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Critiques de William Somerset Maugham (283)
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La passe dangereuse

A l'époque coloniale anglaise, vraisemblablement au 19ème siècle, une jolie et insouciante jeune fille de la bonne société londonienne accepte d’épouser sans amour, sous la pression familiale, un homme dont elle ne connaît rien, sinon qu’elle devra le suivre à Hong Kong, où il occupe un poste de médecin-biologiste. Là-bas, elle ne tarde pas à devenir la maîtresse du sous-secrétaire colonial, éblouie par la séduction et l’aisance mondaine de cet homme marié, qui contrastent tant avec ce qui lui paraît la terne et ennuyeuse austérité de son mari. La liaison découverte, abandonnée par son amant, Kitty se retrouve contrainte de suivre son glaçant époux dans une région chinoise dévastée par le choléra : une épreuve à hauts risques, au cours de laquelle Kitty va subitement mûrir et découvrir qui ils sont vraiment, elle et son mari.





Exotique à souhait, cette histoire nous plonge un siècle et demi en arrière, dans le monde étriqué et replié sur lui-même de la colonie occidentale totalement étrangère à la vie et à la culture locales : à Hong-Kong, les Britanniques de l’époque recréent leur société en miniature, hiérarchisée et corsetée, sûre de sa supériorité sur la « sauvagerie » locale. Lorsque Kitty débarque du haut de ses vingt-cinq printemps, seulement soucieuse de son apparence et de ses amusements, supposée jouer son rôle d’épouse auquel rien ne l’a préparée, sa naïveté est la proie facile et rêvée du premier séducteur aux apparences flatteuses. La désillusion sera amère, mais le drame aura tôt fait de lui apprendre brutalement les réalités de la vie.





Tout met en lumière le décalage des personnages vis-à-vis de la réalité, qu’il s’agisse des colons, littéralement « repiqués » sur cette terre étrangère, et surtout de Kitty, frivole oie blanche propulsée sans préambule de la protection paternelle à celle de son mari. Les deux seuls protagonistes réellement ouverts au mode de vie local sont contraints de s’en cacher : Walter, le mari, se retranche derrière sa réserve, et le seul occidental à avoir une épouse chinoise vit caché.





Somerset Maugham nous dépeint par ailleurs un tableau peu flatteur du mariage dans la bonne société de l’époque : unions arrangées, au mieux heureuses en intérêts, elles sont surtout un carcan insupportable, où seuls les veufs se retrouvent heureux et soulagés de leur liberté. Les femmes en sont à la fois victimes et responsables : écartées du monde durant leur éducation et réduites aux soins de leur apparence, puis de leur mari, et enfin de leurs enfants, elles s’ennuient, se compromettent comme Kitty, ou s’aigrissent comme sa mère. Kitty, au moins, parviendra peut-être à reprendre son destin en main et à devenir elle-même, au prix d’un apprentissage dramatique et douloureux qui aura fait tomber les façades et les faux-semblants.





Avec ce qui m’a semblé une fin plutôt abrupte, cette histoire assez courte m’a presque plus fait l’effet d’une longue nouvelle que d’un roman. L’écriture est belle, sobre et classique, les personnages et les ambiances rendus avec une grande justesse et de manière très visuelle, pour une peinture douce-amère du mirage des conventions sociales d’une époque.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Les trois grosses dames d'Antibes et vingt-..

Challenge Solidaires 2023



Le grand écrivain britannique, célèbre dramaturge, maintes fois adapté au cinéma, est peu connu en France, pays dans lequel il a pourtant longtemps vécu.



On peut classer grossièrement ces nouvelles en deux catégories : les comiques et les tragiques. En effet, William Somerset Maugham semble prendre un même plaisir à dépeindre des vies pathétiques et des drames silencieux que des histoires mondaines, cyniques et délicieusement moqueuses.



Dans la première catégorie par exemple “Home” ou encore “The Rain”, longue nouvelle pluvieuse, située aux îles Samoa, où un drame se noue entre un missionnaire chrétien rigoriste et une fille de mauvaise vie. La nouvelle est immersive, l’atmosphère étouffante, la tension de plus en plus vive, Maugham est tout en suggestion pour le lecteur qui devine progressivement avant la fin de quoi il retourne. L’occasion pour l’auteur William S. Maugham, grand voyageur, d’exposer, sans militantisme mais sans concession, les mesquineries très coloniales des soi-disants missionnaires de l’Amour du Christ. Cette nouvelle fut plusieurs fois adaptée au cinéma avec Joan Crawford, Gloria Swanson ou encore Rita Hayworth.



On peut aussi penser à “Gigolo and Gigolettes” où, même si on ne voit pas immédiatement où veut en venir l’auteur, qui passe par certain nombre de personnages et de situations pas forcément liés entre eux. Mais quelqu’en soient les acteurs, Maugham raconte l’envers des caprices bourgeois, avec ces hommes et ces femmes au service des divertissements les plus divers, voire intimes, et dont la précarité constante est au centre de la nouvelle.



Des nouvelles plus légères, comme “Three fat Women of Antibes”, “Mr Know it All”, “Louise”, “The Ant and the Gasshopper”, ou encore “The Luncheon” prêtent à sourire ; “Mr Know it All” est d’ailleurs disponible en petit film sur Youtube, la chute étant d’une savoureuse et espiègle délicatesse.



Certaines nouvelles échappent néanmoins à ces catégories, comme “The Happy Man” petite occasion pour Maugham de développer par l’exemple certaines idées morales : “it is a dangerous thing to order the lives of others and I have often wondered at the self-confidence of politicians, reformers and suchlike who are prepared to force upon their fellows measures that must alter their manners, habits, and points of view. I have always hesitated to give advice, for how can one advise another how to act unless one knows that other as well as one knows oneself ?”



Cette marque de tolérance n’est pas surprenante, Maugham mena sa vie durant une existence un peu à coté des normes corsetée de son temps, ne serait-ce qu’en raison de son homosexualité, discrète mais pleinement vécue et essentielle pour son oeuvre, son compagnon, Gerald Haxton, moins timide que lui faisait souvent la conversation lors de leurs nombreux voyages ensemble, ce qui permettait à Maugham de s’imprégner de ces liens sociaux et d’étudier les narcissismes et leurs écorchures à l’oeuvre dans leurs interactions en apparence mondaines. Des matériaux bruts pour sa création littéraire.



Celui que l’on appela le “Maupassant anglais” n’est à mon sens pas aussi redoutable que son prédécesseur français, qu’il admirait, ni que le maitre russe de la nouvelle Anton Tchekhov, mais on aurait cependant tort de ne se fier qu’à la simplicité apparente de ces nouvelles, écrites avec une langue très accessible (pour qui veut lire en anglais sans trop souffrir !), et souvent attachées aux détails de situations de vie sur lesquelles nous passons parfois trop rapidement et qui, par le truchement de situations fictives bien senties, visent justes.



Qu’en pensez-vous ?
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Amours singulières

Somerset Maugham est un auteur que je ne connaissais que de nom (et encore, je me suis rendu compte que ma prononciation de son nom laissait beaucoup à désirer : apparemment, il faudrait prononcer Maugham un peu comme le " môme " de la chanson Jolie Môme mais plutôt avec la prononciation de Juliette Gréco quand elle en a un coup dans le nez qu'avec celle de Léo Ferré ou bien encore avec le son distendu d'une vieille cassette audio restée trop longtemps dans l'auto-radio en pleine chaleur).



Mais, il est vrai, Somerset Maugham, ce n'est pas qu'un nom imprononçable pour une âme francophone, c'est aussi un ancien auteur à succès, notamment dans l'entre-deux-guerres. Lorsque la collection Le Livre De Poche vit le jour en 1953, elle tabla sur des auteurs " fiables " en termes de promesses de ventes et inscrivit donc très vite le nom de Somerset Maugham dans son catalogue. On dit souvent de lui qu'il était l'un des auteurs si ce n'est L'auteur le mieux payé des années 1930.



Cependant, des années ont passé et je ne suis pas certaine que nombreuses soient encore les personnes actuelles à connaître Somerset Maugham, et moins nombreuses encore celles qui le positionneraient parmi les " grands " auteurs ou les " incontournables ". Preuve, s'il en était besoin, qu'être un auteur à la mode ne signifie nullement être un grand auteur. (En outre, il faut se méfier de la réciproque : ce n'est pas parce qu'un auteur n'est pas à la mode ou n'a pas de succès qu'on dira de lui un jour qu'il est un grand auteur. Voilà pourquoi les grands auteurs sont si rares.)



