Parfois brillant, érudit toujours, Fumaroli fait briller le carrosse de son intelligence, dont on regrette qu’il se transforme en citrouille lorsque ce conservateur s’attaque au contemporain (« La France des mécontents, souvent violents, ignore la gratitude », ose-t-il par exemple dans une allusion aux Gilets jaunes).
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En sens inverse, en 1901, l'historien d'art autrichien Aloïs Riegel (1858-1905) appliqua l'adjectif "tardif", cette fois au sens laudatif, récapitulatif, aux derniers siècles de l'Antiquité gréco-latine, dès lors affranchis des qualificatifs infamants de "Bas Empire", de "Décadence", ou de "Barbarie". On découvre (en France chez Huysmans et Gourmont) la puissante inventivité stylistique de cette période prétendument obscure en Europe de l'Ouest, période créatrice de l'art roman, avant de créer de toutes pièces l'art gothique, puis l'art gothique flamboyant. L'adjectif "tardif", a priori péjoratif et quasi-synonyme de "décadent", est devenu depuis lors quasi-synonyme de "sublime". Une véritable internationale interdisciplinaire de la recherche sur le style "tardif" et ses ambigüités s'est créée, dans le sillage d'un article célèbre du musicologue et philosophe francfortois Theodor W. Adorno (1903-1969). A son tour, en 1937, il reprenait à son compte le renversement sémantique de Riegel, et il appliquait aux oeuvres "tardives" de Beethoven (nommément, ses étranges Quatuors avec leur Spätstil), l'antique opposition longinienne* entre l'Iliade, oeuvre vigoureuse de la jeunesse de l'aède, et l'Odyssée, oeuvre crépusculaire d'un Homère vieillissant qui s'amuse à réciter des anecdotes et à enchaîner des fragments.
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* longinien, longinienne : relatif à Longin, auteur antique supposé d'un traité sur le sublime.
Ni Winckelmann ni Goethe n'ont accordé beaucoup d'intérêt aux arts contemporains commandités par l'Eglise romaine ou par les princes catholiques, ils les confondent sous les qualificatifs méprisants de "baroque" et de 'rococo". A un ami, Winckelmann écrit en français, tant forte a été l'émotion des premiers jours à Rome : "Je suis l'un de ceux que les Grecs appellent 'opsimathes'" (c'est-à-dire, aux deux sens où l'entend Platon, ceux qui ont commencé tard à étudier, mais à temps, ou bien un 'trop tard', vacance d'étude difficilement réparable par l'étude). Winckelmann l'entend au second sens : endeuillé. Il ajoute en effet : "Je suis venu au monde et en Italie trop tard." Goethe se gardera bien d'aller dans ce sens, il est arrivé à temps en Italie, il s'y était préparé, et il y aura reçu à temps, en sa pleine maturité, une leçon spinoziste de sagesse et d'équilibre classiques.
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Cette émission "Une Vie, une Œuvre", consacrée à Boèce, dans laquelle intervient Marc Fumaroli, est diffusée le 11 juillet 1991, sur France Culture, et réalisée par Françoise Estèbe et Isabelle Yhuel. Autres invités : Philippe Hoffman, Colette Lazam, André Miquel et Michel Onfray.