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EAN : 9782330024604
528 pages
Actes Sud (23/10/2013)
3.61/5   32 notes
Résumé :
Cet immense roman, baroque et foisonnant, entremêle trois récits et trois itinéraires, de l'Europe de la Seconde Guerre mondiale à un pays imaginaire d'Amérique latine de nos jours, pour une réflexion sur les racines du mal et sur l'éprouvant combat de l'être humain dans sa recherche de l'amour et de la paix.
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
El niño de los coroneles
Traduction : Raoul Gomez

ISBN : 97822330024604

"L'Enfant des Colonels" est l'un des livres les plus durs, les plus horribles, les plus atroces et les plus puissants qu'il m'a été donné de lire. Je l'ai terminé en deux jours, en tentant de ne pas trop me ronger les ongles. C'est un livre que je déconseille hautement aux âmes sensibles, à peu près autant que je leur déconseillerais de visionner "Salo ou Les Cent-Vingt Jours de Sodome" du pourtant très talentueux Pasolini. le film de Pasolini, plus visuel par son essence même, fait sans doute effet plus rapidement mais le roman de Fernando Marías, rédigé en un style que j'ai jugé parfois un peu trop alambiqué et, en cela, certainement très littéraire, ne s'en hisse presque pas moins au même niveau. Choc, épouvante, écoeurement, nausée, impression de souillure (ou plutôt de tentative de souillure de votre esprit), colère, haine également, voilà ce qui vous envahit avant tout en lisant "L'Enfant des Colonels", surtout lorsque vous pensez à la situation actuelle et particulièrement tendue dans laquelle se trouve plongé le monde d'aujourd'hui.

"L'Enfant des Colonels" pourrait se sous-titrer : "Précis de la Barbarie en Marche." le narrateur principal, Victor Lars, français par la naissance mais "citoyen du monde" si vous me passez l'expression en ce qui concerne la course à la psychopathie, n'est que souillure et corruption. de son passé, on ne sait rien - personnellement, j'eusse d'ailleurs aimé que le romancier s'étendît un peu plus là-dessus car ce "vide" contribue beaucoup à rendre son personnage non pas incroyable mais totalement incompréhensible. En ce psychopathe qui se met tout d'abord au service du national-socialisme, fait ami-ami avec Lafont rue Lauriston, puis, dans un bordel très privé, avec rien moins que Reinhard Heydrich en personne, le lecteur a beau chercher la faille, le petit détail qui rappellera que, même si ce ne fut que dans son berceau, il possédait en lui une part positive d'humanité, il ne trouve rien. C'est le vide complet, absolu, anéantissant, un vide encore plus spectaculaire que celui dont souffre le Martin Plumkett de James Ellroy dans "Un Tueur sur la route." On note en effet que Plumkett, si froid et calculateur qu'il soit, se pose tout de même quelques questions : son "état" ne lui paraît pas plus "normal" que celui de ceux qui l'entourent.

Avec Victor Lars, rien de tout cela n'est envisageable. Jamais il ne se pose de questions sur lui-même, sauf, peut-être, quand il s'agit des degrés d'horreur et d'avilissement qu'il est capable d'imposer à autrui. Quoique profondément intelligent et prévoyant, il est incapable d'aimer ou même de haïr. Ce qu'il fait et ce qu'il ordonne de faire, ce n'est en effet ni par haine, encore moins par idéologie politique ou religieuse ou encore parce qu'il a la certitude morale (peut-on utiliser ce terme quand on évoque pareil personnage, à qui je ne connais aucun équivalent dans la littérature ?), mais tout simplement parce que cela l'amuse et peut aussi lui rapporter beaucoup sur le plan financier (pour ne rien dire du pouvoir).