Eh oui, monsieur Maugham, c'est un peu daté votre façon d'écrire. Je ne peux pas dire que je trouve ça mauvais, mais on sent bien l'amidon dans votre col de chemise, on sent bien votre air guindé de mondain anglais dans une société en pleine mutation où le vieil ordre victorien dégringole à vitesse grand V.



Cette vie de salon à la Agatha Chritie, avec le petit doigt levé, ces bourgeois qui parlent aux bourgeois, ça fait vieux tout ça. Je suis désolé de vous le dire, cher Somerset, mais vos nouvelles sentent un peu le moisi et la naphtaline, comme si elles étaient restées très longtemps dans un vieux tiroir de commode qu'on aurait oublié de ventiler.



Alors vous allez me dire que 1930 ce n'est rien par rapport aux vieilleries que je lis ordinairement. Eh bien justement, lorsqu'une œuvre de 1930 m'apparaît vieille, moi qui ai l'habitude de trouver de la fraîcheur dans des écrits des XIXème, XVIIIème, XVIIème et ainsi de suite jusqu'à l'Antiquité, c'est sans doute qu'il y a quelque chose à redire, un effet de mode un petit peu trop poussé.



Ceci étant dit, ce ne fut pas une lecture désagréable. C'est juste que je n'ai pas le sentiment qu'elle me marquera durablement.



L'ouvrage est constitué de six nouvelles dont le titre français est très évocateur (le titre original est très différent).



En effet, à chaque fois il y est question d'une histoire d'amour où un obstacle particulier rend la relation amoureuse insolite. Que cela soit une femme mariée de la quarantaine bien sonnée qui s'entiche d'un jeune homme dans Vertu, ou, cas presque similaire, d'un jeune homme tombé raide dingue d'une femme de cinquante ans dans Jane.



Que cela soit un gigolo dispensateur d'affection pour femmes seules en mal d'amour dans La Bonne Douzaine ou un fils de bonne famille juive convertie au christianisme qui choisit une vie de bohème auprès de sa communauté d'origine dans La Voix D'Israël ou bien encore des unions entre personnes de conditions sociales très différentes comme dans La Bête Humaine ou La Femme De Lettre, l'auteur choisit toujours un démarrage en douceur.



On aurait presque l'impression qu'il cherche à nous endormir, à nous bercer sagement pour mieux nous saisir avec ses fins de nouvelles où l'émotion est convoquée. Toutefois, j'aurais tendance à croire que ses effets sont quelque peu téléphonés pour le lecteur moderne et que la chute, censée être le point d'orgue de chacune de ces six nouvelles arrive avec ses gros sabots et qu'on la voit grosse comme une maison aux deux tiers de la narration.



C'est un style, ça plaît ou ça ne plaît pas. Personnellement, je trouve ça très mollasson et " lecture à papy ", sans oublier qu'il y a de temps en temps de bonnes remarques machistes ou misogynes qui alourdissent encore le montant de l'ardoise.



Bref, je ne regrette pas de l'avoir lu mais je ne suis pas certaine de relire quoi que ce soit un jour de cet auteur. Néanmoins, souvenez-vous que ceci n'est qu'un avis singulier, c'est-à-dire, très peu de chose.
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La passe dangereuse

Sublime, poignant, destructeur, entêtant...Magnifique !!



La passe dangereuse retrace avec brio et sensibilité l’histoire d’une reconquête amoureuse, sous le Soleil de l'Orient et la menace du choléra. Cette épopée romanesque analyse avec finesse la psychologie et les rapports d'un jeune couple anglais totalement dépareillé qui, plongé au cœur d’une région ravagée par l’épidémie, va peu à peu apprendre à se connaître et à s’estimer...



La belle Kitty s’est mariée avec Walter, médecin-bactériologue, pour la simple raison qu’elle ne supportait plus sa mère ni l’idée de voir sa sœur cadette mariée avant elle. Elle vit désormais en Chine et elle s’ennuie, méprise son mari parce qu’il ne lui apporte même pas de renommée au sein de la société coloniale, et pense qu’elle mériterait mieux. Elle prend un amant, un homme athlétique, séduisant, que tout le monde admire… mais il est marié. Néanmoins elle reporte sur lui tous ses espoirs : lui seul est digne d’elle, lui seul peut lui garantir un avenir plus reluisant.

Mais Walter découvre cette liaison et met son épouse écervelée devant ses responsabilités : ou elle l’accompagne à Mei-Tan-Fu pour affronter une épidémie de choléra et une mort certaine, ou ils divorcent et sa réputation de femme sera à jamais ternie. Devant la cruelle déception de voir son amant se défiler, Kitty n’a d’autre choix que de suivre Walter, mais reste insensible, aveugle à la détresse de ce mari blessé.



Drame, mais également peinture, à travers cette histoire d'amour contrariée on découvre l'époque, les questions de colonisation, de culture, de religion auxquelles sont confrontées les protagonistes. Alternant les moments contemplatifs et les conflits internes et externes, on se prend d'affection pour ce médecin amoureux d'une femme à laquelle il s'est marié trop vite, et cette femme, amoureuse déçue, déracinée et inutile dans un environnement hostile où la solitude et l'inactivité sont ses pires travers. En elle-même, c'est une romance magique, menée par deux personnages se laissant guider par la fragilité que le monde, dans ses réalités pragmatiques, les force à observer. L'histoire de ces deux êtres voués à se haïr m'a beaucoup touchée car elle s'éloigne subtilement des sentiers battus de l'amour pathétique dont je ne suis absolument pas partisane...



A lire et à déguster, c'est un roman assez court mais il faut vivre pleinement chaque émotion pour en comprendre le message... Walter est subtil, touchant et empreint d'une force mentale extraordinaire. Sa compagne représente avec brio la jeune londonienne blasée dont le bonheur n'est que reporté, jamais atteint, par des agissements plus sordides les uns que les autres. Elle est ingrate, naïve et égoïste. Cette timidité, cette haine injuste, ce fardeau de fausses responsabilités qui en condamne d'autres véritables. Le monde se voit bercé d'illusion, tandis que certaines réalités, pour ne pas prendre âme en une tragédie implacable, ne demande qu'à être jugées. Comme des pages, les lettres qui formaient l'amour disparaissent. Ici en revanche, l'amour reste, demeure enfoui, et enfin se libère par un simple progrès de la compréhension et de l'écoute d'autrui. Alors si tout n'est qu'affaire de réalité intelligible, rationnelle, trop dénuée de sentiments spontanés, cette passe dangereuse est une œuvre incroyablement optimiste. En entendant bien ce qu’autrui nous offre à écouter, simple pour l'amour son chemin sera à trouver.



La passe dangereuse ; c’est un périple où les hommes se cherchent, se perdent et se retrouvent, dans l'ironie et la beauté de la vie.

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Servitude humaine

Je connaissais très, très bien ( je l'aime beaucoup ) le film de Ken Hughes - L'ange pervers - tiré du roman de Somerset Maugham, adapté très librement, avec comme acteurs principaux Laurence Harvey et la sublime Kim Novak. Mais je n'avais pas lu ce roman-fleuve de 700 pages, roman d'apprentissage ou initiatique ( Bildungsroman, genre littéraire romanesque né en Allemagne au XVIIIème siècle ), dont le thème est " le cheminement d'un héros, souvent jeune, qui atteint progressivement l'idéal de l'Homme accompli et cultivé en faisant l'expérience des grands événements de l'existence : la mort, l'amour, la haine, l'altérité, etc. Il va ainsi se forger progressivement sa conception de la vie."

- Servitude humaine - est la parfaite illustration de ce genre, l'une de ses quintessences les plus abouties et les plus illustres.

Précisons avant d'en faire un bref résumé que beaucoup des éléments de cette histoire ont pour origine quelques-uns de ceux de la vie de l'auteur.

Philip, jeune enfant âgé d'à peine neuf ans perd sa mère qui meurt en donnant naissance à un enfant mort-né ( Maughan avait huit ans lorsque sa mère mourut en couches de la tuberculose ), et son père chirurgien dans la foulée.

Philip est alors confié à la garde du frère de sa mère, un pasteur anglican austère, rapiat, sans démonstration(s) affective(s) pour le jeune orphelin, et à sa petite femme, Tante Maria, qui vit dans l'ombre de " l'omnipotent prélat".

