanité de nos victoires, une magnifique écriture, des mots puissants comme un chant guerrier qui lie le passé au présent.
Lire un roman de Laurent Gaudé, c'est l'assurance de lire un très bon roman. On n'est jamais déçu. Je vous recommande ce très beau roman.
*
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Dans ce roman gigogne qui entremêle la chute de Hailé Sélassié, l'épopée d'Hannibal et la victoire de l'armée de Grant contre les sudistes pendant la guerre de Sécession américaine, se croisent les destins d'une archéologue et d'un agent du renseignement français probablement auteur de l'élimination de Kadhafi. Les récits se font écho mais ils entonnent le même chant, beau et triste à la fois. le chant de la guerre et de son inéluctable issue : la défaite. Car c'est toujours la défaite qui punit les belligérants. le général victorieux devra vivre avec les morts, les mutilés, les veuves qu'il laisse dans son sillage. Sa défaite. Elle le rattrapera, et s'il ne comprend pas assez tôt, c'est sa propre mort qui l'interpellera pour lui dire au moment de son dernier souffle : "tu as pensé m'échapper en gagnant la bataille, tu t'es trompé". le récit est poignant, sa morale universelle : la victoire n'existe pas. Il faut écouter ses défaites pour mieux saisir la fragilité du monde.
Un seul regret : l'histoire d'amour inachevée, accessoire au milieu du vacarme des armes.
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"Ne laissez pas le monde vous voler les mots"

Laurent Gaudé n'a pas son pareil pour évoquer le tragique, la tragédie humaine; son oeuvre en regorge La mort du roi Tsongor, Eldorado, Danser les ombres, Sous le soleil des Scorta pour les livres que j'ai lus de lui. Il y en aura d'autres, j'aime son style, son écriture fluide, l'originalité qui se dégage de la construction de ses récits, et l'état dans lequel ses livres me laissent...je ressens de la souffrance et tant d'espoir tant ces récits sont empreints d'humanité.

Écoutez nos défaites donne dans le funeste épique, dans lequel plusieurs voix s'élèvent pour évoquer les conflits, des luttes passés ou présents, et dénonce l'absurdité de la guerre. Les combats gagnés, les causes gagnées au combat, quand bien même soient-elles louables, peut-on les déclarer "victoires" quand les champs de batailles s'apparentent à de véritables boucheries, où l'odeur de la poudre à laisser place à celle des viscères, où des milliers de corps gisent dans un bain de sang, peut-on célébrer un triomphe quand des milliers de vies ont été sacrifiées, Grant, engagé dans la lutte contre l'esclavage disait que l'on «ne fête pas la victoire dans une guerre civile». Il en est devenu «Fou, oui, parce qu'il a atteint ce point terrifiant, cet endroit qui avale tout, où seule la victoire compte et où tout peut être sacrifié pour l'obtenir ».
Deux autres grands "héros" de guerre, sont évoqués dans cet opus, Hannibal et Hailié Sélassié le Négus d'Ethiopie, dans la défaite ou la victoire, reviennent tous deux sur la boucherie que représente la guerre.
Aux côtés des grandes figures historiques, évoluent trois personnages de fiction, Assem Graïeb et Job, tous deux agents secrets, ayant participé à l'assassinat respectivement de Khadafi et de Ben Laden, et Mariam, archéologue irakienne, qui tente de sauver les oeuvres d'art pillées dans les musées anéantis par les attentats au Moyen-Orient. Tous trois souffrent, confrontés au Mal qui nous ronge aujourd'hui, à l'obscurantisme; Laurent Gaudé décortique leurs états d'âme, leurs réflexions : «Qu'avons-nous réussi ?». Assem perd un peu de lui-même à chaque mission «Es-tu prêt à partir ? ...On ne peut partir au combat avec l'espoir de revenir intact.» , Mariam est effondrée face à la barbarie des hommes de Daech. Défaits, mais pas vaincus pour autant, ils ne se laissent pas voler les mots, et trouvent les solutions dans la célébration de l'art, de la beauté du monde, de l'amour pour assumer de vivre librement.

