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Critiques de Ahmadou Kourouma (217)
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En attendant le vote des bêtes sauvages

Imaginez un continent qui a été découpé grossièrement, partagé, occupé et dominé, dont on a envoyé les hommes faire la guerre pour des intérêts qui ne les concernent même pas, puis décolonisé sans pour autant avoir été complètement libéré: une poignée d'hommes, présents sur les cinq continents - dont l'Afrique - continuent à tirer les ficelles des dictatures qui y ont été mises en place car tous y trouvent un intérêt: économique, diplomatique, stratégique, politique...

Koyaga (alias Gnassingbé Eyadema) arrive au pouvoir après avoir fait tuer ceux avec qui il le partageait. Commence alors son initiation auprès des souverains des pays voisins, chacun s'évertuant, en l'accueillant dans leur palais, à lui expliquer les règles et tactiques du bon dictateur, avant que ne commence enfin son propre règne despotique.

Dans la langue vivante et impertinente qui lui est propre, Kourouma nous fait faire le tour de l'Afrique de l'Ouest et du Nord et nous raconte, avec verve, les personnalités de personnages haut en couleur tels que Mobutu, le roi Hassan II ou encore Houphouët-Boigny, dictateurs tout droit sortis de nos livres d'Histoire alors sans reliefs.

Il faut déjà porter un certain intérêt à l'Histoire africaine contemporaine pour s'engager dans ce roman plein de références, même s'il prend souvent des allures de contes africains, ce qui lui donne des airs de réalisme magique que j'ai adoré, tout comme les expressions africaines très imagées dont il parsème le roman, découpé en veillées contées, selon la tradition orale.

Il a fallu que je m'accroche parfois et que je vérifie certains faits, mais j'ai été, en général, happée par cette lecture. C'est drôle, féroce comme ces dictateurs eux bien réels, impertinent et touché de sorcellerie. Quel grand écrivain que ce Kourouma! Prochain sur ma liste: Monnè, outrages et défis, mais aussi une très grande envie de vraiment consacrer plus de temps à la littérature africaine contemporaine.
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Les Soleils des indépendances

Considéré en Afrique comme un classique, Les soleils des indépendances de l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma (1927-2003), raconte une descente aux enfers : celle de Fama, dernier représentant d'une lignée princière que le colonialisme, puis l'indépendance ont pratiquement réduit à la mendicité. Comme celui de Dante, cet enfer tropical a ses différents cercles (social, conjugal, culturel, politique…), que le pauvre Fama parcourt l'un après l'autre, jusqu'à sa déchéance finale.



En toile de fond, un pays d'Afrique livré à la griffe d'un dictateur, où l'on peut écoper de vingt ans de prison simplement pour avoir rêvé d'un opposant au régime, et puis se retrouver libre du jour au lendemain, sans aucune raison particulière. Un pays où l'allégeance servile (et obligatoire) au parti unique est en passe d'anéantir toute la richesse des sociétés traditionnelles.

Attention, l'auteur est aussi sans concession envers ces dernières, qui excisent les petites filles et les transforment en esclaves, dès le lendemain de leur mariage.



Tout cela pourrait sembler d'un pessimisme absolu sans la verdeur, l'humour et l'inépuisable inventivité verbale d' Ahmadou Kourouma. On songe, en le lisant, au réalisme magique de l'Automne du patriarche, de Garcia Marquez, ou aux premiers romans d'Édouard Glissant, publiés à peu près à la même époque.

Si Kourouma choisit d'écrire en français, ce n'est pas, on le devine, pour refaire du Bossuet. Tordant joyeusement le cou à la syntaxe et au vocabulaire français, il les pare au passage de rythmes, de sonorités et d'images nouvelles – sans que cela cesse pour autant d'être du français, et même du très bon.

Au fil de ces pages, on a parfois l'impression, d'être assis à l'ombre d'un fromager et d'écouter le palabre quotidien du village dont Fama est le prince : il y est question de religion, de politique, de prédictions, voire de scatologie, le tout constamment émaillé de proverbes souvent très drôles.

C'est ainsi qu'on apprend qu' « en politique, le vrai et le faux portent le même pagne », qu' « on ne rassemble pas des oiseaux quand on craint le bruit des ailes » ou bien encore qu'« à renifler avec discrétion le pet de l'effronté, il vous juge sans nez. »



Une livre passionnant.
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Yacouba, chasseur africain

Les quelques romans d’Ahmadou Kourouma que j’ai lus, ils s’adressaient à un public adulte (et averti !). Aussi ai-je été surpris quand ce tout petit livre, cette plaquette m’est tombée entre les mains. Yacouba, chasseur africain. Un roman jeunesse, où il est question d’aventure et de multiculturalisme. Tout commence avec Mathieu, un jeune Français bien ordinaire, de souche. Je ne me rappelle plus son âge (était-ce vraiment indiqué ?), il doit avoir entre dix et douze ans. Il fait son premier voyage à l’étranger : il rend visite à sa tante qui s’est mariée à un Ivoirien et qui vit à Abidjan. C’est elle qui l’accueille à l’aéroport, avec ses enfants les jumeaux Julien Lacina et Sophie Mahan, ainsi que sa nièce Saly par alliance. Les enfants semblent tous avoir le même âge.