Il joue seul dans la cuisine jusqu'au jour où il découvre la bibliothèque de son oncle, riche de plusieurs milliers de livres, tous achetés "au rabais", dans lesquels il s'immerge avec passion et émerveillement.

Intelligent, curieux, sensible, instable, cette passion de la lecture associée à celle de l'Art, deviendra l'une des grandes affaires de sa vie.

Outre le fait d'être orphelin, Philip souffre d'une infirmité... un pied bot, lequel jusqu'à la mort de sa mère n'avait handicapé ni son esprit ni sa vie, mais va devenir ( comme le bégaiement sévère de Maugham )après la disparition de celle-ci, son point faible, son abcès de fixation.

Jusqu'alors protégé par la présence rassurante de sa mère, puis par les murs du presbytère, le collège va le livrer à la pâture de ses jeunes "camarades".

Élève brillant, encouragé par le directeur de l'établissement qui lui prédit un bel avenir universitaire, une bourse, et une vocation pastorale, Philip mu par sa quête initiatrice va refuser ses lauriers desséchés et leur préférer l'étude des langues pendant une année à Heidelberg.

Puis ce sera l'appel de Paris et sa vie de bohème... le jeune homme a un joli coup de crayon... avant de réaliser que son talent n'est que médiocre.

Retour en Angleterre où son pasteur d'oncle ne sait plus où donner de la tête.

Il tente de devenir expert comptable puis se tourne presque par défaut vers la médecine... qui va devenir, à son corps défendant ( pas de jeu de mots ), sa vocation.

C'est là que surgit une jeune serveuse d'un tearoom, Mildred... " l'ange pervers", dont il va devenir fou amoureux et laquelle va lui faire visiter toutes les strates des Enfers.

Philip va connaître l'humiliation, la souffrance, la pauvreté.

Il devra, pour survivre, travailler pendant deux ans comme employé subalterne dans un grand magasin ( référence à Zola ), aidé en cela par l'amitié authentique et indéfectible d'une famille.

La mort de son oncle et un petit héritage lui permettront de terminer ses études de médecin, de commencer à exercer chez un vieux praticien ronchon qui... à sa grande surprise, lui proposera au terme d'un remplacement d'un mois, une association et un rachat de clientèle.

Mais Philip, comme Marius, rêve en contemplant la mer, d'horizons lointains et de pays exotiques.

Mais c'est un autre voyage qui l'attend, une Fanny anglaise prénommée Sally...

Après bien des pérégrinations chaotiques et tumultueuses, après avoir essuyé tant de tempêtes, Philip va s'installer dans "une vie que les vents vont ramener fourbu mais conscient de la part que lui réserve le destin commun à la glu du rivage."

C'est dense, riche, vivant, intelligent, captivant, émouvant, brillant.

C'est très bien écrit, éminemment bien pensé ; la structure narrative ne souffre d'aucun défaut, les personnages ont de la gueule.

C'est un chef d'oeuvre.

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Nouvelles complètes

1500 pages ! Et je pourrais continuer encore ! En voilà un grand maître, un conteur hors pair ! William Somerset Maugham (quel nom splendide, ma chère ! Et pas même inventé !) a trouvé la formule de la nouvelle parfaite : celle qui ne vous laisse pas sur votre faim, complète et absolue. Elle tient pas elle-même en quelques pages et contient tout un monde. Deux petits traits de pinceau, et voilà un homme, une femme, un paquebot, Londres, Nice, Monte Carlo, Singapour, Bornéo, la jungle, une tasse de thé, Rome...Ce grand voyageur a visité toute l'Europe et tout l'empire britannique, et il en a ramené pour nous la substance, d'un point de vue européen. Car ce qui est le plus fascinant dans ces récits, c'est la confrontation dans cet univers colonial depuis effondré et parti en poussière, de ceux qui se croient civilisés et de l'Inconnu, mystérieux et incompréhensible, de l'Orient. Les Européens se croient tout puissants et s'aveuglent devant une Nature, naturelle et humaine, qui se tient là, menaçante, prête à les dévorer-à l'exception de ceux qui comprennent que le pouvoir colonial est une illusion d'optique. Les nouvelles regroupées dans un autre recueil sous le titre du "Sortilège malais" sont à cet égard exceptionnelles. Elles sont ici dispersées. Je pense particulièrement à un texte extraordinaire nommé "Un poste dans la brousse" (The Outstation, 1924) où un résident permanent à Bornéo extrêmement snob et amoureux de l'aristocratie anglaise et de tous ses rites, se trouve confronté à un nouvel adjoint né aux colonies (et donc a priori plus à même de comprendre ce qui l'entoure). Malgré son snobisme -ou à cause de lui, car infiniment conscient des règles tacites qui régissent toute société, lui-seul est à même de se fondre dans l'étrangeté qui l'entoure et de la maîtriser avec une finesse sidérante.

Somerset Maugham s'intéresse aussi au couple, à l'amour, à l'amitié, à toutes les lâchetés, vilenies et autres vicissitudes de l'humaine nature, avec une subtilité ébouriffante (je commence à manquer d'adjectifs pour exprimer mon admiration). Tout est tellement vrai, et sans ce défaut qui consiste à se regarder écrire, qu'on a envie que ça ne s'arrête jamais. Ah, ces Anglais.e.s qui ont passé leur vie à écrire pour notre plus grand bonheur de lectrice, Barbara Pym, Austen, Brontë, Christie, Du Maurier, Throllope, Dickens, Maugham, Woolf...et tous les autres... Ah, ils sont inimitables !
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La passe dangereuse

En ces temps-là le mariage, pour une jeune fille, était une obligation. Alors quand sa jeune sœur décide de convoler, Kitty prend un mari un peu au hasard, elle ne l'aime pas mais avec le temps ? Lui n'est pas forcément beau, il est bactériologue et son métier les entraîne en Chine. L'ennui et la distance qui désunissent ce couple feront prendre un amant à Kitty, un beau parleur bien fait de sa personne, que les dames anglaises du coin s'arrachent. Mais son mari s'en apercevra et pour lui faire prendre conscience du peu de sérieux de son amant, lui proposera un marché : soit elle se marie avec lui, soit elle part au fin fond de la Chine, son mari ayant accepté un poste de médecin pour soigner des victimes du choléra. Là-bas Kitty se découvrira une autre personnalité.

Parfois de simples événements vous transforment et Somerset Maughan nous en décrit les mécanismes dans ce roman bourré d'humanité. Il nous révèle les dessous de la Chine des années vingt, la vie rude des peuples et celle qui les un peu moins pour ceux qui les exploitent. Le sacrifice des soignants que rien n'arrête pour le bien de tous les peuples. Un roman tout en douceur avec une écriture presque féminine, faite d'émotion et de sensibilité.

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Le Fil du rasoir



Il y a des lectures considérées «ardues», d'autres «faciles», des romans dits pour «intellos» ou bien «populaires», des livres qu'on «dévore», d'autres qui risquent de nous dévorer, des ouvrages qu'on apprécie en raison de leurs grands mérites littéraires, d'autres qu'on aime justement pour l'absence de ces mêmes «mérites»…!

Il y aurait tout de même, fort heureusement, une qualité dite «intrinsèque» à chaque oeuvre, et donc la possibilité (il faut le croire!), sur la base d'un argumentaire cohérent et étayé, bien évidemment, de prétendre à une certaine objectivité critique, même si celle-ci reste difficile à fonder en dehors d'appréciations guidées par les goûts et la sensibilité souverains de chaque époque, ainsi que de chaque lecteur en particulier.



Mon père, par exemple, préférait largement la littérature de langue anglaise et le cinéma américain à ceux d'Europe. Prenant le cinéma pour exemple, il l'expliquait par une formule très imagée:



- Mon fils, disait-il, dans un film américain, si un personnage doit aller quelque part, eh bien, il part de chez lui, on nous le montre à l'appui une ou deux fois peut-être au volant de sa voiture, et la scène d'après il est en train d'arriver à destination. En revanche, si cela se passe en Europe, il y a de fortes chances pour qu'on le voit enfiler son manteau, chercher ses clés, ouvrir puis refermer la porte derrière lui, allumer une cigarette, descendre les escaliers, s'installer dans sa voiture, la faire démarrer, rouler pendant un temps indéterminé sous une pluie battante («Il pleut beaucoup dans les films européens !» -rajoutait-il facétieux), scène accompagnée souvent d'une flopée interminable de pensées en voix off, à tel point que quand le personnage arrive enfin, on doit faire un effort pour se rappeler ce qu'il était vraiment censé y faire !!



