Sefarad veut dire Espagne en hébreu. "séfarade" qualifie la population juive originaire d'Espagne, avant l'Expulsion de 1492, orientale, turque, bulgare, italienne.... ayant gardé souvent la langue espagnole, et parfois la clé de la maison espagnole abandonnée il y a des siècles. L'étude de ces juifs séfarades n'est pas, l'objet principal de ce livre, même si l'auteur s'y réfère d'abondance.
Sefarad est aussi le titre de la dernière nouvelle, ou la dernière histoire de ce gros livre (512p) qui compile 17 récits, qui pourraient se lire indépendamment les uns des autres comme des nouvelles, mais où des personnages récurrents font le lien, un peu comme dans un roman choral. L'éditeur (ou l'auteur) ne nous guide pas en sous-titrant, "nouvelles", " roman", "récit", "témoignages" ou "essai" qui conviendraient tous à cet ouvrage. J'ai été déroutée pendant la première centaine de pages, cherchant à identifier un narrateur, ou des parentés entre les personnages qui disent "je" en différents lieux, différentes époques. Puis j'ai décidé de me laisser porter par chaque histoire.
Incipit
"Nous avons fait notre vie loin de notre petite ville, mais nous ne nous habituons pas à en être absents, et nous aimons cultiver la nostalgie...."
Sefarad est un livre de nostalgies, d'absences, d'exils, c'est un livre de voyages:
"parfois, au cours d'un voyage, on écoute ou l'on raconte des histoires de voyages. Il semble du fait qu'on est parti, le souvenir de voyages antérieurs devient plus vif, il semble aussi que l'on apprécie mieux, que l'on prend plus de plaisir aux histoires qu'on vous raconte, parenthèse de mots précieux à l'intérieur de l'autre parenthèse temporelle du voyage."
Dans chaque récit, il y a un train, un départ et souvent un exil.
De nombreux personnages sont connus, Kafka ou Primo Levi, Baruch Spinoza pour les plus célèbres, Walter Benjamin ou Margarete Buber-Neuman qui a rencontré Milena Jesenska, l'ancienne fiancée de Kafka, dans les camps nazis après avoir été déportée au Goulag. Je n'avais jamais entendu parler de Münzenberg et Jean Amery . M. Salama, commerçant de Budapest, exilé à Tanger, sauvé des nazis par l'identité espagnole accordée à certains Juifs Séfarades qui en ont fait la demande, mais qui n'a pu être étendue aux communautés de Rhodes ou de Salonique, exterminées, est-il un personnage de fiction?
Page 182, il me semble que l'auteur décrit sa méthode de travail :
"j'ai pressenti au long de deux ou trois années, la tentation, la possibilité d'un roman, j'ai imaginé des situations et des lieux comme des photographies séparées, ou comme ces photogrammes tirés des films qu'on exposait autrefois, assemblés sur de grandes affiches à la porte des cinémas[....]Chacun d'eux acquérait une précieuse qualité de mystère, se juxtaposant aux autres, sans ordre. Ils s'éclairaient l'un l'autre par des connexions multiples et instantanées que je pouvais défaire ou modifier à ma guise et dans lesquelles aucune image n'annulait les autres ou ne parvenait à s'imposer sur elles, ne perdait au profit de l'ensemble sa singularité irréductible"
p.185, il poursuit :
"Mais j'ai la paresse d'inventer, je n'ai pas envie de m'abaisser à une falsification de littérature inévitablement rapiécée. Les faits réels dessinent des trames inattendues auxquelles la fictions ne peut pas se risquer...."
Ce livre est comme un puzzle racontant l'Histoire du XXème siècle traversée par le fascisme et le stalinisme qui se sont combattus justement pendant la Guerre Civile. Ce point de vue espagnol donne une cohérence unique. La rencontre des communistes espagnols qui trouvèrent - croyaient-ils - refuge à Moscou, avec d'autres dirigeants comme Münzenberg ou Neumann dénonce les crimes du stalinisme et la perversité du Pacte Germano-soviétique. L'histoire du jeune espagnol combattant sous l'uniforme nazi de la légion Azul qui rencontre à Narva (Estonie) une colonne de déportés juifs est poignante. Autre versant de la Guerre d'Espagne.
Vie quotidienne dans une petite ville - jamais nommée - de modestes artisans, sous le franquisme (implicite, pas expliqué), petites gens dans des quartiers misérables de Madrid.
Par touches impressionnistes, l'histoire, grande et petite est imprégnée de ces nostalgies et des exils, jusqu'à New York, au musée Hispanique où attend la petite fille peinte par Velazquez qui clôt l'ouvrage.
Il faut se laisser emporter dans ce long voyage littéraire.
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