Voilà c'est tout à fait ça, célébrons l'amour et les émotions ! Je m'en vais de ce pas rejoindre mon homme sous la couette ;-)

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Laurent Gaudé possède le don de valser littéralement avec L Histoire et Écoutez nos défaites nous fait voir toute la grandeur de ce talent. Nous écoutons les voix du passé, celles d'Ulysses S. Grant, général de l'armée de l'Union, d'Hannibal, général de l'armée punique et d'Hailé Sélassié, négus de l'Éthiopie, nous raconter leurs victoires amères et leurs défaites grandioses. Car on peut être triste dans la victoire et grandir dans la défaite. Oscillant entre ces voix célèbres disparues, on entend aussi celles du présent, Mariam, archéologue passionnée, Assem, agent spécial du gouvernement français et Sullivan, Seal américain, tous arrivés à un moment charnière de leur vie. Laurent Gaudé m'avait donné un aperçu de sa virtuosité historique dans son roman Pour seul cortège, mais celui-ci se situe à un très haut niveau. du grand art!
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Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé est une injonction, portée par la forme impérative du titre à revenir sur des évènements historiques, actuels ou passés, à les comparer et à en tirer des leçons.
Les parcours contemporains d'Assem, agent des services de renseignements français, de Mariam, archéologue irakienne, et de Job, ancien membre des commandos d'élites américains pourraient n'être que les ingrédients bien pensés d'un thriller historico-politico-actuel ; mais ici, l'originalité vient de la confrontation des genres et des styles entre roman d'aventures ou d'espionnage et épopée guerrière.
La narration est doublement polyphonique, d'abord à travers les trois personnages principaux, puis grâce aux points de vue distanciés de trois personnages référentiels, à première vue sans rapport avec la trame de base.
Ayant toujours plusieurs livres en cours, j'ai pu me permettre d'aborder cette lecture, qui s'annonçait difficile et laborieuse, par petites touches, excellente manière de procéder, puisque, peu à peu, j'ai réussi à entrer dans le récit et à m'approprier les articulations et les liens entre les différentes voix.

La narration principale est entrecoupée par des passages qui retracent des épisodes de trois épopées guerrières : la deuxième Guerre Punique, la guerre de Sécession et l'invasion de l'Éthiopie par l'Italie mussolinienne.
Personnellement, je connais plutôt bien (souvenir d'études en littérature latine sur les guerres puniques) Hannibal et je comprends mieux les passerelles proposées par Laurent Gaudé à travers l'univers référentiel qu'il convoque avec lui : Hannibal fait partie des grandes figures historiques ennemis de Rome dans la littérature latine ; la représentation de tels héros est nécessairement ambivalente mêlant fascination et répulsion. Ici, les évènements qu'il nous est donné à lire et à comparer avec l'intrigue du roman se situent chronologiquement entre la prise de Sagonte, l'arrivée de l'armée d'Hannibal en Italie, la prise de Capoue, la défaite de Zama et la fuite d'Hannibal.
Par contre, j'ai dû faire quelques recherches sur les deux autres références historiques pour trouver un noeud thématique commun…
En ce qui concerne Ulysse S. Grant, l'accent est mis sur sa carrière militaire et son rôle dans quelques batailles décisives de la guerre de Sécession. le héros de guerre, futur Président, n'est pas dépeint sous son meilleur jour, bien au contraire : alcoolique, agressif, surnommé « le boucher » à cause des terribles pertes humaines causées par ses stratégies, il apparaît souvent aux portes de la folie.
De la seconde guerre Italo-Éthiopienne, Laurent Gaudé retient surtout la retraite et la déroute d'Hailé Sélassié, sous les bombardements ennemis. Il évoque les doutes et les hésitations du Négus entre résistance et reddition, puis son attitude digne face à la lâcheté de la Société des Nations et enfin, son retour au pays et les coups d'état qui vont le déstabiliser.
À la fin du roman, les trois héros épiques ont vieilli et attendent la mort, Hannibal dans son exil où il se suicidera pour ne pas tomber aux mains des romains, Grant dans la pauvreté et le Négus assassiné dans le silence et le dénuement de sa cellule. La question est de savoir si, après ce qu'ils ont fait et vécu, ils peuvent reposer en paix…

Écoutez nos défaites est un livre sur les mots et sur le sens et le pouvoir des mots dans un monde gouverné par l'action. À juste titre, Mahmoud Darwich lance cet avertissement à Assem: « ne laissez pas le monde vous voler les mots ».
La défaite n'est pas l'échec… et les victoires sont porteuses de sentiments de défaites, à cause de toutes les victimes causées ; « les grandes batailles qui restent dans les mémoires sont des charniers atroces qui font tourner les oiseaux ». La défaite demeure « un sentiment de gêne vis à vis de soi ».
Ainsi, Assem sait qu'il perd une part de lui-même à chacune de ses missions : « chaque départ est une perte ».