Bien que "L'Enfant des Colonels" soit loin d'être un thriller, Victor Lars, son principal protagoniste, est, pour sa part, le Psychopathe par excellence. L'auteur pousse si loin cette étrange perfection dans l'anormalité que le lecteur - enfin, tel est mon ressenti - estime qu'il exagère et que, du coup, sa créature perd de sa crédibilité. Si Lars encourage ses "élèves" et ses compagnons dans l'horreur à boire et à absorber diverses drogues, lui se garde bien de les imiter. Pour être ce qu'il est, c'est-à-dire un monstre absolu et sans aucune excuse, il n'a besoin de rien, ni de personne : il EST - cela suffit.

Ce qui m'a le plus dérangée, je l'avoue, c'est de percevoir chez l'auteur - à tort ou à raison - comme une admiration plus ou moins larvée mais en tous cas sincère pour son personnage. Or, si l'on peut se sentir des atomes crochus avec le Hannibal Lecter de Thomas Harris ou encore avec le Bishop de Shane Stevens ; si l'on peut s'étonner de la froideur glaciale d'un Martin Plumkett ; si l'on reste muet devant l'ambiguïté du Mal que symbolise admirablement le Pavel Egorovitch Khvatkine imaginé par les frères Vainer pour "L'Evangile du Bourreau", il est strictement impossible, en tous les cas à un esprit sain (osons le mot ), de s'attacher d'une quelconque façon à Victor Lars. Ce qui n'empêche pas l'individu de se prendre quasi pour un dieu - et son auteur de nous le présenter comme tel. A la fin même, on retrouve le dieu transformé en semi-légume, avec le regard d'"un homme bon." Evidemment, on comprendrait mieux si le livre avait un côté fantastique : possédé par une entité démoniaque, Lars est laissé à lui-même lorsque, en quelques sorte, la maladie le rend inutilisable. Mais "L'Enfant des Colonels" ne présente aucune once de fantastique. de l'épouvante, de l'horreur, d'éventuelles envies d'aller vomir, oui : mais aucune créature surnaturelle n'est mêlée à l'affaire . Victor Lars est comme ça, c'est tout et nous n'aurons pas même la satisfaction de voir l'un de ceux qui ont survécu aux atrocités, physiques et / ou morales qu'il leur a infligées lever sur lui le glaive d'une vengeance amplement méritée. Non, Monsieur s'en va finir ses jours dans une île paradisiaque. Certes, il n'est plus qu'un légume mais un légume riche, très riche et qui aura toujours des foules de domestiques- esclaves pour le servir : il les a si bien "dressés" ...

Pour en revenir à l'intrigue, après la chute du nazisme sur le continent européen, Lars décide de se rendre non en URSS - où il aurait pourtant trouvé à faire merveille - mais en Amérique latine (c'est d'ailleurs un tantinet agaçant car on finit par se demander si l'auteur a entendu parler des dictatures "de gauche" comme celle de Castro, de Mao, de Pol Pot, etc ...) C'est là qu'il conçoit l'idée de son "Enfant des Colonels" : adopter très légalement un orphelin et le "dresser" afin de faire de l'enfant, qui n'a alors que trois ans, un bourreau dont le seul plaisir est de violer et de torturer. Toujours sûr et certain de ce qu'il avance, il est persuadé que cet "entraînement" fonctionnera avec tous les enfants. Mais ce n'est évidemment pas le cas : certains petits s'évadent dans la dépression, refusent de bouger, n'ont plus de goût à la vie ... et Victor, qui n'est pas un tendre, je crois l'avoir déjà dit, s'en "débarrasse" comme il effacerait des caractères mal formés sur un tableau noir. Mais le plus vexant pour lui, sans doute aucun, sera qu'il ne parviendra jamais à extirper tout à fait de l'esprit de son "Enfant des Colonels" le souvenir de son frère jumeau, lequel avait eu la chance d'être adopté par une famille de diplomates espagnols, les Ferrer. Cet enfant, devenu adulte et journaliste, Luis, peut par contre être tenu pour le véritable "héros" du livre. Il agit peu (mais toujours de manière opportune), occupé qu'il est à lire le manuscrit sur Victor Lars que lui a fourni l'un des ennemis de celui-ci, Jean Laventier, humanitaire qui étudia jadis à l'Université à Paris avec le tout jeune Victor, qu'il considérait alors comme un ami, presque un frère.

