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Critiques de Eshkol Nevo (159)
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Turbulences

Eshkol Nevo dans son dernier livre continue à sonder la nature humaine et ses secrets. Il nous porte ici sur des chemins glissants, où la vérité est difficile à discerner, qui manipule qui ? Qui dit la vérité , qui ment ? Indulgent avec la nature humaine où coexistent le bien et le mal sans trop de peine, on peut manipuler quelqu’un tout en l’aimant, et « avec le temps on devient ce que l’autre voit en nous », dit-il. Comme dans son roman “Trois étages “ , à nouveau trois histoires passionnantes qui finiront par se connecter, et dont la signification du titre apparaîtra dans la dernière.



Mor et Ronen en voyage de lune de miel en Bolivie rencontrent Omri, un musicien fraîchement divorcé. Une simple demande d’information changera leur destin…..

La deuxième histoire est plus complexe, bien que « le libido », reste l’ingrédient majeure. Asher médecin veuf, la soixantaine, va se retrouver malgré lui dans une sale histoire de « MeToo »…….

La troisième est encore plus complexe. Comme d’habitude un samedi Heli et Ofer se promènent dans un verger ( «  frutetto » en hébreux Pardés , Le Jardin d’Eden*) . Il lui laisse son portable pour aller faire pipi et disparaît derrière les arbres. C’est la dernière fois qu’elle le verra….

Dans chaque histoire il y a un trio. Dans la première il est évident, le deuxième se révèle sur le tard et le troisième tout à la fin est une grande surprise, une idée surprenante et très bien développée par Eshkol.



Dans ce roman dense et riche en détails psychologiques et socio-politiques il revient sur les ultra orthodoxes et leurs rigidités allant jusqu’à répudier leurs propres enfants, la situation politique toujours oppressante du pays et surtout sur la complexité des relations de couple, des relations parents-enfants, et des secrets de chacun dont parfois même le détenteur n’en saisit pas l’entière portée. Des trois histoires, la vérité restera encastrée dans la conscience des protagonistes. La Justice elle-même ne pourrait que juger sur des preuves et confessions apparentes souvent manipulées par les avocats et autres agents extérieurs. Et nous lecteurs, lectrices aurons chacun, chacune notre version. Les personnages sont terriblement vivants, humains , émouvants même dans leur singularité avec une musique de fond omniprésente dans les trois histoires et qui sont des clés à ces vérités encastrées. Bref comme toujours chez Nevo c’est profond, sensuel et passionnant ! Un écrivain génial ! « C’est mon livre le plus intense, le plus agressif, le plus sensuel et j’en dirais même libidineux. C’est un livre rock and roll comme je l’ai voulu » en dit-il . Malheureusement non encore traduit en français , ni son précédent livre d’ailleurs , dommage, dommage …..





*Le titre se réfère à l’épisode du Talmud où quatre sages hébreux entrent dans Pardés , dont n’en sortira qu’un seul sain et sauf.
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Trois étages

Un appartement aux environs de Tel-Aviv.

Tout est parfait et en ordre, de l’extérieur “un havre de paix” mais derrière les portes blindés........

Trois étages, trois familles de la bourgeoisie moyenne, décrits sur le tryptique freudien, Le ça, Le moi et Le surmoi.



Au premier, Arnon et Ayelet, un jeune couple avec deux enfants de bas âge, dont l'aînée, Ofri, qu'ils laissent souvent aux bons soins de leur vieux voisins, Herman et Ruth. Un jour que Herman est seul à la maison, Arnon lui laisse Ofri,....Herman souffre de la maladie d’Alzheimer.....

Le narrateur, Arnon, se confiant à un ami écrivain, raconte l'histoire....et dés les premières phrases, on sent le roussi......Arnon vivant avec ses instincts et pulsions habite Le ça : « “C’est la partie la plus obscure, la plus impénétrable de notre personnalité.....il tend seulement à satisfaire les besoins pulsionnels, en se conformant au principe de plaisir » ( Freud )



Au deuxième étage, un autre couple, Hani et Assaf, et leur deux enfants, Hani appelée la veuve par ceux du premier, son mari étant constamment en voyage.

Hani aussi a un secret “inavouable”, et se confie par une lettre, à sa meilleure amie Neta, qui vit aux États-Unis.....Hani dont l’existence oscille entre fantasmes et vérité,

est le parfait habitant du Moi, qui s’efforce de concilier ses désirs avec le principe de réalité. “Le moi détrône le principe de plaisir, qui, dans le ça, domine de la façon la plus absolue. Il l’a remplacé par le principe de réalité plus propre à assurer sécurité et réussite.”( Freud )



Au troisième étage, Dvora, une juge à la retraite,se confit à son mari défunt par le biais d’une vieille messagerie qu’ils utilisaient de son vivant. Dvora cherche à expier les péchés de son passé, cherchant une nouvelle issue à sa vie. Dans le sens du censeur appelant à l’ordre, Dvora est l’habitant de son “altesse le Surmoi.”

“Le surmoi représente l’agent critique, l’intériorisation des interdits et les exigences parentales, sociales et culturelles. Il est en partie inconscient, et se forme durant l’enfance et l’adolescence.Une puissance interdictrice dont le Moi est obligé de tenir compte.”



Trois vies, trois confessions, trois voix intimes.

Eshkol Nevo, dont je suis une inconditionnelle nous revient avec un roman , construit sur la brillante idée du tryptique freudien, combinant intime et social. Il nous connecte à nouveau aux sentiments les plus intimes de ses personnages, à leurs relations complexes au sein d’une famille, d’une communauté, dans l’atmosphère d’un pays plein de peur. Nevo reprend ici la parabole de son magnifique livre “Le cours du jeu est bouleversé “ sur les objectifs que l'on s'impose et les hasards de la vie qui changent les donnes du départ. Cette Vie qui ne souffre aucune règle, aucune discipline et ses personnages touchants dans leurs forces et leur faiblesses, qui luttent pour ne pas se laisser engloutir par leur Surmoi. Mais ce livre vous pouvez le déguster aussi sans tenir compte de papa Freud. La troisième partie surtout et la fin sont simplement magistrales . Nevo Eshkol est un grand écrivain.

C’est son dernier livre, non encore traduit en français mais disponible en anglais et en italien.Si vous ne le connaissez pas encore,en attendant la parution de ce magnifique livre, je vous invite à le découvrir avec son livre bouleversant “Le cours du jeu est bouleversé “, vous ne le regretterez pas.



“I tre piani dell'anima non esistono dentro di noi.

Esistono nello spazio tra noi e l'altro, nella distanza tra la nostra bocca e l'orecchio di chi ascolta la nostra storia.

E se non c'è nessuno ad ascoltare, allora non c'è nemmeno la storia"

( Les trois niveaux de l’âme n’existent pas en nous. Ils existent dans la distance avec l’autre, la distance entre notre bouche et l’oreille qui écoute notre histoire. Et s’il n’y a personne qui écoute , alors il n’y a pas d’histoire non plus ).
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Vocabolario dei desideri

Mon auteur israélien fétiche Eshkol Nevo dans son dernier livre d’une centaine de page, nous raconte dans l’ordre alphabétique vingt-six récits faisant appel au désir, dans tous les sens du terme. A comme Amour, B comme Baiser, C comme Confession ,D comme Désir..... Des récits très courts, délicats et originales qui vont droit au cœur de l’amalgame désirs, sentiments et impulsions. Et qui d’autre aurait pû mieux en parler qu’Eshkol, n’est-ce-pas Péco ? De plus chaque récit est accompagné d’une superbe illustration de Pax Paloscia, peintre,illustrateur, photographe italien, le tout un très très beau livre. Une fois encore Nevo m’épate, il excelle même dans le très court, pour moi la forme littéraire la plus difficile à réussir.



J’aurais voulu vous citer un récit entier pour vous en donner le goût, mais même court c’est long pour une citation et en donner une idée avec une ou deux phrases est très difficile vu qu’ils sont compactes avec des chutes superbes et délicates. Juste quand même une tentative, avec le I, comme Italo Calvino, où Nevo lui lance un superbe clin d’œil en le pastichant, le K comme Karaoke, où la chanson d’Éric Clapton « My darling, you are wonderful tonight » va incendier la fête de la quarantaine de six couples d’amis, le M comme Marriage, vraiment superbe, des vrais montagnes russes, et que dire du Q comme Quasi, la vie qui tient qu’à un « quasi » !

Il y a de tout dans ces histoires, même de l’humour !

Le seul problème est que le livre n’est pas encore traduit en français, mais vu que son sublime dernier roman «  La dernière interview » sera le mois prochain en librairie (ne passez surtout pas à côté), celui-ci le suivra sans l’ombre d’un doute, ne le perdez pas de vu 😊!



