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EAN : 9782251450407
360 pages
Les Belles Lettres (06/12/2019)
3.81/5   170 notes
Résumé :
Cette pièce est une autre Nef des fous. A son bord ont embarqué Pierre de Touche, Jacques, Orlando. Plus j'avançais dans la traduction et plus je me disais que le héros de Comme il vous plaira était Jacques le mélancolique. J'en fus absolument certaine au moment de traduire la fameuse tirade concernant les sept âges de la vie. Outre que l'immersion dans la musique du texte me tirait les larmes des yeux - j'avais bien conscience de me pencher sur la plus belle page j... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Cette comédie légère écrite vers 1599 a été inspirée à Shakespeare par un roman de Thomas Lodge « Rosalynde or Euphues' golden legacie ». Shakespeare y a trouvé son héroïne et une excellente analyse de l'amour chez une jeune fille. le décor est la forêt des Ardennes où Thomas Lodge place aussi ses personnages.

Résumé : Rosalinde, fille du duc banni, fuit avec sa cousine Célia, fille du nouveau duc Frédéric, dans la forêt des Ardennes dans l'espoir de retrouver son père. Pour éviter toute agression, elles se vêtissent en habits d'homme et vont faire diverses rencontres.

Si les premières pages mettent en avant la rivalité entre deux couples de frères Orlando / Olivier et les deux ducs, le thème majeur de cette comédie est bien évidemment l'amour. Mais l'amour sous différentes formes : l'amour père-fille déjà vu dans le roi Lear, l'amour homme-femme romantique et véritable comme dans Roméo et Juliette mais aussi l'amour que je qualifierais de « nécessaire » interprété ici par un clown et une paysanne et des bergers.
Tout comme dans le marchand de Venise, la femme a ici une place prépondérante et Rosalinde va avoir un rôle majeur, déterminant. Shakespeare sait à nouveau si bien décrire la passion féminine, nos attentes, nos désirs qu'on le lit avec enthousiasme. Il proclame des répliques féministes qui mettent en lumière la beauté et l'intelligence féminines et offre même un épilogue à son actrice principale Rosalinde.
Je vous livre bien entendu avec joie cette ode à la femme mais aussi quelques échanges plutôt drôles.

Acte II Scène 7 :
Jacques (seigneur ayant suivi le duc banni) : le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Tous ont leurs entrées et leurs sorties, et chacun y joue successivement les différents rôles d'un drame en sept âges. C'est d'abord l'enfant vagissant et bavant dans les bras de la nourrice. Puis, l'écolier pleurnicheur, avec sa sacoche et sa face radieuse d'aurore, qui, comme un limaçon, rampe à contrecoeur vers l'école. Et puis, l'amant, soupirant, avec l'ardeur d'une fournaise, une douloureuse ballade dédiée aux sourcils de sa maîtresse. Puis, le soldat, plein de jurons étrangers, barbu comme le léopard, jaloux sur le point d'honneur, brusque et vif à la querelle, poursuivant la fumée réputation jusqu'à la gueule du canon. Et puis, le juge, dans sa belle panse ronde garnie d'un bon chapon, l'oeil sévère, la barbe solennellement taillée, plein de sages dictons et de banales maximes, et jouant, lui aussi, son rôle. le sixième âge nous offre un maigre Pantalon en pantoufles, avec des lunettes sur le nez, un bissac au côté ; les bas de son jeune temps bien conservés, mais infiniment trop larges pour son jarret racorni ; sa voix, jadis pleine et mâle, revenant au fausset enfantin et modulant un aigre sifflement. La scène finale, qui termine ce drame historique, étrange et accidenté, est une seconde enfance, état de pur oubli ; sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien.

