El niño de los coroneles
Traduction :
Raoul Gomez
ISBN : 97822330024604
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L'Enfant des Colonels" est l'un des livres les plus durs, les plus horribles, les plus atroces et les plus puissants qu'il m'a été donné de lire. Je l'ai terminé en deux jours, en tentant de ne pas trop me ronger les ongles. C'est un livre que je déconseille hautement aux âmes sensibles, à peu près autant que je leur déconseillerais de visionner "Salo ou Les Cent-Vingt Jours de Sodome" du pourtant très talentueux
Pasolini. le film de
Pasolini, plus visuel par son essence même, fait sans doute effet plus rapidement mais le roman de
Fernando Marías, rédigé en un style que j'ai jugé parfois un peu trop alambiqué et, en cela, certainement très littéraire, ne s'en hisse presque pas moins au même niveau. Choc, épouvante, écoeurement, nausée, impression de souillure (ou plutôt de tentative de souillure de votre esprit), colère, haine également, voilà ce qui vous envahit avant tout en lisant "
L'Enfant des Colonels", surtout lorsque vous pensez à la situation actuelle et particulièrement tendue dans laquelle se trouve plongé le monde d'aujourd'hui.
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L'Enfant des Colonels" pourrait se sous-titrer : "Précis de la Barbarie en Marche." le narrateur principal, Victor Lars, français par la naissance mais "citoyen du monde" si vous me passez l'expression en ce qui concerne la course à la psychopathie, n'est que souillure et corruption. de son passé, on ne sait rien - personnellement, j'eusse d'ailleurs aimé que le romancier s'étendît un peu plus là-dessus car ce "vide" contribue beaucoup à rendre son personnage non pas incroyable mais totalement incompréhensible. En ce psychopathe qui se met tout d'abord au service du national-socialisme, fait ami-ami avec Lafont rue Lauriston, puis, dans un bordel très privé, avec rien moins que Reinhard Heydrich en personne, le lecteur a beau chercher la faille, le petit détail qui rappellera que, même si ce ne fut que dans son berceau, il possédait en lui une part positive d'humanité, il ne trouve rien. C'est le vide complet, absolu, anéantissant, un vide encore plus spectaculaire que celui dont souffre le Martin Plumkett de
James Ellroy dans "
Un Tueur sur la route." On note en effet que Plumkett, si froid et calculateur qu'il soit, se pose tout de même quelques questions : son "état" ne lui paraît pas plus "normal" que celui de ceux qui l'entourent.
Avec Victor Lars, rien de tout cela n'est envisageable. Jamais il ne se pose de questions sur lui-même, sauf, peut-être, quand il s'agit des degrés d'horreur et d'avilissement qu'il est capable d'imposer à autrui. Quoique profondément intelligent et prévoyant, il est incapable d'aimer ou même de haïr. Ce qu'il fait et ce qu'il ordonne de faire, ce n'est en effet ni par haine, encore moins par idéologie politique ou religieuse ou encore parce qu'il a la certitude morale (peut-on utiliser ce terme quand on évoque pareil personnage, à qui je ne connais aucun équivalent dans la littérature ?), mais tout simplement parce que cela l'amuse et peut aussi lui rapporter beaucoup sur le plan financier (pour ne rien dire du pouvoir).
Bien que "
L'Enfant des Colonels" soit loin d'être un thriller, Victor Lars, son principal protagoniste, est, pour sa part, le Psychopathe par excellence. L'auteur pousse si loin cette étrange perfection dans l'anormalité que le lecteur - enfin, tel est mon ressenti - estime qu'il exagère et que, du coup, sa créature perd de sa crédibilité. Si Lars encourage ses "élèves" et ses compagnons dans l'horreur à boire et à absorber diverses drogues, lui se garde bien de les imiter. Pour être ce qu'il est, c'est-à-dire un monstre absolu et sans aucune excuse, il n'a besoin de rien, ni de personne : il EST - cela suffit.
Ce qui m'a le plus dérangée, je l'avoue, c'est de percevoir chez l'auteur - à tort ou à raison - comme une admiration plus ou moins larvée mais en tous cas sincère pour son personnage. Or, si l'on peut se sentir des atomes crochus avec le
Hannibal Lecter de
Thomas Harris ou encore avec le Bishop de
Shane Stevens ; si l'on peut s'étonner de la froideur glaciale d'un Martin Plumkett ; si l'on reste muet devant l'ambiguïté du Mal que symbolise admirablement le Pavel Egorovitch Khvatkine imaginé par les frères
Vainer pour "
L'Evangile du Bourreau", il est strictement impossible, en tous les cas à un esprit sain (osons le mot ), de s'attacher d'une quelconque façon à Victor Lars. Ce qui n'empêche pas l'individu de se prendre quasi pour un dieu - et son auteur de nous le présenter comme tel. A la fin même, on retrouve le dieu transformé en semi-légume, avec le regard d'"un homme bon." Evidemment, on comprendrait mieux si le livre avait un côté fantastique : possédé par une entité démoniaque, Lars est laissé à lui-même lorsque, en quelques sorte, la maladie le rend inutilisable. Mais "
L'Enfant des Colonels" ne présente aucune once de fantastique. de l'épouvante, de l'horreur, d'éventuelles envies d'aller vomir, oui : mais aucune créature surnaturelle n'est mêlée à l'affaire . Victor Lars est comme ça, c'est tout et nous n'aurons pas même la satisfaction de voir l'un de ceux qui ont survécu aux atrocités, physiques et / ou morales qu'il leur a infligées lever sur lui le glaive d'une vengeance amplement méritée. Non, Monsieur s'en va finir ses jours dans une île paradisiaque. Certes, il n'est plus qu'un légume mais un légume riche, très riche et qui aura toujours des foules de domestiques- esclaves pour le servir : il les a si bien "dressés" ...
