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Critiques de Antonio Muñoz Molina (234)
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En l'absence de Blanca

Une femme entre chez lui, se rapproche, l’embrasse, et Mario ne reconnait pas tout à fait Blanca, un je ne sais quoi, une rapidité dans l’approche, une indiscrétion, un rien de vulgarité, alors que Blanca , depuis qu’il la connaît , réserve ses jugements et ses élans amoureux.

Voilà pourquoi il en est tombé passionnément amoureux, elle lui échappe, elle est absente, elle s’éclipse dans ses pensées, parfois sans le vouloir. Ses goûts sont résolument modernes, et mettent en évidence son appartenance sociale à la bourgeoisie grenadine, alors que lui est fils de paysan d’un village proche de Jaen..

Elle lui échappe, et pourtant c’est elle, perdue dans la drogue et l’alcool, percluse à l’issue d’un amour à sens unique avec un peintre qui la trompe avec de petits jeunes, elle qui a fait le premier pas vers lui.

Trop complexé, Mario, il ne se serait pas permis de donner à penser qu’il la désire.

Les années passent, ils vivent côte à côte, sans que leurs deux mondes se rejoignent; Mario ne peut se passer d’elle : si elle est en retard de quelques minutes, il pense qu’elle a eu un accident grave, ou que sa mère moribonde l’a appelée, ou qu’elle l’a, un malheur de plus, abandonné.

Elle, de son côté, devant ses amis experts en gastronomie, voulant redorer son blason à lui et il s’en sent flatté, prétextait qu’il ne supportait pas les sushis d’un japonais de Grenade.

Au-delà de cet amour que Antonio Muñoz Molina campe sur fond de modernité espagnole des années 80, avec l’entrée dans l’Otan, le haschisch, puis la cocaïne, la libération sexuelle, la musique électronique et la peinture plus photographique que peinte, c’est tout un monde moderne que Blanca adore, auquel elle participe simplement en voyeuse groupie, et que Mario sans oser le dire déteste.



Mario continue à penser comme ses parents, que naitre c’est accoster à une vallée de larmes, et que l’on doit gagner son pain à la sueur de son front.

En conséquence le peintre, l’ex de Blanca, sorti de nulle part, qui se forge une renommée avant-gardiste, qui ne supporte pas faire le jeu du pouvoir puis affirme quand il commence à être connu : « l’avant-garde, c’est le marché ». le rend malade parce qu’il continue à attirer Blanca, au point qu’elle n’existe plus par elle-même.

Au delà d’une relation de passion unilatérale, inadéquate ( ou pas, le doute est permis) Antonio Muñoz Molina , avec un phrasé scandé, de longues analyses , un vocabulaire très particulier, nous dépeint le complexe de classe sociale, l’amour basé sur le manque, l’idée fixe de l’abandon.

Je me suis demandé si, finalement, puisque Blanca l’absente bien que vivant chez lui part un jour, son retour n’est pas prévu par Mario ; il préfère penser que ce n’est pas elle qui est revenue, mais une autre. Il a aimé qu’elle ne soit pas ancrée dans la réalité, rêvant de projets sans issue, dans un autre monde, ailleurs, sans lui , même s’il lui a sauvé la vie et qu’elle en est reconnaissante.



Ceci est mon analyse toute personnelle, de ce petit livre grandiose.



LC thématique : un prénom dans le titre .saison 2

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Dans la grande nuit des temps

« Dans la grande nuit des temps » est une de ces oeuvres dont je repoussais depuis très longtemps la lecture, en raison de son nombre impressionnant de pages. Cela doit être une sorte de phobie, mais les pavés m'impressionnent. Et je peux vous garantir que celui-ci est très lourd et donne une très forte impression de densité lorsqu'on le feuillette.



Au final, comme bien souvent, je suis très contente de l'avoir lu et d'avoir repoussé mes appréhensions. A part quelques passages vers le milieu du roman où j'ai eu des difficultés à apprécier le personnage principal pour son manque de sincérité et d'engagement, ce livre est impressionnant de maîtrise littéraire : elle réside dans sa capacité à capturer l'atmosphère d'une époque, à dompter le temps du récit et de l'Histoire, à faire vivre des personnages qui appartiennent au passé.



« La nuit est un puits sans fond où tout semble se perdre mais où tout continue d'habiter et de persister, au moins durant un certain temps, aussi longtemps que la mémoire reste claire et lucide la conscience de celui qui gît les yeux ouverts, attentif aux bruits qui prennent forme dans ce qui semble être le silence, cherchant à deviner à la respiration de l'autre s'il est encore éveillé ou s'il s'est laissé emporter par la somnolence de la jouissance accomplie. »



*

L'histoire se déroule en 1936 à Madrid, dans le contexte des événements tragiques qui ont divisé l'Espagne, des affrontements qui ont conduit le pays à la guerre civile et à l'arrivée au pouvoir de Franco.



Le roman suit le destin d'un architecte espagnol notoire, Ignacio Abel, tombé amoureux d'une jeune américaine, Judith Biely. Cette liaison est intense, passionnée et l'homme en oublierait presque qu'il a une femme et deux enfants.

Dans le tumulte des affrontements du 17 et 18 juillet 1936, Ignacio perd la trace de sa maîtresse et décide de partir la retrouver aux Etats-Unis où un poste de professeur l'attend.



*

Le roman débute alors qu'Ignacio monte les marches de la gare de Pennsylvanie à New York.

Il semble perdu au milieu de la foule qui le croise, indifférente à son désarroi. Seul avec sa petite valise usée d'avoir tant voyagé, il apparaît comme un homme usé, brisé, inquiet, tourmenté par sa fuite hors de son pays où la guerre civile vient d'éclater.



Dans le train qui le conduit, il espère, vers elle, ses pensées se bousculent dans son esprit, s'éloignent du présent, s'enfoncent dans les zones d'ombre de son passé. En regardant le paysage défiler par la fenêtre du train qui l'emmène à Burton College, son esprit voyage sans aucune chronologie sur le fil du temps, ses souvenirs s'égarent dans les recoins les plus sombres et troublants de son passé, comme autant d'instantanés, de petits fragments de vie : son pays déchiré par la guerre, sa rencontre avec Judith, l'effleurement de sa main sur sa peau, cette double vie source de tourments et de honte, cet amour passionnel qui l'envahit et le tourmente, ses manques de père, l'incertitude du futur, l'espoir de revoir un jour ses enfants.



*

Oscillant entre politique et Histoire, amour et guerre, rêve éveillé et réalité, souvenirs et imagination, « Dans la grande nuit des temps » est un roman intimiste et sensuel dans lequel l'auteur sonde avec minutie et sensibilité les émotions de son personnage principal. Cette longue et triste histoire est teintée de nostalgie et de mélancolie, de rêves et de désirs, d'espoirs et de regrets, d'erreurs et de honte. L'amour et le désamour, la tristesse et la solitude, la peur et le temps qui passe se cristallisent au fil des pages pour former une oeuvre pleine de poésie, de finesse, de profondeur mais également de douleurs et de rancoeurs.



Le lecteur se fait voyeur, spectateur de scènes intimes. C'est une histoire d'amour passionnel, mais je ne l'ai pas trouvé magnifique, ni merveilleuse. C'est un amour entaché de honte et de remords, un amour qui fait souffrir, et en cela j'ai eu beaucoup de mal à m'attacher à Ignacio et à Judith.

Son choix de vivre dans le confort d'une vie familiale tout en ayant des plaisirs avec une autre femme plus jeune, sa décision définitive d'abandonner sa famille dans un pays en guerre pour retrouver sa maîtresse m'ont plutôt attachée à la femme trahie, belle et respectable dans sa douleur silencieuse.



Ainsi, malgré l'écriture délicate et poétique, cette histoire d'amour entachée de d'erreurs et de peines ne m'a pas permise de me fondre dans les premières pages du roman. J'ai trouvé Ignacio vaniteux, faible, égocentrique.



C'est dans la deuxième moitié du roman que mes sentiments ont évolué et que j'ai pu être véritablement comblée. En effet, la relation amoureuse, relégué au second plan, s'estompe dans les méandres de l'Histoire et Ignacio apparaît dans ce contexte, seul, fragile, vulnérable, moins lâche et égoïste.



*

La relation adultérine est bien sûr au coeur du récit, mais le roman va beaucoup plus loin qu'une simple histoire d'amour. Il entremêle avec profondeur et foisonnement, la vie de son personnage en butte à ses sentiments et à la violence des événements politiques qui secouent l'Espagne.



Le roman comporte peu d'actions et de rebondissements, mais qu'importe, c'est avant tout une grande fresque historique sur les mois qui ont précédé le soulèvement nationaliste à l'origine de la guerre civile espagnole, puis de la dictature franquiste. L'ambiance est réaliste, immersive.



