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Critiques de Antonio Muñoz Molina (234)
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L'hiver à Lisbonne

Antonio Muñoz Molina réussit le tour de force de nous conter tout le long de ce roman, une belle histoire d'amour impossible dans une atmosphère digne d'un film noir où aurait joué Humphrey Bogart. le tout dans une ambiance jazzy de l'époque. On se croirait réellement au cinéma dans un de ces films noir et blanc.



Un vrai régal.



Ce livre arrive vraiment dans le trio de tête de ce que j'ai lu à ce jour de cet auteur.
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Le vent de la lune

Bien belle excursion dans laquelle nous entraîne Muñoz Molina, dans un petit village reculé d'Espagne, où un jeune adolescent de milieu rural découvre les émois de son âge à l'époque où les Américains débarquent sur la lune. Il est pris en flagrant délit de déloyauté par rapport aux espoirs que son père forgeait en lui de perpétuer son métier de maraîcher et par rapport à ceux du père salésien qui espère de faire de ce boursier un curé, alors que le jeune homme n'aime que les livres d'aventures et d'astronomie ainsi que sa sensualité toute neuve.



J'ai beaucoup aimé ce livre, qui est, tout de même, un large cran en-dessous, à mon estime, que "Dans la grande nuit des temps" du même auteur, que j'avais adoré.



Ce livre-ci semble toutefois puiser largement dans la biographie de l'auteur.



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Un promeneur solitaire dans la foule

« En tout temps, on a fait ce qu’il y avait à faire avec les matériaux qu’on avait à portée de main et, désormais, ce sont les déchets, la ferraille, les détritus que l’on trouve le plus. Vous devrez donc vous en servir pour écrire le poème, qui sera peut-être très long et nécessitera beaucoup de matière première, mais il n’y a aucun risque qu’elle s’épuise. Bien au contraire : plus le temps passe et plus cette richesse s’accumule, de grandes cordillères, des Everest de déchets qui deviennent plus hauts à chaque minute qui passe, des dépotoirs de mots, des décharges de la taille d’océans, d’ailleurs les océans eux-mêmes sont une gigantesque décharge, des courants marins d’ordures qu’on verra de l’espace comme les tempêtes et les tornades. Ce poème exigera une longue immersion, peut-être toute une vie. Celle de la personne qui l’écrira et de la personne qui le lira. Il sera probablement anonyme et accumulatif, un dépôt et un assemblage de matériaux beaucoup plus anciens, comme les poèmes homériques. Et il ne devra contenir aucun vers, aucune phrase, aucun mot qui serait une invention personnelle de son ou de ses auteurs, si tant est qu’on puisse employer ce mot dans ce cas de figure. »



Ce livre inclassable mais puissamment littéraire, nous l’avons entre les mains et le lisons. L’auteur y utilise en effet des textes issus d’injonctions publicitaires, des collages graphiques qui reflètent parfaitement la très grande folie et les innombrables contradictions de nos sociétés marchandes basées sur l’accumulation, de déchets comme de capitaux.



La forme est visiblement éclatée et pourtant substantielle. Chaque courte séquence débute par une formule publicitaire ou un titre de fait-divers. Des dessins de l’auteur, des collages, rompent régulièrement la lecture.

L’auteur vit une période de crise personnelle. C’est l’année des attentats de Nice, de la folie Pokémon-Go. Seules ses longues déambulations dans de grandes villes l’apaisent et lui fournissent de la matière pour ce livre en construction. Il documente ses errances grâce à son smartphone (sons et images) mais a toujours avec lui un cartable-sac à dos qui contient aussi des cahiers et crayons à papier (il en est maniaque).



Un étrange homme apparait régulièrement, possiblement une hallucination qui le hante. Antonio Muñoz Molina met aussi et surtout ses pas dans ceux d’illustres prédécesseurs, eux-aussi « déambulateurs chroniques », aux vies marquées par la misère et les addictions (Thomas de Quincey, Edgar Allan Poe, Baudelaire, Walter Benjamin…). C’est à mon sens ce qui unifie tous ces textes qui sinon pourraient sembler décousus.



Rarement j’ai autant éprouvé ce sentiment, pourtant recherché par beaucoup de lecteurs, que ce livre s’adressait directement à moi, en dépit du contexte totalement étranger à ma propre existence. Il culmine notamment avec une traversée haletante de Manhattan jusqu’au Bronx, sur les traces d’Edgar Allan Poe.



J’ai pris tout mon temps pour cette lecture, réticent à la quitter. Et Je vais m’intéresser de plus près à cet auteur !

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Le royaume des voix

Quel incroyable conteur que ce Muñoz Molina ! Déjà qu'il nous embarque dans le pays imaginaire de son enfance, Magina n'étant sous toute vraisemblance que Ubeda où il est né, mais ici plus qu'ailleurs on se sent perdu à force de digressions. Or, ami lecteur, tout a un sens, laissez-vous bercer par le rythme nonchalant de cette histoire et vous arriverez au bout aussi étourdi que les protagonistes.



