Citations de Colum McCann (946)
Laisse la langue emplir tes poumons. On peut te retirer bien des choses – même la vie -, mais pas les récits que tu en fais. Pour toi, jeune auteur, ce mot donc, non dénué d’amour et de respect : écris !
On avait maintenant deux immenses buildings qui trouaient les nuages. Le verre reflétait le ciel, la nuit, les couleurs, le progrès, la beauté, le capitalisme.
Et quand tu tournes en rond, frangin, le monde a beau être grand, il rapetisse forcément quand tu creuses ton sillon. Je voulais me glisser sur un rayon de la roue pour atteindre le centre qui ne bouge jamais. Je ne sais pas comment expliquer, mec. C'était comme si j'attendais le ciel en contemplant le plafond. Et pendant ce temps, on frappait à la porte. Et ensuite des heures de silence.
C'était là quelque chose que le vieux faisait souvent - si une photographie révélait un moment de vie, il le maintenait ainsi à jamais dans sa mémoire. On aurait dit qu'en prenant une photo, il pouvait, à tout instant, réincarner une vie antérieure - une vie où un corps ne se voûtait pas, où les cheveux ne tombaient pas, où une existence future n'avait pas de raison d'être. Il suspendait le temps dans le creux de sa main fermée. Quelquefois, il le froissait, quelquefois il le laissait s'envoler. On aurait dit qu'il croyait que quelque chose qui fut a le pouvoir d'être ce qui est. C'était là sa façon à lui d'organiser l'univers, une ligne de mire qui se déplaçait du passé vers le présent, aussi facilement qu'une feuille de papier que l'on trempe dans un bain réactif. Un jour Manley avait eu seize ans et, à cause de cela, Manley avait éternellement seize ans.
Qu'est-ce que ça fait d'être vivant ? ça me plairait, tu crois ?
Ce qui le consolait dans la vie réelle, c'est qu'en scrutant bien l'obscurité, on parvenait à distinguer une lueur, abîmée et meurtrie, mais une lueur quand même.
(...) l'espoir était sa seconde nature.
Regrettez-Vous quoi que ce soit, monsieur Noureiev?
Tout compte fait, et toute parole bue, je ne changerais rien, à la fin, de ce que j'ai dit ou fait. Quand on regarde derrière soi, on se casse la gueule dans l'escalier.
Lever les yeux et voir que le fond du trou ; baisser les yeux et voir que du ciel. J'ai jamais rien entendu de plus chouette, qu'on le prenne comme on voudra.
Les étoiles comme des clous dans le ciel - ôtez-en quelques-uns et le noir s'effondrait.
Des années plus tard, en Amérique, on me raconta que les indiens Navajo croyaient que les coyotes, par leur chant, pénétraient les arcanes de l’univers, côtoyaient les frontières du néant, vivaient au-delà de toute temporalité, pointaient leur museau vers le ciel et, dans un cri, faisaient naître le monde à leurs pieds. Les Indiens les appelaient les « chiens chantants ». Par leurs hurlements ils donnaient forme à l’univers, chaque son se mêlant à un son, origine même de tous les autres chants. Il y a longtemps, quand Mam et Dad me racontaient toute leur vie au Mexique, je croyais ce qu’ils me disaient. Et je suppose que c’est encore le cas aujourd’hui. C’était mon chant du coyote à moi : ma mère près du fil à linge, mon père luttant contre le courant. Ils essayèrent de toutes leurs forces de me dire à quel point la vie avait été belle, que les coyotes existaient vraiment et qu’ils avaient fait partie de leur univers en chantant pour eux le jour de leur mariage. Et cela avait peut-être été le cas. Peut-être qu’un gigantesque hurlement avait traversé tout le désert pour parvenir jusqu’à eux. Mais le passé est un domaine rempli d’énergie et d’imagination. Le souvenir nous permet d’épurer la mémoire. Nous réussissons à aménager notre univers à l’intérieur du quark originel qui marque l’instant de la grande explosion.
Ils prétendaient qu'elle s'évertuait à vivre un mètre au-dessus du sol. Il restait inconcevable qu'elle puisse être vue avec un livre au bras : on ne peut aller contre certaines idées reçues. Avant de repartir chez les siens, elle cousait des pages sous la doublure de son manteau, dans les poches de ses robes. Elle avait un faible pour un vieux recueil de Neruda, traduit en slovaque, qu'elle s'était acheté elle-même, d'occasion. Elle se promenait avec ses chants d'amour collés aux hanches, et j'ai appris par coeur des poèmes entiers pour les lui réciter à voix basse lorsqu'on prenait le risque d'un moment entre nous. Elle conservait dans diverses autres poches des ouvrages de Krasko, Lorca, Whitman, Seifert, et même un Tatarka récent. Quand elle posait son manteau à l'imprimerie, elle faisait tout de suite plus mince."