L’arrivée à Abidjan est un choc culturel garanti. Les enfants qui travaillent, des adultes qui s’en prennent aux petits pour leur soutirer leur argent, des familles qui mendient, etc. C’est ça que remarque d’abord Mathieu. Et que dire de cet oncle, le terrifiant Yacouba ! Chasseur, sorcier et guérisseur professionnel, il vit selon un mode de vie plus traditionnel. Justement, il vient chercher sa fille Saly pour une cérémonie d’initiation pendant laquelle elle et d’autres jeunes de son âge seront scarifiés. Certains s’y opposent, à commencer par la grand-mère, mamie Aïssata.



J’ai trouvé surprenant qu'un auteur africain prenne le parti de la modernité contre la tradition, quoique que ce soit compréhensible (du point de vue d’un Occidental) qu’on tende à s’éloigner de rituels potentiellement dangereux. Je trouve dommage que son roman présente des personnages un peu stéréotypés (ou peut-être ne le sont-ils pas, qu’en sais-je ?) et qu’il n’offre qu’un aperçu très superficiel de la Côte d’Ivoire. Ceci dit, il ne faut pas s’attendre à trop pour 109 pages remplies d’illustrations destinées à la jeunesse. Ainsi, Yacouba, chasseur africain a sans doute rempli son mandat.
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En attendant le vote des bêtes sauvages

Kourouma nous propose de partager, à la nuit tombée, de magnifiques veillées sous le ciel africain. On rit, souvent, mais on frissonne aussi d'effroi, car ce conte fantastique est aussi et surtout une dénonciation du pouvoir despotique : quelques tyrans – ayant sévis dans quelques pays africains – sont aisément reconnaissables...

...Alors asseyez-vous en tailleur autour d'un bon feu (ou plutôt... le dos collé au radiateur du salon), et écoutez les griots faire le récit de cette histoire tragi-comique, car le bon général-président, se croyant flatté, se trémousse d'aise.

Il existe pas mal de romans qui sont ainsi des métaphores de l'histoire politique récente de l'Afrique et, pour ces magnifiques écrivains, des exutoires à la peur, à l'impuissance qu'ils ressentent...

Celui-ci tient une place toute particulière....le talent de l'auteur y est pour beaucoup. Oui, moquons-nous des tyrans, des dictateurs, de ceux qui se croient aujourd'hui puissants dans ce monde, car leur tyrannie s'effondre à chaque fois que résonne nos rires insolents !
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Les Soleils des indépendances

Vous cherchez un grand roman africain? En voici un.

Fama, de la lignée Malinké des Doumbouya, seigneurs du Horodougou, n'est plus ce qu'il était. Il vivote à la capitale, est obligé de courir les fêtes, mariages, naissances et enterrements, pour subsister. Sa dignité en prend un coup, sa vitalité sexuelle aussi. Sa femme Salimata n'arrive pas à avoir d'enfant et qui dit que c'est elle qui en est la cause?

C'est que le pays a subi successivement la colonisation et le régime du parti unique. Tout est déstructuré, il n'est plus possible de se fier à aucun repère, la vie est difficile. L'indépendance n'a pas tenu ses promesses, elle a été l'occasion de s'enrichir pour quelques profiteurs. Mais il n'est plus possible non plus de vivre selon la tradition. Les rites subsistent, souvent dévoyés, mais la société qui leur donnait un sens n'existe plus, ou en tout cas est en mutation. Il reste qu'ils révèlent ce mélange si caractéristique de foi musulmane et de religion traditionnelle.

Quand meurt son cousin qui dirigeait la chefferie en désuétude, Fama est dans le désarroi. Doit-il redevenir un chef au rabais? ou laisser son pays natal à son destin? Le roman raconte son chemin dans cette situation inextricable.

Et quelle narration! quelle prose! Ahmadou Kourouma a eu l'idée géniale d'écrire le français comme on parle Malinké. Le procédé a le double résultat positif de nous faire mieux percevoir la tournure d'esprit de cette partie de l'Afrique (en Côte d'Ivoire) et d'enrichir la prose française. Peu d'écrivains peuvent se vanter d'un tel résultat pour leur premier roman. Près de cinquante ans après sa parution, on peut qualifier ce livre de classique de la littérature africaine.

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Allah n'est pas obligé

Ce qui marque dans ce livre, c'est le langage de notre héros, il a une manière assez particulière de raconter ses récits de guerre. Pendant que tout chamboule autour de lui, il se cherche des mots dans le dictionnaire, s'il n'en trouve pas, il en crée. Puis à un moment, il en fait un peut trop. Sinon dans le récit, on retrouve l'extrême ébullition qui agite l'Afrique subsaharienne vers la fin du 20e et début 21e siècle, la montée en flèche des rébellions, l'enrôlement des enfants soldats, les violences, les viols, les pillages, la consommation de la drogue en milieu jeune. Birahima se retrouve enrôler comme enfant soldat, et il nous retrace toutes les atrocités qui font partie de leur quotidien. Ces enfants font partie d'une génération sacrifiée. Les guerres, les violences volent leur jeunesse, les horreurs tuent leur enfance...de l'horizon, ils ne voient que du brouillard...