Davantage à mettre entre les mains de ceux qui ont adoré "Dans la grande nuit des temps", c'est le même style, le même phrasé, qu'au chevet de ceux qui auraient préféré "Le Vent de la lune", plus concret, quoiqu'aussi proche de ce que l'on peut imaginer être un roman aux relents autobiographiques.
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Dans la grande nuit des temps

A l'ouverture du livre, c'est d'abord sa densité qui surprend. Pas seulement parce que c'est un pavé, cela se voyait déjà à l’œil nu, mais bien par la longueur des phrases, les très rares alinéas et la quasi absence de dialogues. On plonge donc dans La grande nuit des temps un peu comme en apnée, à la rencontre d'Ignacio Abel et de son histoire d'amour avec Judith Biely, sa jeune maîtresse américaine dans le Madrid de 1935. Puis très vite, le souffle et la respiration s'adaptent, le rythme est pris, et la lecture se fait fluide, prenante.

La liaison d'Ignacio Abel et Judith Biely et le contexte historique semblent indissociables, comme si l'une était le reflet miniature de l'autre, avec ses lâchetés, ses mensonges, sa cruauté involontaire et ses souffrances inutiles.

Malgré l'épaisseur du volume et la narration par retours en arrière, il est facile de s'y retrouver, tant la langue nous porte par son rythme, lent et précis, et certainement aussi grâce au travail du traducteur. C'est la fluidité de ces phrases à la lenteur imposée, dans lesquelles toute interruption est fatale et oblige à revenir en arrière, qui rend cependant aisé de tourner les pages. La mise en évidence, puis en relation, des personnages permet de les connaître de très près ; la fréquentation de personnages historiques les ancre davantage encore dans cette guerre civile espagnole qui n'en porte pas le nom. La difficulté vient, parfois, lorsqu'il s'agit de distinguer un camp de l'autre tant la frontière peut être fluctuante, surtout si cette partie de l'histoire est peu connue.

C'est pour moi une belle expérience de lecture que ce roman, conseillé par un ami, qui m'attendait depuis plusieurs années. Plaisir encore plus grand car partagé lors d'une lecture commune avec Sandrine (HundredDreams) et Bernard (Berni29).
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Pleine lune

Un tout grand Muñoz Molina ! Quelle écriture ! J'ai retrouvé le style de 'Dans la grande nuit des temps' que j'avais adoré.



L'intrigue, car il ne s'agit pas ici d'un simple roman mais d'un roman noir avec meurtre et enquête à l'appui, est soutenue et le lecteur est maintenu en haleine jusqu'à la dernière ligne.



Mais avant tout c'est cette écriture, ce rythme dans les phrases qui me séduisent chez cet auteur, un peu comme chez Javer Marìas. De superbes écrivains espagnols !



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Carlota Fainberg

Carlota Fainberg est une lecture qui m'a tenu en haleine cette semaine. L'auteur nous présente deux protagonistes, deux espagnols qui se retrouvent bloqués dans un aéroport au États-Unis. Notre narrateur se rend a Buenos Aires tandis que l'autre apprenant ça, lui raconte une histoire qui lui est arrivé la-bas. Son job consiste a racheter des hôtels qui sont en faillite pour les remettre sur pied, il en découvre un en plein cœur de la ville et voit déjà la belle affaire. Seulement, il fait la connaissance d'une femme charmante, qui va le séduire. Je ne vous en dis pas plus, juste que cette femme a bien des secrets....

L'intrigue m'a beaucoup plu, le suspense et la et l'on veut connaître la fin, qui ne m'a pas déçu. Par contre, l'histoire de Claudio en arrière plan, ne m'a pas passionné.



L'écriture d'Antonio Munoz Molina est captivante, par contre, le fait qu'il utilise des termes anglais quasiment dans chaque phrase est assez horripilant. Heureusement l'intrigue est bonne et les personnages sont attachants. "Dans la vie, les grandes explosions de joie ou de malheur sont beaucoup moins fréquentes que ne le suggèrent les romans ou le cinéma. D'après mon expérience (pas trop vaste je m'empresse de le préciser), dans la vie de tout a chacun, beaucoup plus importants sont les petits disapointments qui gâchent la possibilité de satisfactions assez peu spectaculaires, vraiment très modestes et cependant très solides, qui se présentent a presque chacun d'entre nous. A l'aéroport de Pittsburgh, quand je me suis vu presque traîné par un compatriote importun pour aller prendre un café, "ou un peu plus" comme il l'a dit, vers un oak bar suspect ou se trouvaient déjà installes, incrustes comme on dit aujourd'hui en Espagne, deux gros bonshommes tristes et ostensiblement redneck qui buvaient de la bière, j'ai pris conscience de tout le plaisir que je m'attendais a éprouver dans la lecture ou dans la simple attente du voyage pendant les heures qui me séparaient du départ de mon avion, et du manque d'égards avec lequel cet homme m'avait arraché un morceau de temps qui m'appartenait et qui jamais ne me serait rendu." Ils sont assez caricaturaux, il y a d'un coté, le gros macho par excellence, tandis que de l'autre, l'homme cultivé : "[...] Entendre parler des femmes en termes physiques était quelques chose que je ressentais comme aussi vieilli que le manteau posé sur les épaules de mon père, ou que ces cigarettes brunes sans filtre qui avaient déjà commencer a le tuer sans qu'il ne le soupçonne." C'est une rencontre assez improbable qui au final plaira aux lecteurs.



