Avec le suicide récent d'Oxana Shachko à Montrouge au sud de Paris, le 23 juillet dernier, à l'âge de 31 ans, c'est une autre page qui est tournée dans l'histoire mouvementée du mouvement "
Femen".
Comme la plupart d'entre vous, j'ai dans la presse vu les jeunes femmes de ce mouvement manifester, parfois seins nus et le buste griffonné de slogans, à Kiev, Odessa, Zaporoje, Minsk et ailleurs, sans savoir très bien ce qu'il fallait en penser exactement.
Le livre d'
Olivier Goujon, "
Femen - Histoire d'une trahison" paru l'année dernière, permet une approche de ce phénomène plus systématique que les nombreux entrefilets de valeur fort inégale parue dans la presse mondiale, car l'auteur suit "
Femen" depuis le début et a été aussi le tout premier à en faire des reportages. Bien que la 2e partie du titre "Histoire d'une trahison" m'ait intrigué.
Olivier Goujon, né à Saint-Malo en 1962, est licencié d'histoire à l'université de Rennes, détenteur d'une maîtrise de Sciences Politiques à Paris et diplômé de l'Institut Pratique de Journalisme, en 1989. Il est surtout connu pour une bonne centaine de reportages à des endroits aussi variés que le Kurdistan, l'Iran, la Syrie, la Birmanie, le Congo etc.
À ne pas confondre avec son homonyme, le réalisateur et acteur, né à Gien dans le département du Loiret, en 1978.
Oxana (ou Oksana) Shachko, née à Khmelnytskyï en Ukraine, à 250 km au sud-est de Lviv/Lvov/Lemberg, est une des 3 cofondatrices, en avril 2008, de "
Femen". Elle vivait, depuis 2013, comme réfugiée politique en France, de ses tableaux, surnommés "iconoclastes", par elle, car peints selon la méthode traditionnelle des icônes orthodoxes, mais avec des sujets très "modernes". Il y a tout juste 2 ans qu'elle avait organisé une exposition de son oeuvre à Paris, qui a eu des critiques très favorables. Selon Anna Hutsol, une autre cofondatrice du mouvement, Oxana se serait pendue et une note de suicide aurait été trouvée près de son corps. J'ai essayé de savoir ce que cette jeune artiste a bien pu laisser comme derniers mots, mais apparemment cette note n'a pas (encore) été rendue publique.
Femen est un mouvement original, créé dans le pays le plus corrompu et macho d'Europe, l'Ukraine, par la regrettée Oxana, Anna Hutsol et Alexandra "Sacha" Chevtchenko essentiellement pour l'obtention de droits égaux pour les femmes et contre les abus, notamment sexuels, dont les femmes sont victimes et par extension contre toutes sortes d'abus. le trio fondateur a été rejoint plus tard par
Inna Shevchenko, originaire de la Crimée.
Les démonstrations comme "l'Ukraine n'est pas un bordel" et actions spectaculaires de
Femen contre les politiciens véreux de leur pays et Poutine ont relativement vite entraîné des réactions de la police secrète ukrainienne et russe : observation quasi constante, harcèlement, infractions, détentions, agressions et brutalités. La situation s'est empiré rapidement et après avoir été battues sérieusement, elles commençaient à craindre pour leur vie et ont fini par chercher refuge à l'ambassade de France. En août 2013, les 3 fondatrices aterissent à Paris. Anna se rend en Suisse et Sacha et Oxana demandent l'asile politique en France.
Inna qui s'était installée un an avant à Paris, en 2012, y avait lancé "
Femen France" puis "
Femen International", qu'elle dirige de main ferme, grâce au soutien de
Caroline Fourest, entre lesquelles s'était d'ailleurs établie une relation 'personnelle'. La déception d'Oxana et Sacha est énorme. Déjà avant leur départ de Kiev,
Inna, dans un message Skype, les avaient prévenu "
Femen c'est moi, moi !" Et effectivement les 2 se trouvent isolées et, en fait, écartées des délibérations et activités d'un
Femen qu'elles ne reconnaissent pas. Ne parlant pas Français et attendant leurs papiers français, elles sont impuissantes face à
Inna fort décidée et les nouvelles recrues qui lui sont soumises. Il faudra à Sacha 330 jours et à Oxana 480 jours pour obtenir un passeport français, délais pendant duquel il leur est impossible de voyager à l'étranger.
Inna, aidée par son amie Caroline, qui était en bons termes avec le ministre de l'intérieur,
Manuel Valls, l'a reçu en un temps record de 49 jours.
Pas étonnant que Sacha et Oxana se sentissent trahies ! En plus, le genre d'activités menées par
Femen 'nouvelle formule' ne correspondaient plus aux actions périlleuses qu'elles avaient déployées en Ukraine. Ce qui explique le titre de l'ouvrage d'
Olivier Goujon "
Femen - Histoire d'une trahison". Sacha a entrepris des études et Oxana à faire ses icônes, foncièrement frustrées et loin de leur création.
L'auteur dans le cadre de la préparation de ce livre a pris contact avec
Caroline Fourest, l'auteure de "
Inna" parue 3 ans plus tôt, mais la polémiste médiatique a préféré ne pas réagir. Avec
Galia Ackerman, l'auteure du tout premier livre sur ce phénomène, "
Femen" de 2013 a eu plus de succès. L'écrivaine, dans un entretien, reconnaît avoir appris "à se défier d'
Inna", qui, selon elle, a emmené le mouvement dans une mauvaise direction.
Galia Ackerman estime que
Femen est "devenu un mouvement conformiste, dont la révolte s'inscrit dans un cadre désormais formel qui ne dérange plus personne". (page 320). Elle pense aussi que les actions à Notre-Dame et à la Mosquée de Paris ont desservi
Femen et aide Oxana et Sacha quand elle peut, "parce qu'elles sont des belles âmes".
Inna, dont la contribution pour son ouvrage avait été écrit par Fourest, a coupé les ponts.
La plus belle appréciation qu'
Olivier Goujon ait reçue pour son oeuvre vient de Sacha qui lui a adressé une lettre de remerciements pour sa détermination de chercher et de dire la vérité. Cette lettre, traduite par Léonide Aslanoff, a été rajoutée comme postface à l'édition de 2017.
Outre ces 3 livres, il convient de signaler les 2 ouvrages publiés par
Femen même : le "Manifeste" de 2015 et "Rébellion" de 2017, ainsi que le témoignage d'Éloise Bouton, "Confession d'une ex-
Femen" de 2015 et la BD de
Michel Dufranne "
Journal d'une Femen" de 2014.
Deux détails pour conclure :
La photo en couverture montre Sacha à gauche et Oxana à droite, en tenue
Femen, et a été prise à Paris, esplanade du Trocadéro, en juin 2016.
Le mot "
Femen" a sûrement été inspiré par "femme" en Français, car en Ukrainien ou Russe il ne veut rien dire ; en Latin par contre il signifie "cuisse".