Un livre très touchant!
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Allah n'est pas obligé

Lecture très difficile et éprouvante, puisqu'elle nous raconte l'histoire de Birahima, jeune Ivoirien, enfant-soldat. Tout y est raconté sans concession... de son embrigadement, en passant par sa formation et ses crimes... Il faut avoir le coeur bien accroché, parce que rien ne nous est épargné... Mais c'est le genre de lecture nécessaire, afin de comprendre le monde dans lequel nous vivions... Malheureusement composé de ce genre de crime contre l'Humanité... Je ressors troublé de ma lecture. Les mots frappent forts et frappent dur... Les prix attribués à ce récit sont amplement mérités !
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Les Soleils des indépendances

Dans ce roman nous suivons les mésaventures d'un homme volubile, un griot coléreux et pas toujours réfléchi, stérile mais ne l'admettant pas, si ce n'est tardivement.

Dans ce conte africain, religion musulmane et croyances animistes sont mêlées, la magie et la duplicité aussi. De nombreux proverbes émaillent ce récit, écrit dans une langue on ne peut plus imagée ; les éléments naturels, en particulier à la campagne, jouent un rôle prédictif et souvent néfaste.

Les têtes de chapitres, qui ne dévoilent pas beaucoup la suite, sont énigmatiques.

La condition féminine est mise en relief, dans toute sa cruauté et avec ses multiples souffrances (cf. la description de l'excision, une lecture difficile pour moi).

Je précise que ce roman date de 1970 mais il reste d'actualité et surtout voici un nouveau livre indispensable pour connaître ce continent, détruit par la colonisation et qui a eut du mal à s'en extraire. C'est d'ailleurs l'époque de ces nouveaux gouvernements indépendants qui tâtonnent et se cherchent qui est évoquée, comme l'indique le titre.
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Allah n'est pas obligé

Allah n’est pas obligé, disait sa grand-mère. Pas obligé d’exaucer toutes les prières des croyants prosternés. Birahima, le narrateur, en fait l’apprentissage de dure façon dans sa quête d’un avenir meilleur représenté par sa tante vivant au Libéria. À travers les guerres tribales des pays d’Afrique de l’Ouest, Birahima, accompagné d’un féticheur musulman, traversera de dangereuses frontières en tant qu’enfant-soldat, seule manière pour un orphelin de manger à sa faim, épousant toutes les causes à sa portée pourvu qu’elles le mènent à son but. « Et quand on n’a plus personne sur terre, ni père ni mère ni frère ni sœur, et qu’on est petit, un petit mignon dans son pays foutu et barbare où tout le monde s’égorge, que fait-on? »

Au début, on ne sait trop à qui s’adresse son bla-bla, comme il dit. On sent une grande lassitude chez lui mais sitôt qu’il a commencé, il ne peut plus s’arrêter. Il raconte ses aventures « (…) avec les mots savants français de français, toubab, colon, colonialiste et raciste, les gros mots d’africain noir, nègre, sauvage, et les mots de nègre salopard de pidgin. » Un enfant devenu trop tôt un homme, assistant et participant aux pires exactions guerrières, drogué au haschich pour mieux tuer de sang-froid, dans un monde environné de superstitions et de fétichismes dans lequel la pitié et la compassion sont inexistantes.

Un roman-choc que je ne suis pas près d’oublier. Une descente en apnée dans les profondeurs de la noirceur humaine.





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Quand on refuse on dit non

Un avis mitigé pour cette oeuvre inachevée du regretté Ahmadou Kourouma. C'est un livre qui revient sur le parcours d'un enfant soldat, Birahima, déjà le héros tragique de "Allah n'est pas obligé". On le retrouve en Côte d'Ivoire où il est question d'une autre guerre civile. L'angle choisi jusqu'ici est plus que louable.



Cependant, l'auteur fait reprendre les tenants de ce nouveau conflit à un enfant dont la naïveté s'oppose à la réalité historique. Qu'il raconte ce qu'il ressent, ou ce que son "amoureuse" Fanta lui dit sur ce drame, on y adhère. Mais dès qu'ils se lancent tous les deux dans des analyses politiques concernant la période coloniale et les premières années d'indépendance du pays, on est perplexe.



Néanmoins, ce livre document donne à savoir davantage sur une crise qui aura duré une décennie. Cela reste un avis. Un avis parmi tant d'autres.