« À Madrid, il a vu les visages de personnes qu'il croyait connaître depuis toujours se modifier du jour au lendemain : devenir des visages de bourreaux, ou d'illuminés, ou d'animaux en fuite, ou de bêtes menées sans résistance au sacrifice ; visages occupés tout entiers par des bouches qui crient l'enthousiasme ou la panique ; visages de morts à demi familiers et à demi transformés en une bouillie rouge par l'impact d'une balle de fusil ; visages de cire qui décidaient de la vie ou de la mort derrière une table éclairée par le cône lumineux d'une lampe, tandis que des doigts très agiles tapaient à la machine des listes de noms. »







*

Ce récit en clair-obscur est dominé par des images, des paysages, des senteurs, des sonorités, des voix, des regards, des sensations, des émotions.

C'est un voyage sensoriel dans le Madrid des années 30 : le rythme lent des phrases renferme les parfums délicats du géranium, les odeurs de tabac et de brillantine. Puis le récit avançant, d'autres odeurs se substituent, métalliques, celles du sang et de la mort qui s'incrustent dans le tableau de ce pays meurtri.



*

Lauréat du Prix Méditerranée Étranger 2012, « Dans la grande nuit des temps » est accueilli comme un chef-d'oeuvre de la littérature contemporaine espagnole.



L'auteur domine parfaitement la narration, alternant l'histoire en marche, les pensées d'Ignacio et des extraits de lettres qu'Ignacio a dans la poche de son manteau. Narrateur de l'histoire, du moins je le suppose, il accompagne son personnage comme un observateur, promenant son regard en de brefs coups de projecteur.

Le roman est extrêmement bien écrit, l'écriture très belle, serties de phrases souvent très longues et ondulantes, d'une justesse infinie quant à l'expression des émotions et des sentiments. J'ai rarement vu un auteur s'appuyer avec autant d'aisance sur les temps des verbes et la ponctuation pour traduire la fuite du temps, les sentiments. L'auteur privilégie également le style indirect et la quasi-absence de dialogues, ce qui permet à mon sens de rendre plus intenses certaines émotions.



Ces choix d'écriture parfaitement assumés par l'auteur rendent le récit dense, complexe et son rythme lent. Pourtant, une fois entrée dans le récit, j'ai trouvé la lecture fluide et agréable à lire, le style élégant, délicat, sensoriel et addictif.

Cette houle m'a emportée dans un flot de mots qui tantôt lumineux, irradié de raies de lumière, tantôt soucieux et morose, se diluant dans les errances et les doutes de la vie.



Le sifflement et le roulement du train en bruit de fond sont là pour nous faire prendre conscience que le récit prend un chemin parallèle à la réalité.



La fin est magistrale.



*

La construction du récit est habile. Antonio Muñoz Molina a un talent certain pour déambuler, tel un acrobate, sur la ligne du temps, insérant des personnages de la vie politique espagnole de l'époque, jonglant avec le destin de ses personnages de fiction, leurs rêves et leurs espoirs, leurs peurs et leurs désillusions.

Même si le temps fuit, s'écoule, inéluctable, on a souvent la sensation que l'auteur accélère, dilate, ou ralentit son cours jusqu'à le mettre en suspens pour quelques minutes. Il existe en effet plusieurs temps dans le récit, passé, présent et futur se chevauchent : celui de leur amour, L Histoire en marche, ou même celui du voyage.



« Il s'était trompé sur tout, mais plus que tout sur lui-même, sur sa place dans le temps. Passer toute sa vie à penser qu'il appartenait au présent et à l'avenir, et maintenant commencer à comprendre que s'il se sentait si décalé c'était parce que son pays était le passé. »



Le second aspect qui m'a fortement impressionnée, c'est cette façon de faire vivre les personnages à travers les souvenirs et le passé d'Ignacio. On ne les connaît que par son regard. Ils traversent le récit sans consistance, sans présence physique, comme des fantômes.

Avec subtilité, Antonio Muñoz Molina donne aux deux femmes du roman des traits très distincts : Judith illustre la modernité, le changement alors qu'Adela symbolise la tradition.



Le troisième aspect du livre qui m'a plu est la présence en arrière-plan de gares et de trains : lieux de croisement, de destinée, ils sont le carrefour de chemins de vie.



*

C'est un roman profondément introspectif qui gagne à être lu lentement. Il offre une réflexion profonde sur l'humanité et la complexité des émotions humaines. Ainsi, il aborde des nombreuses réflexions sur la vie et la perte, la fugacité du temps, la mémoire et les souvenirs, l'amour et l'obsession, la solitude et la trahison, l'attente et le désir.

L'auteur offre également une réflexion autour de la guerre et de ses conséquences, de la violence et de la peur, de la conscience morale et de l'exil.



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Pour conclure, avec ces mille pages, « Dans la grande nuit des temps » est un long monologue intérieur qui demande de se laisser porter. Mais en lâchant prise, en se détachant du monde qui nous entoure, Antonio Muñoz Molina nous entraîne dans une spirale où des visages anonymes sont aux prises avec leurs émotions et le cours de l'Histoire.

Absorbée par l'atmosphère d'une autre époque, c'est en refermant le livre que j'ai véritablement pris conscience qu'il y avait quelque chose de brillant dans ce roman.

A découvrir bien entendu si le nombre de pages ne vous fait pas peur.



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« Dans la grande nuit des temps » est un roman subtil fait pour une lecture commune où la multiplicité des regards ont toute leur place pour se croiser et s'enrichir. J'ai été heureuse de partager ce moment avec Delphine(@Mouche307) et Bernard (Berni_29).

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Dans la grande nuit des temps

Nous sommes en octobre 1936. Ignacio Abel a fui le chaos de la capitale espagnole pour les États-Unis d'Amérique. Cet architecte madrilène de renom y est attendu pour enseigner dans une université. Il est parti seul, dans l'urgence, laissant derrière lui sa femme Adela et leurs deux enfants. En Espagne, c'est la guerre civile. Les a-t-il abandonnés pour autant ? En rejoignant les États-Unis d'Amérique, il espère aussi retrouver Judith Biely, la jeune Américaine qu'il a aimée à Madrid et qui a rompu leur liaison parce que celle-ci devenait impossible. Mais tout, depuis un moment est devenu impossible dans une Espagne à feu et à sang.

Le narrateur, omniscient tout au long du récit, perce la foule agglutinée sur le quai de la gare de Pennsylvanie à New-York. On imagine aisément la scène, le bruit, l'ambiance. Il nous invite à nous frayer un chemin dans cette cohue, jusqu'à rejoindre Ignacio Abel, le suivre dans ce voyage où l'architecte espagnol espère retrouver son ancienne amante, mais aussi l'épier dans ses gestes et dans les méandres de ses pensées, le souvenir de ce qui fut et qui l'amène aujourd'hui à monter dans un train dans cette ville de New-York.

J'ai reconnu ici l'obsession des trains qui partent et laissent au bord des quais des rêves fracassés, des amours en partance, l'exil, la violence des guerres qui continuent malgré nos pleurs, le malheur du monde incessant.

C'est une mémoire qui se dérobe sur le bord d'un quai de gare.

J'aime les gares et les trains pour cela, - ou plutôt non je ne les aime pas à cause de cela justement, sauf en littérature ou au cinéma, les trains et leur fuite éperdue traversant le temps et les paysages.

Ce livre de plus de mille pages pourraient se résumer juste en quelques battements de coeur au bord du quai de cette gare à New-York où l'émoi d'Ignacio Abel se fait sentir à chaque fois qu'il aperçoit une jeune femme dont la silhouette lui rappelle celle de Judith. Biely...

L'histoire en elle-même pourrait tenir en quelques pages, en quelques faits. Mais se souvenir est aussi un voyage. Ce sont les réminiscences du temps qui vont nous inviter à revenir en arrière, dans ce passé encore proche, où les cendres sont encore tièdes. Remettre ses pas dans les souvenirs confus et douloureux d'un homme, c'est parfois dégringoler dans un vide abyssal.

C'est alors un balancement, une oscillation incessante qui va se mettre en marche tout au long de la suite du récit, entre un présent incertain et un passé non encore clos où les fantômes s'en échappent et où les bonheurs n'ont pas terminé leur course effrénée. Ici le futur n'est pas encore imaginé.

Le temps ne cesse de s'inviter dans ces pages somptueuses comme s'il était le personnage principal de ce livre, où notre plus grande quête de lecteur est de venir fouiller la mémoire d'un homme fugitif.

C'est aussi un passé qui couture l'intime à l'universel.

L'intime, c'est le parcours de ce fils d'un maçon et d'une concierge, devenu un architecte reconnu et célébré par son talent immense. En dépit de ses fortes convictions de républicain engagé, sans doute cette ascension sociale lui a valu de rencontrer et d'épouser une femme de la bourgeoisie espagnole conservatrice et catholique.

Désormais, la République, qu'il appelait de ses voeux comme un idéal, se déchire dans la violence et la répression. Aujourd'hui il ne trouve pas réellement sa place, ni dans sa vie, ni dans sa maison, ni dans son pays. Sa rencontre avec Judith Biely va bouleverser son existence. Avant elle, il a le sentiment que rien n'était vivant, qu'il n'existait pas. le sens de la vie, n'est-ce pas dans les bras de cette jeune femme, qu'il lui a été révélé ?