« ....c’est pour cela que j’écris. Pour être celui que je ne suis pas. Vivre la vie que je ne vie pas. Et forcément c’est pourquoi on lit aussi. »
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La dernière interview

Eshkol Nevo, un de mes auteurs de prédilection de la littérature israélienne dont je raffole, dans son dernier roman nous bluffe gravement. le sujet est un écrivain qui donne une Interview à un site internet. Un roman sous forme d'une interview et comme matériel de base, plus ou moins sa propre vie. Des questions simples et des réponses sous forme d'anecdotes, parfois décalées, qui nous poussent à croire à un fond cent pour cent autobiographique. En faites bien qu'au fond c'est bien de lui qu'il parle, vu la mise à nu totale, certaines démarches politiques et la discrétion de l'auteur en tant que personne d'après ce que je sais de lui à travers ses livres et ses interviews, cela me semble peu probable. En plus il joue le jeu aussi, rien comme note de préface dans l'édition italienne , dans le genre , “ tous les personnages...sont fictifs....toute ressemblance .....” . A l'interview aussi qu'il donne à la sortie de son livre en Italie, à la question ,” est-ce autobiographique ? “, il prend la tangente.

Bref, finalement aucune importance, le livre en lui-même est fascinant, génial.

Je laisse ici la parole à l'écrivain,

“Dans le judaïsme il y a une tradition spécifique de « questions et réponses » présente dans les livres écrits par les rabbins. Mais que se passe-t-il quand le rabbin lui-même -dans ce cas ici l'écrivain- se trouve au beau milieu d'une crise personnelle et pour répondre n'a recours qu'à une vérité fragile pleine de doutes ? Disant cela on peut considérer ce livre comme une enquête sur l'honnêteté. Son importance. Ses limites. Et sur la possibilité ou non d'écrire de la fiction en restant honnête.De plus- mais ceci je viens de m'en rendre compte seulement maintenant , à travers les réactions de qui ont lu le livre- on peut l'imaginer comme une tentative pour rompre le mur invisible qui semble parfois exister entre un écrivain et ses lecteurs, afin de créer un nouveau lien plus ouvert. “

Ce livre parle d'amour, d'amitié, de désir, de l'espérance (et la peur) de recommencer une vie différente, de politique et autres réalités sordides de la vie qu'Eshkol affronte avec beaucoup d'honnêteté. A travers la figure de Yoram Sirkin, “inspiré de Netanyahu et Trump “( ses paroles ) , il aborde la montée du populisme en Israël comme partout dans le monde, celui d'un politicien sans vision,sans but, sans programme dont l'unique ambition est d'arriver au pouvoir en exploitant la peur de la population. Il touche aussi à l'injustice et la violence passées et présentes envers le peuple palestinien, critiquant la colonisation dans les territoires occupés, qu'il considère un grand obstacle pour une voie pour la Paix , " En tant que personne mais aussi comme écrivain , je refuse depuis toujours à participer à n'importe quel forme de déshumanisation d'un autre être humain.”

Ce livre extrêmement riche en réflexions et ressentis et d'anecdotes truculentes, est à mon avis une synthèse de tout ses livres que j'ai déjà lus. L'écriture très sensuelle d'Eshkol me touche profondément. Espérant qu'il sera vite traduit en français, je ne peux que vous le conseiller. Une lecture qui serait plus fructifiante si vous avez déjà lu un de ses deux premiers livres, “ le cours du jeu est bouleversé “ ou “Quatre maisons et un exil.”



Gros gros coup de coeur !



"What is writing a novel for you?

Writing for me is the ultimate freedom."

( Qu'est-ce-que signifie pour vous, écrire un roman ?

La liberté suprême ")





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Turbulences

Ne serions-nous qu’ambivalences, Janus aux contiguïtés équivoques toujours prêtes à nous faire basculer malgré nous dans la noirceur de drames aussi complexes que sournois ? En trois courtes histoires unies par un lien ténu, l’auteur israélien peint doutes, contradictions et déchirements intimes craquelant si bien la banalité quotidienne que la vie ressemble à un champ miné plus ou moins consciemment par nos propres actes.





Comme pris au hasard dans une foule où ils se croisent sans se connaître, l’un simple figurant dans le récit de l’autre, trois narrateurs israéliens, secoués par les événements qu’ils ont malgré eux aidés à faire chavirer leur vie, se livrent chacun à une sorte de confession, hagarde et douloureuse, de rescapés meurtris affrontant leur part de responsabilité avec une lucidité souvent toute relative. Un quadragénaire fraîchement divorcé ne parvient toujours pas à admettre la terrible manipulation à laquelle, aveuglé par son désir d’amour, il s’est laissé prendre. Un médecin-chef vieillissant accusé de harcèlement sexuel continue à se persuader du caractère protecteur de son attachement à une jeune interne. Une femme cherche dans le passé ce qui pourrait expliquer la disparition de son mari, mystérieusement volatilisé au cours d’une promenade.





Avec pour ressorts suspense et angoisse, savamment entretenus dans le développement de ces faits divers dramatiques où les narrateurs s’observent rétrospectivement s’empêtrer dans leurs irrépressibles erreurs, leur raison si bien dépassée par leurs désirs que même a posteriori, et contre les évidences, la clairvoyance leur fait encore partiellement défaut, ces tranches de vie parallèles sont semblablement parcourues par les courants souterrains qui, serpentant dans nos inconscients, transforment nos vies en dangereux culs-de-grève susceptibles de s’effondrer à tout moment.





C’est ainsi qu’une fois assemblées, ces trois histoires qui, séparément, pourraient n’être considérées que sous l’angle du thriller, la dernière teintée d’onirisme fantastique, dessinent en filigrane une sorte de peinture sociale, traversée d’ironie et d’inquiétude, qui, faisant écho à d’autres ouvrages récents d’auteurs israéliens, comme Stupeur de Zeruya Shalev, vient elle aussi souligner combien la société israélienne vit de tensions profondes.





Un livre troublant et brillant, où les déboires intimes et individuels, vécus dans l’incrédulité et le déni, révèlent entre les lignes le désarroi né des turbulences de l’histoire collective israélienne.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Trois étages

Nous avons tous fait l'expérience un jour d'observer un immeuble, en début de soirée, alors que les lumières des différents appartements s'allument peu à peu, que les profils, les silhouettes se meuvent, se croisent, que les intérieurs se révèlent à nous, cocons chauds et confortables ou pièces vides et froides. Témoins de ces ombres chinoises entraperçues et fascinantes, nous essayons alors d'imaginer ces multiples vies, les odeurs qui émanent de chaque cube, les histoires de famille qui s'y trament, familles fonctionnelles ou dysfonctionnelles ainsi abritées et superposées, les bonheurs vécus qui irradient, débordant un peu du carré dans lequel on tente de les contraindre, les drames aussi, forcément, qui les font vibrer ces murs trop étroits. Ayant grandi dans une cité HLM qualifiée de « chaude » de la banlieue lyonnaise, petite fille, sans jeux vidéo ni téléphone, cette occupation me fascinait et m'absorbait des heures durant. C'était une porte formidable vers l'imaginaire. Je voyais, imaginais, devinais sans doute. Et surtout j'avais toujours l'impression que ces vies étaient plus intéressantes que ma propre vie. Soit plus heureuses, soit plus dramatiques. Est-ce sur la base de cette même fascination qu'Eshkol Nevo, psychologue de formation, a écrit ce livre « Trois étages » ?



Dans tous les cas le résumé de cette histoire ne pouvait que m'attirer et me faire écho : Un immeuble en Israël, de nos jours, non loin de Tel Aviv, où nous découvrons ce qui se cache derrière les portes de trois familles de bourgeoisie moyenne, chacune à un étage différent. Trois familles, trois étages. Trois voix, trois formes de confession différentes, trois façons de s'exprimer. Présentés sur le tryptique freudien : le ça, le moi et le surmoi. Brillant parallèle. L'idée m'a immédiatement plu et j'avoue avoir lu ce livre d'une traite, entre inquiétudes et franches rigolades, entre questionnements et réel intérêt, entre émotion et admiration.



Au 1er étage, le « ça » donc, la partie la plus obscure et impénétrable de notre personnalité, satisfaisant les besoins pulsionnels, primaires et instinctifs selon Freud. Incarné, pourrait-on dire, par Arnon, époux impulsif et amoureux, voisin explosif et père de famille possessif de deux petites filles dont la jolie Ofri avec laquelle il a une relation fusionnelle : « C'est comme ça. Tant que tu n'as pas une deuxième fille, tu ne comprends pas vraiment ta première. Grâce à Yaëli, nous avons compris à quel point Ofri était exceptionnelle. Son calme si rare. Son endurance. Toutes ses maîtresses ont toujours vanté sa précocité. Mais ce n'est qu'après avoir vécu tous les drames liés à Yaëli que nous avons compris ce qu'elles voulaient dire.». Arnon va se livrer, au bistrot du coin, à un copain apparemment un peu écrivain, espérant que ce dernier lui imagine un happy end car oui, vraiment, il s'est mis dans une sacrée situation. Je n'en dis pas plus, je n'ai pas pu lâcher le livre avant d'avoir terminé cette première partie.