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Allah n'est pas obligé

Birahima est un jeune garçon que des circonstances familiales conduisent au dur « métier » d’enfant-soldat. Nous commençons par faire la connaissance du jeune garçon dans son village natal. En dépit de la lourde infirmité de sa mère, l’enfant vit relativement bien. Après la mort de celle-ci, nous le suivons dans sa nouvelle vie. Au Libéria puis en Sierra Leone, Birahima participe à des pillages et des massacres. Il semble conscient des atrocités auxquelles il participe, mais se montre fataliste. L’enfant n’est pas sans cœur et pleure ses camarades morts, ce qui ne l’empêche pas d’exécuter sa tâche d’enfant-soldat avec une certaine fierté. On comprend, à la lecture de ce texte, comment une telle dualité est possible. Ces enfants ont un passé assez lourd, sont approvisionnés en drogue dure pour tenir le coup et sont conditionnés à tuer sans scrupule.



Quelques mots sur le style qui fait l’originalité du texte mais peut dérouter. Le narrateur Birahima s’exprime en « petit nègre » (l’extrait que je cite en donne un aperçu). Après une courte période d’adaptation je me suis faite à ce style particulier. Par ailleurs, j’ai bien apprécié les petites notes d’humour, jurons… qui ponctuent le récit et détendent l’atmosphère. Certaines scènes sont si pénibles que ces petites parenthèses sont les bienvenues.



Le thème est intéressant et l’histoire de ce jeune garçon éclaire bien sur la réalité des enfants soldats mais j’ai trouvé la lecture assez fastidieuse, notamment la seconde partie. L’histoire politique des deux pays et des nombreux clans qui s'entretuent prend beaucoup de place dans le récit, l’entrecoupant constamment. Quelques repères m’auraient suffit. Je dois avouer que j’ai sauté quelques pages à plusieurs reprises pour revenir à l’histoire personnelle de Birahima, plus évocatrice à mes yeux de la terrible situation de ces pays d'Afrique.



Je n’ai donc pas été totalement séduite par ce livre, qui a obtenu de nombreux prix (dont le prix Renaudot et le Goncourt des lycéens), mais je ne regrette pas pour autant cette lecture très instructive.
Lien : http://sylire.over-blog.com/..
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Allah n'est pas obligé

Récit, écrit à la première personne et empreint d'une ironie amère, de l'enfance d'un enfant-soldat ivoirien de la tribu malinké, enrôlé dans les guerres du Libéria et de la Sierra-Leone à la fin du XXe siècle. Armé de quatre dictionnaires, l'auteur retrace dans un style grinçant les exactions abominables commises au cours de ces conflits sanglants où les enfants, armés, eux, de "kalash", sont utilisés comme chair à canons par les différentes factions qui s'affrontent devant une ONU impuissante. Allah, Jésus ou les fétiches sont eux aussi bien impuissants à conjurer le terrible sort de ces populations. Mais, nous dit Ahmadou Kourouma, "ils n'y sont pas obligés".
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Les Soleils des indépendances

Découverte d'un auteur africain, de coutumes et croyances africaines, de la vie de l'Afrique de l'ouest et du peuple Malinké peu de temps après l'indépendance...

A la suite des indépendance Fama ancien prince d'une tribu africaine est contraint, pour survivre, de suivre des enterrements dans le mosquées et au domicile des défunts. C'est la tradition...ceux ci peuvent durer jusqu'à quarante jours et réunir des centaines de personnes. Il est marié avec Salimata qui a été excisée, comme le veut la tradition. Elle est stérile malgré, grigris, décoctions, amulettes, mixtures, cornes de béliers, etc.

Critique du quotidien socialiste à la suite de l'indépendance, mais aussi un regard sur cette culture, cette langue, ces superstitions.....le moderne confronté à la tradition.

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Allah n'est pas obligé

"Allah n'est pas obligé" est le récit de Biramiha, jeune garçon d'une dizaine d'années, obligé de partir vers le Liberia pour rejoindre sa tante après la mort de sa mère. Il va très rapidement se faire enrôler par un chef de guerre du coin pour survivre, et va recevoir une kalachnikov et de la drogue pour mieux combattre. Il continuera à se faire enrôler de faction en faction au gré des évènements, pour se rapprocher au plus près de sa tante.



Le récit est dur, on découvre le quotidien de tous ces gens qui se trouvent dans les zones de guerre civile depuis des années : massacre des clans adversaires, viols collectifs, anthropophagie, petits chefs de guerre qui se succèdent. La situation politique n'est pas triste non plus : les pays voisins qui pourraient intervenir sont également dirigés par des dictateurs, et les armées qui sont censées apaiser les choses tirent dans le tas à la première échauffourée sérieuse. Les principales richesses du pays sont souvent aux mains des étrangers, qui collaborent pleinement avec les petits tyrans du secteur. On ajoute à ça la survie des vieilles superstitions (la mère de Biramiha meure d'ulcère pour avoir refusé d'être soignée par un docteur blanc, on excise et on circoncit à tout va, les soldats enfants et adultes se bardent de grigris avant de partir au combat, ...) qui se mélangent à l'islam et au catholicisme pour achever de noircir le tableau.