Acte III Scène 2 :
Pierre de Touche (le clown) : Eh bien, si tu n'as jamais été à la cour, tu n'as jamais vu les bonnes façons ; si tu n'as jamais vu les bonnes façons, tes façons doivent être nécessairement mauvaises ; et le mal est péché, et le péché est damnation. Tu es dans un état périlleux, berger.
Corin (berger) : Point du tout, Pierre de Touche. Les bonnes façons de la cour seraient aussi ridicules à la campagne que les manières de la campagne seraient grotesques à la cour. Vous m'avez dit qu'on ne se salue à la cour qu'en se baisant les mains : cette courtoisie serait très malpropre, si les courtisans étaient des bergers.
Pierre de Touche : La preuve, vite ! Allons, la preuve !
Corin : Eh bien, nous touchons continuellement nos brebis, et vous savez que leur toison est grasse.
Pierre de Touche : Eh bien, est-ce que les mains de nos courtisans ne suent pas ? Et la graisse d'un mouton n'est-elle pas aussi saine que la sueur d'un homme ? Raison creuse, raison creuse ! Une meilleure, allons !
Corin : En outre, nos mains sont rudes.
Pierre de Touche : Vos lèvres n'en sentiront que mieux le contact. Encore une creuse raison ! Une plus solide, allons !
Corin : Et puis elles se couvrent souvent de goudron, quand nous soignons notre troupeau : voudriez-vous que nous baisions du goudron ? Les mains du courtisan sont parfumées de civette.
Pierre de Touche : Homme borné ! Tu n'es que de la chair à vermine, comparé à un beau morceau de viande. Oui-da ! Ecoute le sage et réfléchis : la civette est de plus basse extraction que le goudron, c'est la sale fiente d'un chat. Une meilleure raison, berger !
Corin : Vous avez un top bel esprit pour moi !
Pierre de Touche : Veux-tu donc rester damné ? Dieu t'assiste, homme borné ! Dieu veuille t'ouvrir la cervelle ! Tu es bien naïf !
Corin : Monsieur, je suis un simple journalier ; je gagne ce que je mange et ce que je porte ; je n'ai de rancune contre personne ; je n'envie le bonheur de personne ; je suis content du bonheur d'autrui, et résigné à tout malheur ; et mon plus grand orgueil est de voir mes brebis paître et mes agneaux téter.
Pierre de Touche : Encore une coupable simplicité : rassembler brebis et béliers, et tâcher de gagner sa vie par la copulation du bétail ; se faire l'entremetteur de la bête à laine, au mépris de toute conscience, livrer une brebis d'un an à un bélier cornu, chenu et cocu ! Si tu n'es pas damné pour ça, c'est que le diable lui-même ne veut pas avoir de bergers ; autrement, je ne vois pas comment tu peux échapper.

Poème écrit par Orlando pour Rosalinde :
J'attacherai à chaque arbre des langues qui proclameront des vérités solennelles :
Elles diront combien vite la vie de l'homme parcourt son errant pèlerinage ;
Que la somme de ses années tiendrait dans une main tendue ;
Que de fois ont été violés les serments échangés entre deux âmes amies.
Mais, sur les branches les plus belles et au bout de chaque phrase,
J'écrirai le nom de Rosalinde, pour faire savoir à tous ceux qui lisent
Que le ciel a voulu condenser en elle la quintessence de toute grâce.
Ainsi le ciel chargea la nature d'entasser dans un seul corps
Toutes les perfections éparses dans le monde.
Aussitôt la nature passa à son crible la beauté d'Hélène, sans son coeur,
La majesté de Cléopâtre, le charme suprême d'Atalante, l'austère chasteté de Lucrèce.
Ainsi de maintes qualités Rosalinde fut formée par le synode céleste :
Nombre de visages, de regards et de coeurs lui cédèrent leurs plus précieux attraits.
Le ciel a décidé qu'elle aurait tous ces dons, et que je vivrais et mourrais son esclave.