Poursuivons la visite et montons à présent au 2ème étage où nous découvrons le « Moi » tiraillé entre la folie qui rôde et la conscience qui assagit, entre fantasme et réalité. le « Moi » qui essaie justement de concilier nos désirs avec le principe de réalité, incarné par Hani, une mère de famille, femme au foyer. Elle se livre via l'écriture, une lettre pour sa meilleure amie qui vit loin, trop loin, longue lettre où délires, fantasmes, amertumes, craintes, espoirs sont pèle mêle jetés, surtout sa peur de la folie qu'elle sent rôder à l'image de ces deux chouettes visitant tous les jours son balcon. Elle doit lui confier un « secret » également. Cette lettre est un appel à la mer, pour cette femme esseulée qui tente de se lier avec d'autres familles, en vain : « Il s'avère que de participer seule à des excursions de familles (et, de manière générale, à des activités sociales en banlieue) représente le vice extrême. Un crime contre la bourgeoisie. Un écueil propre à faire chavirer l'arche de Noé. Car, au total, que se passe-t-il ? – si l'on dissèque succinctement le phénomène. Les hommes te regardent différemment quand tu es seule (même une mère de deux enfants, en collants usés et avec le T-shirt de fin de classes militaires d'Assaf). Et les femmes, qui remarquent les regards affamés de leurs bonshommes sur ta silhouette, paniquent et te ciblent comme un danger potentiel. Elles te posent des questions sur ton mari, pour rappeler à qui de droit qu'une telle créature existe. « Quand sera-t-il de retour ? Ce n'est pas trop difficile pour les enfants qu'il soit absent aussi longtemps ? Toutes mes félicitations de participer quand même à nos randonnées, moi, je serais restée chez moi. » J'aime ce style mêlant à la fois cynisme et humour. Un style tranchant. Percutant.



Enfin terminons cette expérience de voyeurisme au 3ème étage avec le « Surmoi », intériorisation des interdits et représentation des exigences parentales, sociales et culturelles, contrôle de soi, domination des pulsions. Incarné par Dvora, juge à la retraite. Sa confession, à son mari défunt, se fera par le biais d'une vieille messagerie qu'ils utilisaient dans le passé. de multiples messages touchants d'une durée de deux minutes. Dvora cherche à sortir de sa culpabilité vis-à-vis de son fils qui a coupé tout lien avec elle, et cherche un nouveau sens à sa vie.



Des liens existent entre les étages. Notamment Dvora qui, comprenant ce qui se passe aux étages inférieurs, aurait envie de secouer pulsions et ego : « Réveillez-vous, citoyens de Bourgeville. Laissez là vos parties de poker et votre inquiétude excessive pour vos enfants, et les infidélités minables que la vacuité de votre existence, et non le désir, favorise. Levez-vous de vos fauteuils télé trop confortables et plaquez vos conseillers en investissements qui vous suggèrent de prendre un crédit et d'acheter un autre appartement dans un immeuble comme celui-ci, dans une banlieue semblable à celle-ci. Réveillez-vous de votre manque de foi, de votre manque d'engagement et de votre indifférence. Réveillez-vous de votre trop-plein de vacances, de voitures, d'appareils électriques, de clubs d'activités pour vos chères têtes blondes. Non loin de vous, une chose très importante est en train de se produire. Et, vous, pendant ce temps, vous roupillez ».





Saluons la traduction de Jean-Luc Allouche qui a réussi le tour de force de bien rendre les styles très différents des protagonistes : les propos francs parfois vulgaires d'Arnon, l'écriture passionnée et flamboyante de Hani et enfin la voix posée et argumentative de Dvora ; Des styles bien en phase avec le tryptique freudien qu'ils sont censés représenter à chaque étage. Il utilise par moment des expressions bien à nous, étonnée par exemple de trouver celle-là (que j'aime beaucoup) : « Je lui ai dit que je voulais des réponses, pas des explications à la mords-moi-le-noeud, et que cette femme était la seule personne capable de me les donner ».



J'ai lu ce livre quasiment d'une traite. L'écriture est percutante, le sujet original, la construction brillante et intelligente. C'est mon premier livre d'Eshkol Nevo, et je sens que c'est le début d'une longue histoire de lectrice avec cet auteur.

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La dernière interview

Eshkol Nevo est un écrivain que j’ai découvert grâce aux chroniques d’une de mes amis babelionautes Bookycooky, férue de littérature israélienne. Je ne crois pas me tromper en disant qu’il s’agit d’un de ses écrivains préférés, voire de son préféré !



Pour ma part, je n’ai lu que deux de ses livres mais je commence déjà à être conquise ! J’avais beaucoup aimé Le Cours du jeu est bouleversé, l’originalité de la construction romanesque, les réflexions sur le monde contemporain, la politique. Aussi, lorsque mon libraire, auquel j’avais parlé des romans d’Eshkol Nevo, m’a proposé La Dernière Interview, son nouveau roman, j’ai saisi l’occasion de me plonger une nouvelle fois dans son univers.



Sous forme d’interview, un écrivain israélien à succès répond aux questions de ses lecteurs, sur Internet. Je trouve qu’Eshkol Nevo est très créatif, c’est la définition qui me vient à l’esprit quand je pense à ses écrits car, pour mon plus grand plaisir, ils se suivent mais ne se ressemblent pas. Ils me surprennent à chaque fois. Cela n’a rien d’étonnant puisque, en plus d’être écrivain, il enseigne l’écriture créative.



Ce roman pourrait être classé dans le genre "auto-fiction" mais peu importent les catégories qui, au contraire, brident la créativité. Je pense que l’intérêt du roman n’est pas de savoir si le personnage de l’écrivain est Eshkol Nevo ou pas, s’il y a une dimension autobiographique ou pas, seuls ses proches peuvent le dire. L’intérêt de ce roman à la construction originale réside dans la qualité des réponses et des réflexions qu’elles suscitent chez le lecteur ou la lectrice, moi en l’occurrence, sur la vie contemporaine, politique, l’amour, l’amitié, l’écriture, la dépression, le bonheur, la liberté.



Je sais gré à Eshkol Nevo de ne pas avoir écrit un roman semblable à d’autres sur le thème éculé de l’écrivain à succès qui n’a plus du tout d’idées. Bien au contraire, à travers le jeu des questions – parfois banales – et des réponses – toujours subtiles et élaborées, il offre à ses lecteurs une œuvre originale qui acquiert une dimension à la fois humoristique et philosophique.



Tout un chacun peut se reconnaître dans les sujets évoqués et y trouver matière à réflexion car ils tendent à l’universalité.



La Dernière Interview est le prolongement des idées développées dans Le Cours du jeu est bouleversé. Dans ce dernier, j’avais beaucoup aimé le personnage de Youval, son caractère tourmenté, sa conception de l’écriture. J’ai retrouvé ces thèmes dans La Dernière Interview. Le véritable écrivain est, pour moi, forcément quelqu’un de tourmenté, un intellectuel qui réfléchit, peut-être même trop… Là est le drame, très bien évoqué dans le livre : sa femme Dikla veut le quitter, il est dépressif, il écrit pour se sauver, parce qu’il coule, même si personne ne s’en rend compte.



Il y a beaucoup d’humour dans La Dernière Interview, malgré la gravité de certains sujets. Ce choix rend la lecture agréable.



Eshkol Nevo nous invite à réfléchir avec lui et à nous poser des questions. Il évoque, comme dans Le Cours du jeu est bouleversé, l’actualité, la politique, le sujet brûlant et controversé en Israël des Palestiniens, de la colonisation des territoires palestiniens par l’armée israélienne mais plus largement aussi la peur, qui pousse à voir dans l’autre un ennemi, un danger, quelles que soient les circonstances ; le mal, qui pousse à exclure autrui, le détruire, le déshumaniser ; les murs physiques et moraux qui séparent les êtres humains entre eux ; les politiciens qui exploitent les peurs et les haines pour se faire élire ; les contradictions inhérentes à l’être humain : comment peut-on penser qu’on est un écrivain de gauche alors qu’on écrit des discours pour un politicien qui ressemble énormément à l’actuel Premier ministre israélien ?



Ce sont toutes ces questions que soulève avec brio Eshkol Nevo dans ce roman et qui font écho à mes propres réflexions. Il a un indéniable talent de conteur. C’est avec plaisir que j’ai lu certains passages, entre autres sur la création littéraire et le besoin viscéral, parfois pénible pour l’entourage, de transformer la réalité en fiction. J’aime beaucoup l’humour et la satire qui nous aident à affronter avec courage bon nombre des travers de notre monde.



Mon prochain voyage en compagnie d’Eshkol Nevo se fera probablement avec Neuland sur la route de l’Amérique latine et des utopies. Encore un beau périple en perspective…

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Le cours du jeu est bouleversé

La vie est parfois aussi imprévisible qu’un match de foot. Qui peut savoir avec certitude où il sera dans quatre ans, ce qu’il fera ? Pourtant, on peut aussi avoir le douloureux et secret sentiment que rien ne change, ou pas dans le bon sens, alors que, pour nos amis, ce n’est pas le cas, ils avancent, ne stagnent pas, ne s’enfoncent pas dans la solitude, l’absence de projet ou l’impossibilité de réaliser celui ou ceux qui tiennent à cœur.