Ce livre a le mérite de traiter un sujet passé souvent sous silence : on connait la réalité des enfants-soldats et que les zones du Liberia et de la Sierra Leone ne sont pas très stables, mais de manière assez vague.



Par contre, j'ai trouvé que la narration laissait à désirer. le style change au fil du récit : très "petit nègre" au début, beaucoup plus littéraire à la fin. Les explications de certains termes entre parenthèses sont amusantes au début, mais lassent vite à partir du deuxième chapitre. Et enfin, des jurons ponctuent chaque chapitre, mais ça n'a pas toujours de sens à ces moments du récit. Tout ça donne un peu l'impression que le livre a été publié sans être relu attentivement.
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En attendant le vote des bêtes sauvages

La construction de l’ouvrage est originale : au cours de 6 veillées, des conteurs – griots ? – racontent et chantent les louanges de Koyaga le grand chef, le grand soldat, le dictateur. Ces veillées sont rythmées de proverbes, de danses.



La première veillée est celle des origines, de la colonisation, de l’embrigadement des hommes nus – les paléos – qui habitent des fortins ressemblant aux tatas sombas – dans les régiments de tirailleurs sénégalais, dans la grande Guerre, puis dans la seconde guerre mondiale, l’Indochine, l’Algérie. Généalogie. Le père guerrier, lutteur. La mère, sorcière. Le marabout, Bokano, le protecteur.



Seconde veillée,prise de pouvoir, coup d’état militaire, sur fond de guerre froide, les complices.



La troisième conte l’histoire du journaliste Maclédio dans diverses contrées, de traditions variées, des fétiches, des esclaves dans le Sahel, l’apprentissage à Paris.



Pendant la 4ème apparaissent les autres chefs d’Etat, dictateurs corrompus, totem caïman, totem léopard, totem hyène. On croit reconnaître Bokassa, Hassan II… peut être d’autres, personne n’est nommé. Puis vient l’apothéose, la fête des 30 ans de dictature. Ensuite le réveil. Les caisses sont vides. La guerre froide, terminée. Vient le temps du FMI, de La Baule. L’Occident n’appuie plus les dictateurs, enfin la révolte.






Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Allah n'est pas obligé

C'est à hauteur d'un enfant, un petit gars, Birahima, ni plus ni moins qu'un gamin que l'on va découvrir une face bien sombre de l'histoire récente de l'Afrique de l'Ouest.



Birahima dont la mère vient de décéder doit partir avec sa tante pour le Libéria. Celle-ci ayant du s'enfuir, à charge pour cet enfant de la retrouver, c'est avec un féticheur Yacouba, qu'il part pour traverser des pays qui ne vivent qu'au son des Kallach. Ce gamin pour survivre va se retrouver enfant-soldat.



Le style est un peu surprenant au départ mais finalement colle parfaitement au héros, il permet quelques apartés joliment politiques sans avoir l'air d'en faire.



J'ajoute que pour ma part, les proverbes et expressions africaines m'ont réjouie , j'aime ce français parfaitement français mais différent qui habite la francophonie.



Un roman dérangeant.



On a un peu oublié aujourd'hui, ces enfants soldats aux regards troubles portant des kallachs quasiment plus grandes qu'eux, que sont-ils devenus c'est ce que je me demande après la lecture de ce livre.
Lien : http://theetlivres.eklablog...
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En attendant le vote des bêtes sauvages

Un livre passionnant qui nous fait plonger en plein cœur de l'Afrique au sein d'un régime dictatorial. Une vaste épopée que ce roman d'Ahmadou Kourouma qui retrace la vie d'un dictateur africain, de sa naissance à son règne en passant par sa prise de pouvoir, la vie de ses parents et de certains de ses conseillers.

Une fresque très imagée, de par la présence de nombreux proverbes africains, servie par une langue foisonnante. La magie et la sorcellerie, le culte des ancêtres sont omniprésents.

Ahmadou Kourouma dresse un triste mais réaliste portrait des relations de ce continent avec les pays occidentaux, de la colonisation aux soutiens de dictateurs mis en place et courtisés sur fond de guerre froide et de lutte anti-communiste. L'histoire contemporaine récente nous montre encore aujourd'hui que l'instrumentalisation de l'Afrique sur fond de sphères d'influence reste malheureusement d'actualité.

L'auteur s'inspire de personnalités, de chefs d'état ayant vraiment existé pour décrire les différents protagonistes rencontrés par Koyaga lors de son voyage initiatique.

Roman instructif, coloré, jubilatoire par instants, à lire bien sûr.
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Allah n'est pas obligé

Dès l’incipit, Birahima, le narrateur, enfant-soldat, annonce la couleur en six points. Au commencement, il est « p’tit nègre », non pas parce qu’il « est black et gosse » mais parce qu’il « parle mal le français ». Deuxièmement, il a quitté l’école très tôt. Troisièmement et quatrièmement, il est insolent et impoli. Cinquièmement, pour clarifier son français au doigt mouillé et profondément africanisé, il dispose de quatre dictionnaires qui accompagneront le lecteur tout au long du récit. A la fin, comme un point incontournable de sa personnalité, il avertit et assume qu’il est maudit parce qu’il a « fait du mal à sa mère ».



