C'est l'histoire d'amour compliquée entre
Paul Léautaud et
Marie Dormoy, celle-là même qui édita ses écrits et notamment son Journal Littéraire. Ce sont justement des extraits de ce même Journal qui sont ici proposés, dont on a gardé la version privée.
Dans les "entretiens radiophoniques avec
Robert Mallet",
Léautaud avoue que le sentiment amoureux n'existerait pas sans le désir charnel. Toute relation homme / femme est la recherche de ce commerce. L'écrivain se bat donc avec sa dulcinée, entre Paris et Fontenay où il réside, pour avoir satisfaction. Lorsque celle-ci se trouve mal disposée (et c'est assez souvent), les soupçons surgissent.
Léautaud est un véritable tyran avec la dame : elle doit lui rendre compte de son emploi du temps lorsqu'elle n'est pas avec lui.
On s'écrit des pneumatiques, des lettres – parfois tendres, parfois vachardes- Paul s'interroge, se rend malade, somme toute possède tous les symptômes du sentiment amoureux bien qu'il s'en défendît.
Au milieu de tout ce marasme, de ces relations compliquées, il retrouve un peu de sérénité, de bonheur même, au milieu de ses nombreux animaux et de sa chère solitude.
" C'est avec plaisir, plus même : avec bonheur, que je me retrouve seul chez moi ce soir. Je le dirai une fois de plus: je n'ai connu de bonheur que celui d'être ainsi seul, chez moi, avec mes rêveries même amères. On ne devrait ni désirer ni chercher aucun autre."
Jaloux de Marie comme jaloux de sa solitude qui lui permet d'écrire – sa véritable passion-
Léautaud trouve tout de même de bons moments sensuels. Mais dès qu'elle ne le satisfait pas comme il veut, la
jalousie, avec tout l'imaginaire qu'il peut concevoir, entre en lice. Que fait- elle chez Vollard? Est-elle vénale à ce point? Marie lui avoue ne pouvoir se passer d'un certain confort auquel, elle est habituée depuis longtemps et, pour cela, fréquenter des hommes riches comme Vollard ou Perret. Elle lui demande du cyanure au cas où ses ambitions ne se réaliseraient pas. Paul, sachant se contenter de peu est consterné:
"Ensuite, étendus côte à côte sur le lit, m'a renouvelé sa demande de lui procurer du cyanure. Comme je lui demande la raison et l'emploi : "pour me supprimer s'il m'arrive de n'avoir plus de quoi vivre." Je lui dis: "il ne peut arriver que tu n'aies plus de quoi vivre. Il ne peut t'arriver que d'être obligée de vivre un peu plus modestement. Se tuer pour cela, je te plains et je ne t'envie pas d'avoir ce caractère. Mais moi je suis près à aller vivre dans une mansarde, à manger du pain et du fromage. La vie n'est pas ce dont tu prétends ne pouvoir te passer. Vraiment je ne te fais pas compliment."
Ce passage m'a paru d'une telle résonnance avec notre époque de consumérisme et de paraître que l'on peut considérer son auteur comme un véritable décroissant.
D'autre part, dans ses réflexions poussées, ses demandes constantes d'aveux,
Léautaud peut faire penser au narrateur de "la Prisonnière" de
Proust, si justement, elle n'avait été prisonnière.
Liberté d'aller et de venir, certes, mais aussi soupçons constants, désir charnel, certes, mais aussi des ruminations d'adolescent amoureux. Touchantes malgré tout.
Chacun devrait s'y retrouver dans ses passions amoureuses : cette relation extrêmement personnelle tend à l'universel.