Le Cours du jeu est bouleversé est le roman d’Eshkol Nevo, dédié à ses amis, mais c’est aussi le titre du livre écrit par Youval, jeune homme de trente-deux ans, philosophe, solitaire et renfermé. Churchill, surnom d’un de ses trois meilleurs amis, trouvera ce texte dans ses affaires et s’en fera l’éditeur.



Merci Idil de m’avoir fait découvrir Eshkol Nevo et ses romans. J’ai une pensée pour ClaireG qui, par sa chronique si bien faite, m’avait aussi donné envie de découvrir Le Cours du jeu est bouleversé, beau roman sur l’amitié masculine.



J’ai aimé l’originalité de la construction, l’alternance entre des passages sombres et des moments d’humour, des réflexions pertinentes sur l’écriture, la manière dont l’écrivain débutant est perçu, notre époque, la vie en Occident, l’obligation d’avoir des objectifs, de les réaliser, de réussir, mais qu’est-ce que réussir, être heureux ?



Tout commence pendant la Coupe du monde de 1998. Amihaï a l’idée d’écrire sur des papiers quatre souhaits que les quatre amis d’enfance aimeraient réaliser. Ils ouvriront les enveloppes qui contiennent ces désirs, ces ambitions lors de la prochaine coupe du monde. Ils auront alors trente-deux ans.



Le destin, la fatalité, le hasard, les tragédies qui nous attendent au coin du chemin se moquent de nos désirs, de nos rêves, de nos ambitions, de nos amours et rien ne va se passer comme prévu.



Chacun, sans l’avoir prévu, va réaliser le souhait de l’autre. Youval se rend compte que ce ne sera vrai qu’à une condition : il faut qu’il écrive le livre qu’Ofir avait pensé écrire et ainsi, l’harmonie qui règne au sein du chaos sera parfaite.



Mais il doit se dépêcher, oublier ses tourments personnels et intimes, se débrouiller seul après la réponse décourageante d’une assistante d’édition : « une bande d’amis ? » « Les hommes, ça ne marche pas aujourd’hui, mais envoyez toujours, you can never know… » « J’ai compris que je perdais mon temps et je n’avais pas de temps à perdre. »



J’ai aimé ces moments d’humour fin et subtil qui surgissent, comme dans la vie, au milieu des drames, des tragédies qu’il est impossible d’éviter, des souffrances qu’il est impossible d’oublier entièrement.



La complexité des sentiments humains est très bien rendue. Que sait-on vraiment de la vie intime de nos proches, surtout lorsqu’ils sont taiseux, et même lorsqu’ils sont bavards ? Grâce au livre écrit par Youval, ses amis vont mieux le comprendre, même si l’écriture n’exclut pas les mensonges et la dissimulation, on ne raconte que ce que l’on a envie ou besoin de raconter. Mais n’est-il pas déjà trop tard ?



Ce roman publié en 2007 n’a pas pris une ride, tant par la pertinence de ses réflexions sur le monde contemporain, l’Occident, la manière de vivre des Occidentaux, que par l’analyse discrète mais présente des problèmes que subit la société israélienne avec les conséquences du conflit israélo-palestinien.



En pleine Intifada, Youval répond au chargé de cours de son atelier d’écriture que c’est volontairement qu’il n’évoque pas dans son livre la période agitée et sanglante que traverse son pays, vague d’attentats, morts car « les amis sont comme une oasis qui permet d’oublier le désert… ou comme un radeau sur une mer déchaînée… ou comme… »



Malgré cela, au cours de son récit, un événement traumatique le hante : durant son service militaire, en 1990, à Naplouse, pendant le Mondial, avec les hommes de son unité, il ne s’est pas bien comporté car, quand on est un très jeune homme, il n’est pas toujours évident « de veiller à ce qu’au milieu de toute cette guerre les gens des deux camps conservent leur humanité. Qu’ils ne se transforment pas en bêtes sauvages. »

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Le cours du jeu est bouleversé

C'est une histoire d'amitié comme il y en a des tas dans les livres.



Qu'a donc celle-ci qui la rende différente des autres ?



Quatre jeunes de Haïfa se rencontrent au collège, poursuivent l'apprentissage de leur entrée dans la maturité à l'armée, sont fans de foot et démarrent leur vie d'adulte à Tel-Aviv. Churchill est un avocat brillant. Amihaï est comptable. Ofir réussit dans la pub et Youval, le narrateur, est traducteur et rédige une thèse de philosophie. Leur amitié se consolide sur les briques de menus faits.



« Il se peut qu'il y ait quelque chose de menaçant dans notre bande, avec son humour codé, ses associations d'idées hermétiques et ses sous-entendus cryptés ». Difficile de se faire une place quand on devient une pièce rapportée.



Lors du Mondial de 1998, ils font un pari : chacun écrit trois objectifs pour les quatre ans à venir. Jusqu'au prochain Mondial. Un seul est lu tout haut.



Chacun suit une route mais les aléas de la vie font qu'il faut parfois dévier ou changer radicalement. Les amours évoluent, la pub fait des ravages, le procureur est pris dans un scandale, des désaccords créent des séparations, des silences aussi, même un exil et la mort. En fait, la vie c'est comme le foot. Jusque dans les dernières minutes le cours du jeu peut être bouleversé.



Et ici, bouleversant.



Churchill pique la petite amie de Youval, le complexé, le penseur. « En m'attaquant à l'exemple de Heidegger, j'ai été saisi d'un sentiment de néant absolu devant ma thèse. Si je me montre incapable de comprendre la métamorphose d'un seul philosophe, comment pourrais-je élaborer une thèse qui englobe les métamorphoses de tous »? Plutôt que de se venger bassement, le narrateur décide de s'isoler du groupe, et d'écrire ses souvenirs d'amitié. Voire de les inventer, de les réinterpréter, de leur donner une autre consistance ou de se servir des mots pour souhaiter les pires échecs au voleur de son amour.



Des questions politiques et existentielles sont esquissées. Youval se plaît à évoquer la tranquillité et l'harmonie des jardins Bahaï à Haïfa et rêve de les transposer dans sa propre vie alors qu'il n'oublie pas un souvenir peu glorieux du Mondial de 1990 lorsqu'il faisait son service militaire dans les territoires occupés.



Peu avant le Mondial de 2002, un drame éclate. Poignant. Qui ajoute une dimension d'humanité au livre, une de plus, qui révèle les limites de l'ambition, les retournements inattendus.



La pudeur alliée au réalisme, la vivacité du trait combinée aux coups de gueule, les blagues de potaches associées aux réflexions profondes, font de ce livre un tout émouvant et puissant à la fois. « Il y a un passage dans ce livre où tu t'interroges sur ce qui s'est réellement produit au cours de ce semestre, quand tu nous as bannis. Eh bien, ce qui est arrivé, c'est que nous ne nous sommes presque pas rencontrés. Et quand nous nous rencontrions, c'était superficiel. Froid. Et voici la vérité : sans toi, nous ne sommes qu'un groupe aléatoire de gens. Avec toi, nous sommes des amis. Sans toi, cette métropole n'est que toutes les mauvaises choses qu'Ofir décrit. Avec toi, c'est un foyer ».



Comment traduire l'émotion de voir que chacun des personnages finit par réaliser l'objectif d'un autre ? C'est amené avec une telle maîtrise que l'effet ne peut être que saisissant.



Eshkol Nevo est né à Jérusalem en 1971. L'utilisation des mots occupe une grande place dans sa vie de même que la psychologie. Il a déjà obtenu de nombreux prix pour ses nouvelles et romans. Il enseigne l'écriture créative, notamment à l'université de Tel-Aviv.



Apparemment, il est de la génération qui suit celle d'Amoz Oz, David Grossman et Avraham Yehoshua, en faveur de la reconnaissance d'un double Etat Israël-Palestine.



Grand merci à BookyCooky qui, au cours de ses commentaires sur les livres d'Eshkol Nevo, m'a donné l'envie de découvrir cet auteur au grand talent.



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La dernière interview

« Les gens autour de moi ne s'en aperçoivent pas, mais je sais que je coule. Et je sais que, désormais, j'écris pour me sauver. »

Voici l'histoire du naufrage d'un écrivain profondément humaniste et une ode merveilleuse, désespérée, à la femme qu'il aime. Sous une forme littéraire peu commune : la réponse à des questions, une interview.



Est-ce Eshkol Nevo qui s'exprime ? Ou un écrivain né de son imagination ? Nous ne saurons pas, le doute planera tout au long de la lecture de ce livre fascinant et intriguant « La dernière interview ». Certes, cet écrivain ressemble à Eshkol Nevo, un physique sans doute proche, un parcours et des origines familiales semblables, une famille similaire, des opinions politiques identiques. Un écrivain qui ressemble à lui mais qui n'est pas vraiment lui ? Fiction ou réalité ? Rien n'est clair et c'est finalement ça qui est intéressant. Il sème le trouble : «Mes personnages se fondent en moi, et moi, je me fonds en eux. Au point que, parfois, j'ai du mal à distinguer dans tout cet amalgame qui est qui. Même dans cette interview, le temps est venu de le confesser. »



Le sujet est donc un écrivain, souffrant depuis un certain temps dysthymie, trouble de l'humeur chronique caractérisé par une légère déprime permanente. Il répond à une interview sur la base d'une sélection de questions des internautes. Censé donné des réponses toutes prêtes, il préfère dire la vérité, toute la vérité et cette interview se transforme peu à peu en un long récit, intime et passionnant, truffé d'anecdotes variées, de réponses subtiles, élaborées, parfois en léger décalage avec les questions ou qui prennent un tour étonnant ou poignant. C'est ainsi que, quotidiennement, au lieu d'écrire son prochain roman, cet écrivant, figé devant son écran blanc, ouvre au bout de quelques minutes le document de cette interview. Il y répond ainsi régulièrement. Une, deux questions. Maximum trois.