Et peut-être comme un signe tragique de cette malédiction, il perd très tôt sa mère atteinte d’un cancer incurable. La communauté villageoise décide alors que Birahima, du haut de ses dix ans, sera confié à sa tante, désormais sa mère putative. Il incombe à Yacouba, un bandit boiteux du village, de le conduire chez Mahan résidant au Libéria. Féticheur et multiplicateur de billets de banque, ce dernier espère se faire beaucoup d’argent dans ce pays déchiré par une guerre tribale et où justement les gris-gris contre les balles se vendent à des prix mirobolants.



Ce voyage constitue une seconde initiation qu’accomplit le petit Birahima. Si la première avait sanctionné son entrée dans l’âge « adulte », par le biais de la circoncision, à travers celle-ci, il se frotte aux réalités de la guerre et découvre le drame d’un pays et d’une population livrés au chaos, à la boulimie et à la cruauté des acteurs politiques.



C’est aussi un voyage dans une faconde et un langage atypiques. Heureusement, le narrateur dispose de plusieurs dictionnaires pour éclairer la lanterne du lecteur, sinon celui-ci aurait chaviré dans ce flux de mots insolents, décomplexés. Car la parole de Birahima dérange les esprits à cheval sur la morale et le français pur.



Durant tout ce voyage pittoresque, le lecteur demeure constamment secoué par une langue authentique, cadencée, menée tam-tam battant.



Nos deux baroudeurs pénètrent dans le Liberia en guerre par la petite porte et se font accueillir par des rafales de mitraillettes de la faction NPFL, l’une des trois qui écume le pays. L’enfant s’incorpore toute affaire cessante dans la section des enfants-soldats de l’armée du colonel Papa le bon, tandis que Yacouba est engagé comme « grigriman », féticheur. Ce seigneur de guerre, l’un des bandits de grand chemin faisant main basse sur le Libéria, porte plusieurs casquettes : prêtre, « désensorcelleur », philanthrope et juge. Mais son camp finit par être pillé et saccagé à la suite d’une émeute des prisonniers de guerre.



Les deux aventuriers rejoignent ensuite la faction du Ulimo, la bande des loyalistes et héritiers du défunt Samuel Doe. Dix années plus tôt, ce troupier en connivence avec Thomas Quiompka, tous ressortissants des deux principales ethnies indigènes du pays, avaient réussi un coup de force contre le président d’origine afro-américaine, appartenant lui à une communauté d’esclaves affranchis et réinstallés au Libéria. Tenant le haut du pavé, ils se sont comportés pendant des décennies en colons arrogants et égoïstes envers les indigènes.



Une fois aux manettes, Samuel Doe élimine les grands cadres afro-amériacains et assoit un pouvoir tyrannique et tribal dont le rouleau compresseur finira par écraser Quiompka, son second couteau d’hier et d’autres grosses légumes de la même ethnie. Les rescapés s’en fuiront en Côte d’ivoire, puis seront refilés au seigneur Kadhafi par le dictateur Boigny. Entrainés en Lybie, ils revienvront avec quelques armes et surtout un esprit vindicatif. C’est l’amorce de la guerre civile en 1989.



Le roman est jalonné de la scansion d’oraison funèbre en l’honneur des enfants tombés au front. Histoire de leur rendre un dernier hommage, Birahima revient sur leur bref parcours sur cette terre, révulsé qu’il est par l’injustice des adultes qui les ont obligés à s’enrôler dans des groupes armés. « C’est la guerre tribale qui veut ça » tinte dans le récit comme un refrain macabre soulignant l’horreur du conflit. Quant à la récurrence des jurons et des invectives, elle suggère le caractère oral du texte et l’insouciance du narrateur. Birahima n’a absolument pas la langue dans sa poche et se fend de tout de ce qu’il croit être la vérité sans se soucier du politiquement correct : « c’est bien qu’on assassine affreusement [les patrons sociaux libanais], ce sont des vampires ».



Dans leurs pérégrinations chaotiques et mouvementées dans le Liberia en guerre, Birihima et Yacouba vont collaborer successivement avec plusieurs groupes rebelles, mais secrètement aiguillonnés par un seul objectif : retrouver Mahan.



Sur le ton de la raillerie, le narrateur s’en prend aux agissements de l’establishment de ce monde « totalement pourri ». Tout le monde est en effet coupable de quelque forfaiture, que ce soient l’Ecomog qui massacre sans faire le détail, les chefs de guerre, les compagnies forestières ou minières, les présidents dictateurs ou encore les féticheurs. Exclusivement, les enfants-soldats sont innocents mais manipulés et utilisés par cet aréopage de grands bandits.



La rareté des dialogues illustre que seul compte le point de vue du narrateur. Birahima est un enfant sûr de posséder la vérité, cette vérité innocente par-devers les enfants.