Acte III Scène 3 :
Audrey (paysanne) : Je ne sais point ce que c'est que poétique. Ca veut dire honnête en action et en parole ? Est-ce quelque chose de vrai ?
Pierre de Touche : Non, vraiment ; car la vraie poésie est toute fiction, et les amoureux sont adonnés à la poésie ; et l'on peut dire que, comme amants, ils font une fiction de ce qu'ils jurent comme poètes.
Audrey : Et vous voudriez que les dieux m'eussent faite poétique ?
Pierre de Touche : Oui, vraiment, car tu m'as juré que tu étais vertueuse ; or, si tu étais poète, je pourrais espérer que c'est une fiction.
Audrey : Voudriez-vous que je ne fusse pas vertueuse ?
Pierre de Touche : Je le voudrais, certes, à moins que tu ne fusses laide. Car la vertu accouplée à la beauté, c'est le miel servant de sauce au sucre.
Jacques, à part : Fou profond !
Audrey : Eh bien, je ne suis pas jolie, et conséquemment je prie les dieux de me rendre vertueuse.
Pierre de Touche : Oui, mais donner la vertu à un impur laideron, c'est servir un excellent mets dans un plat sale.
Audrey : Je ne suis pas impure, bien que je sois laide, Dieu merci !
Pierre de Touche : C'est bon ! Les dieux soient loués de ta laideur ! L'impureté a toujours le temps de venir… Quoi qu'il en soit, je veux t'épouser, et à cette fin j'ai vu sire Olivier Gâche-Texte, le vicaire du village voisin, qui m'a promis de me rejoindre dans cet endroit de la forêt et de nous accoupler.
Jacques, à part : Je serais bien aise de voir cette réunion.
Audrey : Allons, les dieux nous tiennent en joie !
Pierre de Touche : Amen ! Certes un homme qui serait de coeur timide pourrait bien chanceler devant une telle entreprise ; car ici nous n'avons d'autre temple que le bois, d'autres témoins que les bêtes à cornes. Mais bah ! courage ! Si les cornes sont désagréables, elles sont nécessaires. On dit que bien des gens ne savent pas la fin de leurs fortunes ; c'est vrai : bien des gens ont de bonnes cornes, et n'en savent pas la véritable fin. Après tout, c'est le douaire de leurs femmes ; ce n'est pas de leur propre apport. Des cornes ?... Dame, oui !... Pour les pauvres gens seulement ?... Non, non ; le plus noble cerf en a d'aussi amples que le plus vilain. L'homme solitaire est-il donc si heureux ? Non. de même qu'une ville crénelée est plus majestueuse qu'un village, de même le chef d'un homme marié est plus honorable que le front uni d'un célibataire. Et autant une bonne défense est supérieure à l'impuissance, autant la corne est préférable à l'absence de corne.

Acte III Scène 5 :
Rosalinde, intervenant pour réprimer les insultes que lance Phébé (bergère) à son prétendant le berger Silvius : Et pourquoi, je vous prie ? de quelle mère êtes-vous donc née, pour insulter ainsi et accabler à plaisir les malheureux ? Quand vous n'auriez de la beauté (et, ma foi ! Je vous en vois tout juste assez pour aller au lit la nuit sans chandelle), serait-ce une raison pour être arrogante et impitoyable ?... Eh bien, que signifie ceci ?