« Bien qu'elle ne soit presque plus jamais visible dans ses rêves, Judith Biely y rôde telle une absence impérieuse, celle d'une personne qui, du fait de son départ, semblera plus présente encore dans la révélation du vide qu'elle a laissé, comme le tranchant d'une lame est révélé par la blessure ouverte, et un inconnu par les traces qu'il a laissées sur le sable humide. »

Dans la grande nuit des temps écrit par Antonio Muñoz Molina fut pour moi une lecture tout d'abord laborieuse durant les premières pages, jusqu'à ce que l'éblouissement vint. Et alors...

Et alors, je suis monté dans le train, j'ai été emporté par le texte autant par sa forme inouïe, vertigineuse, que par la toile de fond historique.

Ici, il y est question en effet d'exil et d'Espagne. de la guerre civile et des terres lointaines. du passé que l'on laisse et qui ne passe pas. Des engagements, des renoncements tristes. du courage, du silence. Et aussi de ce qu'aimer veut dire...

Antonio Muñoz Molina m'a entraîné dans un récit construit en réminiscences et en digressions, où la relation d'Ignacio Abel au monde, à ceux qui l'entourent, ceux qu'il aime et qui l'aiment, est ici lié à l'Histoire de l'Espagne en train de se faire dans le bruit et la fureur.

C'est un aller-retour entre une gare de New-York et Madrid par le truchement d'un narrateur qui continue de nous entraîner dans le dédale du temps.

Dans la grande nuit des temps est un roman au fantastique pouvoir d'envoûtement et d'incarnation grâce à l'entremise des mots et du temps, dans sa dilatation, dans la manière très proustienne qu'a l'auteur de scruter un instant très court et de le faire résonner dans la durée…

L'obsession d'un amour peut-il être plus fort que la tragédie d'une guerre civile ?

D'ailleurs, est-ce un roman d'amour avec en toile de fond une fresque historique ? Ou bien l'inverse ? Les deux dimensions se côtoient, s'épousent à merveille, mêlant l'intime d'une rencontre clandestine à celle de la grande Histoire.

La beauté fracassante de ce roman vertigineux tient sans doute pour ces raisons, portée par la respiration d'une écriture sublime qui fut pour moi un ravissement.

L'Espagne meurtrie est palpable à travers les sensations si incroyablement représentées par l'auteur. C'est un roman sensoriel autant dans le plaisir des gestes amoureux que dans l'horreur infinie de la guerre.

« Il se rappelle la peur primitive, la peur qui revient avec la nuit, obscurité plus profonde et plus chargée de dangers que dans les histoires qu'on lui racontait dans son enfance. Non seulement rentrer chez soi lorsqu'il faisait encore jour et fermer les portes, en tirant targettes et verrous ; mais aussi se pelotonner comme un enfant sous les couvertures, fermer les yeux en serrant les paupières et se boucher les oreilles pour ne pas entendre, comme s'il suffisait d'avoir vu ou entendu pour attirer le malheur. »

À travers le personnage d'architecte qu'est Ignacio Abel, j'ai aimé ici rencontrer une sorte de métaphore des édifices que l'on construit si longuement et que l'on met peu de temps à les faire s'écrouler comme des châteaux de sable. La vie ressemble si souvent à cela.

Ignacio Abel est typiquement le personnage romanesque que j'aime par-dessus tout car il est rempli de doutes et d'interstices, personnage plutôt détestable au premier abord...

Est-il une sorte de déserteur, celui qui se retourne de temps en temps pour contempler le monde qu'il a quitté ? Les siens, sa famille, ses amis, son pays, sa patrie, une vie tout entière...

Est-il lâche ? Peut-être tout simplement ne trouve-t-il plus sa place dans ce temps absurde et convulsif ? Dans cette vieille Europe agonisante ?

Ce roman parle des renoncements, des trahisons, des lâchetés qui semblent reposer ici sur un seul homme.

J'ai failli me perdre dans les ténèbres de ce roman et je me suis retrouvé à chacun instant dans la lumière des personnages et les chemins tortueux qui les révèlent.

La lumière, ce fut autant celle d'une chambre mercenaire où les heures se défont que la révolte de la rue où les républicains farouches ont défendu jusqu'au bout les valeurs qui les animaient.

Le roman est traversé d'une certaines irréalité, fracturée par la frontière incertaine qui sépare le réel de l'imaginaire.

Mais ce qui rend le roman magnifique, c'est le temps qui façonne et se livre en digressions, en éclats, en convulsions, en rhizome.

C'est le temps du flux et du reflux.

Le temps de l'attente.

Le temps de l'éblouissement.

Un temps illicite.

Celui de l'amour et de la guerre.

Le temps de l'exil.

Un temps de l'oubli.

Le temps qui s'écoule étranger à nous-mêmes.

Un temps de l'impatience aussi.

Le temps délicieux et fugitif de la jouissance.

Un temps qui est une fenêtre ouverte, battant dans le vent.

Les dernières pages du récit disent effroyablement le sang qui coule, l'urine de celui qui a peur et qui fait sur lui face à l'ennemi qui tend son arme devant sa tempe, les cris de ceux qu'on torture, qu'on fusille dans une clairière ou au coin d'une rue déserte. L'espoir aussi, peut-être après, longtemps après, qui sait...

Mais ce que je retiens de ce livre, c'est le sentiment de quelque chose de tragique et de beau à la fois.



« Et quand viendra le jour du dernier voyage,

Quand partira la nef qui jamais ne revient,

Vous me verrez à bord, et mon maigre bagage,

Quasiment nu, comme les enfants de la mer. »

Antonio Machado



Merci à mes deux compagnes de voyage avec lesquelles j'ai cheminé dans cette lecture commune, Delphine (Mouche307) et Sandrine (HundredDreams).

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Tes pas dans l'escalier

Quelle écriture ! Après l'éblouissant et vertigineux « Dans la grande nuit des temps », mes pas m'ont à nouveau mené dans ceux d'Antonio Muñoz Molina grâce à une opération Masse Critique. Je remercie Babelio et les éditions Seuil qui m'ont permis de retrouver l'écriture sublime de cet auteur.



*

« Tes pas dans les escaliers » est un petit bijou littéraire dans lequel l'auteur se montre d'une justesse et d'une profondeur saisissantes.

A Lisbonne, un homme, seul, avec pour toute compagnie son chien Luria, attend sa femme, Cecilia, restée à New York pour régler les derniers détails de sa mutation professionnelle. C'est une nouvelle vie qui commence pour le couple marqué par les terribles attentats terroristes du 11 septembre 2001.



L'homme aménage l'appartement récemment acheté, l'agençant méticuleusement, avec amour, de telle façon qu'il soit à l'identique de l'ancien, comme s'il voulait tout de même préserver une partie de leur passé.

Elle n'y a jamais habité, et pourtant, Cecilia est partout présente : dans les nombreux objets chinés, dans la place de chaque objet, dans le choix des couleurs murales, dans les parfums qui imprègnent encore ses vêtements rangés dans la penderie, dans les nombreux livres achetés.

Tout est prêt pour l'accueillir, ses plats préférés l'attendent dans le réfrigérateur, la table est dressée pour deux personnes, cette attente chaque jour renouvelé entretenant l'illusion de sa présence.

Où est-elle ?



*

Il y a au coeur de ce roman une absence, celle de l'être aimé.

Les pensées de l'homme ne cessent de naviguer dans un flux et un reflux incessants, entre New York et Lisbonne, passé et présent, souvenirs et réalité, absence et présence, illusions et obsessions. Des gestes, le regard d'une inconnue, des odeurs, des bruits, des objets, tout redonne vie à l'absente, tout l'entraîne vers elle.



Dans cette solitude et ce vide d'elle, le temps paraît alangui, comme suspendu.

Avec pour seul repère temporel l'effondrement des tours jumelles, le lecteur est indécis quant au temps qui passe. Les jours semblent filer et s'égrener lentement dans un fondu empli de nostalgie, de mélancolie et de douceur, sublimés par les souvenirs de jours révolus.

Ainsi le temps mais aussi l'espace se superposent : comme l'écume que ramènent les vagues, Cecilia est à la fois proche et lointaine, omniprésente et évanescente. Il y a beaucoup de tendresse et d'amour dans ces moments de vie commune et dans cette étrange attente qui se cristallise et se fossilise. Mais il y a finalement beaucoup de solitude et de sacrifices dans cette vie en suspens.



Dans cette routine qui s'installe, la monotonie creuse un abyme, le calme sensuel et voluptueux s'altère, l'attente devient anormalement longue et contribue à rendre le silence inquiétant et l'incertitude oppressante.



*

Le temps semble prendre une place centrale dans l'oeuvre d'Antonio Muñoz Molina. Et s'il en était le personnage clé ?

L'auteur a en effet un talent incroyable pour l'étirer, le délier, le rendre élastique jusqu'à l'immobiliser, l'ancrer dans un entre-deux. Il a aussi cette capacité à le fragmenter, le découper en instants de vie et le restituer sans tenir compte de la moindre chronologie.