Très populaire, de son vivant William Somerset Maugham connut un succès retentissant de public, d'abord comme dramaturge (jusqu'à avoir à l'affiche, au début du XXe siècle, quatre de ses pièces de théâtre jouées en même temps à Londres !), puis comme auteur de romans et de nouvelles, notamment avec la publication en 1915 de «Servitude Humaine», son roman le plus célèbre qui lui avait fait accéder rapidement à une importante notoriété internationale.

L'écrivain aura été en revanche boudé par une partie non-négligeable de la critique littéraire de son époque, considéré quelquefois comme un auteur mineur, «efficace» mais néanmoins «superficiel». Né en 1874, mort en 1965, à la fois contemporain et ayant survécu à quelques-uns des plus grands auteurs des lettres anglaises de son temps (Shaw, James, Conrad, Woolf, Joyce…), Somerset Maugham serait de nos jours, semble-t-il, tombé quasiment dans l'oubli par un lectorat plus jeune.



Et pourtant…Le temps passe, les modes et les mentalités changent, mais les vraies oeuvres, n'est-ce pas, résisteraient malgré tout (et les lieux communs de même, tel celui-ci, peut-être tout simplement parce qu'ils comportent eux aussi quelque chose d'intrinsèquement authentique ?).

Parfois ensevelies sous la neige des années ou plus ou moins reléguées à un second plan, il n'est pas exclu qu'un dégel soudain accorde à ces dernières une fraîcheur insoupçonnée aux yeux de nouvelles générations de lecteurs. Celle de Jane Austen, à ce propos, et pour rester dans le domaine des lettres anglo-saxonnes, en serait un exemple relativement récent, très emblématique à mon avis de ce qui pourrait constituer l'un des critères les plus solides en matière de qualité littéraire : la longévité d'une oeuvre sur ou… sous terre !



Pour revenir au «Fil du Rasoir», roman situé dans l'entre-deux-guerres, il ferait partie, il est vrai, de ces ouvrages qui se lisent plutôt «facilement». Malgré la citation issue d'un des livres de l'Upanishad qui lui sert d'épigraphe et avait inspiré son titre - «Il est difficile de passer sur le fil d'un rasoir. Aussi difficile, disent les sages, est le chemin qui mène au salut»- , il ne s'agirait nullement, tout au moins en apparence, d'un roman dit «à thèse» ou «à idées».

Oeuvre de la maturité de Somerset Maugham, âgé de soixante-dix ans au moment de sa publication (1943), on a le sentiment que l'écrivain tient, à l'inverse, à assumer et à endosser (et à s'amuser aussi peut-être face aux critiques formulées à l'encontre de la légèreté et de la soi-disant «superficialité» de son oeuvre), le rôle de modeste raconteur d'histoires dépourvu de toutes autres prétentions littéraires ! Maugham se met d'ailleurs lui-même en scène en tant que narrateur et personnage à part entière de son récit : l'écrivain à succès qu'il était devenu ayant eu, nous dit-il, envie de coucher sur le papier, tels quels, quelques souvenirs personnels de gens qu'il aurait côtoyés par le passé. Et bien que son livre ait manqué de matière romanesque («mon récit ne se termine ni par une mort ni par un mariage»), et qu'il n'ait surtout pas voulu faire appel à son «imagination» pour «combler les vides» entre les faits relatés afin de procurer "un peu plus de cohésion" à son récit, si l'on veut bien, dit-il, on pourrait le qualifier par défaut de «roman»!



Du réalisme, du réalisme, rien que du réalisme ?



Maugham nous raconte en tout cas qu'au cours d'une escale littéraire aux États-Unis, juste après la fin de Première Guerre mondiale, il avait eu l'occasion de rencontrer la famille d'une de ses connaissances parisiennes, Elliot Templeton, américain expatrié dans la Ville-lumière s'étant enrichi grâce à ses talents de négociant de tableaux et d'objets d'art. Elliot, incarnation proustienne s'il en est du parfait snob, intermédiaire discret entre une aristocratie européenne de plus en plus en mal de trésorerie et une haute bourgeoisie décomplexée en quête de prestige social (toute ressemblance avec d'autres personnages de fiction ne serait bien sûr que simple coïncidence!), de passage alors dans sa ville d'origine, l'invitait à un dîner au cours duquel Maugham ferait la connaissance de sa soeur et de sa nièce, Isabel, ainsi que du jeune fiancé de celle-ci, Larry Darrel. Rentré depuis peu d'Europe où il s'était engagé en tant que pilote volontaire, ce dernier, qui s'avérera peu à peu être le personnage central du roman, semble à ce moment-là toujours très impacté par son expérience personnelle de la guerre.



Le récit se construit en flash-back, à partir des rencontres qui s'en étaient suivies, étalées dans le temps et dans l'espace durant une vingtaine d'années, entre les États-Unis et l'Europe, à Paris ou à Londres, retraçant les échanges et les liens qui se tisseraient progressivement entre les personnages du roman, essentiellement Templeton et les membres de sa famille, et l'écrivain réel. L'auteur devenant avec le temps une sorte de confident à qui ces derniers n'hésiteront pas à demander avis et conseils.



Maugham, tenant donc visiblement à s'astreindre aux faits et gestes qu'il prétend rapporter sans retouches, se passant de toute «imagination», composera son (vrai ?) (faux ?) roman sur ce même ton de «neutralité bienveillante» avec lequel il prête l'oreille aux confidences adressées par ses personnages au fil de leurs rencontres sporadiques.



Il n'y a, au-delà de ce qui est manifesté lors de ces échanges, aucun autre enjeu à rechercher dans l'intrigue, pas de motivations cachées de la part des uns et des autres, pas de flux subjectifs ou de monologues non plus, dans un livre reposant essentiellement sur des «conversations» et dans lequel Maugham excellera par contre dans l'art d'un dialogue teinté d'ironie amicale (parfois très incisive mais toujours indulgente) ; guère plus d'«à-côtés» développés par son personnage «d'auteur», attaché par des liens personnels d'amitié à ceux qu'il observe avec curiosité, mais vis-à-vis desquels il ne semble pas vouloir porter de regard extérieur critique. Un regard dépourvu de tout jugement de valeur, malgré même le caractère «d'apprentissage» que recèlent potentiellement les faits. L'auteur s'abstenant en définitive, non seulement de toute morale implicite face aux choix de vie et aux attitudes de ses personnages, mais aussi de toute autre considération abstraite sur la nature humaine en général, ou de toute remarque ou critique ouverte concernant la mentalité de la société entre les deux guerres.



C'est la vie, a l'air de nous dire Maugham !

« Tous les hommes recherchent d'être heureux » (Pascal) : voici une vérité toute simple elle aussi… Et qui est bien de se faire rappeler de temps en temps.



«Le Fil du Rasoir» parle essentiellement de cette quête, et des sens très différents qu'on peut lui accorder. À travers tous ses personnages, et notamment des deux protagonistes au centre de l'intrigue, Isabel et Larry, dont les choix personnels vont s'opposer au sentiment amoureux qui les unissait au départ, Maugham écrit un très subtil roman existentialiste, sans nausée pourtant, sans soubresauts tragiques ou spectaculaires.



Un récit dont le ton léger n'approche jamais de manière frontale les thèmes qui le sous-tendent et que l'auteur explore en libre-penseur, entre autres la crise de valeurs résultant de l'impact de la Première Guerre mondiale, le déclin du Vieux Monde et l'influence croissante de celles mises en avant par la société capitaliste américaine. Aussi, lorsque dans sa quête à lui, Larry est amené à s'intéresser aux philosophies orientales, jusqu'à partir s'installer dans un ashram en Inde, Maugham anticipe-t-il d'une manière assez surprenante, et précise, un mouvement de jeunesse qui n'allait éclore qu'une vingtaine d'années après la publication du roman, au sein de cette même Amérique positive et entrepreneuse servant ici de toile de fond.



Efficace ? Oui. Et même si d'emblée l'on ne saisit pas forcément dans quel vif l'auteur veut trancher, on se laisse volontiers séduire par le talent du conteur. Un phrasé discrètement élégant, des dialogues souvent cocasses font le reste : le rasoir s'aiguise progressivement. Et la coupe s'avère en fin de compte sur mesure pour chacun. À bon entendeur… !