Mais vous voyez, quand on cherche à résumer ce roman, on s'embarque et tout de suite, on prend l'eau. Qu'il vous suffise de savoir que, pour adoucir la fin de cette sinistre histoire, Marías a prévu au moins deux personnages "humains", avec leurs faiblesses certes mais aussi leurs qualités : Laventier, qui assistera aux derniers moment du malheureux "Enfant des Colonels", et Luis Ferrer, qui récupérera sa fille (un tout petit bébé) et l'adoptera.

Le problème du livre - car je soutiens que c'est un problème même si l'ensemble repose sur lui - bien sûr, c'est Victor Lars. Il habite ce roman, il y est vraiment comme chez lui et je serais tentée de dire que je n'ai jamais vu cela chez un personnage mais ce serait inexact : disons que, jusqu'à ce jour, je n'avais jamais vu un aussi triste sire élevé à la dignité de "propriétaire" d'un récit. Joachim Goriot et Rastignac habitent "Le Père Goriot", Gervaise Macquart règne sur "L'Assommoir" et dans nos coeurs, Popeye (un autre psychopathe, celui-là mais au moins compréhensible) porte "Sanctuaire" au bout d'un épi de maïs ensanglanté, et tant d'autres font de même dans tant de livres, sur tant d'étagères ... Seulement, ceux-là sont des héros. Faibles ou forts, humbles ou orgueilleux, assassins ou victimes, ils établissent un lien naturel avec les lecteurs et leur univers. Mais le lien que tisse - avec un grand talent, je ne le nie pas - Fernando Marías avec Victor Lars leur est et leur demeure privé. Certains, dans les ombres de leur conscience, frétilleront peut-être de délectation devant cette Horreur par excellence que représente Victor Lars mais à mon avis, ils seront rares : Lars, le Roi des Tortionnaires, est si creux, si vide ...

La comparaison avec certaines oeuvres de Sade, qui pourrait venir à l'esprit, ne tient pas. Les personnages de Sade lient tous l'horreur et le meurtre à la satisfaction sexuelle ; si Victor Lars utilise bel et bien le sexe comme appât, ce qu'il veut, ce qu'il recherche, et ce qu'il obtient - en tous cas tel est ce que j'ai ressenti - ce sont l'horreur, la torture, le meurtre pour eux seuls - le Mal primaire pour le Mal primaire et c'est tout. Attention : je n'écris pas le Mal absolu parce que, en dépit des apparences, le Mal exprimé par Lars est un Mal lui-même déviant et auquel il manque ce qui, dans tous les systèmes de pensée, crée le Mal absolu, en d'autres termes l'équilibre. Pour être le Mal absolu, il faut connaître, admirer, envier, cracher sur le Bien. le Mal symbolisé par Lars ignore le Bien : c'est un Mal détraqué, un Mal complètement dément.

Lecture donc très dure, très difficile (bien que passionnante : Fernando Marías sait raconter une histoire). Lecture qui révulse et qui, pourtant, peut nous faire réfléchir au Mal à l'oeuvre actuellement autour de nous : oui, le Mal selon Victor Lars existe bel et bien mais "L'Enfant des Colonels" démontre paradoxalement que, si répugnant qu'il soit et alors même qu'il aspire à une forme de pureté, de perfection, ce Mal est incomplet, primaire et promis à l'échec final. Il ne peut y avoir de Mal sans une parcelle de Bien et ça, c'est une chose que Victor Lars, si doué soit-il pour les tortures et "dressages" en tous genres, ne comprendra jamais : il en est foncièrement incapable. ;o(
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Ames sensibles, passez votre chemin...
Car voici une plongée dans la violence raffinée de la torture.
Et pourtant, il m'a été impossible de lâcher ce livre, choisi sur le simple coup de coeur de sa jaquette Babel. J'en suis sortie admirative mais essorée...