En tant que régisseur incontesté et incontestable, il raconte l’histoire à son unique guise, interrompt la relation de certains événements en promettant d’en reparler un peu plus tard si cela lui sied, ou s’interrompt tout bonnement parce que lui aussi, comme Allah, n’est pas obligé de raconter sa « chienne de vie » avec l’effort supplémentaire de consulter dictionnaire sur dictionnaire pour se faire comprendre des lecteurs du monde entier (portée universelle) et révéler à l’humanité à travers sa vie les atrocités de la guerre. Parfois, énervé, il va jusqu’à insulter (« Faforo, bangala du père » ; « Gnamakodé ») et annoncer brusquement qu’il s’arrête là pour aujourd’hui.



D’autres cas de force majeur poussent ensuite Birahima et Yacouba à s’enrôler dans la faction du prince Johnson, comme enfant-soldat et féticheur musulman. Ce sont là deux métiers très réclamés dans le Liberia de la guerre tribale. Ce bandit de grand chemin, prince Johnson, a réussi à avoir sous sa coupe non seulement l’institution religieuse de la sainte Marie-Béatrice, mais aussi la compagnie de caoutchouc qui lui verse mensuellement des royalties. Un accord qui suscita la convoitise des autres factions subversives et le déclenchement d’une confrontation sanglante tragiquement ponctuée par l’intervention de l’Ecomog.



Les deux flibustiers réussissent à s’enfuir et apprenant au vol que Mahan est partie pour la Sierra-Léone, ils continuent leurs pérégrinations vers ce pays voisin.



La Sierra-Leone est à son tour déchirée par une guerre civile et un chapelet de coups d’Etat depuis son indépendance en 1961. Fodé Sankoh à la tête de la rébellion, RUF, tient tout le pays en otage. Il rompt les accords de paix aussi rapidement que signés. Cruel, il a coupé la main de plusieurs de ses compatriotes pour les empêcher de se rendre aux urnes.



Nos deux aventuriers intègrent ce groupe en tant que féticheur et enfant-soldat. Cependant au milieu de ce chaos, une femme de poigne, Hadja Aminata Gabrielle, arrive à s’imposer et à défendre un pensionnat de filles intactes avec pour noble mission de protéger leur virginité jusqu’au retour de la paix, moment où elle les excisera avant les rendre à leur famille. Tout malheureux qui dépucelle une de ces filles est sauvagement assassiné. Pour venger l’un des leurs, les Kamajor, une milice à la solde du gouvernement, après deux semaines de siège, finirent par l’abattre.



Plusieurs personnages se font ainsi un clin d’œil dans le roman, une espèce de gémellité les liant. Birahima l’enfant-soldat à la recherche de sa tante et son cousin Saydou engagé pour le même objectif. Yacouba et Sékou, féticheurs et multiplicateurs de billets de banque, se rencontrent épisodiquement au Libéria et en Sierra-Leone où ils espèrent faire fortune. Marie-Béatrice et Hadja Aminata Gabrielle, femmes religieuses de caractère, croient en leur divine mission et protègent avec hargne leurs institutions et leurs idéaux.



D’après une nouvelle une information sur la présence de la tante dans un camp de réfugiés, Birihima et Yacouba s’y rendent et à leur grande déconvenue apprennent la mort de Mahan. C’est en rentrant en Côte d’ivoire à bord du véhicule de son oncle que l’enfant commencera à raconter à celui-ci ses aventures picaresques, militaires et tragiques. Celles de tout un continent sombrant dans le chaos à la charnière du vingtième et vingt-et-unième siècles.



Birahima se pose le long de l’histoire en justicier ou plutôt en procureur assénant systématiquement un titre, une épithète culpabilisante à tous les bourreaux : « les libanais voleurs et corrupteurs ; « les nègres indigènes sauvages » ; « les Toubabs colons colonialistes anglais » ; « Doe le dictateur du Liberia » ; « Taylor le bandit de grand chemin » ; « Ecomog, forces d’invention qui ne s’interposent pas » ; « Yacouba le bandit boiteux… »



Dans ce roman viscéralement poignant, Ahmadou Kourouma nous frappe encore de plein fouet avec sa marque de fabrique langagière d’une exceptionnelle particularité. Il sait toujours sortir du sentier battu et emprunter un raccourci à la fois neuf et incroyablement dérangeant.



Page après page, à travers la langue insolente et décapante de l’enfant, défile l’histoire contemporaine de l’Afrique et son cortège de dictatures, de guerres tribales et de défis à relever. Il force le trait notamment sur la balkanisation raciale de nos pays. La composante démographique se trouve être malheureusement le péché originel du Liberia et de la Sierra-Leone, tout comme de maintes nations africaines en proie à des frictions à connotation politique et surtout ethnique. A se demander si L’Afrique sera un jour assez intelligente et forte pour dépasser cet imbroglio tribal et vivre sur un large espace de paix et de tolérance. A-t-elle d’ailleurs une autre solution crédible que celle de l’ouverture identitaire pour accéder à un développement intégré et inclusif ?