Je suis heureuse d'avoir enfin découvert un roman de l'auteur. J'avais envie de le lire depuis longtemps et je ne suis pas déçue.
Lien : http://missmolko1.blogspot.i..
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Beltenebros

« J’étais venu à Madrid pour tuer un homme que je n’avais jamais vu. » (p. 11) Le capitaine Darman est un tueur à gages à la solde d’un réseau antifranquiste qui continue d’agir 20 ans après la fin de la guerre. Envoyé un peu partout en Europe, Darman est un agent froid et efficace qui accomplit ses missions sans ciller, mais qui souhaiterait se retirer. « Je ne leur devais rien et n’avais aucune envie de leur réclamer quoi que ce soit, pas même le temps que j’avais gaspillé à servir leurs rêves délirants de conspiration et de retours vengeurs. » (p. 22) En outre, cette mission à Madrid réveille le souvenir d’un autre meurtre, 20 ans plus tôt, quand Darman avait dû exécuter un ami traître au réseau. Des années plus tard, le capitaine s’interroge : a-t-il eu raison ? Walter était-il vraiment coupable ? « J’ai exécuté ma part de cruauté et de destruction et j’ai mérité l’opprobre. Les effets de l’amour ou de la tendresse sont fugitifs, mais ceux de l’erreur, ceux d’une seule erreur, n’ont pas de fin, comme une maladie carnivore et incurable. » (p. 129) Ici, c’est Andrade que Darman doit exécuter, un nouveau traître à la cause. Dans la ville madrilène, Darman est pris au piège de ses souvenirs, des faux-semblants et du passé qui ne demande qu’à ressurgir. Et il plane l’ombre de Beltenebros, le traître qui a collaboré avec la police de Franco. Qui est-il ? Où se cache-t-il ? « Beltenebros, on ne peut le découvrir parce qu’il sait vivre dans l’obscurité. » (p. 220)



L’univers mis en scène par Molina est sombre, nocturne, mal famé, louche et tout à fait inquiétant. Avec le passé qui frappe à la porte de sa mémoire et qui ne demande qu’à entrer et tout recouvrir, Darman embarque dans une odyssée intérieure qui malmène ses certitudes. On assiste à un processus inéluctable : dans une progression macabre, l’intrigue se déploie jusqu’à étouffer le héros pour mieux lui ouvrir les yeux. Tous les éléments traditionnels du polar sont au rendez-vous : le héros fatigué et désabusé, la très belle femme énigmatique, la proie innocente ou non et l’organisation supérieure implacable. Mais le roman dépasse ces codes quand la manipulation que subit Darman vire au cauchemar. « On voulait que je refasse les mêmes pas, que j’entende exactement les mêmes sons qu’alors. » (p. 210) Antonio Munoz Molina insuffle à ses pages un petit air de David Lynch avec l’inquiétant glissement des choses et la perte de contrôle de son héros. « Après tant d’obscurité, chaque chose que je regardais devenait une incitation pressante à déchiffrer ce qui me crevait les yeux et m’imposait l’évidence hermétique de sa candeur. » (p. 85) Le traqueur devient traqué et le mystère s’épaissit avant l’ultime épiphanie, alors que les ruines de la mémoire et de la compréhension se redressent lentement pour dévoiler l’évidence et faire sortir Beltenebros de l’ombre.



Ce roman m’a été recommandé par un ami très cher. Il a bien fait, très bien fait. Moi qui ne suis pas vraiment sensible aux polars, j’ai été subjuguée par cette intrigue cauchemardesque. De plus, une lecture qui s’ouvre sous le haut patronage de Don Quichotte annonce à coup sûr un palimpseste de la littérature espagnole. Mais il serait bien réducteur de cantonner Beltenebros à cette définition. Ce roman est également un hommage au roman noir américain et au cinéma du même genre. Beltenebros, c’est comme un vieux film en noir et blanc avec un héros en pardessus et feutre mou, une femme fatale en talons aiguilles et rouge à lèvres carmin, mais avec en plus l’angoissante certitude que tout n’est qu’apparence et que le rideau va bientôt se déchirer.

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Tes pas dans l'escalier

Bruno, le narrateur, lassé du monde, lassé d'un travail qui n'a plus de sens, traumatisé par l'attaque des Twin Towers, quitte New-York et s'installe à Lisbonne. Il y attend l'arrivée de Cecilia sa compagne, retiré de la fureur du monde, seul avec sa chienne, dont nous est dressé un superbe portrait, celui d'un animal si vivant, si intelligent, si sensible.

C'est cette attente qui nous est comptée, meublée d'une réflexion sur la vie, sur un monde qui s'écroule et devient dangereux. Autant Bruno est immobile, contemplatif, rêveur, réfugié dans les livres, autant la Cécilia qu'il nous décrit est active et impliquée dans des recherches de haut niveau sur le cerveau et la mémoire.

Il y a beaucoup de charme dans la description de cette attente, dans cette exploration d'un esprit déstabilisé, en proie à l'angoisse mais sachant où se trouve son bonheur. Un roman sur pas grand' chose, d'une grande densité et d'une sacrée élégance !
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Beatus ille

Vous avez aimé Dans la Grande Nuit des Temps, vous apprécierez aussi Beatus Ille. On se dit que le style est le même avec des phrases qui n'en finissent plus, des personnages dont les noms Minaya, Mariana, Medina, Manuel, Magina se succèdent, s'enchaînent en sautant d'une époque à une autre (1937, 1947 et 1969) pour perdre en route le lecteur inattentif et négligent.