Acte IV Scène 1 :
Rosalinde (déguisée en homme) parlant de Rosalinde : Combien de temps voudrez-vous d'elle, quand vous l'aurez possédée ?
Orlando : L'éternité, et un jour.
Rosalinde : Dites un jour, sans l'éternité. Non, non, Orlando. Les hommes sont Avril quand ils font la cour, et Décembre quand ils épousent. Les filles sont Mai tant qu'elles sont filles, mais le temps change dès qu'elles sont femmes. Je prétends être plus jalouse de toi qu'un ramier de Barbarie de sa colombe, plus criarde qu'un perroquet sous la pluie, plus extravagante qu'un singe, plus éperdue dans mes désirs qu'un babouin. Je prétends pleurer pour rien comme Diane à la fontaine, et ça quand vous serez en humeur de gaieté ; je prétends rire comme une hyène, et ça quand tu seras disposé à dormir.
Orlando : Mais ma Rosalinde fera-t-elle tout cela ?
Rosalinde : Sur ma vie, elle fera comme je ferai.
Orlando : Oh ! mais elle est sage !
Rosalinde : Oui, autrement elle n'aurait pas la sagesse de faire tout cela. Plus elle sera sage, plus elle sera maligne. Fermez les portes sur l'esprit de la femme, et il s'échappera par la fenêtre ; fermez la fenêtre, et il s'échappera par le trou de la serrure ; bouchez la serrure, et il s'envolera avec la fumée par la cheminée.
Orlando : Un homme qui aurait une femme douée d'autant d'esprit pourrait bien s'écrier : « Esprit, où t'égares-tu ? »
Rosalinde : Oh ! Vous pouvez garder cette exclamation pour le cas où vous verriez l'esprit de votre femme monter au lit de votre voisin.
Orlando : Et quelle spirituelle excuse son esprit trouverait-il à cela ?
Rosalinde : Parbleu ! Il lui suffirait de dire qu'elle allait vous y chercher. Vous ne la trouverez jamais sans réplique, à moins que vous ne la trouviez sans langue. Pour la femme qui ne saurait pas rejeter sa faute sur le compte de son mari, oh ! qu'elle ne nourrisse pas elle-même son enfant, car elle en ferait un imbécile !

Acte V Scène 1 :
Pierre de Touche : Avoir c'est avoir. Car c'est une figure de rhétorique qu'un liquide, étant versé d'une tasse dans un verre, en remplissant un évacue l'autre. Car tous vos auteurs sont d'avis que ipse c'est lui-même ; or, tu n'es pas ipse, car je suis lui-même.
William (prétendant d'Audrey) : Quel lui-même, monsieur ?
Pierre de Touche, montrant Audrey : Ce lui-même, monsieur, qui doit épouser cette femme. C'est pourquoi, ô rustre, abandonnez, c'est-à-dire, en termes vulgaires, quittez la société, c'est-à-dire, en style villageois, la compagnie de cette femelle, c'est-à-dire, en langue commune, de cette femme, c'est-à-dire, en résumé, abandonne la société de cette femelle ; sinon, rustre, tu péris, ou, pour te faire mieux comprendre, tu meurs ! En d'autres termes, je te tue, je t'extermine, je translate ta vie en mort, ta liberté en asservissement ! J'agis sur toi par le poison, par la bastonnade ou par l'acier, je te fais sauter par guet-apens, je t'écrase par stratagème, je te tue de cent cinquante manières ! C'est pourquoi tremble et décampe.

Acte V Scène 4 :
Jacques : Pourriez-vous à présent nommer par ordre les degrés du démenti ?
Pierre de Touche : Oh ! Monsieur, nous nous querellons d'après l'imprimé ; il y a un livre pour ça comme il y a des livres pour les bonnes manières. Je vais vous nommer les degrés. Premier degré, la Réplique courtoise ; second, le Sarcasme modeste ; troisième, la Répartie grossière ; quatrième, la Riposte vaillante ; cinquième, la Contradiction querelleuse ; sixième, le Démenti à condition ; septième, le Démenti direct. Vous pouvez les éluder tous, excepté le démenti direct ; et encore vous pouvez éluder celui-là par un Si. J'ai vu le cas où sept juges n'avaient pu arranger une querelle ; mais, tous les adversaires se rencontrant, l'un d'eux eut tout bonnement l'idée d'un Si, comme par exemple : « Si vous avez dit ceci, j'ai dit cela » et alors ils se serrèrent la main et jurèrent d'être frères. Votre Si est l'unique juge de paix ; il y a une grande vertu dans le Si.