Ce récit est un cri. Perçant. Une façon pour cet écrivain de survivre. Survivre à la maladie de son meilleur ami, Ari, désormais aux portes de la mort, survivre au départ pour un internat de sa fille aîné, Shira, la « prunelle de ses yeux », ce qui a rompu l'équilibre familial, survivre à son couple qui bat de l'aile et à sa femme, Dikla, qui prend ses distances. Survivre à la violence et aux tensions qui règnent en Israël, survivre aux attaques terroristes, potentiellement omniprésentes. Et vaincre la peur.



« J'ai peur de perdre l'inspiration. J'ai peur de perdre Dikla. J'ai peur de perdre mes enfants parce que je vais perdre Dikla. J'ai peur de perdre Ari. J'ai peur d'avoir une attaque cardiaque dans trois ans, à l'âge où mon père a eu une attaque cardiaque. J'ai peur d'en mourir, contrairement à lui. J'ai peur que cet avion, qui me ramène du Midwest au Proche-Orient, tombe dans la Méditerranée. J'ai peur qu'il arrive quelque chose à Shira, à Sdé-Boker, et de ne pas être là pour la protéger. J'ai peur que Shira ne revienne jamais de Sdé-Boker. J'ai peur de me retrouver dans la misère. J'ai peur d'un effondrement de mon système immunitaire. J'ai peur d'entendre frapper à la porte et que, sur le perron, apparaisse un policier muni d'une matraque. J'ai peur de la façon dont l'atmosphère en Israël sombre dans la violence. J'ai peur qu'une guerre éclate. J'ai peur d'être mobilisé dans la réserve militaire. J'ai peur que la guerre soit une guerre civile. »



Ce récit est un message d'amour à ses amis, à ses trois enfants. Un message d'amour à sa femme qui s'éloigne de plus en plus et qui tisse autour d'eux une toile de reproches qui le paralyse. Elle lui reproche notamment d'utiliser leur vie, leur famille, leurs amis et même leurs enfants pour les mettre ensuite dans ses livres. Même s'il reconnait une sorte de déformation professionnelle, qui le conduit à inventer sans cesse des histoires, à s'approprier des aventures vécues par d'autres, pour l'écrivain, « en fait, tout ce que j'ai écrit depuis, huit livres, n'est qu'une très longue lettre dont elle est la destinataire. Je n'ai permis à personne d'être aussi proche de moi que je l'ai permis à Dikla. Son seul nom me fait fondre. Je ne peux pas m'endormir sans sa présence, me lever sans elle, tomber sans elle, retrouver mon chemin dans le labyrinthe des miroirs déformants sans elle. ». Gestes du quotidien, comme celui de se plaquer contre elle dans la nuit, de l'embrasser dans le cou, beauté de la femme chérie contenue dans les gestes de ses mains, dans son odeur, unique, dans ses clavicules si fines. Il tient désespérément à elle. Ces passages, qui saupoudrent tout le livre, sont émouvants et d'une grande sensualité. Sous sa plume, sa femme est toujours belle, élancée, mystérieuse, aérienne.



L'écriture de Eshkol Nevo est sensuelle de façon générale me semble-t-il, humble, déconcertante de franchise et de lucidité, et cette sensualité est lumineuse et poignante lorsqu'il évoque l'amour des siens.



Ce récit est un acte militant, puisque l'auteur aborde la montée du populisme en Israël, les violences faites au peuple palestinien, la colonisation des territoires occupés, avec beaucoup de délicatesse et d'humanisme. La scène avec ce petit garçon, Nemrod, en territoire occupé, est particulièrement poignante.



Ce récit,enfin, est une réflexion riche et profonde sur l'acte d'écrire, acte salvateur, acte permettant de régler ses comptes. Sur la façon de créer des personnages, sorte de salade mêlant différents attributs de personnages réels. Un éloge de la lecture et des livres qui représentent, pour les auteurs et les lecteurs, un « puits où se terrer », permettant d'ignorer ce qui se passe à l'extérieur. Des réflexions parfois lumineuses jaillissent du puits des failles, comme celle-ci que j'aime tout particulièrement : « Et, s'il existait une technologie qui permette de sentir pendant la lecture, on aurait pu lui renifler la nuque, comme je le fais, la nuit, lorsque je me plaque contre elle à son insu. Je peux écrire que cela ressemble à l'odeur des pains nattés cuits à la boulangerie Angel de Jérusalem, dans la nuit de jeudi à vendredi. Mais ce ne serait pas pareil que de humer réellement sa nuque. Certains lecteurs affirment : « Je suis vraiment entré dans le livre. » Mais qu'en serait-il s'il était possible, virtuellement, de pénétrer dans la réalité de l'ouvrage ? D'être une mouche sur le mur, une chienne sur sa couche, un détecteur de fumée sur le plafonnier… »



Un livre qui m'a touchée, amusée, interpellée. Un livre où l'envie de faire rire le lecteur cache en filigrane une tristesse profonde. Des rires poignants. Des sourires sertis de larmes au coin des yeux. Voilà ce que nous récoltons dans nos filets à cette lecture.



J'ai découvert Eshkel Nevo grâce à Bookycooky. C'est mon deuxième livre de cet auteur, après le truculent « trois étages » et je suis désormais conquise. Mon prochain sera sans aucun doute « le cours du jeu est bouleversé » qui, si je reviens à Bookycooky, est un livre à emporter sur une île déserte. Une très belle lecture en perspective !

Yallah !

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Neuland

Ce roman de Nevo m'a donné l'impression d'être emportée par un mouvement chaotique dans lequel j'étais bringuebalée, secouée par une multiplicité de mouvements au sein des différents espaces-temps, dans un labyrinthe narratif qui malmène et fascine tout à la fois.

Difficile de résumer Neuland, qui nous emporte en Amérique du Sud, à la recherche d'un Israélien, Mani Péleg. Nous suivons son fils Dori, professeur d'histoire et jeune papa en pleine déconfiture matrimoniale, qui tente de retrouver le patriarche, aidé d'un détective privé, le sympathique et très terre à terre Alfredo. Sur sa route, il croise une femme, Inbar, dont le frère s'est suicidé pendant son service militaire, et qui pense trouver un peu de sérénité à l'autre bout du monde. Le trio vadrouille par monts et par vaux, sur les traces de l'ancien héros de guerre qui désirait fonder une sorte de phalanstère, Neuland , l'Altneuland de Theodor Herzl , mais en terre américaine. L'expérience fut déjà tentée en Argentine en 1889, avec la fondation de Moisés Ville par des Russes, puis de Monigotes. L'ombre du baron Maurice de Hirsch plane au -dessus de Mani Péleg, comme planent les morts au-dessus des personnages, apparaissant ça et là, dans leur vie, dans leurs rêves. Le Neuland du père de Dori est une Utopie où l'on trouve chamans et sanhédrin: « Neuland incarnera une réminiscence. Une réminiscence de l'Athènes que l'Etat des juifs était censé incarner, s'il ne s'était pas transformé en Sparte. »



Le lien avec Israël est établi avec la narration de Lili, la grand-mère, qui avait autre fois pris le bateau pour la Palestine en 1939, et avait quitté son fiancé, changeant ainsi la trajectoire de sa vie. C'est aussi là le propos de Neuland, les choix, les décisions que l'on prend et qui changent notre destin. Il ne faut pas hésiter à se perdre dans cette multiplicité de récits, de points de vue, jamais gratuits et toujours captivants. Difficile en effet de lâcher Neuland, surtout quand un homme parle aussi délicatement de l'amour, du désir et de la paternité.

Je remercie Bookycooky de m'avoir fait lire les romans d'Eshkol Nevo, dont jamais je ne me lasse, et dont la sensibilité, l'érudition et l'humanité me touchent.

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La dernière interview

« Vous avez toujours voulu être écrivain? » C'est sur cette question posée par des internautes que s'ouvre La Dernière interview, roman déconcertant d'Eshkol Nevo. Par sa forme, tout d'abord, un jeu de questions/réponses sur 468 pages, et sur le fond, qui interroge. L'entreprise semble terriblement narcissique, déroutante pour le lecteur, qui se demande quel en est l'intérêt. En effet, comment susciter la curiosité en rédigeant une très longue entrevue? L'écrivain et son double, d'accord, mais dans un roman, à l'instar de L'Oeuvre, où Émile Zola se représente à travers son double fictif, Pierre Sandoz.