Pour en revenir à l'intrigue, après la chute du nazisme sur le continent européen, Lars décide de se rendre non en URSS - où il aurait pourtant trouvé à faire merveille - mais en Amérique latine (c'est d'ailleurs un tantinet agaçant car on finit par se demander si l'auteur a entendu parler des dictatures "de gauche" comme celle de Castro, de Mao, de Pol Pot, etc ...) C'est là qu'il conçoit l'idée de son "Enfant des Colonels" : adopter très légalement un orphelin et le "dresser" afin de faire de l'enfant, qui n'a alors que trois ans, un bourreau dont le seul plaisir est de violer et de torturer. Toujours sûr et certain de ce qu'il avance, il est persuadé que cet "entraînement" fonctionnera avec tous les enfants. Mais ce n'est évidemment pas le cas : certains petits s'évadent dans la dépression, refusent de bouger, n'ont plus de goût à la vie ... et Victor, qui n'est pas un tendre, je crois l'avoir déjà dit, s'en "débarrasse" comme il effacerait des caractères mal formés sur un tableau noir. Mais le plus vexant pour lui, sans doute aucun, sera qu'il ne parviendra jamais à extirper tout à fait de l'esprit de son "Enfant des Colonels" le souvenir de son frère jumeau, lequel avait eu la chance d'être adopté par une famille de diplomates espagnols, les Ferrer. Cet enfant, devenu adulte et journaliste, Luis, peut par contre être tenu pour le véritable "héros" du livre. Il agit peu (mais toujours de manière opportune), occupé qu'il est à lire le manuscrit sur Victor Lars que lui a fourni l'un des ennemis de celui-ci, Jean Laventier, humanitaire qui étudia jadis à l'Université à Paris avec le tout jeune Victor, qu'il considérait alors comme un ami, presque un frère.
Mais vous voyez, quand on cherche à résumer ce roman, on s'embarque et tout de suite, on prend l'eau. Qu'il vous suffise de savoir que, pour adoucir la fin de cette sinistre histoire, Marías a prévu au moins deux personnages "humains", avec leurs faiblesses certes mais aussi leurs qualités : Laventier, qui assistera aux derniers moment du malheureux "Enfant des Colonels", et Luis Ferrer, qui récupérera sa fille (un tout petit bébé) et l'adoptera.
Le problème du livre - car je soutiens que c'est un problème même si l'ensemble repose sur lui - bien sûr, c'est Victor Lars. Il habite ce roman, il y est vraiment comme chez lui et je serais tentée de dire que je n'ai jamais vu cela chez un personnage mais ce serait inexact : disons que, jusqu'à ce jour, je n'avais jamais vu un aussi triste sire élevé à la dignité de "propriétaire" d'un récit. Joachim Goriot et Rastignac habitent "Le Père Goriot", Gervaise Macquart règne sur "L'Assommoir" et dans nos coeurs, Popeye (un autre psychopathe, celui-là mais au moins compréhensible) porte "Sanctuaire" au bout d'un épi de maïs ensanglanté, et tant d'autres font de même dans tant de livres, sur tant d'étagères ... Seulement, ceux-là sont des héros. Faibles ou forts, humbles ou orgueilleux, assassins ou victimes, ils établissent un lien naturel avec les lecteurs et leur univers. Mais le lien que tisse - avec un grand talent, je ne le nie pas -
Fernando Marías avec Victor Lars leur est et leur demeure privé. Certains, dans les ombres de leur conscience, frétilleront peut-être de délectation devant cette Horreur par excellence que représente Victor Lars mais à mon avis, ils seront rares : Lars, le Roi des Tortionnaires, est si creux, si vide ...
La comparaison avec certaines oeuvres de
Sade, qui pourrait venir à l'esprit, ne tient pas. Les personnages de
Sade lient tous l'horreur et le meurtre à la satisfaction sexuelle ; si Victor Lars utilise bel et bien le sexe comme appât, ce qu'il veut, ce qu'il recherche, et ce qu'il obtient - en tous cas tel est ce que j'ai ressenti - ce sont l'horreur, la torture, le meurtre pour eux seuls - le Mal primaire pour le Mal primaire et c'est tout. Attention : je n'écris pas le Mal absolu parce que, en dépit des apparences, le Mal exprimé par Lars est un Mal lui-même déviant et auquel il manque ce qui, dans tous les systèmes de pensée, crée le Mal absolu, en d'autres termes l'équilibre. Pour être le Mal absolu, il faut connaître, admirer, envier, cracher sur le Bien. le Mal symbolisé par Lars ignore le Bien : c'est un Mal détraqué, un Mal complètement dément.
Lecture donc très dure, très difficile (bien que passionnante :
Fernando Marías sait raconter une histoire). Lecture qui révulse et qui, pourtant, peut nous faire réfléchir au Mal à l'oeuvre actuellement autour de nous : oui, le Mal selon Victor Lars existe bel et bien mais "
L'Enfant des Colonels" démontre paradoxalement que, si répugnant qu'il soit et alors même qu'il aspire à une forme de pureté, de perfection, ce Mal est incomplet, primaire et promis à l'échec final. Il ne peut y avoir de Mal sans une parcelle de Bien et ça, c'est une chose que Victor Lars, si doué soit-il pour les tortures et "dressages" en tous genres, ne comprendra jamais : il en est foncièrement incapable. ;o(