« Elle a tout doucement fermé la porte et elle est sortie sans faire de bruit, comme lorsqu'on quitte, à minuit, un malade qui vient de s'endormir. J'ai écouté ses pas s'éloigner lentement dans le couloir, redoutant ou désirant qu'elle revienne, au dernier moment, poser sa valise au pied de mon lit et s'y asseoir avec un air de renoncement ou de lassitude, comme si déjà elle rentrait de ce voyage qu'avant ce soir elle n'a jamais pu faire. Les volets ouverts laissent entrer un air de nuit d'été tout proche, une nuit déchirée, au loin, par le sifflet des express qui suivent la livide vallée du Guadalquivir avant de monter la pente qui mène à la gare de Magina où lui, Minaya, l'attend en ce moment, sans même oser espérer qu'(elle)… apparaisse à un bout du quai ».

Triangle amoureux ? Oui, mais pas comme on le croit à la lecture de ces toutes premières lignes dont vous n'aurez la clef qu'après avoir lu le dernier chapitre. Molina raconte tellement bien les amours malheureuses, les amoureux transis qui n'osent pas ou ceux qui osent tout pour finalement tout perdre, les amoureux heureux mais honteux du bonheur qu'ils ont dérobé à l'ami de toujours, qu'on peut penser que c'est le thème principal du roman au même titre que l'amitié...

« Elle m'avait pris par le bras et elle regarda l'objectif quand le photographe nous demanda de sourire, mais Solana était derrière lui…Ce fut exactement à ce moment-là que le photographe déclencha l'appareil. de quelque endroit du cabinet que tu la regardes, elle a l'air de sourire et de te regarder, mais c'est Jacinto Solana qu'elle regarde. »

Et si c'était une enquête policière ?

« Il pouvait les entendre et reconnaître la voix de chacun, parce qu'ils étaient tous dans le cabinet, de l'autre côté de la porte, mais également ici, dans le cahier bleu, dans les dernières pages qu'il commençait à lire, en se demandant lequel d'entre eux, lequel, parmi les vivants ou les morts, avait été, trente-deux ans plus tôt, un assassin. »

Sans avoir l'air d'y toucher, en arrière-plan, il y a bien un mystère enfoui dans le lointain passé qui va se dissiper peu à peu. Lorsque la vérité apparaît enfin, la surprise est totale et soudain tout s'explique. Pas mal pour un roman qui n'est pas un roman policier.

Alors, c'est un roman sur la guerre civile espagnole ?

Elle ne sert que de décor et de prétexte à des événements extraordinaires mais sa condamnation qui met dans le même sac les assassins de gauche et de droite, la folie des discours enflammés enrobés de postures généreuses et la bassesse des foules déchaînées pour lyncher un homme seul est au coeur du roman et de la pensée de l'auteur. Elle y est traitée, de façon assez similaire à Dans la Grande Nuit des Temps, comme une formidable machine à détruire des vies, bien sûr, mais aussi à anéantir les rêves, les aspirations et les talents de tous ceux qui lui survivent. On y croise un héros qui n'en était pas un, qui ne voulait surtout pas en être, mais qui, pour exister et devenir quelqu'un, en prit toutes les apparences et tous les travers. La tentation du repli sur soi, du refus de prendre parti et de participer à la curée est symbolisée et magnifiée par l'homme portant le prénom de Justo (sans doute pas un hasard) dont le sort ressemble à celui du réfugié allemand de la Nuit des Temps. Quant au titre Beatus Ille, il suffit de se remémorer les premiers vers du poème d'Horace pour confirmer le jugement :

Qu'il est heureux (en latin Beatus ille), loin des affaires,

Comme les mortels des premiers âges,

Celui qui travaille les champs de ses pères, avec ses boeufs à lui, libre de tout prêt à usure.

On ne le réveille pas, soldat, au son terrible de la trompette,

Il ne connaît pas l'horreur de la mer démontée,

Et se tient à l'écart du forum et des seuils arrogants des citoyens puissants.



C'est un roman magnifique, déroutant par son style, captivant par son intrigue mystérieuse et sa construction habile et émouvant par les sentiments qu'il dépeint. C'est beaucoup, mais prenons un instant encore pour dire un mot du personnage que constitue la ville où se situe l'intrigue. Derrière Magina, il faut imaginer Ubeda, la petite ville d'Andalousie (classée avec sa voisine de Baeza au Patrimoine Mondial de l'Humanité) où Munoz Molina est né. Pour y avoir passé une journée ensoleillée de fin mai, je ne peux qu'encourager à y faire halte. Outre l'architecture Renaissance italienne à admirer à chaque coin de rue, vous y retrouverez, comme dans le roman, la place du Général-Orduna (dans la réalité la place d'Andalousie) et sa statue du général criblé de balles. Vous y chercherez, dans le centre historique, la maison de l'oncle Manuel où tout ou presque se déroule. Vous descendrez ensuite vers la plaine du Guadalquivir et ses innombrables oliviers pour vous imaginer dans la scène où les fugitifs tentent d'échapper à leurs poursuivants. Lisez ce roman époustouflant, puis, en allant vers Grenade ou en en remontant en direction de Madrid, arrêtez-vous savourer la beauté et le calme d'Ubeda. Vous n'oublierez ainsi ni le roman, ni la ville, ni le plus célèbre de ses écrivains.

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Dans la grande nuit des temps

Formidable évocation d'une passion amoureuse, surprenant à l'approche de la cinquantaine un homme sans histoires, comme une parfaite allégorie de la passion belliqueuse qui s'empare de l'Espagne au milieu des années 30 et que nous allons vivre par ses yeux, son coeur et son cerveau !