Eshkol Nevo n'est jamais là où on l'attend. La Dernière interview est un piège. le roman nous happe, on le lit d'une traite. Et l'on réalise qu'il n'a rien à voir avec l'auto-représentation délibérée. Certes, le narrateur ressemble à Nevo. Son physique, ses origines familiales, son parcours professionnel, son couple, ses enfants, son métier d'écrivain… C'est un portrait d'ensemble d'un écrivain fictif qui ressemble à Nevo, mais qui n'est pas Nevo. le jeu entre fiction et réalité est délicieux, le thème des affres de la pages blanches et de la création littéraire jamais ne lasse. Nevo serait-il un menteur qui dit la vérité?



Ce qui est passionnant c'est que via cette fictionnalisation de soi construite sur des flashbacks, des souvenirs, des anecdotes, des paroles de chansons, des digressions… , le romancier nous émeut, nous fait (beaucoup) rire, nous bouleverse. le quotidien d'un quadragénaire dépressif qui se plaint tout le temps, qui se nourrit de tout et de tous pour écrire ses romans au grand dam de ses proches qui n'apprécient guère de se reconnaître, les liens entre le romancier et ses lecteurs, le couple, dernière grande aventure moderne, plus périlleuse qu'un tour du monde, l'amitié, le quotidien, Israël, la politique….il y a tout cela dans La Dernière interview. Et paradoxalement, cette entrevue fictive semble nous révéler la vérité profonde d'un homme, d'une époque et d'un pays. C'est un univers parallèle dans lequel on adore se perdre.



Je remercie Babelio et Gallimard pour l'envoi de ce livre.
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Turbulences

Eshkol Nevo nous livre trois courtes histoires (une centaine de pages chacune) de type « nouvelles », au relent hitchcockien. Sorte de mini-thrillers, aux faux-semblants, avec des revirements de situation et où un des personnages, passe fugacement, dans les autres récits, comme le faisait le maître du suspense dans ses films.

Un couple de jeunes mariés israéliens, Mor et Ronen, partent en voyage de noces en Bolivie et le comportement du mari, macho et autoritaire, tend l’atmosphère. La rencontre avec Omri, leur compatriote, parti se vider la tête après un divorce rend le terrain glissant, au propre comme au figuré.

Un médecin réputé de Tel-Aviv, Asher, récent veuf, est troublé par l’une de ses internes, Liat. Un attrait difficilement définissable, pas forcément charnel. Il se sent à l’aise avec elle, comme en terrain de connaissance, comme un père pour sa fille. Mais ce rapprochement devient scabreux et dangereux, d’autant plus qu’une relation entre collègues peut remettre sa carrière en jeu.

Comme beaucoup de vieux couples, Hali et Ofer, s’apprécient l’un l’autre avec beaucoup de tendresse. Mais les liens affectifs semblent distendus et la libido en berne d’Ofer a poussé Hali à prendre un amant. On retrouve, néanmoins, nos deux mariés se promenant main dans la main dans une orangeraie, quand une envie pressante du mari le fait s’enfoncer entre les arbres, d’où il ne ressortira jamais. Hali aidée de sa fille Ori tentent de comprendre ce qui a bien pu se passer.

« Turbulences » comme ces trous d’air, au beau milieu de votre vol, qui viennent, ici, perturber l’existence de nos héros. Eshkol Nevo est un véritable orfèvre pour sonder la nature humaine, double jeu, ambivalence, méconnaissance de ses proches, comment discerner le vrai visage de nos protagonistes ? Comment un fait peut-il avoir des vérités aussi distordues ? Ce roman est un livre dense à l’écriture limpide, il fourmille de détails, tous intéressants, qui, telles des pièces de puzzle, nous livrent peu à peu le contour de portraits dans leur complexité kaléidoscopique.

Je découvre cet auteur et vous engage à faire de même si vous ne le connaissez pas.

Un grand merci aux Editions Gallimard pour cette belle découverte.

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La dernière interview

Répondre à  des questions permet-il  d' éviter d'écrire un livre?



Surtout quand on n'y repond pas vraiment, quand la question sert de prétexte, d'évitement ou de plongeoir, - qu'elle renvoie au malaise ontologique de l'écrivain ou frise la platitude et la banalite propres à tout "questionnaire" , fût-il celui de  Proust...



 Mais  si les questions étaient celles auxquelles l'écrivain, ce tricheur, voulait le plus répondre? Si c'était lui, finalement, qui menait le jeu?



Alors La dernière interview serait un roman d'un genre nouveau, un mensonge presque parfait, comme le crime du même nom,  habillé comme une authentique autobiographie! Insoupçonnable! Un pur délice de subtilité analytique et de rouerie litteraire, un mélange de sincérité et de  duplicité indissociables.



 Il est évident que c'est le cas de ce livre ( le dernier traduit en français ) du grand écrivain israélien qui décidément ne me décevra jamais! Un grand cru!



Que fait le plus souvent un écrivain ? se demande habilement Eshkol  Nevo.

 

Piller les vies de ceux qui l'entourent. Préférer le mensonge au réel au risque de perdre pied, de perdre  l'estime  ou l'amour des siens, et sûrement de soi-même, de passer à côté des choses essentielles, des "choses de la vie"...



Et quand cette dernière interview est concomitante à une crise de l'écrivain, le récit se déploie dans toutes les failles que la dysthymie (variante soft de la dépression)  a ouvertes dans sa vie, sa conscience d'homme, d'auteur et même de citoyen ( comment se dire un écrivain de gauche,   en effet, quand on écrit les discours d'une sorte de Netanyahou, Yoram Sorkin ?)



Cette crise porte trois noms: Dikla, la femme aimée, qui prend ses distances et se lasse, Shira, la fille aînée qui se rebelle et s'éloigne, et Ari, l'ami de toujours qu'un pernicieux cancer ronge et éteint.



La dernière interview c'est  l'art de perdre déguisé en exercice de maïeutique.

C'est un livre qui m'a bouleversée,  amusée,  passionnée,  interpellée. 



Même  si ,connaissant Nevo,  je ne suis pas dupe de ce striptease apparemment impudique mais  totalement construit, maîtrisé, romancé , j'ai eu, plus encore qu'avec ses autres romans, l'impression d'entendre sa voix me murmurer à  l'oreille.



L'écrivain, disait Flaubert , doit être présent partout et visible nulle part.



 Nevo a réussi le pari inverse: comme  Hagaï Carmeli, son ami rouquin, mystérieusement évanoui dans la nature, qu'il croit rencontrer partout, et qui réapparaît soudainement à la minute de vérité où on ne l'attendait plus, Eshkol Nevo s'exhibe et se dévoile à toutes les pages mais est-ce bien lui? Ne joue-t-il pas de cette dernière interview comme on joue à cache-cache?



Visible partout et présent nulle part,  si ce n'est dans la magie de son écriture, plus grave qu'à l'ordinaire( crise de la quarantaine oblige),  et dans la profondeur de ses réflexions.



La dernière interview, c'est l'art de perdre,  de nous perdre sans se perdre , mais en nous soufflant du bout de la plume un petit peu du  "véritable secret inavouable" "enfoui au plus profond de nous".



" Parfois, ajoute Nevo, nous ne sommes pas complètement conscients de son existence, alors, nous le sublimons, conjurons la preuve et le transformons en art."



Mission accomplie. La dernière interview, c'est du grand art.
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Le cours du jeu est bouleversé

Juin 1998, Tel-Aviv. La Coupe du Monde de football bat son plein et, comme à chaque édition depuis leur adolescence, Youval, Amihaï, Ofir et Churchill suivent ensemble les retransmissions des matchs à la télé. Amis depuis le collège à Haïfa, les quatre trentenaires sont restés "les meilleurs amis du monde" malgré le temps qui passe : "Heureusement qu'il y a le Mondial [...]. Comme ça, le temps ne se transforme pas en un énorme bloc informe et, tous les quatre ans, on peut ainsi marquer une pause et voir ce qui a changé". Cette réflexion de Youval, le narrateur, leur donne l'idée de noter, sur des bouts de papier, trois objectifs personnels ou professionnels, qu'ils voudraient avoir réalisés pour la prochaine Coupe du monde. Chacun lit aux autres un de ses trois objectifs, les autres restent secrets, et tous les bouts de papier sont gardés précieusement jusqu'à l'échéance.



Mais évidemment, la vie est ce qu'elle est, c'est-à-dire qu'elle se fiche pas mal de vos rêves et de vos ambitions et n'en fait qu'à sa tête. Et qu'on désire changer quelque chose ou qu'on veuille garder un statu quo et conserver en l'état ce qu'on a eu tellement de mal à réaliser ou obtenir, il suffit d'un rien pour bouleverser tous les projets. Notre bande des quatre n'échappe pas à ces aléas. La mauvaise nouvelle, c'est qu'aucun d'eux n'atteindra son objectif, des coups du sort parfois terriblement cruels se chargeant de détruire l'équilibre et l'harmonie de leurs vies et de leur amitié. La bonne nouvelle, c'est que, en dépit de tout, cette amitié s'avère in fine assez puissante pour rétablir un autre équilibre, différent mais un équilibre quand même, dans lequel chacun d'eux réalisera l'objectif d'un des trois autres. Enfin, cela, Youval est le seul à l'avoir compris avant l'échéance des quatre ans, le seul à avoir vu que tout allait partir à vau-l'eau, et que pour résoudre l'équation, il n'avait d'autre choix que d'écrire un livre, un roman sur une histoire d'amitié entre quatre hommes...