Le temps de l'attente est parfaitement maîtrisé : l'auteur donne un rythme narratif lent et distille une ambiance contemplative et feutrée qui se nuance peu à peu. Sous des dehors d'une belle simplicité, l'écriture est subtile, lucide, délicate, d'une grande intimité et d'une touchante pudeur, mettant doucement en lumière les fragilités et les non-dits de cet homme, ses espoirs, ses attentes, ses regrets, ses mensonges.



« Je suis celui qui arrive on ne sait d'où et fait soudain irruption dans un présent qui est le temps immuable de la conscience de Luria… »



*

« L'attente impose le silence dans l'appartement. »



Je vois cet homme seul, déballant les cartons et arrangeant leur appartement. Je le vois, leur chien couché à ses pieds, seul, le regard tourné vers les avions qui sillonnent le ciel ou vers la rue qui s'assombrit, croyant parfois apercevoir la femme qu'il aime descendre d'un taxi, attendant ses pas dans l'escalier. Je le vois seul, assis dans son fauteuil, sourd au monde extérieur, plongé dans le récit de l'expédition en solitaire de l'amiral Byrd. Je le vois seul, enfermé dans ses pensées, promenant son chien dans les ruelles lisboètes désertes.

C'est troublant comme ces scènes illustrent la tristesse et le silence des tableaux d'Edward Hopper.



« Chaque jour est un seul jour. »



Pourtant Lisbonne est magnifique avec cette statue imposante du Christ dominant la ville et ses façades colorées recouvertes de bougainvillées. L'auteur dépeint à merveille le charme de cette ville, ses couleurs chatoyantes, le bleu métallique du Tage et l'or du crépuscule, sa chaleur écrasante et ses odeurs marines, de cuisine et de poubelles.



*

Pour conclure, « Tes pas dans les escaliers » a été un très beau moment de lecture pour moi.

C'est un magnifique roman d'une lenteur hypnotique, je l'ai savouré page après page, allant à la rencontre de ce personnage ambigu et discret. Et puis viennent les toutes dernières lignes du récit qui l'éclairent de nouvelles nuances douces-amères.
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Dans la grande nuit des temps

Lire Dans la grande nuit des temps c’est comme entrer dans une bulle hors du temps à l’intérieur de laquelle on se laisse submerger par une sensation permanente d’irréalité vertigineuse ou encore de réalité lointaine qui laisse le temps en suspens. On est plongé dans une littérature de la lenteur, une lenteur accablante qui alimente un sentiment d’élégance glaciale ; c’est également une littérature de la rumeur, celle de la guerre civile espagnole qui résonne comme un écho et s’impose progressivement et irrémédiablement ; c’est enfin une littérature des fantômes du passé, ceux qui occupent de manière prégnante la mémoire d’un architecte espagnol, Ignacio Abel, qui quitte une Espagne sur le point de tomber entre les mains des franquistes pour Rhineberg, promesse de paix et de sérénité.



A bord du train qui le conduit de New York à cette cité inconnue où rien n’est associé à sa mémoire, le fils de maçon jusqu’à peu gagné par une lassitude bourgeoise se laisse emporter par un mouvement de flux et de reflux entre présent et passé pour scruter avec lucidité le tourbillon des évènements et les élans du cœur qui ont traversé sa vie et bouleversé son pays. Confronté à la solitude de l’exilé dans un trajet propice aux voyages intérieurs, Ignacio Abel prend conscience de son dépouillement, de la prégnance des absents sans pour autant éprouver la culpabilité du rescapé. Il ressuscite son passé comme pour y trouver refuge mais découvre en réalité la complexité humaine, les limites de sa résistance intime face à un monde vertigineux désormais capable de céder aux idées primitives et radicales et de s’abandonner aux luttes destructrices et sanguinaires.



Dans cette hystérie collective qui s’affirme de plus de plus, l’auteur s’attarde néanmoins à tisser le fil d’une passion amoureuse entre notre héros marié et une jeune américaine. C’est un fil tenu auquel Ignacio Abel tente de se raccrocher fermement : céder à l’étourdissement de l’amour pour échapper le temps de quelques heures en toute clandestinité à un mariage déliquescent, aux conflits sociaux qui s’amplifient, à une belle-famille méprisée, à un chantier ambitieux gangréné par les grèves et les difficultés… si bien qu’incessamment au fil de la lecture, on se dit vraisemblablement que l’architecte espagnol a fui l’Espagne pour rejoindre celle qui a empli son cœur d’une douce exaltation le rendant aveugle à la laideur du quotidien.





En fouillant la conscience d’un homme qui a déserté sa vie, sa famille, son pays, Muñoz Molina parvient à capter et retranscrire magistralement ce qui se dérobe à l’évidence : une vie en suspens, la fragilité de l’homme, les instants insaisissables où une vie bascule, où l’être humain apparaît dans sa nudité, sa vulnérabilité. Oui, le temps de guerre modifie tout : l’attitude, la pensée, les certitudes, la démarche assurée, le regard convaincu.

Rien n’apparaît de manière massive, baroque, imposante. Là où l’auteur excelle, c’est dans le fait d’adopter dans le ton une distance intuitive mêlée à une lucidité incorruptible qui, à travers une langue mi-grave mi-apocalyptique capte aussi bien les présences que les absences. Si bien que de l’ombre des mots reflue une image précise du passé, les souvenirs apparaissent comme des reliques fragiles et précieuses dans un récit où dominent les sentiments d’abandon, de fuite, de clandestinité et de précarité.



La trame n’est pas simple mais elle se laisse portée par un courant lent et minutieux transformant ce qui est improbable en naturel.

J’ai découvert un texte porté par une inépuisable beauté littéraire qui cultive une élégance discrète et épurée, une esthétique lointaine. Les mots demeurent simples mais le style emprunte un raffinement instinctif, même lorsqu’ils « encourageaient le crime, à qui personne n’accordait de crédit parce qu’ils se répétaient avec monotonie et n’étaient rien de plus que des mots ».

J’ai rarement lu une œuvre aussi envoûtante.



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Beltenebros

J'avais aime L'hiver a Lisbonne, qui etait un hommage au film noir et au jazz. Dans Beltenebros Munoz Molina continue cette veine, la poursuit jusqu'a ses recoins les plus profonds, les plus caches, la creuse jusqu'au dela de l’imitation, jusqu'au dela de la parodie, jusqu'a la caricature, une caricature a faire grincer des dents, a faire blemir le lecteur qui s'approche de cet abime de noirceur. Ce n'est pas le Carre noir sur fond blanc de Malevich, c'est un carre noir desoriente qui s'estompe dans un fond noir douteux, indecis. Et pour mieux piper les des le jazz s'est transforme en boleros douceatres et vulgaires. Au secours! Haro! Socorro!



Darman, un ancien capitaine de l'armee republicaine, exile en Angleterre, revient a Madrid, envoye par une organisation communiste clandestine, pour executer un traitre qu’il ne connait pas, qu'il n'a jamais vu.



Derriere un Madrid (celui des annees soixante?) qui semble reel se profile un Madrid sordide, des entrepots obscurs, un cinema decrepit, un hopital abandonne, batisses murees ou toutes ouvertures condamnees, lieux mysterieux cachant des histoires et des vies secretes, dans une atmosphere de tenebres opaques et de brouillards equivoques, en parallele avec l'opacite et l'obscurantisme que presuppose le franquisme regnant.



Darman, a la recherche et a la poursuite de son traitre, se rememore et revit en fait une autre execution qu’il avait mene a bien (a mal?) une vingtaine d'annees plus tot, dans les memes decors sinistres. Un destin qui parait se repeter en des temps paralleles. Il debat avec sa memoire, se questionnant sur les motifs de ses actes, qui semblent eux aussi repetitifs, eprouvant des sentiments et des emotions contradictoires qui le jettent de la serenite a l'impatience, de l’angoisse a l'euphorie, du calme a la rage, de la peur a la temerite, en des allers-retours incessants. C'est un heros solitaire, desoriente par une fascinante galerie de miroirs ou se refletent le passe et le present, la realite et la fiction, la certitude et le desespoir, le devoir et sa decharge, l'amour et la haine en fin de compte. C'est le crepuscule d'un heros tachete d'ambiguite morale.



C'est tres noir. L'auteur multiplie, en plus de l'ambiance et des couleurs, les cliches de films noirs. Rita Hayworth est expressement nommee, et quelques pages plus loin une scene ou la femme desiree (la femme fatale? Comme souvent, comme toujours, fatale pour elle-meme comme pour les autres) chante dans un cabaret et effectue un effeuillage cite en fait le film Gilda de Charles Vidor ou la Hayworth enleve erotiquement ses gants apres avoir chante Put the blame on mame. Vers la fin du roman, Darman poursuit le vrai traitre dans les combles d'une boite et d'un cinema, dans ce qui semble encore une citation, du Fantome de l'opera cette fois-ci. Le roman devient, plus qu'un hommage, une anthologie, pour cerner la quintessence du genre noir.