Ignacio est un architecte reconnu mais solitaire, un père aimant mais silencieux, un mari fidèle mais distant, un socialiste convaincu mais raisonnable, un gendre respectueux mais fuyant. La société espagnole, assoupie depuis si longtemps dans ses habitudes et ses injustices, se réveille depuis quelques années sous des influences étrangères. Certains rêvent des soviets de la révolution bolchevique tandis que les autres rêvent de l'ordre allemand ou italien. On s'agite, on découvre les joies d'aller voter, de défiler bruyamment et forcément, peu à peu, la joie cède la place à la peur alimentée par les premiers excès des extrémistes des deux camps.

En parallèle, voici Ignacio, lui aussi, qui s'embrase sous influence étrangère, en la personne d'une jeune et séduisante américaine dont il devient l'amant.

Son absence quand il est au foyer familial, son impatience, ses mensonges, ses hésitations avant d'annoncer qu'il doit s'absenter, tout est fort bien décrit, « Accoutumé à ne pas mentir, il était surpris par la facilité avec laquelle, pour la première fois depuis très longtemps, il cachait quelque chose (...) La vérité et le mensonge se disaient exactement avec les mêmes mots. Dire ces mots était si facile et la récompense si démesurée que cela lui provoquait par avance une sensation d'ivresse, presque de vertige, à l'heure du dîner, dans la léthargie de la salle à manger familiale, où le temps passait si lentement ». J'ai lu quelques commentaires déçus où certains le trouvent égoïste et aveugle. C'est tout à fait vrai, mais c'est précisément l'état dans lequel une passion amoureuse et adultérine vous plonge. Cet aspect du roman me semble une totale réussite par les sentiments décrits, ce profond tumulte dans lequel vous savez que vous êtes en train de causer autour de vous beaucoup de chagrin mais auquel rien ne peut vous faire renoncer. le comble de l'égoïsme sans doute, d'autant plus surprenant et choquant quand il frappe un individu irréprochable jusque là.

Le premier temps de la passion, celui des premiers mensonges faciles est aussi celui du plaisir, de la joie et de l'ivresse retrouvés comme celle de la république nouvelle de 1931. Puis l'orage qui gronde finit par éclater au printemps de 1936, le soulèvement militaire dans le sud va libérer dans Madrid toutes les lâchetés, les injustices et les cruautés, qui sommeillaient derrière les défilés et les banderoles. Chez Ignacio, c'est une clé oubliée un matin sur un tiroir qui va déclencher le drame. Les soupçons muets deviennent des certitudes, voici venu le temps des larmes, du chagrin, des remords et des renoncements.

Les trois personnages de cette passion amoureuse sont des « gens bien » et c'est ce qui fait l'intensité de cet aspect du roman. L'épouse délaissée qui, toujours amoureuse de son mari, fait preuve d'une douleur aussi muette que violente est d'une dignité admirable. La maîtresse qui, se rendant enfin compte de ce qu'ils ont provoqué, a le courage de rompre. le mari quant à lui, déchiré entre ses enfants, le chagrin de sa femme et la passion qui le dévore, ne saurait renoncer, pas plus que l'Espagne qui s'enfonce chaque jour davantage dans la folie meurtrière.

Ignacio est devenu un bourgeois mais ses sympathies sont toujours à gauche, c'est un républicain convaincu qui va découvrir que les assassinats en pleine rue, que la victime soit un monarchiste ou un républicain, se ressemblent tous. Lorsque la rébellion éclate, Madrid est livrée aux milices de tous poils (socialistes, communistes, anarchistes) et les exécutions sommaires sont bien souvent d'une iniquité sans nom (son ami le professeur Rossman, juif allemand ayant échappé à Hitler et à Staline n'échappera pas à une milice anonyme). On ne peut s'empêcher de penser à José Robles, l'ami de Dos Passos, exécuté après un simulacre de procès et qui causera la rupture avec Hemingway (lire à ce sujet l'excellent Adieu à l'Amitié de Stephen Koch). Il semble bien que dans cette querelle, Munoz Molina ait choisi Dos Passos.

Les pages concernant la guerre, les arrestations arbitraires et les exécutions nocturnes sont un puissant manifeste pacifiste dont je n'ai pas souvenir d'avoir déjà lu l'équivalant. Sa force réside dans le fait qu'il émane d'un membre du camp que l'Histoire a retenu comme le camp du Bien. On en est plus vraiment certain en refermant le livre car il est vraiment difficile de ne pas donner raison au héros déclarant à quelques pages de la fin :

« A la guerre, personne ne comprend rien. Ceux qui semblent y comprendre quelque chose sont les plus hypocrites de tous, les plus fous ou les plus dangereux…Quelqu'un te dénonce parce que ta tête ne lui revient pas ou qu'il croit un jour t'avoir vu sortir de la messe, et on t'emmène dans une voiture à la Casa de Campo et le lendemain matin les enfants s'amusent avec ton cadavre en te mettant une cigarette allumée entre les lèvres et en te traitant d'andouille. C'est ça la guerre ou la Révolution si le mot te semble plus approprié. Tout ce qu'on peut te raconter d'autre est mensonge. Tous ces défilés, qui font si bien dans les films et les journaux illustrés, les banderoles, les slogans, No pasaran ! Ceux qui sont courageux et respectés montent dans une vieille camionnette pour partir au front et ceux de l'autre camp les fauchent avec leurs mitrailleuses sans même leur laisser le temps de viser avec leurs fusils. Ceux qui paraissent les plus vaillants et les plus révolutionnaires restent à l'arrière et utilisent leur fusil et leur poing serré pour payer dans les cafés ou les bordels. A la guerre, dans les endroits où on est véritablement exposé à la mort, on ne trouve que ceux qui ne peuvent pas faire autrement parce qu'on les y mène de force, ou bien ceux qui ont cru la propagande et à qui on a monté la tête avec des drapeaux et des chants.»