Epilogue :
Rosalinde, aux spectateurs : Ce n'est pas la mode de voir l'héroïne en épilogue, mais ce n'est pas plus malséant que de voir le héros en prologue. S'il est vrai que bon vin n'a pas besoin d'enseigne, il est vrai aussi qu'une bonne pièce n'a pas besoin d'épilogue. Pourtant à de bon vin on met de bonnes enseignes et les bonnes pièces semblent meilleures à l'aide des bons épilogues. Dans quel embarras suis-je donc, moi qui ne suis pas un bon épilogue et ne puis intercéder près de vous en faveur d'une bonne pièce ! Je n'ai pas les vêtements d'une mendiante : mendier ne me sied donc pas. Ma ressource est de vous conjurer, et je commencerai par les femmes… O femmes ! je vous somme, par l'amour que vous portez aux hommes, d'applaudir dans cette pièce tout ce qui vous en plaît ; et vous, ô hommes, par l'amour que vous portez aux femmes (et je m'aperçois à vos sourires que nul de vous ne les hait), je vous somme de concourir avec les femmes au succès de la pièce… Si j'étais femme, j'embrasserais tout ceux d'entre vous dont la barbe me plairait, dont le teint me charmerait, et dont l'haleine ne me rebuterait pas ; et je suis sûr que tout ceux qui ont la barbe belle, le visage beau et l'haleine douce, en retour de mon offre aimable, voudront bien, quand j'aurai fait la révérence, m'adresser un cordial adieu.
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De la prose, quelques vers et chansons pour cette comédie en cinq actes que la présentation bilingue récente et soignée des Belles Lettres permet de découvrir ou de relire avec beaucoup de plaisir. Cécile Ladjali offre au texte français une forme versifiée libre au rythme très enlevé, tout à fait appropriée aux intrigues qu'on y rencontre, à mettre en parallèle avec la traduction plus classique de J. Supervielle dont je dispose dans la Pleïade (nrf, Gallimard, 1959). Pièce taxée de secondaire dans l'oeuvre de Shakespeare et on s'en fiche. Adaptée librement par lui d'un roman de Thomas Lodge, lui-même inspiré d'un conte attribué à Geoffrey Chaucer. Comme il vous plaira (As you like it) commence sur le ton de la tragédie. Premier acte, à la cour du duc usurpateur Frédéric, qui a contraint son frère aîné à l'exil dans la forêt d'Ardennes, et dans le sillage duquel l'affrontement de deux autres frères ennemis, Olivier et Orlando, devient l'illustration brutale de la tyrannie nouvellement installée. Olivier l'aîné conteste en effet à son cadet Orlando tout droit à l'héritage paternel (leur père Sire Roland des Bois était un fidèle du duc banni) ; et non content d'avoir réduit Orlando à l'état de valet, Olivier prévoit même de le faire liquider lors d'un combat avec le lutteur du nouveau duc Frédéric.

L'attachement réel et sincère entre Célia (la fille de Frédéric) et Rosalinde sa cousine (fille du duc banni) retenue à la cour par l'oncle usurpateur apporte un contrepoint apaisant aux rivalités viriles et meurtrières dont elles veulent écarter Orlando ! Sa victoire inattendue dans le tournoi organisé à ses dépens par l'usurpateur change évidemment la donne. Orlando indésirable doit disparaître rapidement du duché tandis que Rosalinde, victime collatérale vers laquelle il portait déjà ses regards énamourés, est bannie à son tour. Un commun stratagème va permettre aux deux inséparables cousines de s'en aller rejoindre sans danger le cercle vertueux des exilés de la forêt d'Ardennes en compagnie de leur bouffon (Pierre de Touche) – l'une déguisée en page de Jupiter (Rosalinde/Ganymède), l'autre se faisant passer pour sa soeur (Célia/Aliéna). Elles y retrouvent bientôt Orlando et son vieux serviteur Adam...

