Les milieux communistes ne se vantent évidemment pas de cette famine organisée par Staline dans les années 1930, qui a mené à l'extermination de 5 millions de victimes dont 3,9 millions d'Ukrainiens. Presque autant que le nombre de juifs et de tsiganes exterminés par les nazis, et peut-être plus car c'est le chiffre minimum. Cette extermination explique en partie les relations d'aujourd'hui entre les deux pays, mais aussi la condamnation de Staline par Khrouchtchev qui était ukrainien, lors de 20ème et 22ème congrès du parti communiste d'URSS. Ce livre fort bien écrit se distingue par une documentation très fouillée. Tout cela jette un nouveau regard sur le cynisme meurtrier de Staline, quelques années avant le traité d'amitié (sic) qu'il a conclu avec Hitler pour dépecer la Pologne et les pays baltes et se les partager.
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Au début des années 30, l'URSS connut la pire famine de son histoire. Il y eu environ 5 millions de victimes dont 80 % dans la seule Ukraine. Si la collectivisation forcée de l'agriculture fut le déclencheur, la situation tragique en Ukraine fut la conséquence de décisions purement politiques.
Arrivé au pouvoir, Staline décide d'un regroupement systématique des fermes (kolkhozes), les terres, les animaux et les machines appartenant alors à l'État, les paysans devenant salariés (payés en nature, pas d'argent, faut pas exagérer). Une certaine souplesse était alors la règle, les agriculteurs choisissant de se regrouper ou pas, suite d'ailleurs à une première famine dix ans plus tôt. Mais les objectifs de Moscou n'étant pas atteints et surtout les ukrainiens trainant la patte devant une telle politique, les pouvoirs décident alors de saisir non seulement les cultures destinées à l'export (l'URSS ayant un besoin vital de devises) mais également les semences, la culture vivrière, les animaux, les outils agricoles…
Résultat, les paysans se retrouvent sans rien, la production agricole chute plus encore et Moscou se fâche encore plus. Une situation d'autant plus dramatique qu'il est interdit aux paysans ukrainiens de se déplacer…
Au final, près de 4 millions de morts, soit plus de 10 % de la population, à cause de la faim. Une tragédie d'autant plus grave qu'elle résulte d'une volonté assumée de punir le peuple ukrainien, rebelle aux yeux de Staline.
Ce livre détaille précisément le processus de ce que les ukrainiens appellent l'Holodomor, de la révolution de 1917 aux conséquences contemporaines (et même si le livre date de 2017, il est plus que jamais d'actualité) et permet de comprendre l'hostilité d'une grande partie de la population ukrainienne envers le "grand frère slave". Les situations décrites dépassent l'entendement. Si certains passages sont difficiles et font douter de l'âme humaine, cet ouvrage permet à la fois d'éclairer ce qu'était le stalinisme, le mépris de Moscou vis-à-vis des paysans et de mieux appréhender le conflit d'aujourd'hui.
Une somme (près de 600 pages) absolument remarquable.
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Avec le magistral « Famine rouge », l’historienne Anne Applebaum décrit l’implacable mécanique de la famine ukrainienne en 1932-1934, produit de l’utopie soviétique.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Durant des siècles, la géographie de l'Ukraine a façonné son destin. Les Carpates traçaient sa frontière au sud-ouest, mais les doux champs et forêts au nord-ouest ne pouvaient arrêter les armées d'invasion, pas plus que la grande steppe ouverte à l'est. Toutes les grandes villes d'Ukraine - Dnipropetrovsk et Odessa, Donetsk et Kharkiv, Poltava et Tcherkassy et naturellement Kyiv, l'ancienne capitale - se trouvent dans la plaine orientale, qui s'étend à travers la majeure partie du pays. Ukrainien écrivant en russe, Nicolas Gogol observa un jour que le Dniepr coule au centre de l'Ukraine et forme un bassin. De là, "tous ces fleuves s'étendent vers son milieu, il n'y en a pas un seul qui baigne les bords et qui puisse lui servir de frontière naturelle". Ce qui avait des conséquences politiques : "S'il y avait eu une frontière naturelle de montagnes et de mer en bordure, les hommes qui se sont installés ici auraient gardé leur mode de vie politique et formé une nation séparée."
Tous les éléments de la Grande Terreur - suspicion, propagande hystérique, arrestations de masse organisées du centre - étaient déjà visibles en Ukraine à la veille de la famine [de 1932-1933]. De fait, la paranoïa de Moscou concernant le potentiel contre révolutionnaire de l'Ukraine persista après la Seconde Guerre Mondiale, jusque dans ls années 1970 et 1980. (p.197)
La famine fut plutôt le résultat de l'enlèvement forcé des vivres dans les foyers des habitants; des barrages routiers empêchant les paysans d'aller chercher du travail ou de quoi manger; des règles draconiennes des listes noires imposées aux fermes et aux villages; des restrictions sur le troc et le commerce; et d'une campagne hargneuse destinée à persuader les Ukrainiens de regarder, impassibles, leurs voisins mourir de faim. (p.404)
L’Ukraine – le mot veut dire « marche » (« région frontalière ») à la fois en russe et en polonais – fit partie de l’Empire russe entre le xviiie et le xxe siècle. Auparavant, ces mêmes terres appartenaient à la Pologne, ou plutôt à l’Union polono-lituanienne, qui en hérita en 1569 du grand-duché de Lituanie. Encore plus tôt, les terres ukrainiennes se situaient au cœur de la Rous kiévienne, l’État médiéval composé au ixe siècle de tribus slaves et d’une noblesse viking : dans les mémoires de la région, un royaume quasiment mythique dont se réclament les Russes, les Biélorusses et les Ukrainiens.
Alors même que a famine faisait rage, les bolchéviks vendaient secrètement de l'or, des œuvres d'art et des bijoux à l'étranger pour acheter des armes, des munitions et des machines industrielles. A l'automne 1922, ils se mirent à vendre ouvertement des produits alimentaires sur les marchés étrangers, alors même que la faim restait omniprésente. (p.98)
Les Matins - L?Europe est-elle naïve face à Poutine ? .http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-l%E2%80%99europe-est-elle-naive-face-a-poutine-2014-10-15 Anne Applebaum, journaliste américaine A été longtemps correspondante de The Economist à Varsovie Editorialiste au Washington Post et à Slate Historienne spécialiste de l?ex-URSS Vient de publier chez Grasset : Rideau de fer, l?Europe de l?est écrasée 1944-1956