Comme toujours, j’ai aime l'ecriture de Munoz Molina, ses longues phrases pour traduire l'illusion de lumiere dans les penombres, l’ambiguite de la traitrise, les clairs-obscurs de l'ame, les tromperies du temps, les fables de la memoire, l'interchangeabilite des bourreaux et des victimes, des chasseurs et des proies, tous des fous, tous des heros, tous des perdants. Tous des Quichottes, si l'on croit la citation de Cervantes que l'auteur a mis en exergue: “Quelquefois ils fuyaient sans savoir qui, et d’autres fois ils s’arrêtaient sans savoir qui ils attendaient.” Des Quichottes dans l'obscurite, tous poursuivant un inaccessible, tous fuyant quelque chose, qui les fantomes de son passe, qui les chimeres de son avenir.



Un livre pas facile, un beau livre, bien que pas un des meilleurs de son auteur, un livre a l'image de son titre, un beau tenebreux.

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En l'absence de Blanca

125 pages. Parfois, c’est tout ce que ça prend. J’aime bien m’immerser dans un pavé que je peux étirer comme je le veux mais, à d’autres moments, un petit bouquin pas trop compliqué, qui entre facilement dans le sac et qu’on peut lire dans le métro, c’est tout aussi bien. L’absence de Blanca fait partie de ces derniers. Pas une galerie de personnages à retenir, pas un univers à décoder, non. La vie, tout simplement. Merci Antonio Munoz Molina. Dans ce petit roman (presque une nouvelle avec seulement 125 pages) qu’il nous propose, Mario rentre chez lui et découvre sa femme partie. Pour de bon. Alors commence les « pourquoi ? », les « comment en est-on arrivés là ? » Mario a déjà quelques réponses en tête. Il est devenu routinier, ennuyeux. Non, il l’était déjà même s’il ose à peine l’admettre. Elle, de son côté, devait le savoir, c’était ce dont elle avait besoin à ce moment dans sa vie. Mais elle s’est lassée de son «fonctionnaire mental».



L’auteur nous propose donc l’autopsie d’une relation. C’est presque une analyse psychologique que tous ces souvenirs qui reviennent à la surface et qui raconte leur histoire d’amour à tous les deux. Et qui disent tout car, s’ils s’aiment beaucoup, il devient clair que leurs tempéraments sont incompatibles. Mario et Blanca. Blanca et Mario. Puis Mario tout seul. À travers cette progression, l’auteur a bien amené ses deux personnages. L’homme sans ambition, monotone, pâle, qui se complait dans sa petite ville du sud de l’Espagne. La femme passionnée et énigmatique, d’une autre classe, d’un autre monde, fantaisiste. Quand l’étincelle n’est plus et que la vie à deux ne devient qu’une habitude, qu’advient-il du couple ? Heureusement, l’auteur a évité plusieurs clichés, les scènes, les pleurs, etc. J’ai passé un moment agréable avec L’absence de Blanca mais, attention, il ne faut pas s’attendre à une histoire renversante.
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Le vent de la lune

Le vent de la lune est une sorte de roman d’apprentissage. Un jeune garçon de Malaga, dans le sud de l’Espagne, se retrouve dans cette situation critique : il n’est plus un enfant mais il n’est pas encore un homme. À l’aube de l’adolescence, il se pose bien des questions. Et les curés, en charge de l’éducation des jeunes du village, sont loin de satisfaire ses exigences élevées. La religion n’apporte pas les réponses escomptées ni le soutien espéré. Qu’a-t-elle à dire à propos de l’astronomie ? Des dérives du franquisme ? De la mort de l’oncle ?



Mais, en plus, il vit à la fin des années 1960. À cette époque, les Américains partent à la conquête de l’espace, s’apprêtent à mettre le pied sur la Lune. La mission Apollo XI a été lancée, la fusée fonce sur l’astre de la nuit ! Forcément, ça a un impact sur l’imagination d’un adolescent à l’esprit déjà fantasque. Il faut dire que le narrateur lit du Jules Verne et beaucoup d’autres romans d’aventure. Quand ce ne sont pas des ouvrages d’astronomie, scientifiques. Décidément, il ne suivra jamais le chemin tracé par son père, qui s’occupe avec soin de son verger et qui souhaiterait que son fils prenne la relève un jour.



L’auteur Antonio Munoz Molina nous dresse un portrait de ce qu’a pu être la sortie de l’enfance d’un jeune Espagnol à cette époque. Je me suis surpris à ressentir un brin de nostalgie. Pourtant, je ne l’ai même vécue cette époque, je ne pourrai jamais dire : « Quand Armstrong a posé son pied sur la Lune, j’étais en train de faire… » Mais, au-delà de la conquête de l’espace, il y a les films américains. Et les filles. Et toutes les autres préoccupations d’un adolescent. Assez universel, non ? Je crois que n’importe qui peut se mettre à la place du narrateur et ressentir avec lui ce moment charnière.



En plus, tout est raconté bellement. Je suis vraiment tombé sous le charme de la plume d’Antonio Munoz Molina. Tellement que j’avais l’impression d’y être. La chaleur andalouse, le vent qui transporte les graines des champs de blé dorés et l’odeur parfumée des épices et des fines herbes, les figues et les grenades à la chaire juteuse, etc. Le tout dans un décor pas encore ravagé par la modernité (le réfrigirateur est une innovation inqiétante !). J’adore cette atmosphère précieuse. Je lirai assurément d’autres de ses romans et j’espère la retrouver.
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Dans la grande nuit des temps

Vaste fresque sur les heures qui ont précédées la prise de Madrid par les franquistes, cet impressionnant roman de 750 pages fouille avec honnêteté les tréfonds de l’âme humaine. Un monumental récit historique qui est aussi un travail fantastique sur le temps et son écoulement.



En 1936, la République espagnole naissante est déjà en proie aux convulsions annonciatrices de l’atroce guerre civile qui s’en suivra. Ignacio Abel, célèbre architecte socialiste, est marié depuis seize ans à Adela, issue d'une vieille famille catholique, qui lui a donné deux enfants. Le jour, où il fait la connaissance de Judith Biely, une jeune Juive américaine, il en tombe éperdument amoureux. Dans un Madrid bientôt assiégé par les franquistes, ces deux amants insouciants s’étreignent dans une intense passion qu’Ignacio découvre, sans jamais deviner qu'il vient de mettre le doigt dans un engrenage qui se risque fort de se révéler dramatique, à cette heure où les ténèbres s’apprêtent à assombrir l'Espagne.



Intimiste et charnel, ce roman plonge son protagoniste - entre politique et sentiments - au sein d’une infernale spirale qui le conduira à la perte à la fois de son amour, de son pays et de ses idéaux. Fin 1936, l’architecte progressiste et républicain montera les marches de la gare de Pennsylvanie, à New York, après un périple mouvementé depuis Madrid où la guerre civile a déjà éclaté. Il y cherche Judith, sa maîtresse américaine perdue, poursuivi par les lettres accusatrices de sa femme, Adela, et préoccupé par le devenir menacé de ses enfants, Miguel et Lita. Le narrateur observe, mais de loin seulement. S’il nous montre l’homme à la recherche de ce train qui le conduira dans une petite ville au bord de l'Hudson, c’est pour nous révéler aussi son impressionnant parcours sur les chemins sinueux de la mémoire.



En 750 pages de passion et de guerre, Antonio Muñoz Molina revisite les grands thèmes qui lui sont si chers : l’Histoire, la morale et la complexité des sentiments. A travers un éblouissant va et vient dans le temps, Ignacio Abel, le fils de maçon devenu architecte de renom à grande force de sacrifices, revisitera son ascension, son entrée dans une bourgeoisie madrilène conservatrice et catholique, entre passion amoureuse dévastatrice et violences politiques. Et c'est avec virtuosité que Molina glisse du présent au passé, fouillant dans les tourments de son héros, emportant le lecteur de sa prose élégante, riche et tortueuse - ses phrases sont longues, il faut s'y habituer - sur le chemin sinueux et difficile qui a mené son personnage là où le lecteur fait sa connaissance.



La structure de l’œuvre est complexe et sans sophistication inutile. Elle permet aussi à l’auteur de laisser leur place à de vives et passionnantes discussions politiques. Son architecture se construit avec une implacable logique et une remarquable efficacité, à la manière des mécaniques huilées et précises des horloges.



Entre les allers retours temporels et ceux, tout aussi rythmés, de la voix très en sourdine du narrateur et de son personnage, ce roman polyphonique captive, passionne. L’aptitude à la restitution des nuances de Molina intrigue. Son art de la psychologie, sa rigueur intellectuelle et morale, son engagement éthique, humaniste et progressiste, ainsi que sa capacité à fouiller jusqu’au plus profond des minuscules détails de l’existence éblouissent.



Dans la grande nuit des temps est un roman puissant et passionnant, un grand livre. Magnifique !!



Antonio Muñoz Molina vient de recevoir le Prix Méditerranée étranger 2012 pour ce roman. Un prix bien mérité !