Comme il vous plaira alterne et oppose deux scènes, scène de cour et scène champêtre, et deux atmosphères. C'est le charme de cette traduction d'en faire ressortir quelques nuances subtiles. La cour, siège du pouvoir usurpé, dominée par Frédéric, lieu de discordes ou de complots fratricides, de vanités ou d'ambitions, que fuient Orlando, Rosalinde et Célia et la forêt d'Ardennes, accueillante aux exclus, le duc banni compagnons et serviteurs auxquels se joint le jeune trio à l'acte II. La comédie reprend alors ses droits et déploie ses divers jeux amoureux entre légèreté et gravité au coeur d'une sylve protectrice et rédemptrice à la fin. Dans ce refuge bucolique riche des bruissements de tous les malentendus et quiproquos, après bien des rebondissements, chacun récupèrera ou trouvera sa chacune y compris l'infâme Olivier. Ganymède profite de son apparence de page pour s'occuper d'Orlando qui ignore avoir affaire, sous le déguisement, à la malicieuse et futée Rosalinde dont Phébé, la bergère, tombe aussi amoureuse avant de retrouver son berger. Etc.

[…] Ici loin du tumulte du monde,
On découvre que les arbres nous parlent,
que les rivières regorgent d'ouvrages,
que les pierres nous livrent des sermons,
et que partout règnent le bel et le bon.”
(Duc aîné, Acte II, sc. 1, p. 87)

Mais l'un des personnages les plus emblématiques de l'oeuvre dont le duc banni recherche et affectionne la compagnie ironique et distanciée sous les arbres est Jacques dit le mélancolique. Sensible au malheur du grand cerf blessé (Acte II, sc. I) ou considérant et regrettant plus loin la chasse et l'usurpation par leur communauté sylvestre du territoire des animaux (p. 93). L'homme est-il cet éternel usurpateur ? Cette voix différente descendue des profondeurs d'une forêt lointaine donne au texte quelques échos plus actuels. Comme il vous plaira diffuse me semblet-il une vision sans illusion sur la condition et la société des hommes dont le théâtre est aussi la métaphore :

“Le monde entier est un théâtre :
Hommes et femmes y sont de simples acteurs,
Ils ont leurs entrées puis
leurs sorties. […]
(Acte II, sc. VII, p. 145, début de l'inoubliable tirade sur les sept âges de la vie).





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Comme il vous plaira' est la plus absurde et la plus charmante des pièces de Shakespeare. Elle se déroule dans une forêt des Ardennes où l'on rencontre lions, palmiers et serpents géants. Un prince exilé, dépossédé par son frère, y vit avec sa cour, se nourrissant de l'air du temps. Quelques bergers et bergères y mènent leurs habituels madrigaux. Finalement, le prince récupère son royaume sans avoir à lever le petit doigt, son frère ayant, en discutant avec un saint ermite, réalisé qu'il était vilain et que c'était très méchant…

Mais il y a la délicieuse Rosalinde qui est, si l'on peut dire, l'homme de la situation. Bien plus que son soupirant, le brave Orlando, c'est elle qui porte la pièce et ce sont ses facéties qui lui donnent sa gaieté. Déguisée en garçon, elle convainc Orlando qu'elle peut le dégouter de sa maitresse… S'il accepte de faire comme si elle était Rosalinde. Elle joue avec les uns et les autres et mine de rien, profite de son déguisement pour tester ses sentiments aussi bien que ceux des autres. du reste, c'est elle que l'auteur envoie, en guise d'épilogue, convaincre les spectateurs d'applaudir la pièce !