Clin d’œil à mon pays, la Guinée, souffrant d’une même tare originelle.
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Allah n'est pas obligé

Ce livre est un pan de l'Histoire de l'Afrique raconté par un enfant-soldat qui a vécu des choses si horribles que même la plus infinitésimale partie ne serait souhaité à personne! Comme il le dit lui-même, Birahima a vécu "une vie de merde de damné"! Et tout en nous racontant cela, il nous fait le portrait des guerres civiles qui ont secoué le Liberia et la Sierra Leone entre autres. Au travers des jeux de chefs de guerre vils, sans pitié, assoiffés de pouvoir et d'argent, l'enfant-soldat nous raconte sa vie et la vie dans cette partie de l'Afrique, et bien, justement, ce n'est pas une vie... Misère, violence, drogue, menaces, mutilations, tout y passe. Quelques personnages sortent du commun, telles sœurs Marie-Béatrice ou Gabrielle mais ce qui est raconté dans ce livre est déchirant et si vrai.

J'ai apprécié ce livre par le côté historique et sociologique de l'histoire, après, il fallait bien que je mette une distance psychologique aux horreurs décrites. Par contre, j'avoue avoir quand même été dérangé par le style de l'écriture car Ahmadou Kourouma l'a fait en "petit nègre" et c'est parfois un peu déroutant dans la fluidité de la lecture.
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En attendant le vote des bêtes sauvages



Comment terrifier les peuples en même pas dix leçons? Le héros de ce livre, dictateur sanguinaire de métier, a tellement de conscience professionnelle qu'il ira jusqu'à entamer une tournée auprès de ses collègues pour parachever sa formation. C'est à la « veillée IV », mais je le mets en exergue pour détromper tous les aigris qui se plaignent que la valeur travail se perd en ces temps décadents. Hé bien non, il y A des gens qui se décarcassent pour être à la hauteur de leur boulot, bande de pessimistes.



Au départ, musique ! Que sonnent la flûte et la kora et que s'élèvent les voix des deux griots. Le premier est Bingo, le sora c'est-à-dire le chantre ; le second est Tiécoura, son « répondeur » nommé en malinké cordoua, dans le rôle du bouffon, du fou du roi, à la parole libre car « il n'y a rien qu'on ne lui pardonne pas. » Ici commence la première des six veillées où sera dite l'histoire de Koyaga. C'est lui, le héros consciencieux dont je parle ci-dessus. Quelle ascension fut la sienne ! D'abord, chasseur, ensuite combattant en Indochine dans l'armée française, et finalement président-dictateur de la république africaine du Golfe. Du reste, président-dictateur, il l'est toujours –il semble même bizarrement increvable... Mais on n'est jamais trop prudent : c'est pour être certain de demeurer au faîte du pouvoir que Koyaga organise une grande cérémonie verbale en son propre honneur. Trônant au centre du cercle des plus grands chasseurs, il repaît ses oreilles du « récit purificateur » destiné à le protéger.



Ce qui m'a particulièrement intéressée dans ce livre, c'est non seulement l'art du conteur et la critique politique au vitriol, mais aussi l'arrière plan très présent de sorcellerie qui l'accompagne, et dont l'auteur joue de multiples façons. Ahmadou Korouma expliquait que son projet n'était pas d'endosser la langue française comme un simple costume apporté par le colonisateur, mais de la vriller de l'intérieur. Il nous transporte dans un autre univers mental en relatant en détail certaines pratiques magiques où les morts n'ont pas forcément dit leur dernier mot. Il fait par exemple vivre à l'un des personnages (Maclédio, compagon de route du tyran) une scène insolite et funèbre dont il fut lui-même témoin dans sa jeunesse *: celle des « danseurs de cadavre » qui portent rituellement le corps d'un de ses camarades de classe mort accidentellement. La mort était-elle vraiment accidentelle ? Maclédio n'y aurait-il pas joué un rôle? Aux danseurs de cadavre, interprètes bondissants des pensées du défunt, de le révéler...

Tout en soulignant la place de la magie dans sa culture, Korouma s'en sert également – et c'est jubilatoire- pour faire faussement partir le récit vers le merveilleux. Voici par exemple un homme capable de se métamorphoser en tourbillon de vent. Il «soulève feuilles et poussières, parcourt le jardin de la Résidence d'Est en Ouest et poursuit sa course folle dans la cour voisine» . Il se trouve que cet homme est un président en fuite (le prédécesseur de Koyaga) mais ils se trouve aussi que la cour où il se réfugie est, fort opportunément, celle de l'ambassade des Etats-Unis. Bien sûr, « les non-initiés, par ignorance, douteront de cette version des faits. Ils prétendront qu'un passage existait entre la résidence du Président et l'enceinte de l'ambassade. » Initiés ou non-initiés, je vous conseille en tout cas de goûter à la magie de cette langue d'une grande puissance poétique et politique.



*voir le livre de Jean-Michel Djian, Ahmadou Kourouma







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