Superficiel ? Je ne pense pas. Même si on doit admettre que Maugham cherche à faire fond sur la surface, on ne peut pas dire que son style, fluide et proche de l'oralité, n'aurait d'autre but ici que de «distraire efficacement» son lecteur (ce qui, en soi, serait déjà tout de même très honorable, n'est-ce pas !) : son roman interroge astucieusement, entre les lignes et en filigrane, des valeurs aujourd'hui primordiales pour les individus que nous sommes devenus au cours du XXe siècle, à savoir, «réussir» dans la vie et, surtout, «réussir sa vie».



Maugham pratiquerait ainsi un style naturel, cherchant un dépassement de l'artifice purement discursif ou romanesque ? Jouant de cet expédient qui, comme expliquait La Bruyère, «préfère faire trouver par les autres ce qu'on avait voulu dire» ?



Ce qui paraît incontestable, à mon sens, c'est qu'avec «Le Fil du Rasoir», roman tout aussi distrayant qu'intelligent et subtilement construit, Maugham aura sûrement fait pièce, avec panache, à ceux qui avaient voulu l'étiqueter comme un écrivain purement «superficiel».



(Ce que je vous ai omis tout à l'heure, c'est que William Somerset Maugham faisait aussi partie des auteurs préférés de mon père!

Je me devais donc de le lire, tôt ou tard.

C'est d'ailleurs surtout, et avant tout à lui, à l'intention de mon père, où qu'il soit, que ce billet aura été rédigé...)





...

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Vacances de Noël

Dans les circonstances actuelles j'avais envie de vous parler de Vacances de Noël. Oui, je sais, rien de bien original en cette période, sauf qu'il s'agit du titre d'un merveilleux roman qui m'a séduit, d'un certain Somerset Maugham. Je ne sais pas pourquoi Alain Souchon que j'adore l'avait catalogué dans une de ses chansons, d'auteur de nouvelles pour dames...

Lorsque j'avais vingt-cinq ans, j'avais une amie dont l'un de ses écrivains préférés était justement Somerset Maugham. Elle n'avait rien d'une dame imaginée par un de mes chanteurs préférés.

J'ai eu la chance de découvrir une très vieille édition de ce roman dans une brocante, datant de 1946, c'est-à-dire précisément l'année où il fut traduit en français, par une certaine Mme E.-R. Blanchet. J'ai eu l'impression de tenir une oeuvre d'art fragile entre les mains, tant le papier était usé et risquait à certaines pages de se casser comme du verre. Outre ce privilège, cela m'a aussi épargné la version de poche plus actuelle qui offre, - paraît-il autant sur sa couverture que sur sa quatrième de couverture, l'image rose bonbon d'une bluette littéraire. Or il n'en est rien.

L'écriture est ciselée à merveille. On est vite happé par le récit dont on pourrait imaginer qu'il sera banal, voyez un peu... Nous sommes dans les années vingt, un jeune Anglais d'une famille aisée, Charley Mason traverse la Manche et vient à Paris pour les vacances de Noël dans l'idée de se divertir durant une semaine. Il rejoint un ami d'enfance, d'origine plus modeste, Simon, journaliste aux idées révolutionnaires.

Se divertir dans Paris, c'est pour Charley visiter les maisons de charme parisiennes dont son ami Simon lui a tant vanté les vertus...

Dès le premier soir, justement à la faveur de cet ami, voilà Charley faisant connaissance dans une maison de Montparnasse avec une princesse russe du prénom d'Olga, l'accueillant en tenue légère...

Jusqu'ici on pourrait reconnaître que l'actuelle version de poche par sa couverture tient toutes ses promesses. Eh bien, détrompez-vous ! C'est justement à ce moment que le roman prend tout son charme, tout son piment, tout son attrait, toute sa saveur, tout son mystère aussi. Et peut-être vous avouerai-je déjà en chemin, toute son émotion.

Car la fameuse Olga n'a de princesse que le nom, elle est d'une origine extrêmement modeste, aujourd'hui elle vit dans la précarité et autant l'appeler par son vrai prénom, Lydia.

La nuit torride promise se transforme en confidences touchantes, la légèreté de la princesse Olga laisse place à la tristesse de Lydia. Celle-ci lui raconte son histoire, les événements qui l'ont amenée là précisément à cette situation de devenir une prostituée et Charley se rend compte alors que son ami Simon ne lui a pas tout dit...

J'ai aimé cet endroit exaltant où le récit bascule d'un versant à l'autre. Toute l'habileté de l'auteur m'a entraîné dans le dédale d'une intrigue construite sur des récits enchâssés et dès lors je n'ai pas lâché le livre. Je voulais savoir comme Charley ce qui se cachait derrière la mélancolie de Lydia, ses larmes la nuit, sa gaieté soudaine le jour aussi comme pour effacer d'un geste brusque le malheur qui l'étreignait et peut-être sa douleur aussi.

L'histoire de Lydia prend corps, celle d'une femme mariée à un époux aujourd'hui au bagne. Simon le savait puisque, chroniqueur dans un journal, il avait suivi le procès...

Les jours et les nuits passent durant les vacances de Noël de Charley à Paris. Ce ne sont peut-être pas les vacances dont il rêvait, cependant je sais qu'il n'oubliera jamais ces jours, qu'il en sera marqué à jamais, bousculé...

Lydia porte ce secret, ce drame, elle le porte comme une croix, à tel point qu'elle voudrait porter la faute de son mari, porter sa douleur, comme pour l'expier à son tour, à jamais. Il y a brusquement quelque chose de grand qui s'ouvre dans les pages intimes de ce roman.

Charley découvre, à chaque page qui se déplie dans le récit, un peu plus un peu mieux cette femme énigmatique qui lui échappe sans cesse, de jour comme de nuit dans la chambre d'hôtel qu'ils partagent. Visiter un musée en sa compagnie, le Louvre en particulier, c'est découvrir une autre manière de regarder un tableau ; une nature morte de Chardin par exemple, a priori banale, devient la description d'un désespoir emplie de beauté. Une mélodie ordinaire posée sur le clavier d'un piano prend brusquement sous les doigts de cette femme la puissance d'une résurgence souterraine qui dévaste les âmes.

Charley a vingt-trois ans et s'aperçoit qu'il ne sait encore rien de la vie, il se sent presque encore un enfant auprès de Lydia, lui qui rêvait d'être son amant lors de la première nuit de leur rencontre. Il ne sait rien de la vie, tandis que son ami Simon revient de temps en temps comme un écho, comme un balancier au gré du récit, revenant exposer son point de vue politique sur le monde, Simon amer, Simon révolté, Simon aigri et déçu par ce que peut proposer la démocratie à ses yeux...

Les trois personnages principaux de ce récit sont de véritables caisses de résonnances intérieures qui orchestrent la trame de l'histoire, tissent et donnent une épaisseur à la narration, sans compter le quatrième personnage absent durant ces vacances de Noël, l'époux encore au bagne, tellement présent dans l'histoire...

Ce texte est un véritable roman d'apprentissage.

De ce voyage intérieur, Charley n'en reviendra pas indemne. Il commencera à s'en rendre compte dans le Pullman qui le ramène vers le cocon familial et comme tout voyage qui permet d'en apprécier l'impact, c'est au contact de son univers familier retrouvé, ses proches, qu'il mesurera le séisme qui l'aura bousculé à jamais... C'est à cela qu'on peut mesurer le caractère romantique d'une oeuvre. Alors, bluette ?

J'ai repensé à cette amie lorsque j'avais vingt-cinq-ans. Aime-t-elle encore cet écrivain ?

Connaissant son âme, je sais pourquoi elle aimait Somerset Maugham.

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Liza de Lambeth

Liza, c'est Liza de Lambeth, premier roman de l'écrivain anglais William Somerset Maugham.

Le succès de ce livre dès sa parution lui permit de renoncer à la carrière de médecin à laquelle il se destinait.

L'auteur nous immerge dans l'atmosphère sombre et glauque d'un quartier industriel de Londres à la fin du XIXème siècle.

Liza Kemp est une jeune et belle fille de dix-huit ans, qui mène une existence misérable. Elle travaille à l'usine, vit seule avec sa mère, alcoolique, malade et querelleuse, dans un taudis de Vere Street, une rue du district de Lambeth. Elle est issue d'une famille de quatorze enfants.

