Le temps s'arrête lorsqu'on lit se genre de livre. C'est comme si je rentrez moi-même en méditation.
Chaque conte nous apprends quelque chose, apporte une morale ou une évidence qui pourtant nous échappe. Quel dommage que cela nous échappe surtout par les temps qui courent.
Je le relierai avec plaisirs. Ça fait un bien fou.
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Un autre opus d'une collection remarquable de sens. Les textes ici choisis renouent avec le versant extrême-oriental pour le plus grand bonheur du lecteur qui plongera dans la beauté de ce grand-petit livre. Indispensable !
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À l’époque des Tang, le moine Guanxi Zhixian avait étudié le chán auprès du fameux et redoutable Linji qui enseignait avec des cris et des coups. Ayant atteint un premier stade de l’Éveil, mais pas encore entièrement libéré de son ego, il s’était mis à pérégriner, allant visiter d’autres maîtres pour éprouver sa propre réalisation spirituelle.
En ce temps-là, une femme du nom de Moshan Liaoran défrayait la chronique du bouddhisme. Disciple de l’excentrique Ta-yu, celui qui avait porté le coup décisif provoquant justement l’Illumination de Linji, elle était devenue supérieure d’un important monastère perché sur une montagne. Sa compréhension du Dharma était telle qu’elle attirait de nombreux adeptes.
La communauté monastique y était mixte, l’abbesse enseignait aussi bien à des nonnes qu’à des moines, en complète contradiction avec les règles du Vinaya. Voulant savoir si la réputation de Moshan n’était pas surfaite, Guanxi Zhixian décida d’aller la défier. Il s’était promis que s’il gagnait la joute oratoire, il renverserait le siège du Dharma de la supérieure et que s’il perdait, il deviendrait son disciple. Quand l’abbesse reçut le moine, elle lui demanda :
– D’où venez-vous ?
– De la route qui débouche ici.
Pressentant l’arrogance du moine et passée maître dans les jeux du langage, elle répondit en posant l’index sur ses lèvres qui esquissaient un sourire :
– Pourquoi ne pas l’avoir fermée pour pénétrer en ce lieu ?
Avec cette image, elle invitait son interlocuteur à se défier de lui-même et le moine en resta bouche bée un moment.
Il l’attaqua enfin sur son niveau de réalisation, voulant lui aussi jongler avec le sens des mots. Comme le nom de l’abbesse veut dire en chinois « sommet de la montagne », il formula ainsi sa question :
– Où se tient donc la cime du mont ?
– Elle est cachée à vos yeux par un nuage blanc, répondit-elle, signifiant que son interlocuteur, aveuglé par son mental, ne pouvait percevoir sa Nature de Bouddha.
Le moine présomptueux porta son attaque suivante sur sa nature féminine :
– Quelle apparence a donc revêtu ce maître qui se tient sur la montagne ?
Affirmant que l’Éveil était au-delà des distinctions, elle répondit :
– Pas de forme définie, ni homme ni femme !
L’impénitent débatteur s’aventura à demander encore :
– N’est-il pas écrit qu’une femme ne peut atteindre l’Éveil suprême si elle ne s’est pas réincarnée en homme ? ! Pourquoi ne pas se transformer ?
Après avoir éclaté de rire, la nonne répondit finement en faisant référence aux pouvoirs attribués aux esprits surnaturels :
– Je ne suis pas une Femme-renarde, alors pourquoi me métamorphoser ?
Ne trouvant plus rien à répliquer, Guanxi Zhixian s’inclina devant l’abbesse comme un disciple devant son maître.
Après l’avoir fait travailler trois ans dans le jardin du monastère, elle en fit l’un de ses assistants. Plus tard, devenu un maître chán réputé, il aimait à répéter :
– J’ai obtenu une demi-louche de Dharma de mon père Linji et une autre demie de ma mère Moshan.
Comme des fleurs colorées
dépourvus de parfum,
ainsi sont les belles paroles
de ceux qui ne les mettent pas en pratique :
Elles ne donnent aucun fruit
Ne demeurez pas dans le passé,
ne songez pas au futur; le passé s'est évanoui,
le futur n'est pas encore advenu.
Contemplez ici et maintenant le don du présent.
A propos des contes avec Pascal Fauliot et Patrick Fischmann (extrait)