A Paris dans les années 30, deux étudiants se lient d'amitié dans l'euphorie de leur jeunesse, mais se perdent ensuite en chemin par des choix de vie opposés. Tels Dr Jekyll et Mr Hyde, ils traversent l'échiquier politique du siècle, nous entrainant de l'Europe fasciste à un état totalitaire improbable d'Amérique du sud.
Sur la thématique du Bien et du Mal, le pion blanc fera oeuvre d'humanisme et le pion noir s'enfoncera profondément dans ce que l'individu peut construire de plus sombre.

Les faits s'entrecroisant sur une cinquantaine d'années, construisent un livre à tiroirs qui s'appuie sur trois narrateurs, faisant tourner un kaléidoscope macabre et violent.
Malgré quelques belles scènes d'action, ce livre est plus historique et politiquement amoral que policier. Il est pour le lecteur excessivement dérangeant.
S'appuyant en partie sur des récits, le style est littéraire, un peu désuet, parfois grandiloquent mais toujours passionnant.
Le montage romanesque virevoltant est en revanche brillant.

"L'enfant des colonels" s'avère être une expérience scientifique, née d'un cerveau maladivement génial, une approche intellectuelle de la torture et de l'utilisation de la douleur mentale. Une vision psychopathe, barbare et violente, s'appuyant sur une intrigue très bien ficelée, aux secrets dévoilés au compte-goutte.

Assez magistral!
Quel dommage d'en entendre peu parler...

Ecrivain madrilène, scénariste et journaliste, Fernando Marías a reçu le prix Nadal en 2001 ( "Goncourt espagnol") pour ce livre.
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L'enfant des colonels
Jean et Victor sont étudiants et médecins psychiatres à Paris pendant la seconde guerre mondiale. La trentaine, ils ne sont pas sur le front. Jean est bon, Victor est mauvais. Justine et Juliette. Les infortunes de la vertu, les prospérités du vice. C'est ainsi.

Héros malgré lui, Jean héberge, un soir, Jean Moulin et devient le médecin de la résistance. Pendant ce temps Victor exerce ses talents de tortionnaire rue Lauriston.
La guerre prend fin. Tout le monde, allemand et français sans majuscules, part en Amérique du sud et vieillit tranquillement. Victor aime la torture des corps. Jean fait une carrière internationale d'humaniste inassumée et coupable. La bonté est signe de lâcheté.

Au Léonito, pays d'Amérique centrale inventé pour l'occasion, Victor se lie au triumvirat de trois colonels corrompus et de leurs fils procréés le même jour dans une orgie invraisemblable.

Au Léonito, Victor, créature sadique et malfaisante crée un monstre. Son fils adoptif qui devient la terreur de tous.

Au Léonito, l'horreur et la dépravation font tache et s'exportent au Chili, au Brésil, au Nicaragua et ailleurs. Les méthodes sont scandaleuses. Victor aime s'exposer et écrire comme le marquis le plaisir de la perversité et le mépris de l'homme et de l'âme. le mal ne connait pas le mal. C'est le bien qui l'a inventé.

Après les années 90, les dictateurs sont délaissés par les Etats Unis et le monde en général ( Au Brésil on croise encore aujourd'hui des tranquilles familles de militaires assises sur leurs tas d'or, sans mémoire). On s'en fout et le Ché est un motif sur un T-shirt. Pinochet est un drôle de patronyme.et Thatcher fait sa malouine.

Victor et Jean le savent et confient par « confessions » interposées leurs lamentables parcours de héros sadiens. Un journaliste espagnol (pas n'importe qui d'ailleurs par rapport à l'histoire) se charge de faire de tout çà un bilan improbable.