J'en sors sous le choc, ravi d'avoir lu un grand livre, un de ceux qu'on garde longtemps en mémoire, jusqu'au bout, jusqu'à ce que La Grande Nuit des Temps nous engloutisse à notre tour.

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Tes pas dans l'escalier

Lisbonne. Le narrateur, en retraite anticipée, a quitté New-York où il y réside avec sa femme Cécilia, grande neurologue. Ils ont prit la décision de quitter cette ville pour le Portugal. Il va donc s’intaller tout d’abord, et préparer l’appartement du mieux qu’il le peut afin d’accueillir sa femme dans un logement confortable.



Quel roman surprenant. J’ai été étonnée de tant l’apprécier d’autant plus qu’il ne s’y passe pas vraiment grand chose, et c’est là que réside le talent de conteur l’auteur.



En effet, pendant une bonne partie du roman, nous suivons l’attente du narrateur et les différentes étapes visant à aménager au mieux le logement pour sa femme. Leur histoire se dévoile par petites touches au travers des diverses introspections du narrateur.



Toute cette langueur installée au fil des pages est nécessaire afin d’amener un dénouement totalement inattendu et surprenant. L’auteur a su maîtriser la tension narrative et je n’ai absolument pas imaginé comment terminerait ce récit.



La plume de l’auteur est d’une grande élégance. Avec un sens du détail et beaucoup de digressions qui sont très intéressantes, l’ennui ne se ressent pas, même s’il ne se passe pas beaucoup de choses dans ce récit. Le roman est narré à la première personne sous le point de vue du narrateur, ce qui donne un récit tout en introspection.



Un roman original et surprenant à découvrir.
Lien : https://mavoixauchapitre.hom..
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Carlota Fainberg

Que dire ? Si ce n'est que c'est une oeuvre de Muñoz Molina à côté de laquelle on peut passer sans remords.



Un professeur espagnol d'une université américaine en partance pour Buenos Aires est bloqué à l'aéroport de Pittsburg par une tempête de neige et se fait harponner par un compatriote qui veut absolument lui raconter ses aventures dans la capitale argentine.



L'histoire en elle-même n'est pas à jeter, mais il est insupportable que le personnage du professeur ponctue toutes ses phrases de termes d'anglais pour faire bien. C'est véritablement désagréable et enlève tout plaisir à la lecture. Et bon, l'histoire n'est pas rocambolesque non plus. On dirait une première oeuvre de jeunesse, mais mal conçue. Heureusement qu'il y a mieux, nettement mieux chez cet auteur.
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Beatus ille

Quelle lecture éprouvante ! Comme Muñoz Molina a malmené mon enthousiasme de lectrice avec ce livre, qui était sa première œuvre.

Au début, je ne comprenais rien, tout était confus et peut-être que plus attentif que moi, ami lecteur, tu comprendras à la moitié ou aux deux-tiers du livre, peut-être plus tôt encore, là où je n’ai perçu où Muñoz Molina m’avait emmenée que dans les vingt dernières pages.



Alors un seul conseil, allez jusqu’au bout, laissez vous prendre par l’intrigue qui, après les cents premières pages, est devenue plus envoûtante même si comme moi vous errez au début dans le brouillard. Et bien vous en prendra. C’est tout ce que je peux dire. Ou écrire.



Car tel une truffe au chocolat entourée d’une coquille rigide, le moelleux du cœur n’a pas fait oublier le croquant un peu abrupt ou plus fade de la circonférence. Et à nouveau avec cet auteur, ce livre n'aura pas su me faire oublier 'Dans la grande nuit des temps', qui est de loin très supérieur à ceci.

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En l'absence de Blanca

Quel beau petit opus que celui-ci !



Je n'y ai certes pas retrouvé la verve de "Dans la grande nuit des temps" ou même de "Pleine lune". Pour ceux qui ont lu d'autres livres de Muñoz Molina, cet ouvrage-ci se rapproche davantage, avec sa délicatesse introspective, du "Vent de la lune".



C'est un roman sans aspérité, tout en rondeur, que l'auteur nous offre ici, et qui décrit si bien l'illusion amoureuse d'un homme qui ne voit son couple s'effriter que lorsqu'il est trop tard.



La fin peut dérouter certains, mais m'a plu personnellement.



Ceci dit, j'ai préféré les deux premiers livres que je citais, qui avait une dimension littéraire supplémentaire à mon estime, raison pour laquelle je ne mets 'que' quatre étoiles à celui-ci.
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Pleine lune

Un roman policier espagnol, structuré de manière insolite, avec peu de dialogues. Le récit est lent, l'auteur s'emploie surtout à nous faire découvrir le passé des différents protagonistes,leurs psychismes.

Certaines descriptions sont assez crues.

La lenteur du récit est certainement un atout, elle permet de se familiariser avec les personnages et installe une ambiance plus réaliste.