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Le vent de la lune



Juillet 1969, souvenez-vous, atterrissage sur la Mer de la Tranquillité de la Lune.

Dans un petit village andalou, Magina, près de Jaen, là où seul un riche possède la télévision, l’écran s’emplit de neige précédant les images du « voyage » et le Caudillo , vieux et malade, conclut. Le possesseur de la télé , vieux et riche, acclame « Viva Franco ! » et tous se taisent, de peur qu’à travers l’écran on ne repère les opposants.

La différence entre pauvres et riches est une affaire d’odeurs : dans la maison de l’adolescent qui parle, il sent le feu de bois et le purin, auprès du puits, au jasmin et géraniums. Dans la maison de sa tante, il sent le savon, le parfum, et le pain frais quand il se love près d’elle. Dans la maison de son oncle, qui a réussi et est soudeur, ça sent la brillantine et le mazout.

Dans la maison du riche agonisant, qui auparavant sentait l’abondance de la richesse, se sont substituées l’odeur de sueur, d’urine et de mort, de patates pourries et d’animal blessé.

Chez lui, il n’y a pas l’eau courante, des carrés de papier journal sont attachés par une ficelle, près des WC, et l’eau du puits tient compte de chasse d’eau.



Et les américains vont sur la Lune. Rien ne dit qu’ils y arriveront, ni qu’ils reviendront, leur solitude dans les grands espaces inconnus résonne dans l’esprit de l’adolescent, comme pour comparer et assimiler son désarroi.

« Que sais-tu, dans une seconde tu n’auras plus le temps de comprendre que tu étais sur le point de ne plus exister ? »



Rien ne vient aider ce jeune, il n’a aucun repère, son père, cultivateur, ne sait pas manier un stylo, et l’enfant ne s’identifie ni à lui ni aux conversations circulaires de sa grand mère et de sa mère, qui reprisent et lui cousent des caleçons humiliants dans de vieux draps.

Humilié, il l’est encore plus quand il part en collège, perdu, dans un milieu de riches qui se moquent de sa pauvreté : ses camarades de classe s’arment d’un compas dans le fond de la classe, les curés lui prédisent l’enfer éternel s’il commet le péché principal, se caresser, ce qu’il fait chaque jour, travaillé par une adolescence solitaire, tenaillé entre le plaisir impératif et la culpabilité. Il a déjà compris qu’ils mentent, ces curés, que cette croisade morale inflexible ne correspond pas à la vraie vie, que Darwin a raison, alors il s’échappe en pensée, dans un monde d’après, où la gitane dont il a aperçu les seins serait avec lui dans une grotte. Il s’échappe dans les livres, Jules Verne, bien entendu, Et aussi dans ce voyage sur la Lune auquel il participe, se demandant pourquoi Armstrong et pas lui, tutoyant ses camarades imaginaires, puis utilisant à la fin du livre un nous qu’il n’emploie pas avec sa famille, ni avec ses camarades de collège.



Le passage à l’âge adulte s’opère insensiblement, comme un vent léger et imperceptible. Car, bien entendu, il n’y a pas de vent sur la Lune, le vent c’est ce qui a fait qu’il a changé, sans savoir ni pourquoi ni où il va se diriger. Ce vent qui fait qu’il se reconnaît plus, comme s’il s’était perdu en chemin sans pouvoir se définir, et que l’avenir lui fait peur.

Antonio Muñoz Molina , pour cette histoire, utilise de longues phrases à la Proust, remplies de détails destinés à illustrer la pauvreté dans un village andalou, pendant l’été 1969, là où frigidaires, téléphones et téléviseurs ne sont possession que de privilégiés, au moment où , parallèlement, le petit pas pour l’homme se double « d’un grand pas pour l’humanité. »

Lu en VO, c’est plus pratique pour moi.

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Tes pas dans l'escalier

Un homme attend sa femme Cécilia dans la ville de Lisbonne.



Et l'attente est l'un des thèmes principaux de « Tes pas dans l'escalier », l'histoire de ce narrateur qui attend sa femme, restée de l'autre côté de l'Atlantique à New York, tandis qu'il prépare l'appartement qui sera désormais leur foyer.



Ce narrateur vient de se faire licencier de son entreprise, un travail abêtifiant qui servait à enrichir quelques actionnaires inconnus. Il ne travaillera plus, c'est décidé. Et se consacrera uniquement à sa femme.

Elle est une brillante scientifique, spécialisée dans des travaux sur la mémoire. Elle mène des expériences avec tout un tas d'animaux, pour mieux comprendre le mécanisme de la mémoire humaine. Pour l'instant elle se remet d'un fort traumatisme : son appartement à Manhattan était situé non loin des fameuses Tours, et pendant plusieurs semaines après le 11 Septembre 2001, elle n'a pu accéder chez elle. Elle a donc cohabité avec notre narrateur qui était ravi de l'héberger.



Depuis ils ont décidé de s'installer à Lisbonne. Elle pourra sans difficulté travailler pour un laboratoire européen, et poursuivre ses recherches.

Mais pour l'instant, il l'attend.

C'est l'été, et il fait très chaud à Lisbonne. Un peu partout, d'ailleurs, sur la planète, des incendies font rage et déciment les forêts. le changement climatique est en marche, au Portugal comme ailleurs.



Il y a de fortes similarités entre New York et Lisbonne : villes de fleuves, le narrateur ne cesse de les comparer et de les rapprocher, comme il le fait entre l'appartement new yorkais et lisboète. Seule la chienne Luria lui rappelle qu'il est l'heure de sortir dans les rues, sinon notre narrateur va consacrer l'essentiel de son temps à la lecture de l'un des nombreux ouvrages qui constituent leur bibliothèque commune.



Le temps. On retrouve ici l'un des thèmes préférés du fameux auteur espagnol, celui qui nous a donné « Dans la grande nuit des temps » que j'ai tellement aimé. Il y est aussi question de mémoire, de traumatisme, et de ce temps dilaté que constitue l'essentiel de l'attente. Et nous, lecteurs, éprouvant comme une forme de langueur, nous attendons avec lui.



Il y a un côté hypnotisant dans « Tes pas dans l'escalier ». Les jours passent, il se passe très peu de choses, la chaleur s'installe, et Cécilia n'arrive pas. Et pourtant on reste accrochés aux pas du narrateur, lui-même guettant les pas dans l'escalier de celle qui n'en finit pas d'arriver. Un fond d'angoisse sourd également dans le roman, avec l'onde de choc du 11 Septembre qui n'en finit pas de faire des ravages pour tous ceux qui ont vécu l'évènement, mais aussi par cette menace sourde de cette chaleur et de ces incendies, sentinelles d'alarme d'un avenir angoissant.



Seule l'apparition d'une femme – sosie potentielle de Cécilia – rencontrée à l'occasion d'un happening culturel assez improbable, dont seuls les ultrariches ont le secret, va réveiller un peu notre narrateur, le temps d'une rencontre qui aurait pu devenir idylle.



Le style d'Antonio Munoz Molina est toujours là. L'auteur de « L'hiver à Lisbonne » glisse dans une forme de mélancolie ou de nostalgie d'un passé désormais révolu. « Comme l'ombre qui s'en va », un titre d'un autre livre de lui, est un peu son envers : ici l'ombre devrait venir, et, comme chez Buzzati, ne vient pas encore. Mais on l'attend.



Et nous, ses lecteurs, attendons déjà son prochain récit.


Lien : https://versionlibreorg.blog..
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Pleine lune

Il me tardait de graviter dans l’univers d’Antonio Munoz Molina.

Je m’attendais à un coup de coeur, inévitable, inexorable.



Déboussolant: voici l’adjectif qui s’impose à la lecture de Pleine lune!

Ce roman noir d’ébène tient toutes ses promesses.



L’auteur espagnol sème chez le lecteur une angoisse qui s’infiltre comme un vent polaire, distillant avec beaucoup de doigté les informations sur les événements.

Les descriptions crues, parfois insoutenables, laissent une sorte de crasse et de souillure dont on aimerait pouvoir s’en débarrasser, cependant l’on ne peut s’empêcher de tourner les pages.



Dans ce roman choral l’on se retrouve tour à tour dans la peau de la victime et de celle du bourreau, de quoi déstabiliser les âmes sensibles.

Une sorte d’anxiété malsaine nous envahit petit à petit à force de revivre et de repasser les événements, décortiqués sur tous les angles à plusieurs reprises.



La langue du roman, simple en apparence, est travaillée au souffle près, chaque mot, chaque description est pesée pour alimenter un rythme de feu, une urgence à dire.

La psychologie des personnages est admirablement exploitée ainsi que les nombreux questionnements sur l’origine de la violence.



Les points de vue et les perspectives sont multiples, parfois harmonieuses, parfois dissonantes, mais toujours complémentaires.







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L'hiver à Lisbonne

« Emporte-moi sur la lune, à Lisbonne. » lui avait-elle dit un jour.



