Une autobiographie écrite à la troisième personne, désignée par le pseudo
Joseph Anton que l'auteur a dû emprunter pour assurer sa sécurité. Cela se présente comme une fiction, mais c'est en fait le récit de ce qu'il a vécu au jour le jour. Je ne sais si ce choix était le bon ; il laisse le lecteur un peu mal à l'aise aux prises avec un luxe de détails souvent inutiles qui pourrait se justifier dans un journal, mais passe mal pour le héros d'un roman qui prend, de ce fait, de façon dommageable, des allures de téléréalité.
On comprend malgré tout ce qui a motivé l'auteur : ce besoin de se distancier d'une période douloureuse, où sa liberté voire son identité a été saccagée et occultée, pour en être réduit à ce triste personnage fuyant qui prend des allures de fantôme, sous une menace constante. Pas de domicile vraiment fixe puisqu'il doit changer de lieu presque tous les six mois. Pas d'intimité puisqu'il doit vivre en permanence avec quatre policiers en état d'alerte. Pas le moindre déplacement sans autorisations qui prennent souvent des jours avant d'être validées. Voir son fils est une entreprise ardue, surtout quand on comprend que les politiciens jouent un jeu dangereux plus soucieux de ménager l'Iran (relation diplomatique) que de prendre une résolution ferme amenant une solution durable pour l'écrivain.
La raison de tout ceci : une sorte de récit apocryphe comme on en connait dans toute religion qui a été écarté pour des raisons plus ou moins obscures par le prophète lui-même et dont l'auteur s'est servi pour écrire une fiction. C'est bien une fiction avec des noms de personnages fictifs. Et l'auteur, d'origine indienne, de culture musulmane, est athée : sa démarche qui veut en quelque sorte esquisser l'historiographie d'une religion n'est pas un secret. Tout homme laïc ou athée a le droit d'avancer une hypothèse, de se construire une idée sur la naissance de ce qu'il considère comme un mythe. Personne ne devrait concevoir que c'est un blasphème. Et pourtant une Fatwa sera lancée en Iran par l'ayatollah Khomeyni. Une façon habile de désigner un bouc émissaire pour détourner l'attention de ses échecs (guerre avec l'Irak) et de rassembler les croyants contre un ennemi commun,
Rushdie, désigné comme le diable en personne.
L'auteur passera des années dans une prison dorée, il est vrai. Il a les moyens financiers d'assurer sa « cavale » et il sera soutenu par des célébrités parmi lesquelles je retiens :
Paul-Auster,
John-Irving, Isabelle Adjani qui aura le courage de lire un extrait des versets lors de la remise de son César de la meilleure actrice pour Camille Claudel.
Ce livre m'a permis de faire le tri : je ne lirais pas
Jacques-Derrida,
John-Le-carré.
La lâcheté des uns et des autres et des politiciens en particulier fait frémir : en Angleterre, sous l'ère de
Tony-Blair, ils ont bien failli remettre en circulation une nouvelle loi sur le blasphème (elle n'est pas passée à une voix près). La gauche incarnée par
Jacques-Derrida a osé répondre à
Salman-Rushdie qui défendait l'idée que l'Islam lui-même, l'Islam réellement existant ne pouvait être exonéré des crimes commis en son nom, que « la rage de l'islam était provoquée non par l'islam, mais par les mauvaises actions de l'occident. L'idéologie n'avait rien à voir là-dedans. Ce n'était qu'une question de pouvoir. » p506
On culpabilise l'Occident (ce qui en soi n'est pas une attitude erronée), mais pour ratifier le fait que les victimes ont le droit de devenir des bourreaux, ce qui est une absurdité !
Allez dire ça aux femmes afghanes lapidées, aux fillettes qui n'ont pas le droit d'aller à l'école, aux jeunes femmes iraniennes qui ont perdu la vie pour avoir ôté le voile !
Et, ne serait-ce pas cette même lâcheté qui a conduit à ce que certains terroristes se sentent suffisamment légitimes aux yeux du monde entier pour commettre les attentats les plus terribles pour ne pas dire des carnages? Les tours jumelles, le 11 septembre 20O1, Charlie, l'Hyper Casher, les 7 et 8 janvier 2015, Nice, le 14 juillet 2016 et tant d'autres parmi lesquels l'assassinat de deux traducteurs de
Salman-Rushdie et de nombreux écrivains.
La suite est glaçante : 12 août 2022,
Salman-Rushdie est poignardé et laissé pour mort.
Les médias ont placé plus de temps sur l'affaire Palmade que sur cette terrifiante atteinte à la liberté d'expression qui conduit les écrivains à se museler pour ne pas vivre le cauchemar des menaces et de la mise sous-protection policière.
Où est passée la civilisation des lumières qui s'était fait une gloire de lutter contre l'obscurantisme ?