Ce "Cours du jeu..." m'a bouleversée.



En toile de fond, il y a le conflit israélo-palestinien, la deuxième Intifada, les attentats, la rivalité entre Haïfa la provinciale et Tel-Aviv la branchée. Il y a aussi des réflexions sur le travail d'écriture, sur la (re)naissance qu'elle permet, sur la toute-puissance du narrateur qui a le droit d'enjoliver ou travestir la réalité tout en sachant qu'il ne rend jamais compte que de son propre point de vue et qu'une autre personne, toute proche qu'elle soit, aura nécessairement une autre version de la même réalité.



Mais le noeud, le coeur de cette histoire,c'est l'amitié. De ces amitiés dont on voudrait qu'elles durent toujours, auxquelles on s'accroche parce qu'on n'a pas grand-chose d'autre qui nous procure autant d'énergie, de celles qui vous acceptent tel que vous êtes avec bienveillance et sans questions même si vous n'arrivez pas à comprendre ce que vous pouvez bien leur apporter, de celles qu'on voit évoluer avec amertume quand certains avancent dans leurs vies et que vous faites du sur-place : "Ils m'énervaient. de quoi se plaignaient-ils ? Au moins, ils avaient de l'amour. Au moins, il leur était arrivé quelque chose de significatif dans la vie. Et moi ?". C'est Youval, le solitaire introverti, qui s'exprime ainsi, mais ses mots, peut-être injustes, auraient pu être les miens. Et cela m'a bouleversée parce que, justement, quand vos quelques certitudes sont ébranlées de la sorte, on a la sensation de marcher au bord du vide, d'être sur le point d'être englouti par la solitude comme Jonas par la baleine. A plusieurs reprises je me suis dit que je devais arrêter de lire ce roman, tant je sentais le narrateur glisser sur la mauvaise pente et que je n'avais pas envie d'assister à cette chute. Mais à ce stade, la lecture était devenue addictive et j'ai continué. Bien m'en a pris, parce que la fin n'est pas aussi sombre que je le pensais. Il faut croire qu'il existe quelque chose comme le miracle de l'amitié, qui ne s'explique pas bien, mais qui est là, qui existe quoi que vous pensiez de vous-même, et qui vous (re)tient.



Même si cette histoire d'amitié ne vous parle pas autant qu'à moi, ce roman reste un bonheur de lecture. L'auteur a un énorme talent de conteur et une grande maîtrise de la construction du récit. La narration est très fluide malgré les mouvements dans le temps, il y a du tragique et de l'humour, du burlesque même, de la subtilité et de la complexité, de la profondeur et de la réflexion, une grande finesse et un ton très juste.



Merci, une fois de plus, à Bookycooky de m'avoir inspiré cette lecture cinq étoiles.
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Turbulences

1 Kaléidoscope de la vérité. Saura-t-on ce qui s'est passé sur la route de la mort en Bolivie pour ce jeune couple, en voyage de noces pas si idyllique que ça. Faux-semblants, histoires d'amour en berne ou pas, le narrateur écrit sa vérité, pour son avocat nous prévient-il en exergue.

2 Un médecin-chef père de famille et veuf depuis peu, est intrigué par cette interne avec qui les points de convergence sont légion malgré l'écart des âges. Là aussi il est question d'écrit et de vérité chez le narrateur, pour une commission en point de mire.

3 Encore des écrits, sous forme d'articles sur un blog cette fois, que le disparu du verger a laissés comme vestiges possibles d'un puzzle à reconstituer par sa famille.



Voici trois novellas qui tournent autour des écrits et la vérité, et il n'a pas été question pour moi de turbulences pour m'y plonger, bien au contraire.

Trois novellas alors qu'il est bien écrit roman sur la couverture. le procédé a déjà été éprouvé par l'auteur de « Trois étages », adapté en film. On subodore qu'il faudra être à l'affût des liens entre les trois, subtils ou évidents, pour dessiner la silhouette d'un édifice, et l'on pourra même pressentir dans ses histoires aux teintes de thriller, isolées en apparence, un élan créatif vers la mosaïque contemporaine d'une société israélienne en prise avec les turbulences de l'identité, des relations intimes, de la vérité ou de l'angoisse. Eshkol Nevo s'en faisant le témoin sensible, le sismographe délicat, le révélateur au scanner ironique avec son écriture dénuée d'extravagance, à la maîtrise limpide et simple en apparence.

Le résultat est un livre impeccable, au pouvoir d'immersion bluffant. du grand art !

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Vocabolario dei desideri

En ce moment, je renoue les bouts.



Je reprends mes pinceaux. Je retape sur quelques pierres. Je raccorde, sur Babelio, mes lectures passées et mes billets en retard. Je lis de nouveau en italien.



Je reprends le fil de ma vie. Je renoue les bouts.



Rien de tel qu'un alphabet des désirs quand justement les miens reviennent un à un mettre leur grain de poivre dans le plat parfois âpre de la solitude.



Rien de tel que le Vocabolario dei desideri de mon cher Eshkol Nevo-pas encore traduit en francais- pour me remettre en appétit. En selle. Et en joie.



Drôle, tendre, parfois piquant, l'alphabet écrit à la (petite ?) semaine par Nevo, à la demande de Vanity Fair, déroule en 26 lettres qui sont autant de courtes nouvelles 26 façons de vivre le désir, 26 points de vue différents : homme, femme enfant, vieillard...



Tous expriment avec force que le désir fait partie de la vie. Qu'il est la vie.



C'est une petite fille têtue qui cache le passeport de son père pour l'empêcher de partir à l'étranger où l'appelle non seulement son travail mais aussi une femme qui n'est pas sa maman. Deux désirs se contrarient, le plus affirmé vaincra.



C'est un couple harrassé par la vie qui tente de retrouver un soir le rituel sexuel autrefois lié aux épisodes d'un feuilleton plein de suspense qui avait le pouvoir de terroriser l'une et de galvaniser la protection de l'autre, les jetant pantelants aux bras l'un de l'autre...Mais les choses ont changé et la fatigue aidant, le mari devenu père est contraint de rassurer son enfant tandis que sa femme s'est endormie dès les premières minutes du feuilleton inquiétant qui était leur aphrodisiaque !



Ce sont deux cousins qui regardent d'un œil amusé et inquiet leur progéniture respective frôler à leur tour le tabou de l'inceste et se demandent s'il ne serait pas temps de leur montrer l'image de " l'enfant à deux têtes", fruit horrifique de la consanguinité, qui avait autrefois bridé leur désir.



Ce sont 26 petites histoires troussées avec l'humour, l'empathie et la profondeur d'Eshkol Nevo, 26 nouvelles illustrées avec talent et à propos par l'illustratrice romaine Pax Paloscia.



Un régal de concision, de pertinence et parfois d'impertinence.



J'ai adoré ! Merci à super Booky qui m'a fait ce cadeau de pouvoir renouer en douceur avec la lecture en v.o!



"Chiunque abbia vissuto anche una sola notte d'amore , è fortunato" conclut joliment Nevo.



C'est joli et c'est vrai.





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Quatre maisons et un exil

Novembre 1995. Yithzak Rabin vient d'être abattu par Ygal Amir. La  deuxième Intifada commence. Arrestations, attentats, tensions entre modérés et fondamentalistes. Le processus de paix bat sérieusement de l'aile.



A Maoz Sion, petite bourgade entre Tel Aviv et Jérusalem, un jeune couple d'étudiants très amoureux, Amir et Noa, emménage dans la maison mitoyenne des propriétaires, un vieux ménage qui cohabite avec ses enfants, Moshé et Sima, un peu  plus âgés que les jeunes étudiants,  mariés avec  deux jeunes enfants.



De l'autre côté du jardin, se trouvent les voisins qui viennent de perdre leur fils de 20 ans au Liban. Plongés dans leur deuil, ils ne communiquent plus entre eux, et  ne "voient" même plus leur plus jeune fils, Yotam,  qui erre comme une âme en peine et se mure dans le silence.



 À ces trois "maisons" qui sont comme les trois âges de la vie d'un couple (celui des désirs, celui des débats et celui des  silences),  répond une quatrième "maison" qui est , matériellement, la même que la première : celle de Sadek, ouvrier arabe qui dans la maison de Moshé et Sima ne voit que la sienne qu'il a dû fuir, enfant, au moment de la Naqba. Et qui est désormais occupée, possédée par les Juifs. Un exilé de l'intérieur.



L'exilé de l'extérieur,  c'est  Modi, meilleur pote d'Amir,  qui s'éclate dans de lointains voyages et lui écrit. 



Comme toujours chez Eshkol Nevo,  esthète du roman choral et fin stratège de sports d'équipe,  quand l'échiquier est en place, les pions se déplacent:  leurs pas se croisent, comme leurs voix se complètent ,  s'opposent ou terminent l'air de la partition précédente, au  rythme  des chansons du groupe Liquriz qui  accompagnent  chaque "exodos", comme dans les tragédies grecques...