C'est l'histoire de cet homme, né Biralbo devenu Dolphin. Il « ne s'appelait plus Santiago Biralbo, qui était né du néant à Lisbonne. » Un musicien qui se raconte par bribes au travers des paroles d'un narrateur, un ami peut-être, une connaissance sans doute bien que le mot soit mal choisi en l'occurrence car qui connait vraiment quelqu'un.



« les véritables solitaires installent le vide dans les lieux qu'ils habitent et dans les rues qu'ils parcourent. »



Biralbo c'est un solitaire, fou amoureux à ses moments perdus. Cette expression lui convient « moments perdus » car j'ai ressenti cette perte de soi dans l'attente de cette femme, Lucrecia. Et pourtant « en se regardant, ils s'appartenaient comme on sait qui on est quand on se regarde dans un miroir. » La rencontre a lieu dans un piano bar de Saint Sébastien. Immédiatement le flash. Elle est mariée avec Malcom. Sentant le vent tourné, Malcom décide qu'ils doivent partir immédiatement pur Berlin. Malcom est un escroc. De la vie, de l'amour et des hommes. Le narrateur en sait quelque chose...



Pendant des années Biralbo et Lucrecia auront une relation ponctuée de longs silences, de quelques lettres et ne se rencontreront que bien peu de fois. Mais pourtant « ce qui leur appartenait véritablement : une trame de mots et de gestes, de pudeur et d'avidité, parce que jamais ils n'avaient cru se mériter l'un l'autre et qu'ils n'avaient rien désiré ni possédé qui ne se trouvât qu'en eux-mêmes, un royaume invisible et partagé qu'ils n'ont presque jamais habité, mais qu'ils ne pouvaient pas non plus renier parce que sa frontière les entourait aussi définitivement que la peau ou l'odeur d'un corps entoure sa forme. »



Elle lui demande de l'accompagner à Lisbonne un jour. Elle vient de se séparer de Malcom et ressent un besoin urgent de se réfugier dans Lisboa. Elle seule y arrivera, lui s'évadera dans des villes européennes. Mais un jour, il y retourne voir Billy Swann, son vieux compagnon musicien malade.



« Il était revenu dans la ville pour s'y perdre comme dans une de ces nuits de musique et de bourbon qui semblaient ne jamais devoir s'achever. »



Il la recherche à cette occasion. Billy le met en garde. Lisbonne est une ville dangereuse pour toi Biralbo et puis « La fille de Berlin, a dit Billy Swann sur un ton comme ennuyé et moqueur. Es-tu bien sûr de ne pas avoir vu un fantôme ? J'ai toujours pensé que c'en était un. »



Mais « Lisbonne était la patrie de son âme, la seule patrie possible de ceux qui naissent étrangers. »



J'ai adoré ce roman pour l'ambiance, pour la trame, pour la beauté de l'écriture. Un vrai régal. Ca sentait le bourbon, je voyais des volutes de fumée et j'entendais Fly me to the moon, Lisboa.
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L'hiver à Lisbonne

DanD m'avait prévenue, ce n'est pas à travers ce livre que j'allais retrouver l'atmosphère et l'ambiance de Lisbonne ou encore Madrid de mes vacances !

Antonio Munoz Molina nous plonge dans une atmosphère feutrée de bar de nuit, enfumé où l'on entend des notes de jazz. Oui, on les entend ces notes et on peut aisément imaginer ce club de jazz. Comme il a été souligné dans plusieurs critiques, on se croirait dans un film en noir et blanc et c'est tout à fait ça. Dans cette atmosphère va naitre une histoire d'amour entre Biralbo, pianiste et Lucrecia,mêlée à un trafic de tableaux. Amour contrarié, difficile et furtif même s'il va durer plusieurs années.

Je ne mets que trois étoiles car même si je reconnais la qualité de ce roman, je n'ai pas réussi à me trouver une place dans ce décor.
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Pleine lune

J'ai décidé de me faire une petite série de lectures espagnoles variées en vue de mes vacances imminentes à Barcelone. Premier de la liste : Pleine lune. Pour l'ambiance 'légèreté, vacances, joie de vivre', on repassera : c'est un roman très noir autour du meurtre d'une fillette. Un roman que j'ai trouvé vraiment pas mal, mais...



'Vraiment pas mal' pour sa construction originale donnant tour à tour la parole à tous les protagonistes, l'inspecteur, le tueur, la victime, l'institutrice, le prêtre... Pour les personnages eux-mêmes, surtout l'inspecteur sans nom et Susana, pleins de paradoxes et de richesses, vraiment bien rendus. Pour certaines vérités énoncées l'air de rien mais qui tombent en plein dans le mille (par exemple la brutalité qu'on peut aussi appeler franchise). Pour l'histoire aussi, simplement, qui nous tient en haleine avec sa lenteur délibérée.



Mais... je ne suis pas sûre que je garderai un souvenir quelconque de ce livre... Pour être honnête, je me demande même si je ne l'avais pas déjà lu (et déjà oublié) parce que certains passages me disaient vaguement quelque chose. Plus dérangeant encore, je suis restée complètement en dehors de l'histoire, observatrice détachée ne ressentant rien, ou presque. Ça m'arrive régulièrement en ce moment, alors c'est peut-être moi qui déraille... Mais quand même je trouve dommage que le style et la construction prennent le pas sur l'émotion !



Un bilan en demi-teinte donc... mais je ne prendrai plus l'ascenseur avec un inconnu les soirs de pleine lune !



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Beatus ille

Un livre que je referme en me disant que cet auteur est brillant. Non seulement la construction de ce roman est phénoménale mais Antonio Munoz Molina possède une plume qui me subjugue. Certes, j'ai souffert au début, mais cela n'était que pour me donner un plaisir grandissant au fil des pages. Il est tellement proche de la poésie dans sa forme d'écriture que j'y ai puisé un enivrement, aiguisé plus j'avançais, à m'accrocher pour absorber ce qu'il avait à dire de manière si sensible. Si je puis me permettre un conseil, ne lâcher pas prise après les cent premières pages. Cela en vaut vraiment la peine car on finit par se couler dans cette forme d'écriture très particulière et, sans vraiment comprendre de manière très raisonnée, on sent que l'arrangement interne du roman, sa structure déstabilisante au début, va se révéler et s'épanouir comme une fleur au soleil au fil de la lecture. Progressivement, on s'habitue et les non-dits ou juste suggérés, inconsciemment se mettent en place dans l'histoire que l'on découvre page après page.
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Dans la grande nuit des temps

Une histoire qui flotte, perdue dans la grande nuit des temps, lorsque l’Espagne est secouée de folie meurtrière, comme dans une immense corrida.



Ignacio Abel, architecte renommé, ne souhaite que faire de belles choses, des choses utiles et solides, qui amèneront le progrès et amélioreront le quotidien des hommes. Issu d’un milieu ouvrier et marié à une femme de la bourgeoisie espagnole conservatrice et catholique, il ne trouve pas réellement sa place, ni dans sa vie, ni dans sa maison, ni dans son pays.



Quand les rues commencent à se gorger de sang, de cadavres, à s’emplir de cris, de tracts, il ne se sait pas non plus quel rôle endosser, de quel côté se mettre. Il n’est ni lâche ni ignorant. Il est tout simplement conscient de l’absurdité de ce combat, de l’hypocrisie et de la sauvagerie des hommes qui l’entourent.



Dans cette nuit des temps, il trouve celle qui lui donnera une chance d’exister, Judith. Jeune femme Américaine, envoûtée par Ignacio et par l’Espagne, elle essaie de trouver l’inspiration dans cette vieille Europe, pour écrire un grand roman.



Quelles chances donnera l’Histoire à cette passion clandestine, alors que la terreur s’installe en Europe ?

Comment les lettres qu’ils ne cessent de s’écrire combattront les silences, effaceront les obstacles, aveugleront leur vision de cet avenir fragile, à peine esquissé dans cette nuit des temps.



Un roman comme un voyage lent à travers le temps, de Madrid à une petite ville au-delà de l’Atlantique, sur les bords de l’Hudson. Entre guerre et paix.



Il ne faut pas être pressé pour faire ce voyage, encombré d'obstacles et de frayeurs. Les mots prennent leur temps pour nous plonger dans le cœur de cet homme et de cette femme, pour nous montrer les paysages magnifiques mais aussi les horreurs qui défilent devant leurs yeux.

Les phrases s’allongent pour expliquer, sans trahir, leurs pensées les plus profondes, celles qui se révèlent difficilement, qui viennent d’un passé douloureux, et s’entrechoquent avec ce présent où les hommes sont devenus fous, où l’Histoire s’emballe comme un taureau qu’on veut assassiner dans cette corrida infernale.

Les retours en arrière sont fréquents, désordonnés, dévoilant comme par magie, mots après mots, une partie du brouillard qui cache le passé, le présent et l'avenir d'Ignacio et de Judith.



J’ai aimé tout cela, tous ces mots, toutes ces images, de cette belle histoire de ces deux personnages qui ne sont pas des héros, qui ne veulent pas l’être, dont l’avenir est ignoré et perdu dans la grande nuit des temps.