Il y a le bon seigneur Jacques, « Monsieur Comme-il-vous-plaira ». Que fait-ici ce grognon à l'esprit indéfectiblement chagrin ? Se serait-il trompé de pièce ? Personne ne tient à sa compagnie, il ne tient à celle de personne, mais il est là. Il y a le bouffon à la langue bien pendue, et sa fiancée pleine de bon sens… Et il y a surtout les joutes oratoires permanentes entre tous ces personnages, qui donnent lieu à un véritable feu d'artifice verbal. C'est de là que vient notamment la fameuse phrase « le monde entier est un théâtre », qui eut le succès que l'on sait. Mais on y trouve aussi deux bonnes douzaines de façons de traiter quelqu'un d'abruti avec une suprême élégance. A méditer, en ces temps où elle se perd au point de ne plus savoir quoi répondre à un banal « mort aux cons. »

Rapidement et facilement lue, cette petite pièce au nom plus que passe-partout est donc loin d'être à dédaigner, tel est mon sentiment. Mais si vous ne me croyez pas… Comme il vous plaira !
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Aaaaah, la pastorale! Bien aimé cette comédie très légère de Shakespeare, qui a majoritairement pour lieu la forêt, à la manière du fabuleusement onirique, délirant et hilarant Songe d'une nuit d'été. Je suis toujours difficile avec les comédies tant je raffole du tragique, mais force est de constater que le Dieu de la littérature sait faire la différence et l'exception, même si on est loin ici de la folie totale du Songe. Comédie plus traditionnelle certes, avec quelques codes que l'on connaît bien, mais cela reste Shakespeare et ses magnifiques répliques, perles, maximes à retenir jusqu'à la fin des temps et au-delà, focalisées sur l'amour et le sexe cette fois-ci. Car oui, la pièce nous expose de belles histoires pastorales... et des dialogues lubriques savoureux! Ainsi, il y en a pour tout le monde, surtout qu'en plus, elle se permet pour l'époque de traiter, à travers le personnage travesti de Rosalinde, des thèmes comme la bisexualité, l'homosexualité, le travestissement... Assez incroyable. Sans oublier que cette pièce, considérée comme mineure dans l'oeuvre du Maître, contient la fameuse tirade sur le Monde en tant que Théâtre, grand leitmotiv shakespearien (Macbeth, La Tempête...).