 Plus le jeu politique se durcit, plus les situations individuelles , elles aussi, en écho,  se tendent.



L'amour inconditionnel de Moshé et  Sima résistera-t-il aux influences fondamentalistes d'un grand frère de Moshé qui mettrait bien ses neveux dans une garderie religieuse et sa  tigresse de belle-soeur sous le boisseau d'une jupe tombant jusqu'aux chevilles ?



La vie à deux, passés les "jours de miel", deviendrait-elle si vite une suite de compromis, de contraintes, de silences où les projets individuels  et la confiance s'effritent? Amir et Noa malgré la force du désir qui les unit en font l'amère expérience.



Quant au jeune Yotam,  même s'il a trouvé en Amir, futur psychologue ultra-sensible, un maître d'échec  plein de patience et d'empathie, la partie d'échec qu'il joue contre l'indifférence endeuillée  de ses parents risque de le mettre lui-même échec et mat.



Pour le pauvre Sadek, son incursion dans son ancienne maison déclenche une scène d'hystérie et de folie qui serait du plus haut comique si elle n'était aussi le signe de la tragique incomprehension collective qui secoue la  société israélienne , soudain  terrifiée et  paranoïaque.



Une fois de plus, j'ai adoré ce détonnant mélange entre humour et mélancolie, modernité et nostalgie, vision collective et vibration  individuelle. Une alchimie subtile qui enveloppe, séduit, convainc et fait de ces 450 pages un vrai bonheur de lecture. Chaque voix a sa couleur, son histoire, et fait vivre l'événement sous un jour qui lui est propre, nous ouvrant le coeur et l'esprit. 



 Mention spéciale pour deux de ces "voix" singulières . Celle de Sadek que les remerciements en fin de lecture éclairent : l'auteur y salue nombre d'amis arabes d'Israel pour l'avoir aidé à  "comprendre, commencer à comprendre la Naqba".



 L'autre voix c'est celle de Yotam,  l'enfant privé de frère et d'attention. Une voix tellement juste, tellement bouleversante qu'à  plus d'une reprise elle vous broie cruellement le coeur et vous met les larmes aux yeux. C'est rare, un écrivain qui sait parler de l'enfance et de ses drames secrets sans pathos, sans racolage sentimental. Mieux: qui trouve le langage de cette enfance-là sans mièvrerie,  sans artifice.



Pour cela aussi, pour ces deux voix étouffées qu'il a su faire entendre, j'ai vraiment aimé  Quatre maisons et un exil.

 
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Jours de miel

Il y a eu Zadig ou La Destinée,  voici Moshé ou le mikvé.



Ou Anton, ou Jeremiah, ou Naïm, ou Ayélet ou Kotik, ou Dany, ou Danino.....



Qu'ont tous ces personnages à tourner autour du mikvé, comme on tourne autour du pot ? Ou comme des oiseaux rares, migrants inattendus, autour d'une mangeoire improvisée ? ..



Et d'abord, qu'est ce qu'un mikvé?



Comment? Vous ne savez pas ce qu'est un mikvé? Savez vous seulement ce qu'est une drache, une drève,  une couque ?    Ou une parodos, une polyptote, un agôn?



Bon, je condescends à une  explication: c'est, dans la religion juive de stricte obédience,   un bain rituel de purification où les pratiquantes et  "repentantes" vont se laver les miches après leurs ragnagnas et avant de convoler derechef avec leur conjoint après ces quelques jours d'impureté et d'abstinence menstruelles . Les hommes aussi peuvent s'y rendre, dans une autre salle de bain rituel,   cela va de soi,  pour y demander bénédiction,  fécondité et érections vigoureuses.



Pour les personnages de Jours de miel, les motivations à user du mikvé sont nettement moins religieuses.



Pour Anton, goy, vieux, amoureux  et russe, il s'agit d'y retrouver deux choses : les échecs.. et la gaule ! Pour Danino, des électeurs;  pour Dany, un exutoire à ses talents précoces de traducteur et les regards admiratifs d'une petite minette à son goût.  Pour Jeremiah,  d'immortaliser sa défunte et d'y célébrer sa nouvelle conquête. Pour Naïm,  architecte..par correspondance, ornithologue et arabe d'Israël, de le voir, ce fichu mikvé,  autrement qu'à travers les barreaux d'un cachot. Pour Ayélet et Moshé d'y découvrir que les voies du Seigneur, elles, sont impénétrables et Ses volontés,  pour le moins contradictoires, et dures à  décoder ...



Roman cocasse, déguisé en conte philosophique ....assez voltairien, malgré son sujet...



J'ai beaucoup ri, et trouvé que derrière la farce, se cachaient plusieurs vérités bien senties.



 J'ai aimé le regard critique, mais toujours bienveillant, joyeusement ironique qu'Eshkol Nevo jette, encore une fois, sur Israël, son pays. Sur l'immigration de l'extérieur et son intégration difficile, sur la cohabitation compliquée voire catastrophique avec les Arabes d'Israël. Sur le retour inquiétant du  religieux, du sectaire, de l'irrationnel, voire du "perché" quand la réalité devient trop rude, ou trop explosive. Sur la nécessité-et souvent l'échec-des politiques de paix, de dialogue, de concertation. Sur l'espoir et l'amour et l'humour qui malgré tout demeurent.



J'ai aimé la forme, chorale et prolixe, mais toujours alerte, rapide, bien maîtrisée, et le ton du conte où le procédé de Sirius fait merveille: on cherche la Base -ultra- secrète connue- de- tous, on identifie  la ville des Justes, la ville frontalière, la ville des Sables, la ville des Péchés, la ville portuaire..on rit franchement devant l'appellation de certains quartiers...



Moins de gravité , donc, derrière les trouvailles stylistiques: Nevo comme Anton, ou Moshé ou Ayélet semble avoir pris son pied, et un moment nécessaire de récréation...le lecteur/la lectrice aussi! Quelques scènes d'anthologie franchement érotiques, voire  égrillardes qui en réjouiront plus d'un(e)...



Le mikvé est aussi là pour nous rappeler que nous ne sommes pas qu'esprit : il faut aussi que le corps jubile! Malgré ou au-delà de cette repentance que semblent vouloir exiger les religions et leurs zélotes trop zélés.



Mais ze ne vous dirai pas ce qu'est un zélote, z'ai trop peur qu' 'ils ne me zuzent à  mon tour....

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Trois étages

Psy et rage à tous les étages!



SOS parents en consultation live!



Sigmund Freud en version play mobil: l'HLM ( habitat pour locataires maboules ) du Ça, du Moi et du Surmoi ,  comme si vous y étiez!



Je ne fais aucune interprétation abusive: à plusieurs reprises, l'auteur lui-même nous met obligeamment cette grille de lecture en mains!



Puisqu'on en est aux confessions, j'avoue que le  livre d'Eshkol Nevo,  lu d'une traite,  m'a bien fait rire,  beaucoup plu et  aussi donné du grain à moudre!



Du grain:  ils en ont tous un,  dans cet immeuble de Tel Aviv!



Soit, au premier étage,  celui des forces instinctives,   le Ça, incarné , c'est le mot , par Arnon,  père de famille expansif, mari explosif , militaire offensif,  qui s'est choisi comme psy de fortune un copain de régiment un peu plus intellectuel que lui et vaguement écrivain-   serait-ce Eshkol Nevo soi-même, muet et ironiquement attentif?- à qui, entre deux bières et trois falafels, il déballe son histoire "hénaurme" sur un coin de table, au bistrot. 



Espérant le happy end romanesque que l'écrivain à l'ecoute ne saurait manquer de lui inventer...



Au second, celui du Moi , partagé , comme chacun sait, entre folie qui guette et conscience qui retient: Hani, une mère de famille , asservie à ses enfants, épouse volontairement  recluse et conséquemment  frustrée, écrit à Néta, son amie lointaine,   et lui  confie ses délires et ses raisons, comme on jette une bouteille à la mer.



Histoire d'empêcher les chouettes de repeupler son balcon.



Au troisième, tout en contrôle de soi et en domination de  l'instinct par un intellect éclairé, le Surmoi, assuré par Déborah , mère critique,  si peu mère qu'elle en a oublié les affres, elle-même juge à la retraite  et veuve inconsolée, semble-t-il, de son juge de mari, et qui préfère confier ses doutes et ses crises de conscience à  un médiateur sans délire interprétatif, puisqu'il s'agit...du répondeur de son défunt époux.



À qui on peut impunément claquer le beignet en appuyant sur la touche delete quand le surmoi enfin lâche prise et que s'ouvrent des portes nouvelles.



Voilà pour la maquette,  bien trouvée, cocasse, variée. Intelligente aussi.



Un régal de lecture pour les parents plus qu' imparfaits que nous sommes ...et une mise en garde plus que parfaite et  très. ..pédagogique pour ceux qui le sont pas encore, ou qui - mais quelle folie !- , voudraient l'être encore, après cela!



Un Nevo en très grande forme, en tous cas!
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