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L'hiver à Lisbonne

Quel livre! Quel grand livre! Il est de ceux que je n'oublierai pas. C'est une première rencontre avec Antonio Munoz Molina, mais je sais que je vais partir à la recherche de ses autres romans. Dans ce texte, des villes où je me suis rendue, Saint-Sébatien, Madrid et Lisbonne où j'ai bien cru que le héros principal du livre n'arriverait jamais... De la musique, un pianiste et un trompettiste de génie... L'univers de la nuit, des boîtes de jazz, des bas-fonds, des addictions, des plans tordus, des mauvaises rencontres... Beaucoup de points sordides, mais la noirceur est estompée face à une magnifique et rare histoire d'amour... L'hiver à Lisbonne c'est la fuite, la recherche d'êtres aimés et perdus, la jalousie aussi... Cette histoire semble intemporelle et j'ai eu des difficultés à la situer dans le temps, bien sûr, je l'imaginais pur produit du 20ème siècle, mais dans quelle décennie exactement. J'ai facilement imaginé les années 40/50 avec tenant les rôles des protagonistes, Humphrey Bogart et Lauren Bacall... Le cinéma, les livres, la noirceur des films américains sont très présents dans ce roman... jusqu'à ce grand pont rouge de Lisbonne surplombant le Tage (Pont du 25 avril) cousin du Golden Gate... Une histoire beaucoup plus contemporaine que je croyais puisqu'elle se situe sans les années 80 et devient presque contemporaine... Une histoire d'amour intemporelle... Un texte sublime sortant des sentiers battus.
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Carlota Fainberg

Assis sur un banc en plastique d’un blanc sale, je regarde par la baie vitrée la neige tomber sur le tarmac de l’aéroport de Pittsburg, Pennsylvanie. Rien qu’à cette vue, j’imagine une chanson, un blues triste et mélancolique, une petite guitare ou deux qui grattent derrière l’oreille. Le regard comme hypnotisé vers l’extérieur, la neige se couche presqu’à l’horizontal, le blizzard se déchaîne contre l’immense fenêtre. Il va y avoir du retard dans les départs, espérant que mon avion ne soit pas annulé, maigre consolation le bar de l’aéroport semble ne jamais baissé rideau, accueillant des gens épuisés, traînant leur spleen ou leurs solitudes à toute heure, en toutes langues.



Après trois gobelets de café lyophilisé au goût si acide qu’il écorche une grimace à mon sourire défait, je décide de prendre position, table du fond, le dos tourné à la tireuse à bière, le regard toujours plongé vers cette nuit sombre qui accueille ses flocons de neige blanche. A côté, je les entends parler, deux espagnols volubiles et enjoués. L’un, Marcelo, entrepreneur et homme d’affaire, file sur Miami, son soleil et ses filles en bikinis, belles comme des Andalouses. L’autre, Claudio, professeur de littérature, attend son avion pour Buenos Aires, sa pampa et ses filles caramélisées, souriantes comme des Argentines. L’un boit une Mahou cinco estrellas, l’autre une Quilmes. Dans leur conversation, il est question d’une femme, il est toujours question d’une femme avec les hommes. Et d’un hôtel. Un hôtel désuet mais avec du charme à Buenos. Et une femme, la plus belle femme qui soit, celle qui vous hante à jamais comme un esprit diaphane venu s’allonger près de ton corps nu d’entre les draps. Elle s’appelle Carlota, mais en fait peu importe son nom. Elle est là et se rappelle à votre mémoire à chaque jour de votre putain de vie.



Je l’imagine cette Carlota, ses seins, ses fesses, ses jambes, éloges de la douceur. Je la vois cette Carlota, son sourire, son parfum, éloges de l’envie. Comme une certaine fragrance du désir. La tempête se calme, les avions reprennent leur danse au milieu des étoiles. Je finis ma bière, il est temps que je prenne également mon envol vers d’autres cieux, toujours plus sombres. Direction Buenos Aires, un congrès sur Borges. Je descendrai à cet hôtel au charme authentique, ses poussières et son ascenseur avec liftier et je verrai cette femme, Carlota Fainberg, une beauté à mettre en exergue des mémoires de ma vie. Et demain, j’assisterai à la conférence, un programme alléchant, « From Aleph to Anus : Faces (and feces) in Borges. An attempt at Post-colonial Anal/ysis ». C’est que j’apprécie tout particulièrement la vulgarisation de ce genre d’anal/yse b/anale.
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Comme l'ombre qui s'en va

Tenter de reconstituer fidèlement le passé conduit parfois à s'en éloigner. S’émanciper des faits, prendre des chemins détournés, écrire une autre histoire dans l'histoire... Sous l'effet peut-être de « l'intoxication par les lectures et les recherches » qui donne cette sensation étrange de se remémorer le passé comme si on l'avait vécu, Antonio Munoz Molina avec Comme l'ombre qui s'en va s'est intéressé à l'assassin de Martin Luther King, James Earl Ray. La découverte fortuite de la fuite de ce dernier à Lisbonne a suscité au fond de l'auteur une résonance intérieure et la nécessité d'écrire non pas une mais deux histoires au cœur d'un même récit.



Il y a une histoire vraie romancée, celle de Ray qui a tenté de gagner l'Afrique via Lisbonne après avoir tiré sur une figure majeure de la lutte des droits civils, et une histoire intimiste, celle de l'auteur qui raconte la déliquescence de son premier mariage. La cavale d'un meurtrier et la fuite d'un écrivain plein d'ambition pris au piège d'une vie personnelle et professionnelle insatisfaisante. Et le lien entre les deux : a priori Lisbonne où chacun éprouve la nécessité de recourir à la fiction, soit pour se réinventer sans cesse sous une fausse identité, soit pour inventer et donner vie aux autres à travers un deuxième roman Un hiver à Lisbonne.

Mais au fil des pages, ce sont les obsessions de l'auteur espagnol qui guident le récit ; la volonté de pénétrer la conscience d'un homme quelconque, presque invisible, qui a dû mener une vie clandestine. Partant à la recherche de détails, de sensations, de traces forcément fragiles et aléatoires, l'auteur trace des lignes de fuite à son travail d'archivage, il use de son pouvoir d'imagination pour réactiver toutes les dimensions d'un événement sur lequel le temps a passé et qu'aucune archive ni aucun fait ne saurait révéler. Biographie romancée ou exofiction, quelque soit le terme, l'auteur reconstitue le parcours du fugitif avec un phrasé mesuré, conscient de révéler un portrait arbitraire mais aussi convaincant. La réalité ayant parfois quelque chose d'insaisissable, l'auteur suggère que « jamais elle n'a dit le plus important de ce qu'elle aurait eu à dire »_ à charge de l'écrivain de faire le pont entre la réalité et la fiction pour rendre l'histoire intelligible. Méticuleux, l'auteur espagnol s'adonne à l'exercice avec la discipline et la rigueur qu'on lui connaît.



La démarche de A. Munoz Molina est d'autant plus intéressante qu'elle écarte le reproche récurrent de vouloir réécrire l'Histoire, ou de faire de James Earl Ray sa créature. S'il se sert de la fiction pour dessiner les contours de cette histoire, c'est pour mieux faire tomber les masques. Avec la maturité qu'est la sienne, l'auteur se met à nu, dévoilant ses secrets d'écriture dans un récit qui construit et déconstruit le processus littéraire. Déterminé ou est-ce le besoin d'anticiper les reproches propres à ce genre de roman, il démystifie les liaisons entre la vérité et la fiction, ou comment l'écriture peut s'entourer de manipulations, d'impostures, de subterfuges. Le roman a le mérite de la transparence narrative...



Et transparence narrative sans aucune limite puisque l'auteur se livre totalement, sans mesure, jusqu'à l'impudeur, jusqu'à l'ennui...ses ambitions d'écrivains étant intimement liées à sa vie familiale.

Malgré le talent de conteur de Molina, le pouvoir de séduction de sa plume élégante, la suavité de la langue si naturelle et sophistiquée à la fois,j'ai le sentiment d'avoir été un peu bernée : l'auteur impose un lien bien artificiel entre lui et Ray lorsqu'il décompose leur vie respective. Les correspondances sont à mon goût bien dérisoires. En refermant le livre, j'ai eu le sentiment que l'assassin n'était qu'un personnage secondaire, presque une excuse pour ventiler les obsessions personnelles de l'auteur, sa quête de reconnaissance sociale vampirise le texte. Au lieu de tenter de scruter les motivations de l'assassin, Molina laisse le récit « biographique » glissé vers le récit autobiographique, le texte-miroir devenant alors un subterfuge pour écrire sur soi et parler de ce que Lisbonne a fondamentalement changé dans sa vie.

Antonio Munoz Molina fait partie de ces auteurs qui m'ont toujours impressionnée par leur dextérité et leur intelligence émotionnelle. Si j'ai apprécié sa démarche didactique, j'ai été en revanche moins séduite par l'exercice d'équilibriste qu'il s'est imposé en mettant en parallèle sa vie et celle de James Earl Ray.
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