Quoi qu'on puisse penser de la complaisance et du caractère malsain et morbide de ce roman, il ne fait que dire crument ce qui est réellement arrivé dans le continent latin (J'ai passé une quinzaine dans les geôles des Somoza à Managua en 71 et en suis sorti indemne grâce au Consul - merci encore cher M. Chaillet -) qu'on veut considérer aujourd'hui comme émergeant (Quelle blague). La mort rôde. Pinochet (2006) et Videla (2013) sont morts avec leurs couilles intactes, sans doute contents du devoir accompli.

Les assassins tortionnaires d'un jour prennent du plaisir à émasculer leurs voisins de palier et de violer leurs filles. A Damas, à Alger, à Sarajevo, Grozny, Paris, toutes époques confondues.

Les bons peuvent-ils tuer ? Oui.

A lire avec un calmant.
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Fernando Marías pratiquait dans son roman "Je vais mourir cette nuit" l'art d'une concision tranchante et efficace. Avec "L'enfant des colonels", il déploie une intrigue dense et protéiforme, dont il maîtrise parfaitement toutes les facettes. Ainsi, malgré ses multiples ramifications, le lecteur ne s'y perd jamais.
Au coeur de cette intrigue, un manuscrit, rédigé par Victor Lars à l'attention d'une de ses vieilles connaissances, le professeur Laventier. Les deux hommes se rencontrèrent dans les années 30 à Paris où ils menaient des études en psychiatrie. Avec la guerre, leurs chemins se sont séparés et leur amitié défaite. Laventier, héros malgré lui pour avoir (sans le savoir) secouru Jean Moulin, est devenu une figure de la résistance. Victor, lui, a servi aux côtés des pires représentants de l'occupant allemand, expérimentant ses théories sur le pouvoir de la torture, pour laquelle il éprouve une insondable fascination. Si Victor, presque soixante ans après, envoie son manuscrit à son ancien camarade, c'est parce que ce dernier a refusé le prix Nobel, et qu'il le pense par conséquent digne d'être le porte-parole de l'oeuvre de sa vie. Il retrace dans son long texte les détails d'une existence consacrée à l'exercice de la cruauté, et à l'assouvissement de l'ignoble jouissance qu'il tire du spectacle de la douleur de l'autre. Devenu proche des dirigeants de la dictature militaire qui sévit durant plusieurs décennies au Léonito, petite république d'Amérique centrale, il put s'y adonner à la torture en toute impunité, utilisant comme cobayes opposants au régime ou représentants d'une population indigène spoliée et martyrisée.

Où se terre dorénavant Victor Lars ? Qui est ce mystérieux enfant des colonels dont nous faisons d'emblée -mais très brièvement- connaissance, à l'occasion de la visite que lui rend le vieux professeur à l'hôpital psychiatrique, où, complètement déconnecté de la réalité, il est interné ? Et pourquoi Laventier confie-t-il le manuscrit à Luis Ferrer, journaliste espagnol venu au Léonito pour y interviewer un insaisissable leader indien en lutte contre le vaste projet touristique qui menace le territoire de son peuple ?

Pour Luis Ferrer, torturé par la mort récente de sa fille dont il s'estime coupable, ce séjour a une résonance particulière. C'est en effet la première fois qu'il remet les pieds dans ce pays d'où il est originaire, qu'il a quitté à l'âge de trois ans, laissant derrière lui son frère jumeau pour suivre le couple de madrilènes qui l'avait adopté. La lecture du manuscrit de Victor Lars lui fait bientôt entrevoir des liens entre l'abject individu et ses défunts parents adoptifs. Sa mission professionnelle s'accompagne alors d'une plongée dans le passé, sur la trace de terribles secrets au coeur desquels trône, omniprésente, la figure de Victor Lars, dont le manuscrit, rédigé dans une langue soignée et élégante, hante chaque page du texte.