Israël carburait au chaos. C'était un pays édifié sur des plaques tectoniques mouvantes. Les choses entraient constamment en collision. Tous les chemins menaient aux extrêmes, à la prochaine rupture, mais la vie atteignait le comble dans les moments de doute. Voilà pourquoi les gens roulaient si vite et si près les uns des autres. Voilà pourquoi ils ne faisaient pas la queue à l'aéroport. Voilà pourquoi les cafés étaient en effervescence le matin. Voilà pourquoi les marchés étaient si bruyants et si rudes. Les gens étaient chaotiques à l'unisson. Moléculaires dans leur frénésie. Pourtant, ça fonctionnait. Même les opposés diamėtraux s'attiraient. De temps en temps, ils se rentraient dedans et cela faisait trembler le sol. Il y avait la droite et il y avait la gauche, il y avait les orthodoxes et les laïcs, il y avait les Arabes et les Juifs, il y avait les homos et les hétéros, il y avait le high-tech et le hippie, les riches et les terriblement pauvres. Israël était un condensé de tout. Un pays minuscule qui craquait aux coutures, mais dans lequel ils étaient tous embarqués. Tous les rêves, toutes les névroses au soleil. Les psychoses. Les passivités. Les prétentions. La fierté. L'électricité omniprésente. Et la peur, aussi. Chacun portait une armure bruyante. Toujours en quête d'un débat pour comprendre qui, où, et ce qu'ils étaient.
Dans bien des maisons de Cisjordanie, vous remplissez des bassines, vous alignez des cruches, vous remplissez des bouteilles près de l'évier. Vous vous brossez les dents avec le robinet fermé. Vous sortez rapidement de la douche. Vous placez un bouchon en plastique sur le drain de la salle de bains. Vous remplissez les éponges dans l'eau stagnante. Vous posez des brise-jets sur les robinets pour réduire le jet. Vous vous servez d'un balai pour nettoyer les marches, pas de serpillière. Vous nettoyez votre voiture avec un chiffon sec. Vous époussetez les fenêtres de votre maison. Vous savez que l'eau peut être coupée pendant des semaines et que vous allez devoir ensuite l'acheter quatre fois plus cher que ceux qui vivent de l'autre côté de la vallée. Vous montez les marches jusqu'au toit en béton plat et vous vérifiez que les citernes noires ne fuient pas. Vous soulevez le couvercle pour voir le niveau. Vous priez pour qu'il pleuve même si la citerne est presque pleine.
Ben-Yehuda, comme Einstein, disait que les juifs et les Arabes étaient ‘’Mishpacha’’, une famille, qu’ils devaient partager la terre et vivre ensemble. Beaucoup de mots nouveaux hébreux qu’il contribua à forger dérivaient de racines arabes. Ces deux langues, disait-il, étaient des langues sœurs qui, à l’heure des humains, pouvaient vivre côte à côte et en même temps.
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Pour le huitième anniversaire de la mort de son fils, Gazzawi nota dans son journal : Seule la folie nous a poussés à fêter tes vingt-quatre ans. Le gâteau était aussi grand que le grand absent. Personne n'en a mangé. Comme si c'était une offrande au silence..
Ce qui se passe, c’est que, aux yeux de nombreuses personnes, nous, les Palestiniens n’existons pas en tant qu’humains. Je suis officiellement apatride. A votre aéroport. A votre consulat. Où est-ce que j’existe ? Question absurde. Peut-être à un endroit – dans votre prison j’existe. Ou peut-être que dans votre imagination j’existe en tant que terroriste, mais nulle part ailleurs.
L'herbe suffoquait sous le poids de la guerre.
Certains oiseaux migrent de nuit pour échapper aux prédateurs, ils suivent leurs itinéraires sidéraux, se transforment en ellipses à cause de la vitesse, consument leurs muscles et leurs intestins en vol.
Etre juif, ça veut dire respecter la justice et l'équité. Aucun peuple ne peut dominer un autre peuple et obtenir la paix et la sécurité. L'occupation n'est ni juste ni soutenable. Et être contre l'occupation n'est en aucun cas une forme d'antisémitisme.
Bien écrire suppose de fournir des sensations au lecteur-non pas lui apprendre qu'il pleut, mais lui donner l'impression de se mouiller pendant l'averse. E. L. Doctorow