C'est pourtant une fille étonnamment joyeuse et brillante, qui ne se laisse pas apitoyer par la vie, prenant soin de sa mère. Son caractère enjoué la rend proche des autres gens du quartier. Ainsi Tom, un garçon de son âge, n'est pas indifférent à son charme, Liza aime sa compagnie, mais rejette celui-ci lorsqu'il la demande en mariage.

Un jour, alors qu'elle est poursuivie par un groupe d'hommes, elle fait la connaissance de Jim Blakeston, bien plus âgé qu'elle. Celui-ci lui fait aussitôt des avances, lui volant un baiser. Plus tard, elle accepte de le revoir, elle apprend que Jim est marié et père de cinq enfants, découvre aussi sa violence domestique... C'est peut-être pour cela aussi que Tom espère encore un peu, pourtant Liza ne l'entend pas ainsi et continue d'être attiré par Jim...

À travers ce jeune personnage féminin fougueux et déluré, dont le désir insolent l'entraîne sur une voie inévitablement tragique, Somerset Maugham bouscule ici les codes traditionnels que la société britannique bien-pensante de l'époque imposait à la littérature romanesque.

Mais si Liza s'était contentée d'accepter les avances de Tom, il n'y eût pas d'histoire, vous êtes d'accord, n'est-ce pas ?...

Somerset Maugham nous plonge ici avec un réalisme criant de vérité dans l'inconfort d'un quartier pauvre du Londres de la fin du XIXème siècle.

Le malaise social qui est la toile de fond du récit nous saisit à la gorge dès les premières pages. Grèves ouvrières, problème de logement, de santé publique, alcoolisme, insécurité, criminalité... Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce mélodrame populaire une oeuvre forte.

Cette peinture réaliste et sombre m'a fait tout de suite fait penser à Zola ou Maupassant. J'y ai reconnu le talent d'un peintre, comme il m'est arrivé de le ressentir devant ces deux auteurs français si chers à mon coeur. Ainsi, la description de la chambre de Liza relève d'un tableau d'un peintre expressionniste allemand, jouant sur les lumières et les contrastes.

Qui plus est, Somerset Maugham fait preuve d'un talent de dialoguiste rendant si vrais les personnages qui se cherchent, se frôlent et se confrontent...

Et puis il y a toujours une petite touche humoristique... Pour pitoyable et pathétique qu'est l'histoire de Liza, celle-ci est en effet agrémentée de scènes parfois comiques. Certes c'est un humour noir...

La construction du récit, sous forme de scènes qui se succèdent et qui sembleraient dédiées à une représentation théâtrale, accentue l'intrigue, laissant flotter dans l'air comme un douloureux et cruel présage au-dessus de la solitude palpable de Liza.

Et moi, je ne voulais pas qu'il arrive du mal à Liza Kemp...

Je ne suis pas surpris de découvrir que la première vocation de l'écrivain était de devenir médecin, c'est un observateur fin de l'âme humaine.



She hangs her head and cries on my shirt ♫

She must be hurt very badly

♫ Tell me what's making you sad, Lisa

Open your door, don't hide in the dark

You're lost in the dark, you can trust me ♫

'Cause you know that's how it must be

Lisa, Lisa, sad Lisa, Lisa ♫

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La passe dangereuse

J'aime beaucoup Somerset Maugham.

La raison en est d'une part à l'ambiguïté de son prénom : est-ce un homme ? est-une femme ? ... et à la prononciation de son nom (que de meilleurs anglophones que moi prononcent "moooooooo" dans un long beuglement assez dissonant)

Après avoir vu "Le voile des illusions" avec Naomi Watts et Edward Norton, j'ai voulu lire le court roman ont il avait été tiré.

Roman ô combien exotique dont l’action se passe à Hong Kong dans les années 20. Kitty et Walter Lane y forment un couple mal assortie : lui est un austère médecin colonial, elle est une jeune femme frivole. Elle le trompe avec un beau diplomate moustachu. Moitié par vengeance, moitié par mortification, son mari décide d’accepter une mission dangereuse au cœur de la Chine dans une région infestée par le choléra. Il y perdra la vie mais il y sauvera son couple.

« la passe dangereuse est l’histoire d’une métamorphose » : celle de Kitty, jeune fille indolente, vite et mal unie à un homme dont elle accepte la demande en mariage pour échapper à sa famille, victime consentante du charme donjuanesque d’un amant de pacotille. Son départ avec son mari en voyage à l’intérieur de la Chine a des airs d’enterrement. Mais il y découvrira à la fois l’abnégation d’un homme qu’elle avait sous-estimé et aussi, et surtout, ses propres ressources intérieures insoupçonnées.
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La passe dangereuse

Certains écrivains, c’est bien connu, furent totalement snobés par leurs contemporains et connurent une grande gloire posthume. Mais il y en a d’autres pour qui ce fut totalement l’inverse : riches et honorés de leur vivant, totalement oubliés quelques décennies plus tard. Somerset Maugham n’en est pas encore là, mais il est certain que la notoriété de celui qui fut l’un des écrivains les plus lus de l’entre-deux-guerres décline lentement et sûrement. C’est d’ailleurs par pure hasard que je suis tombé sur ‘La passe dangereuse’.



Nous sommes dans la concession britannique de Hong-Kong, aux alentours de 1920. Kitty Fane, jeune et très jolie femme fraichement débarquée d’Angleterre, y a suivi son mari récemment épousé. Elle ne l’aime pas, ce Walter Fane, et elle ne l’a jamais aimé. Il est bactériologiste – peu importe en quoi ça consiste, visiblement ce n’est pas très prestigieux. Il danse mal, sa conversation est ennuyeuse, il ne pratique pas le polo ; bref il est épouvantablement rasoir. Mais voilà, elle vieillissait – 25 ans déjà ! – et sa petite sœur, pourtant beaucoup moins jolie et spirituelle, venait tout juste de se caser avec le fils d’un baronnet. Alors quand ce bonnet de nuit lui a soudain déclaré sa flamme, ma fois elle n’a pas fait la fine bouche.



Aussi, en arrivant à Hong-Kong, Kitty ne s’est pas franchement sentie coupable de commencer à tromper son terne mari avec le jeune et bel adjoint du chef de la légation, promis à un grand avenir, toujours vêtu avec élégance et à la moustache impeccable. Tout s’effondre le jour où son époux les surprend. Il lui offre alors un marché en apparence honnête : soi elle convainc son amant de divorcer pour l’épouser, soi elle retourne chez sa mère divorcée et humiliée… Soi elle l’accompagne dans une ville chinoise où le choléra fait des ravages et où il vient de demander de partir en tant que médecin.



Derrière ce canevas un peu vaudevillesque, le grand talent de Somerset Maugham consiste à nous plonger totalement dans la tête de Kitty, puis de même dans celle de Walter. On voit le monde à travers leurs yeux, on comprend leur logique et leur façon de fonctionner, en fonction de leurs éducations et de leurs expériences. De même il nous immerge dans cette Chine qui n’est pas vraiment une colonie, pas vraiment un état souverain, archaïque ou intemporel, on ne sait pas trop. Une poignée d’Européen s’y décarcasse pour sauver des vies, pendant que les légations mènent leur petite vie de mondanités et de parties de polo.



Beaucoup de psychologie dans ce livre, et une impressionnante analyse sociale. Une excellente surprise, et un écrivain dont je compte bien approfondir ma connaissance.
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Le Fil du rasoir

🎶Comme dans les nouvelles pour dames

de Somerset Maugham🎶...



A part ces paroles d' Alain Souchon,qui n'incitaient pas particulièrement à le lire, je ne connaissais rien de cet auteur. Il s'agit ici d'un roman. J'ai eu un peu de mal à entrer dans l'histoire et surtout le personnage d'Eliott m'a agacée : suranné, snob, je l'ai trouvé peu intéressant.Les frivolités mondaines, très peu pour moi!



Mais le narrateur-auteur, par touches d'humour légères,donne une dimension plus dérisoire et amusante à celui-ci. Et d'autres personnages ont commencé à prendre de l'épaisseur, l'analyse psychologique fine de leurs relations m'a plu.



Isabel, choquante car égoïste et froide. Larry et sa recherche idéaliste et spirituelle. C'est lui le plus intéressant. A son retour de la guerre 14 -18, il n'a de cesse d'échapper au monde bourgeois qui était le sien,et dans lequel il ne se reconnaît plus. Il refuse d'abord d'épouser Isabel et fuit par les voyages. Il fera des expériences étonnantes.