Mariam, confrontée aux dévastations des hauts lieux archéologiques au Moyen Orient comprend qu'à travers la destruction de cette part qui échappe en général aux batailles et aux incendies, c'est « la jouissance de pouvoir effacer l'Histoire » qui domine, de supprimer les acquis. de plus, elle réalise que même si l'archéologie fait oeuvre de révélation, elle est basée sur le pillage et la profanation de tombeaux. Sa défaite, c'est en quelque sorte « la part d'ombre de son métier ».
Job est celui des trois personnages principaux qui a le plus de mal à réintégrer la vie normale après chacune de ses missions ; il semble bien avoir pris conscience d'une situation sans issue dans une histoire en constant recommencement qui ne tire jamais les leçons du passé : « avez-vous gagné, lieutenant ? » demande-t-il à Assem et cette question va longtemps tarauder ce dernier.

Ce roman s'adresse à des lecteurs avertis, curieux et déterminés à chercher les clés de lecture disséminées dans l'ensemble du texte, des lecteurs concernés par l'adjectif possessif du titre du roman, Écoutez NOS défaites. Car il s'agit ici d'accepter « la défaite intime, profonde face à cette chose qui approche, à laquelle l'homme ne peut échapper et qui s'appelle l'engloutissement ».
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Un roman qui continue à faire écho très longtemps après l'avoir refermé, comme souvent chez Laurent Gaudé. Avec tact et finesse, le romancier interroge l'origine de la violence et des conflits et les notions de victoire et de défaite. A travers la confrontation d'Assem, espion à la solde des services secrets français et de Job qui a déserté la CIA et s'est installé un petit royaume de trafiquant au Liban, Laurent Gaudé dépeint par petites touches l'effritement des certitudes de l'être humain qui s'interroge sur le sens de ses actes et plus largement de sa vie. D'un mouvement plus ample, il relie ces interrogations à celles de trois grandes figures de l'histoire mondiale : Hannibal, longtemps vainqueur de Rome puis finalement vaincu lors de la bataille de Zama, le général Grant, président par deux fois suite à ses victoires sanglantes durant la Guerre de Sécession et Haïlé Sélassié, roi d'Ethiopie contraint à l'exil face à Mussolini. Dans un récit où de paragraphe en paragraphe, on change d'époque, de guerre et de narrateur, l'auteur nous fait glisser de conscience en conscience, pour explorer avec objectivité les décisions et actes de ces grands personnages et leurs répercussions sur le plan humain. Tous finissent par relativiser leurs victoires : à force de batailles sanglantes, de choix militaires fondés sur un nombre exponentiel de soldats sacrifiés, de cruauté et autres lâchetés, la victoire perd toute saveur et ne déclenche aucun sentiment d'honneur. Paradoxalement, chaque défaite apporte plus de savoirs, d'humilité et de sagesse chez l'être humain. C'est le personnage de Mariam, éminente archéologue Irakienne luttant contre les destructions de sites historiques par les hommes en noir de Daesch qui incarne le mieux cet aspect du roman. Amante d'un soir d'Assem, elle se sait condamnée par la maladie mais trouve en elle la force de continuer à avancer sur le douloureux chemin qui l'attend. A travers les périples de chacun, le lecteur écoute ces voix d'hier et d'aujourd‘hui témoigner de la vacuité de leurs victoires mais aussi de la grandeur de leur défaite.
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Après L'insouciance de Karine Tuil qui déjà nous offrait une réflexion sur les conflits actuels et sur le choc que peut représenter pour un combattant le passage du champ de bataille au luxe insolent étalé dans les grandes métropoles occidentales, voilà un roman tout aussi fort, éblouissant et déstabilisant sur cette amnésie coupable qui semble nous habiter encore aujourd'hui.
Comment croire au progrès, comment comprendre qu'au fil des ans l'homme n'a rien appris des conflits passés, comment peut-on commettre aujourd'hui encore des actes aussi barbares que ceux perpétrés par l'armée islamique, s'attaquant non seulement aux populations, mais aussi aux monuments historiques, aux vestiges culturels millénaires.
En ouvrant son roman sur la rencontre à Zurich dans un grand hôtel entre un baroudeur et une archéologue, Laurent Gaudé livre la clé de son propos. L'amour éphémère, la liaison qui sera sans lendemain entre Assem et Mariam est symbolique des combats qu'ils livrent chacun à leur manière et qui ne finiront jamais.