Adorateurs de Shakespeare comme moi, ne négligez pas cette romance sylvestre salace, surtout dans notre siècle matérialiste!
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Il semble décidément qu'avec Shakespeare, il n'y ait pas de demi-mesure : les tragédies sont très sombres, les comédies très légères.
Et si je voit bien l'intérêt qu'il y a à faire des tragédies extrêmement sombres, tels qu'Othello ou que "Macbeth", je suis plus perplexe concernant l'intérêt de comédies d'une telle légèreté. Je trouve à ces pièces souvent un manque de profondeur, une superficialité, qui m'empêchent de les mettre à l'égal des grandes tragédies du grand William Shakespeare.
Et si je n'ai pas détesté "Comme il vous plaira", il me semble toutefois que cette pièce romanesque, distrayante et légère, n'a pas la profondeur d'un "Hamlet", d'un "Richard III", d'un "Othello", d'un "Roméo et Juliette" ou d'un "Macbeth".
Il s'agit d'une pièce agréable, relativement bien écrite, avec, il est vrai, deux ou trois petites maximes intéressantes, qui ne suffisent toutefois pas à conférer à cette pièce, dans son ensemble, une grande profondeur.
Il n'empêche ; cette comédie se lit agréablement, Shakespeare reste un talentueux écrivain et ne nous impose pas un nouveau "Songe d'une nuit d'été", ou, même, dans la catégorie des tragédies, un nouveau "Roi Lear". Sans prétendre que cette pièce fait partie des grandes, des très grandes pièces que William Shakespeare nous a léguées, c'est une pièce distrayante et son caractère romanesque n'est pas le moindre de ses attraits.
D'autant plus qu'il y a quand même une chose, ou plutôt un personnage, que j'ai beaucoup aimé dans cette pièce : Pierre de Touche, un fou pas si fou, qui me rappelle celui du "Roi Lear", qui dit des vérités en plaisantant en apparence !
Au final, "Comme il vous plaira" est une pièce agréable, un peu superficielle, mais plaisante à lire. Un bon texte, mais sans plus.
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Jacques (seigneur ayant suivi le duc banni) : Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Tous ont leurs entrées et leurs sorties, et chacun y joue successivement les différents rôles d’un drame en sept âges. C’est d’abord l’enfant vagissant et bavant dans les bras de la nourrice. Puis, l’écolier pleurnicheur, avec sa sacoche et sa face radieuse d’aurore, qui, comme un limaçon, rampe à contrecoeur vers l’école. Et puis, l’amant, soupirant, avec l’ardeur d’une fournaise, une douloureuse ballade dédiée aux sourcils de sa maîtresse. Puis, le soldat, plein de jurons étrangers, barbu comme le léopard, jaloux sur le point d’honneur, brusque et vif à la querelle, poursuivant la fumée réputation jusqu’à la gueule du canon. Et puis, le juge, dans sa belle panse ronde garnie d’un bon chapon, l’œil sévère, la barbe solennellement taillée, plein de sages dictons et de banales maximes, et jouant, lui aussi, son rôle. Le sixième âge nous offre un maigre Pantalon en pantoufles, avec des lunettes sur le nez, un bissac au côté ; les bas de son jeune temps bien conservés, mais infiniment trop larges pour son jarret racorni ; sa voix, jadis pleine et mâle, revenant au fausset enfantin et modulant un aigre sifflement. La scène finale, qui termine ce drame historique, étrange et accidenté, est une seconde enfance, état de pur oubli ; sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien.
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ORLANDO - Je me rappelle bien, Adam ; tel a été mon legs, une misérable somme de mille écus dans son testament ; et, comme tu dis, il a chargé mon frère, sous peine de sa malédiction, de me bien élever, et voilà la cause de mes chagrins. Il entretient mon frère Jacques à l’école, et la renommée parle magnifiquement de ses progrès. Pour moi, il m’entretient au logis en paysan, ou pour mieux dire, il me garde ici sans aucun entretien ; car peut-on appeler entretien pour un gentilhomme de ma naissance, un traitement qui ne diffère en aucune façon de celui des bœufs à l’étable ? Ses chevaux sont mieux traités ; car, outre qu’ils sont très-bien nourris, on les dresse au manège ; et à cette fin on paye bien cher des écuyers : moi, qui suis son frère, je ne gagne sous sa tutelle que de la croissance : et pour cela les animaux qui vivent sur les fumiers de la basse-cour lui sont aussi obligés que moi ; et pour ce néant qu’il me prodigue si libéralement, sa conduite à mon égard me fait perdre le peu de dons réels que j’ai reçus de la nature. Il me fait manger avec ses valets ; il m’interdit la place d’un frère, et il dégrade autant qu’il est en lui ma distinction naturelle par mon éducation. C’est là, Adam, ce qui m’afflige.
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Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles.
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Rosalinde

Plus la femme est intelligente et plus elle est imprévisible.
Cadenassez les portes sur l'esprit d'une femme et il s'échappera par la fenêtre,
fermez celle-ci et il filera par le trou de la serrure,
obstruez-le et il s'envolera par la cheminée avec la fumée (p. 265).

Acte IV, sc. I
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PIERRE DE TOUCHE
Grand dommage que les fous ne puissent dire, dans leur sagesse, les folies qu'ils voient bien que font les sages.
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Vidéo de William Shakespeare
SHAKESPEARE – Les femmes dans Henri VI & Richard III avec Patrice Chéreau (FR3, 1999) Un documentaire de Stéphane Metge réalisé en 1999. Présence : Patrice Chéreau, Elsa Bosc, Céline Carrère, Jeanne Casilas, Rebecca Convenant, Amélie Jalliet, Cylia Malki, Sarah Mesguich. Traduction utilisée : Armand Guibert, Pierre Leyris et Daniel Loayza (édition du Club Français du Livre).
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