Et l'auteur,par son adresse directe fréquente au lecteur, se présentant un peu comme un commentateur et un témoin, fait hésiter le lecteur entre réalité et fiction, ce qui donne une dimension particulière au roman.



Une première incursion finalement plutôt positive. Vais-je pour autant lire d'autres oeuvres de l'auteur? I dont' know ...
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Servitude humaine

Alors, honnêtement, j’ai bien cru que j’allais le lâcher ce bouquin. Quand j’ai constaté déjà que mon édition de poche (10/18) révélait dans sa 4e de couverture toute l’intrigue jusqu’à la moitié du roman, soit tout de même plus de trois cent cinquante pages éventées. Ensuite quand j’ai subi le morose de cette biographie commencée sous de si tristes auspices et guère encline à s’améliorer.



Philippe Carey n’est pas né qu’il n’a déjà pas de chance puisque le voilà affligé d’un pied bot. Son enfance n’est pas achevée que son père meurt, laissant sa pauvre mère seule, démunie et enceinte. Pour bien faire, elle mourra elle aussi, en couches et son potentiel petit frère également. Morts : 3, blessé : 1, heureux : 0. Eh bien, ça va être charmant !



Nous voilà partis pour une enfance à la Dickens dans une Angleterre de la fin du 19e siècle. Un parrain pasteur le recueille dans une générosité austère, imbécile et guindée. Des brimades au collège, des rebuffades, une fierté qui ravale ses larmes. La bêtise des enseignants mal embouchés, le caractère obtus d’un orphelin trop orgueilleux. Oh la la, de grâce, épargnez-moi ce fatras de sottises mâchées et remâchées ! Ego plus misérabilisme plus bêtise humaine, n’en jetez plus, après On m’appelle Demon Copperhead, ma coupe est pleine !



Pour ne pas singer la fâcheuse 4e de couverture et m’épargner ce calvaire, je tairai la suite de ces aventures. Vous ne saurez donc rien du parcours sentimental, intellectuel et initiatique du jeune Philippe sinon qu’il ne s’est pas marré tous les jours et, par ricochet, moi non plus.



Et puis aussi, tout de même, qu’on aura une intéressante description des milieux artistiques parisiens de ces années-là, où, prospérant sur la vague impressionniste, les cours de peinture, ateliers d’artistes et gargotes plus ou moins fameuses s’engraissent des jeunes esprits anglais, américains ou espagnols venus conquérir dans la capitale du monde leurs galons d’artistes maudits. Pas un rond, des verres d’absinthe, un mauvais gourbi, la bohème et l’amour, ah Paris !



Avec ce folklore, quelques discours philosophiques désabusés aussi sur le sens de la vie. Ces messieurs abimés dans l’huile de térébenthine et le rouge qui tache n’ayant pour seul objet de culte leur propre gloire, on comprendra vite que le jeune Philippe trouvera à leur contact bien peu de source d’espérance. Nihilisme, déterminisme et misère radicale.



Nous voilà bien.



D’aventures en aventures, le caractère de Philippe s’aigrit un peu plus. Il rencontre l’amour sous différentes formes : on s’éprend de lui mais il n’aime pas, il aime mais on ne répond pas à ses sentiments. Tout cela lui gâchera bellement une partie de ses économies et les plus belles années de sa jeunesse. La passion amoureuse apparaitra comme une forme de fatalité monstrueuse qui vous dévore et vous aliène quelle que soit la médiocrité de la femme qui en est l’objet. De quoi remonter ce roman dans mon estime, vous imaginez bien.



Velléitaire, Philippe mettra un temps qui m’a paru incommensurable à se stabiliser dans une profession. Bien sûr, l’adversité lui opposera moulte rebondissements afin qu’il ne parvienne à triompher de son caractère et de la méchanceté de certains hommes (en l’espèce, c’est une femme, la garce) au bout de très longtemps. La dèche, les piécettes qu’on compte, les loyers qu’on ne peut payer, les vêtements qu’on met en gage. C’est reparti pour un tour !



Alors, alors ? Pourquoi n’ai-je pas abandonné ? Parvenu à ce stade de ma recension, vous pouvez légitimement vous poser la question. D’abord parce que j’ai découvert cet auteur grâce à Eduardo (Creisifiction) qui lui voue un attachement nostalgique que j’avais trouvé charmant lorsqu’il nous en avait fait la confession au détour de sa critique du Fil du rasoir. J’ai donc longtemps temporisé mes agacements à la lumière tamisée de cette affection peut-être sentimentale pour un genre désuet. Il s’agissait de lire ce roman comme on plonge dans les odeurs d’encaustique et de tisane d’une maison familiale aimée, pas d’y dénicher le génie romanesque à l’état pur. C’est donc modérée par cette componction respectueuse pour des souvenirs inconnus que j’ai poursuivi ma lecture.



Et puis, tout de même, passés les deux tiers, certains personnages tout à fait plaisants sont apparus. Philippe est devenu presque charmant. Au moins, par petites touches et de façon d’abord fugace, tout à fait attachant. Alors des paillettes de joie et de reconnaissance ont commencé à modifier le tableau et toute la réflexion sur la vanité de l’existence, la gratuité de ce qui nous arrive a commencé à mettre en place non plus les aspirations suicidaires et désespérées d’un cynique fauché mais la possibilité de nouer des liens heureux, loin de toute affectation, loin de toute prétention.



Requinquée par un petit tour à la campagne à fouler le houblon, l’air de la mer et la rencontre d’une famille aussi excentrique que délicieuse, je me suis laissé doucement bercer jusqu’aux dernières pages, finalement heureuse de compter désormais cette Servitude humaine dans le panorama de mes lectures achevées. Merci Eduardo !

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La passe dangereuse

La passe dangereuse de Somerset Maugham, lu dans le cadre du challenge Solidaire 2023



Si j’ai beaucoup lu pratiquement toutes les nouvelles de Somerset Maugham, je ne m’étais jamais risquée à lire un de ses romans, pourtant aussi réputés que ses nouvelles. La passe dangereuse est un court roman (moins de 200 pages).



Ma première impression après avoir lu quelques pages de ce roman écrit en 1925 : c’est la version anglaise de Madame Bovary de Gustave Flaubert, dont l’action se passerait à Hong Kong, alors colonie britannique. Kitty, une jolie écervelée a épousé à vingt-cinq ans Walter Lane, un bactériologiste timide, peu charismatique et plus âgé qu’elle simplement pour ne pas rester vieille fille après que sa jeune sœur se soit fiancée avantageusement. A Hong Kong, elle devient rapidement la maîtresse de Charlie Townsend, un haut fonctionnaire marié et promis à un bel avenir. Quand il découvre son infortune, le mari trompé imagine une vengeance terrible.



Si les grandes romancières anglaises du XIXème siècle, Jane Austen en tête, pensaient que la vie de leurs héroïnes se terminait avec le mariage, Somerset Maugham lui pense que le mariage n’est pas une fin en soi, mais le début de nouvelles aventures. Sous le soleil des tropiques, le tempérament flegmatique britannique se trouve mis à mal par les passions et les désirs.

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Mrs. Craddock

Quand Bertha Ley se retrouve orpheline quelques mois avant ses 21 ans, elle retourne s'installer dans le domaine paternel, Court Leys dans le comté de Kent, au bord de la mer. Sa tante Polly est venu auprès d'elle, une jeune Anglaise ne pouvant vivre seule...Mais sa solitude est de courte durée car elle s'éprend d'un des fermiers du domaine, le solide Mr Craddock. Le mariage est célébré rapidement malgré les réticences de son entourage et les commérages liés à la différence de classe. Mais alors qu'Edward Craddock s'impose comme un maître des lieux attentif, travailleur, infatigable et d'une humeur toujours enthousiaste, apprécié de tous, Bertha est de plus en plus déçue par ce mari inculte et grossier qui s'endort tous les soirs épuisé par sa vie au grand air et l'estomac plein, ignorant la ferveur amoureuse de sa jeune épouse…



L'incompréhension s'installe, une grossesse douloureuse accentue le sentiment d'abandon de la jeune femme. Elle quitte quelques mois le foyer conjugal, rejoint tante Polly en Italie puis à Londres, vit une idylle platonique avec un jeune homme dont elle comprend à temps la frivolité et revient vivre auprès d'Edouard qu'elle a cessé d'aimer. Ce dernier meurt d'un accident absurde, du à sa stupide assurance. Et reprenant son livre - car c'est dans les livres que Bertha découvre ce qu'elle n'a pas trouvé dans la vie - elle s'apprête à devenir une de ces dames anglaises, libre et indépendante, portant sur le monde un regard sage mais désabusé.