Après l'Afghanistan, la Lybie, Assem doit partir à Beyrouth sur les traces d'un Américain, tête brûlée qui se livre à des trafics variés. Mariam, après Alexandrie et Bagdad où elle a oeuvré pour la restitution des objets volés et la réouverture du musée, prend la direction de la Syrie afin de tenter de sauver ce qui peut l'être de la folie destructrice de daesh. Mais leur combat n'est-il pas perdu d'avance ?
C'est pour répondre à cette interrogation que l'auteur convoque quelques combats emblématiques de notre Histoire. Celui d'Hannibal contre Rome, celui d'Ulysse Grant durant la Guerre de Sécession, celui de Hailé Sélassié contre le colonisateur italien. Durant tout le roman, le lecteur est invité à les suivre sur le terrain et à partager ce déferlement de violence. Jusqu'à ce point qui donne raison à Gertrude Stein quand elle explique que «La guerre n'est jamais fatale, mais elle est toujours perdue.»
Avec maestria, l'auteur fait s'entrecroiser les récits, parvient à les mettre en résonnance et nous démontre – sans jamais porter de jugement – qu'on ne sort jamais indemne de telles campagnes. Car au conflit ouvert succède le conflit intérieur. À la justification morale d'un engagement succède l'horreur et la barbarie. En nous montrant que personne, à aucun moment, ne peut sortir indemne d'un tel déferlement de violence, que le temps ne fait rien à l'affaire, l'auteur de la Mort du Roi Tsongor et du Soleil des Scorta nous place en témoins privilégiés des tourments du monde. En empilant les strates de ses différents récits, il parvient aisément à nous éclairer sur l'erreur de jugement majeure que nous faisons en retraçant ces «épopées». Il suffit de changer de point de vue, d'écouter les défaites, pour comprendre la lucidité d'un Jean Jaurès. Non, «on ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre.»
Ce roman est un viatique pour notre début de XXIe siècle.

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Ecoutez nos défaites
Il en faut du coffre pour contenir en un seul ouvrage une histoire d'espionnage , une fulgurance amoureuse , Hannibal ses armées , ses batailles et ses éléphants , le général Grant et sa victoire lors de la guerre de sécession , Hailé Sélassié le roi des rois de l'Ethiopie fuyant son pays face à l'embargo Italien .
Mais il en a du coffre, Laurent Gaudé , non dans la quantité , le volume n'est pas gros en pages , mais l'architecture de cette oeuvre permet à tout ce petit / grand monde de prendre sa place .
Chaque lecteur trouvera sa porte d'entrée ...Amateurs de suspens comme les férus d'histoire , ceux tournés vers l'actualité ou les inconditionnels du roman d'amour .
Ecoutez sa défaite ....
Mariam et sa lutte contre la maladie mais aussi Mariam et son essoufflement face aux destructions massives du patrimoine culturel , mission de sa vie ...Les forces s'amenuisent mais la défaite n'est pas l'échec car "Corps, souviens-toi, non seulement de l'ardeur avec laquelle tu fus ailé, non seulement des lits sur lesquels tu t'es étendu, mais de ces désirs qui brillaient pour toi dans les yeux et tremblaient sur les lèvres ...": Beau cadeau que ces mots du grand poête Cavafy que lui offre son amant d'un jour et de l'éternité ...
Ecoutez sa défaite ...
Celle d'Assem Graieb, tueur de la république , en partance pour une énième mission qui ose se poser la question de son libre-arbitre , douter enfin et peut-être tenter de s'affranchir de l'autorité qui n'a que faire des états d'âme et de la loi morale ....
Ecoutez leur défaite ....
Celle d'Hannibal et son combat contre l'empire Romain ...
Celle de Grant et sa victoire reconnue par l'histoire mais face au prix en termes de vies sacrifiées peux-t -on parler encore de victoire ?
Celle du grand Negus admiré et aimé par ses sujets , déchu de ses fonctions et mourant dans la plus amère solitude ...
Ecoutez sa défaite ...
Celle de l'histoire qui ne sait comment tournera le vent au dernier moment ....
Ecoutez leur défaite ....
Celle d'Archéologues , sauveurs de patrimoine (ou pilleurs de tombes ? ) face à la force destructrice de Daesh ...
Ecoutez nos défaites ....
Au delà des mots ....Après avoir refermé l'ouvrage ...face à nous mêmes ... Les portes sont ouvertes , ayons le courage ...
Laurent Gaudé abolit les frontières et la temporalité par un tour de force littéraire magistral ! Quelle importance que l'on soit d'ici ou d'ailleurs , contemporains ou âmes flottantes , nous voici tous réunis et frères , avec nos forces et nos faiblesses , nos doutes souvent , nos questionnements et notre usure ....Usure peut-être salvatrice qui permet de revenir à l'essentiel et de rendre les armes lorsque le combat cesse enfin pour laisser place à la parole du coeur et aux vrais questionnements .