La façon dans son auteur y met sur le même plan récit d'épisodes de sa vie, digressions anecdotiques et descriptions méticuleuses des sévices qu'il a fait subir à ces innombrables victimes, en fait un témoignage glaçant et nauséeux. Il révèle un homme extrêmement intelligent mais mégalomane et surtout d'un machiavélisme tel qu'il donne par moments le sentiment d'avoir affaire à un être désincarné, ramené au statut de symbole du Mal absolu. Et c'est sans doute le reproche que l'on peut faire à "L'enfant des colonels", qui à force de dépeindre la manière dont son personnage pratique le mal et en tire plaisir, semble s'y complaire, et finit par lasser le lecteur. de plus, en focalisant ainsi notre dégoût sur ce protagoniste emblématique, il se prive partiellement de la possibilité que lui aurait permis une approche plus large, celle d'illustrer l'universalité et la pérennité de la barbarie.

Dommage, car Fernando Marías nous livre par ailleurs un roman souvent haletant et au style impeccable, dont il entremêle les pistes multiples avec virtuosité.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Aux deux tiers de la lecture le doute m'a saisi, ne suis-je pas en train de lire une comédie, un pastiche ? Devant l'accumulation gratuite de violence sanglante, de perversité déchainée, de sévices ignobles un fou rire n'était pas loin. Mais hélas non l'auteur était sérieux, il avait des messages à nous transmettre : les hommes sont tous des tueurs potentiels et pour peu qu'on les forme sérieusement ils peuvent être des bourreaux de très bonne qualité. Surtout si leur professeur est une sorte de génie du mal qu'une blessure de jeunesse (traitrise féminine évidemment) a transformé en concentré de haine.
Le début du roman est assez réussi et installe un récit accrocheur mais assez vite les rebondissements gore et invraisemblables se déversent jusqu'à l'écoeurement, les personnages restent réduits à des archétypes et sont purement utilitaires, et d'ailleurs ils meurent opportunément dès que l'auteur ne sait plus quoi en faire (le frère du héros par exemple).
Une dimension politique aurait pu être développée autour des régimes militaires d'Amérique du sud, on se contentera de dire qu'ils étaient très vilains et martyrisaient leurs peuples, que leur avidité était sans limite. Les péripéties sont dignes d'un feuilleton du XIXème mais sans aucun deuxième degré, sans aucun humour.
Comment peut-on écrire un pareil navet ? La réponse est peut être dans le métier de F.Marias qui est scénariste de télé, ce qui passe pour un roman est sans doute le scénario d'une série d'horreur pour une chaine de deuxième ordre.
Pour les amateurs de violence et sévices autant lire Sade.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
[...] ... Couché dans le lit de la salle commune du Foyer de Bienfaisance situé dans une vieille bâtisse du centre de Léonito capitale, l'homme ressemblait à un vieillard qu'en réalité il n'était pas.

Il respirait à grand peine par la bouche, d'où pendait un filet de bave, et ses yeux mi-clos, morts et pourtant anxieusement vivants, regardaient le plafond sans le voir. Tout à fait immobile, comme si la forte pluie du soir qui fouettait les fenêtres le maintenait en état de transe hypnotique, il semblait livrer une lutte solitaire contre ses souvenirs ou bien il souffrait, entièrement à leur merci.

Quand l'infirmière lui annonça la visite, il s'agita avec la peur instinctive de l'animal pris au piège : jamais personne n'était venu le voir, personne ne le connaissait, il ne connaissait personne ... Une peur d'autant plus intense qu'il ne pouvait voir son visiteur : le patient était aveugle et se savait condamné à cette même impuissance qui pendant tant de temps l'avait fascinée chez ses victimes nues et tordues de douleur, terrifiées par la cruauté inventive d'une nouvelle lubie.