Finalement, plutôt un "bon" polar.
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Un promeneur solitaire dans la foule

Pardon, estimado señor Muñoz Molina, mais vous auriez pu nous épargner cet ouvrage : plus de 500 pages d'un verbiage aussi inutile !

Je vous cite :

« Le sol vibre à l'approche du train. Ne pas monter ni descendre après le signal sonore. Je regarde les visages des gens et prête attention aux voix. Je suis tout ouïe. Je me place près de quelqu'un qui parle au téléphone dans le wagon, presque tout le monde regarde avec concentration l'écran de son portable »

Ou encore, environ 300 pages après:

« Des publicités fixées avec de la colle, du ruban adhésif et même du sparadrap sont placardées sur toutes la surface des réverbères et des poteaux des feux de signalisation. Achète votre voiture. Jeune fille bolivienne propose ses services pour s'occuper de personnes âgées et effectuer tout type de travaux domestiques. Transports et déménagements. Achète Or. Achète Argent. Serruriers de confiance. Pose de fenêtres. Peintre espagnol»

Non, sans blague, pourquoi diable, estimado señor, perdre votre temps à écrire (et faire perdre ensuite le nôtre à les lire !) des centaines de pages de sornettes de la sorte, dignes du pire des écrivains en herbe ?

Vous avez avoué, je le sais pour l'avoir lu dans un entretien que vous aviez accordé au Nouvel Observateur, que l'écriture de cet opus vous avait permis de sortir d'une période difficile de dépression. C'est très bien. Il est bien connu de tous l'effet cathartique, thérapeutique que l'écriture peut revêtir pour tout un chacun. Hélas, il me semble qu'aucun viatique ne puisse en lui-même être forcément gage d'une bonne littérature!

Ce que votre éditeur nous présente en quatrième de couverture comme étant le registre de vos pérégrinations dans des villes aussi emblématiques que New York, Lisbonne, Madrid, Paris, ayant abouti à un véritable «éloge érudit d'une flânerie» m'a peut-être fait croire, à tort, que cette lecture pourrait constituer un bon moyen de faire connaissance à la fois avec vous et avec votre plume. Je m'attendais secrètement à retrouver le plaisir des délicieuses divagations que j'avais éprouvé en lisant G.W. Sebald ou chez le Rousseau des « Rêveries du Promeneur Solitaire ». Quelle déception, je n'ai retrouvé rien de tout cela !

D'ailleurs où êtes-vous exactement, estimado señor Muñoz Molina, derrière cet amas d'impressions que vous acceptez sans discrimination de transcrire, souvent sans queue ni tête, de ces bouts de descriptions de tout et de n'importe quoi, de cet immense collage d'informations de toutes sortes qui ne cesse de se disloquer sans direction précise ? Mû par la tentation de « tout écrire », auriez-vous pu, au fond, faire une place à vous-même de manière claire, ou en tout cas suffisamment cohérente pour qu'on puisse vous y reconnaître ? J'ai eu l'impression que vous n'y êtes pas, vous-aussi, qu'en tant que fantôme, à l'instar de ces nombreux auteurs (Baudelaire, Pessoa, Poe...), toutes ces silhouettes que vous glissez dans les décors que vous traversez et dont on se demande la plupart du temps ce qu'elles peuvent bien fabriquer là...

« Tout écrire », voyons, señor Muñoz Molina, quelle ambition, quel rêve insensé pour un écrivain !

Qui veut tout, dit la sagesse populaire, risque de n'obtenir rien ...

Pardonnez-moi, estimado señor, mais j'ai abandonné votre livre en cours de route et je dois vous avouer que je l'ai refermé un peu en colère. Toutefois, croyez-moi, je ne suis pas quelqu'un de rancunier, et surtout je n'aime pas proférer des jugements hâtifs ou définitifs. J'essaierai, je vous le promets, de lire plus tard un de vos vrais romans. Pour cela, et pour me départir de cette première mauvaise impression, je compte aussi sur les billets et les éventuels conseils des lecteurs si nombreux, il me semble, qui apprécient votre oeuvre. Là, il me faut néanmoins un peu de temps avant de réessayer.

Bien à vous !

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Le vent de la lune

Un bonne introspection pour un ado issu de la campagne Andalouse et qui est fasciné par la Lune à l'époque du premier pas sur cette dernière.

On assiste en parallèle aux découvertes industrielles telles que la télévision, la douche en installation dans les familles rurales.

Pour une découverte espagnole, je dirais que je suis un peu mitigée, je ne sais pas trop quoi en penser car j'aurais voulu ressentir le même fond qu'à la lecture de Ruiz Zafon mais c'est différent... donc j'essaierai, sur les conseils de pirouette001 son fameux "dans la grande nuit des temps".
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Dans la grande nuit des temps

Un roman sublime et envoûtant.

Antonio Munoz Molina nous livre une vision à la fois intime et grandiose des prémices de la guerre d'Espagne où l'on voit le début des affrontements entre les forces républicaines, anarchistes, communistes d'un côté et les insurgés conservateurs et certains groupes fascistes aidés par l'Allemagne nazie et l'Italie mussolinienne.

Cette émergence de la violence brute et aveugle est vue par le prisme d'un amour adultère entre un architecte responsable de la construction de la Cité Universitaire, entre deux âges, Ignacio Abel et une jeune américaine découvrant l'Europe, Judith Biely.