Bertha est la figure d'un monde qui s'éteint, rêveuse et romantique, insatisfaite de son mariage bourgeois avec un homme qu'elle a idéalisé. Edward est un être vulgaire et content de lui, mais positif, travailleur, pragmatique et qui plaît. Tout les oppose et Somerset Maugham s'amuse de cette bêtise satisfaite qui s'oppose aux idéaux de son héroïne. Et nous offre un roman délicieusement anglais plein d'humour et de finesse.
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Les quatre Hollandais et vingt-neuf autres ..

J'ignorais tout de Somerset Maugham avant d'ouvrir ce recueil. Et dès les premières pages, j'ai été ébloui par son talent. Ses nouvelles sont de véritables bijoux. Maugham possède un don extraordinaire de conteur. Il vous raconte une anecdote de voyage, un souvenir lointain ou vous retranscrit l'histoire racontée par un ami lors d'un dîner ou par un inconnu rencontré au hasard. Vous voici plongé en quelques mots dans un récit à forte tension dramatique. Il vous narre les destins exceptionnels d'individus qui ont choisi de sortir des sentiers battus en quête d'une liberté totale. Ou bien il évoque ces existences d'abord ordinaires qui, enivrées par une passion irraisonnée, prennent un cours tragique. Ces nouvelles ont des cadres très variés : le pont d'un vapeur traversant l'océan indien, le salon d'un club réservé aux colons en Malaisie, une plage de galets à Capri, une prison londonienne ou même une île perdue de l'Océanie... Il parvient à peindre ces décors désuets et exotiques en quelques touches simples et efficaces. Les personnages sont décrits avec une grande finesse psychologique, qu'il soient ordinaires ou fantasques. Ces histoires, ces instantanés d'existence, lui permettent de délivrer des considérations morales ou philosophique, parfois mordantes, toujours clairvoyantes sur la nature humaine. Comme il l'écrit dans "Un homme de scrupule" : "notre intelligence de la nature humaine ne sera jamais complète. Une seule chose est sûre : elle ne cessera jamais de nous surprendre."

Ce recueil vous offre l'opportunité de déguster trente nouvelles de grande qualité et de redécouvrir un auteur oublié à tort.

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Amours singulières

Ce qui est pénible avec les titres bien trouvés, c'est qu'il est difficile de parler du livre après sans avoir l'impression de répéter laborieusement ce que tout le monde a déjà compris. Amours singulières, donc, est un recueil de nouvelles qui parlent toutes d'amours singulières : grande différence d'âge, amour sans espoir, être aimé extravagant, ...



Chaque texte est un petit bijou à savourer. La modernité des relations décrites, qui feraient sans doute toujours jaser aujourd'hui, tranche avec le charme désuet de l'écriture. Une petite touche d'humour anglais est toujours présente entre les lignes, et les chutes font pétiller les neurones.



Ayant trouvé ce recueil dans une boîte d'échange de livres de ma commune, je craignais de tomber sur un roman à l'eau de rose. Je suis ravi de découvrir qu'il existe des gens de bon goût dans mon voisinage, et j'espère qu'ils continueront à m'approvisionner en livres de cette qualité !
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Servitude humaine

Pour découvrir William Somerset Maugham j’ai choisi ce roman, apparemment le plus connu (en tout cas il fait partie des romans préférés des britanniques), bien que ce soit un gros pavé au titre énigmatique, voire peu attirant. Le titre est en fait le début d’une citation latine du philosophe Spinoza : « De servitute humana seu de affectuum viribus » (« A propos de la servitude humaine ou du pouvoir des émotions »). En fait ce gros pavé est un roman d’apprentissage qui se lit tout seul. Philipp, le héros, est sympathique et attachant. J’ai suivi avec plaisir son histoire, pleine de hauts et de bas, ses tergiversations sur ses études et son avenir (comptable, artiste peintre puis médecin !), ses déboires amoureux avec Mildred, une épouvantable garce dont on ne cesse de se demander ce qu’il lui trouve, ses questionnements philosophiques sur le sens de la vie, sa situation financière fluctuante, … C’est très bien écrit, à la fois fluide et très vivant, les personnages secondaires sont très soignés, l’auteur nous plonge dans des milieux sociaux divers et variés. Malgré des événements historiques qui situent bien l’action au tout début du XXème siècle, tout (les situations, les comportements, les mentalités, …) me donnait furieusement l’impression du XIXème siècle. Peut-être parce que le XXème siècle tel qu’il est dans notre imaginaire n’a commencé qu’avec la guerre de 14-18 ! Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un chef d’oeuvre, c’est, de mon point de vue, un très bon roman qui me donne envie de lire d’autres livres de Somerset Maugham qui a tout l’air d’un auteur talentueux.
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La passe dangereuse

Une poignée en porcelaine qui tourne sur une porte fermée à clé. Une heure, en plein milieu de journée qui n’est pas celle habituelle du retour du mari. La frayeur qui terrorise Kitty au bras de son amant. Somme toute une découverte d’adultère tout à fait classique, nette et sans équivoque pour le mari trompé, même s’il s’en retourne sans rien dire… Deux jours s’écouleront, glacials, avant qu’il ne décide de la suite à donner face à cette découverte.



L’auteur nous fait alors considérer les bases mouvantes de ce couple. Pour devancer sa sœur cadette qui vient de se fiancer, pour enfin répondre à l’envie impérieuse de sa mère de la voir quitter le foyer au plus vite, Kitty s’est finalement mariée sans amour, sans même une once d’intérêt, à Walter, un bactériologue pas bien grand, à l’air grave presque hautain, exagérément courtois, dépourvu d’humour et de naturel mais très épris d’elle. Ce mariage lui a surtout permis de fuir sa famille pour suivre Walter en mission à Hong Kong.

Mais Kitty pensait bien mériter mieux et n’éprouve que dédain, agacement et mépris envers son époux. Même sa condition n’est pas assez élevée dans cette colonie et la perception qu’il n’est qu’un subalterne l’exaspère. Alors lorsqu’elle a rencontré l’élégance, le charme, l’attrait lumineux des beaux yeux de Charles Townsend, elle ne pouvait que succomber, follement, sans aucun scrupule.



On pencherait à détester cette Kitty, à s’apitoyer sur Walter, mais c’est loin d’être aussi simple que cela dans ce petit roman finement psychologique et profondément humain.

La sagacité de Walter donnera à sa femme un ultimatum dont il connaît l’issue avec certitude et les mènera vers Mei-tan-Fu où sévit une terrible épidémie de choléra. L’attitude glaciale de son époux se manifestera dans son regard fuyant, son économie de mots et la totale absence de sourires. Elle sera confrontée à la mort dès son arrivée avec le départ d’un cercueil qui croisera ses porteurs terrifiés.

Dans cette description d’adultère et de ses cruelles conséquences, l’auteur s’est attaché plus étroitement à l’évolution de Kitty. Maniant un style simple mais percutant, il montre avec perfection le renversement d’impressions chez la jeune femme. Dans son exil, elle apprendra à juger plus justement les autres, dont son Charlie tant adoré, et à se détailler elle-même. Son mépris changera de camp « Jadis, elle méprisait Walter ; maintenant elle se méprisait elle-même. »



L’amour de Walter que l’on découvre dans les dialogues bouleverse, alors que chez Kitty, c’est la douleur et les conséquences d’être aimée.

Le contexte et les lieux, bien que discrètement esquissés, n’en demeurent pas moins prégnants : la supériorité coloniale des anglais utilisant les porteurs, les coolies, l'amah, l’abnégation des religieuses se portant volontaires dans les orphelinats de ces contrées chinoises éloignées, la honte et la disgrâce d’un divorce chez une femme…



C’est un très joli roman, sur la tragique ascendance que certains êtres exercent sur le destin des autres, sur les heurts de personnalités dissonantes et surtout, cernée par la peur et la mort causées par le choléra, sur l’éveil de sentiments et d’aspirations nouvelles qui se font jours chez Kitty.

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