Avec douceur et tact, le visiteur promit à l'infirmière de ne pas fatiguer l'homme et, quand elle fut partie, il approcha une chaise de la tête du lit en essayant de ne pas faire de bruit, comme s'il voulait respecter les gémissements lointains et les petits rires hystériques qui émanaient de la salle, sans qu'on puisse les situer, et couvraient parfois la rumeur de la pluie ; il s'efforça de prendre une voix à la fois rassurante et amicale ; il lui fallait à tous prix gagner la confiance de l'aveugle, sans quoi un tel voyage n'aurait aucun sens. Il ébaucha un sourire bien qu'il sache que cela était bien entendu inutile, et il posa le paquet rectangulaire qu'il avait apporté près de la poitrine jeune - le visiteur savait qu'il n'avait pas plus de quarante ans - mais desséchée et famélique, comme vieillie artificiellement. Il perçut clairement que le malade retenait sa respiration. ... [...]
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– Le 1er mai 1947, Triunviro était encore un gamin, il devait avoir dix-sept ans – poursuivit Aurelio -. Mais c’était un fils de pute de première catégorie. Cela faisait quelques mois que j’étais au Léonito, et nous nous étions rencontrés à diverses reprises. J’avais neuf ans de plus que lui, mais malgré la différence d’âge il a dû penser que je l’aimais bien, parce qu’il me racontait ses histoires, c’est-à-dire, ses abominations, et ça lui plaisait que je l’appelle Tété, ce qu’il permettait à très peu de gens à l’époque. En fait, je me souviens de lui alors et je le vois comme un gamin féroce et mal élevé, un de plus parmi les autres. La différence, c’est qu’il avait un pouvoir illimité : tous les hommes du Léonito, du dernier des paysans à l’officier le plus apprécié de n’importe lequel des trois colonels, craignaient ses caprices et savaient que, d’une façon ou d’une autre, ils étaient ses esclaves. Quant aux femmes, et j’en suis témoin parce qu’il s’en est vanté plus d’une fois en ma présence, il était fier de les avoir toutes eues, toutes celles qui valaient la peine, précisait-il aussitôt. "Mes juments", il les appelait. Ses hommes sillonnaient sans cesse le pays à la recherche de nouvelles "juments" et aucune maison n’était à l’abri de ses coups de filet, surtout les plus humbles. Comme, en toute logique, il y en avait qui cachaient leurs filles, on a inventé un loi selon laquelle toute naissance devait figurer dans une sorte de nouveau recensement. Il disait qu’ainsi, quelques années plus tard, il aurait une liste de fiches, signées par les parents respectifs, avec les noms de toutes les filles qui devaient se trouver dans chaque foyer, à attendre qu’il décide lui-même si elles lui convenaient ou pas ; avec cette astuce, il n’y aurait pas de cachette qui vaille. Pour chaque inscription on offrait à chaque citoyen je ne sais trop quelle somme, trois fois rien, je suppose, et beaucoup ont mordu à l’hameçon sans se douter qu’ils condamnaient leurs filles à être violées vingt ans plus tard… Bref, un mioche sanguinaire, sans scrupule mais avec du pouvoir. Pourvu que tu ne rencontres jamais personne comme lui. Mais moi, j’étais ambassadeur et je devais faire avec. Et j’ai fait avec…
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J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai regardé Himmler dans les yeux et adopté un ton grave, prenant à témoin le masque mortuaire qui ne pouvait contester aucun de mes mensonges : j’ai présenté l’expérience Tuccio – dont je n’ai révélé, à ma convenance, que de vagues lignes maîtresses – comme un projet bien en place qui enthousiasmait Heydrich et dont il n’y avait pas de trace écrite en raison justement de son envergure, de l’importance qu’il lui avait accordée. Enflammé par mon propre discours, auquel l’intérêt de mon auditeur et son regard parfois approbateur donnaient des ailes, je suis parvenu à lui faire partager mon enthousiasme, et l’après-midi même je rentrais à Paris avec des instructions personnelles d’Himmler, qui a peut-être vu dans l’annexion de mon talent une victoire posthume sur son ambitieux et défunt adjoint. Quoi qu’il en soit, je devais présenter au plus vite un rapport détaillé sur mes progrès dans le domaine de "l’utilisation de la douleur mentale comme alternative à la douleur physique". Je n’avais pas de temps à perdre : j’avais vendu quelque chose qui n’existait pas et je me devais de l’inventer sans tarder.
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