L'oeuvre d'art alors prend tout son sens , la parole se libère , la poésie exulte et l'humanité se fait jour .
Laurent Gaudé nous montre le chemin , il suffit de se laisser guider , fuir l'obscurantisme et l'ignorance , abandonner ses peurs et ses réserves et enfin grandir ...
Une écriture d'un lyrisme éblouissant , dans une forme scandée tout en anaphores , chant de vie et d'espoir qui nous fait toucher l'urgence de la transcendance par les plus nobles chemins empruntés par l'homme depuis la nuit des temps , l'art , l'amour et la connaissance . Brûlant d'actualité , ce roman est un souffle majeure de la littéraire contemporaine .
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Ils ont passé une nuit ensemble, une nuit dont ils se souviennent...Elle lui a donné une statue antique.
Ils...ce sont Assem, agent des services secrets français, spécialiste des missions secrètes et des coups tordus. Elle, c'est Mariam, archéologue irakienne...Au matin chacun est reparti vers son propre monde, ses propres soucis...Elle doit lutter contre un cancer, il doit rencontrer son chef qui lui confiera la mission d'approcher Sullivan, agent des services spéciaux américains, et de "l'évaluer", de "le renifler de près pour savoir ensuite s'il faut le condamner à mort ou s'il peut être récupéré".
Deux mondes confrontés à la violence...
Il tue sans état d'âme, il a participé à l'élimination de Khadafi.
Elle est attachée à la grandeur et au passé de son pays et, par amour et passion pour l'art, elle fait tout pour sauver de l'oubli des antiquités archéologiques sorties de terre en les exposant dans des musées. Elle a été anéantie quand des malades, des tarés islamiques ont détruit, à la disqueuse, des oeuvres dans les musées irakiens au nom de leur Islam. Elle l'est toujours quand ils font sauter à l'explosif, des sites antiques en Afghanistan, en Irak ou en Libye. Elle passe sa vie à tenter de recréer, dans le cadre de sa mission au sein de l'Unesco, ces collections antiques dispersées dans le monde après la chute de Saddam Hussein et le pillage des musées... Opiniâtre, elle se bat pour la Culture, pour que les civilisations n'oublient pas leur Histoire
Le récit de leur histoire n'est pas banal, chacun connut des victoires professionnelles, mais un rien aurait pu faire basculer leur vie, comme celle de Sullivan. Laurent Gaudé nous propose en parallèle de ces trois vies, en miroir, les vies de trois autres personnages bien plus illustres qu'eux, de trois personnages de la Grande Histoire.
Hannibal tout d'abord, qui pendant des années de guerre gagna, grâce à son génie militaire, tous ses combats contre l'empire romain qu'il fit trembler, sauf le dernier qui lui coûta la vie.
Puis, le Général Grant vainqueur de la guerre de Sécession dans le sang, Grant qui par deux fois fut élu Président des Etats-Unis, malgré sa réputation de boucher qu'il traîna jusqu'à sa mort.
Hailé Sélassié enfin, empereur d'Ethiopie, vivant dans l'opulence et laissant crever de faim son peuple, connu la défaite et l'humiliation face aux armées de Mussolini, et L Histoire gardera en mémoire son discours devant la SDN....
Les victoires sont multiples mais la défaite est unique. Victoires comme défaites tiennent souvent à bien peu de choses, un petit rien peut faire basculer la Grande Histoire...L'erreur de quelques centimètres d'atterrissage d'un hélicoptère aurait pu faire basculer le raid contre Ben Laden...
Après chaque guerre, une fois la paix revenue, toutes les civilisations ont pourtant clamé haut et fort : "Plus jamais ça!" ...des décisions vite oubliées
Ces différentes vies s'entremêlent, se juxtaposent, ces victoires, comme ces défaites ont de multiples points communs. Gaudé raye les époques, et ne conserve que les réflexions, les états d'âme et attitudes de ses personnages face aux événements.
Le texte très documenté de Gaudé est riche d'informations. J'ai été un peu déboussolé dans les premières pages par cette succession de paragraphes, sans lien chronologiques entre eux, qui me donnaient une impression de brouillon, mais très vite j'ai été séduit par l'écriture, et la "gymnastique" qu'elle imposait parfois.
Roman pas banal, loin de là! Séduisant!
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