Leur amour et séparation, leur quête d'absolu et le retour cruel de la réalité prennent souvent le pas sur les évènements qui les entourent mais renforce le caractère fragile de cette liaison tout en la rendant unique.

Un roman fleuve à ne pas manquer, un roman sur le Madrid d'un autre âge (il y a du Modiano dans certaines descriptions quand ce dernier décrit Paris).

Un roman aux thèmes inépuisables et à l'intensité remarquable.

Une mention spéciale au traducteur Philippe Bataillon pour sa traduction subtile et maîtrisée.

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Beatus ille

Beatus Ille

Traduction : Jean-Marie Saint-Lu



Bien qu'il s'ouvre en l'an de grâce 1969, qu'un Gainsbourg, sous d'autres cieux, qualifiait à jamais d'"érotique", "Beatus Ille" est un roman sur la Guerre civile espagnole. Un de plus, soupireront certains, excédés et sûrs de découvrir un énième éloge manichéen de ce conflit particulièrement fratricide, avec les Bons - les Républicains - d'un côté, et les Méchants - les Franquistes - de l'autre. Eh ! bien, non ! Ce n'est pas seulement la construction du roman qui est complexe même si parfaitement maîtrisée : la réflexion qui la soutient l'est encore plus.



Né le 10 janvier 1956, Muñoz Molina n'a pas connu la guerre. Mais il connaît par coeur ses retombées, à savoir la dictature du Caudillo. Une atmosphère étouffante et cruelle contre laquelle se révolte le héros du roman, Minaya, jeune étudiant qui fuit, dès le premier chapitre, la police franquiste lancée à ses trousses car, comme tant de ses contemporains à l'époque mais avec beaucoup moins de chance que la majeure partie d'entre eux (n'est-ce pas, M. Cohn-Bendit ? )le jeune homme est atteint du virus de la contestation. La contestation sous Franco, d'extrême-gauche ou pas, c'est surtout dangereux pour celui qui la porte et Minaya préfère se faire oublier, tout au fond d'une petite ville andalouse où don Manuel, son oncle depuis longtemps perdu de vue, se fait un plaisir de l'accueillir dans sa vaste demeure.



Comme prétexte à son arrivée impromptue après tant d'années, Minaya invoque une thèse qu'il serait en train de consacrer au poète républicain abattu par les Franquistes en 1947, Jacinto Solana. Don Manuel, qui fut l'ami d'enfance de Solana et l'hébergeait encore le jour de son assassinat, ne manque pas d'être sensible au projet et ouvre grand ses portes et ses archives au jeune homme. Derrière les portes, Minaya va découvrir quelques personnages que le passé continue à hanter, de même que les hante le fantôme de Mariana, l'épouse d'un jour de don Manuel, tuée d'une balle en plein front par un tireur inconnu au lendemain même de son mariage. Quant aux archives ... Son oncle les lui a-t-il bien toutes mises à disposition ? ...



Il ne saurait être question d'aller plus loin dans le résumé de l'histoire sous peine de révéler au lecteur la clef de ce drame baroque et pourtant feutré, admirablement mis en valeur par le style riche et poétique de l'auteur. Mais, au-delà du thème central - la résolution, en quelque sorte, d'un secret de famille - c'est l'image, ou plutôt le kaléidoscope d'images tour à tour flamboyantes et ténébreuses laissé derrière elle par la Guerre civile, qui constitue le sujet de "Beatus Ille." Le titre même du roman, emprunté au début d'une ode célèbre d'Horace ( "Heureux qui, loin du monde, étranger aux affaires, / Cultive avec ses boeufs, etc ...") est un clin d'oeil ironique, d'une amertume terrible, à ce monde de reflets qui entend exposer la Vérité seule et indivisible et qui, en réalité, ne montre que l'apparence des êtres et des choses quand il ne s'agit pas tout simplement de ce que l'on veut voir soi-même dans ces êtres et ces choses ...



Même si sa sympathie va sans fard aux Républicains, Muñoz Molina rompt ici délibérément avec l'angélisme manichéen qui est en général de rigueur lorsqu'on évoque la Guerre civile espagnole. S'il parle des horreurs commises par les Phalangistes, il évoque également les lynchages perpétrés par les Républicains : dans une guerre, à plus forte raison quand elle est civile, il n'y a plus d'hommes ni de femmes : il n'y a plus que des massacreurs en puissance. Dire qu'il renvoie les deux camps dos à dos serait cependant inexact : sa démonstration tend surtout à démontrer que rien n'était ni intégralement blanc, ni intégralement noir, que la Pitié n'habitait pas à demeure chez les Républicains pas plus que la Cruauté ne s'était installée définitivement chez les Franquistes. La seule chose qu'il ne parvient pas à pardonner à Franco - et que ne lui pardonnèrent pas non plus beaucoup même de ses partisans - c'est l'emploi des régiments arabo-musulmans contre le camp ennemi. En les lâchant sur les villes prises à l'ennemi, c'est l'Espagne tout entière, à nouveau fraternelle, que le Caudillo a trahie. Muñoz Molina le rappelle, avec simplicité mais fermeté.



Avec ses héros qui n'en furent jamais et ses lâches dont l'Enfer est devenu le compagnon journalier, "Beatus Ille" est un grand livre, une méditation à la fois poétique et réaliste mais surtout impartiale sur la Guerre civile espagnole - et c'est aussi un livre que vous ne regretterez pas d'avoir lu. ;o)
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