Les deux premières nouvelles de ce recueil pourraient laisser croire à un ton quasi sarcastique, tout au moins ironique : de l'enfant blanche enlevée par les Indiens et rendue à sa famille perplexe des décennies plus tard au hors-la-loi candide mais plus futé qu'il n'en a l'air, nous voici en pleine déconstruction du far-west mythique.
Mais Dorothy Johnson aime les cowboys ombrageux, les Indiennes héroïques et les chercheurs d'or madrés. Et loin de se moquer, elle magnifie l'épopée américaine en en révélant les fêlures, donc l'humanité. Qu'ils soient bon, brute ou truand, ses cowboys redoutent la solitude et leur coeur tendre ne résiste ni à l'appel de l'amour, ni à celui de l'amitié.
Si, comme moi, vous ne pouvez apercevoir Gary Cooper sur un coin d’écran sans qu'un long frisson ne joue à rebrousse-poil sur votre échine, lisez La Colline des potences. Mais si, comme moi, vous demeurez réticent(e) aux histoires courtes, vous préfèrerez la novella qui donne son titre au recueil et, midinet(te) assumé(e), vous succomberez aux amours tourmentées de Joe, le docteur fragile, et d'Elizabeth, la Femme à la Bonne Étoile...
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Des nouvelles : personne ou presque n'aime en lire. Du western : personne ou presque n'aime en lire. Et des nouvelles western ? Voilà une association dont on imagine aisément qu'elle ne doit pas faire recette, sentiment confirmé par le faible nombre de lecteurs de Dorothy Johnson sur Babelio : une petite centaine, soit 1 pour 200 lecteurs de Katherine Pancol... "La colline des potences" est pourtant une lecture tout à fait recommandable, et ce recueil de dix nouvelles (ou neuf nouvelles et une novella, pour être tout à fait précis) pourrait être apprécié même par ceux que le western n'attire pas. Certes, toutes ces histoires ont pour cadre l'époque de la conquête de l'Ouest, mais l'auteur ne cherche pas forcément à coller aux stéréotypes du genre. Le western selon Dorothy Johnson n'est pas qu'une affaire de cow-boys et d'Indiens, elle prend soin de donner également la parole à ceux qui restent d'ordinaire en arrière-plan : femmes, vieillards, enfants.
Cela est peut-être lié à l'époque de rédaction de ces nouvelles (les années 40-50, quand disparaissait la dernière génération d'Américains à avoir vécu la conquête de l'Ouest), mais on y retrouve souvent un même motif : celui d'une personne qui se souvient d'événements passés survenus dans ces régions autrefois sauvages et désormais apprivoisées. Par exemple, dans "L'homme qui connaissait le Buckskin Kid", un vieillard est interrogé par un journaliste au sujet d'une attaque de train menée un demi-siècle plus tôt par un célèbre bandit ; dans "L'histoire de Charley", un veuf raconte quelle fut la vie aventureuse de son épouse avant leur second mariage. Mais il ne s'agit pas toujours d'une personne âgée se remémorant ses vertes années. Ainsi, dans "Un présent sur la piste", le personnage principal est un jeune homme qui revient en des lieux où il estime s'être mal comporté durant son adolescence, en espérant faire amende honorable. Quant au narrateur de "Une sœur disparue" (anecdote sans doute calquée sur le personnage réel de Cynthia Ann Parker, cette femme capturée par des Comanches et qui ne put se réaccoutumer à la vie "civilisée" après sa libération), il s'agit d'un petit garçon de neuf ans au moment des faits relatés.
Chose rare pour un recueil de nouvelles, j'ai aimé chacune d'entre elles, aucune ne m'a déplu ni même laissé indifférent. Plusieurs fois je me suis dit, après ma lecture "celle-là, j'aurais voulu l'écrire !" C'est notamment le cas pour le superbe "Une époque de grandeur" : le récit tout simple d'un gamin qui passe un été à s'occuper d'un vieil aveugle, ancien pionnier et héros devenu légendaire, et qui à son contact voit un nouveau monde s'ouvrir à lui. Finalement, je crois que le texte m'ayant le moins convaincu est celui qui donne son titre au recueil, et qui est aussi le plus long. "La colline des potences" est intéressant, il nous donne une bonne idée de ce qu'était la vie des prospecteurs et des mineurs au temps de la ruée vers l'or, mais j'ai trouvé que le style de l'auteur, tout en concision et en précision, était parfait pour des nouvelles d'environ vingt pages et moins adapté à une histoire s'étendant sur une centaine de pages.
Après avoir fait cette belle découverte, je ne manquerai pas de me procurer "Contrée indienne", autre recueil de nouvelles de Dorothy Johnson, lui aussi publié aux éditions Gallmeister – un éditeur que je ne connaissais pas du tout il y a encore quelques mois et qui, mine de rien, commence à se faire une jolie petite place dans ma bibliothèque...
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- Y a un fusil pointé sur toi, vieux, a lancé un type. Approche-toi de la lumière, les mains en l'air.
C'était pas le moment d'enfiler mes bottes. J'ai obéi.
- T'es là depuis combien de temps ? a demandé un homme avec une moustache noire.
Ils étaient quatre. Tous armés.
- Combien de temps, on s'en fiche, a repris un barbu. Ou bien il est avec nous, ou bien il est mort.
- Je suis avec vous, j'ai répondu. C'est qui, vous ?
Le barbu a froncé les sourcils.
- T'as déjà convoyé du bétail en participation ?
- Juste contre un salaire. Je suis un cow-boy pas fainéant qui cherche une occasion.
- Elle vient de te trouver, a-t-il déclaré. On t'appelle comment ?
- Duke, j'ai fait.
- Certainement pas, a-t-il dit. Duke, c'est moi.
Il m'a regardé d'un sale œil à la lueur du feu et il a ajouté :
- Toi, tu t'appelles Leather.
- Ça m'étonnerait, j'ai répliqué. Je suis pas un dur à cuire. J'ai une peau tout à fait normale.
Brusquement, j'ai compris qui était Duke. Tout le monde le connaissait - c'était un des meneurs du Rough String. En fait, j'avais choisi de m'appeler Duke, peu de temps auparavant, à cause de la réputation qui entourait ce nom. J'ai ajouté poliment :
- Si tu le dis... Je m'appelle Leather.
- Allez chercher les bottes de Leather, a ordonné Duke. Servez une tasse de café à Leather.
C'est comme ça que j'ai changé de nom. Et c'est comme ça que je suis devenu un bandit. Pas plus compliqué que ça. Je me suis endormi honnête et fauché. Je me suis réveillé hors-la-loi et toujours fauché. Et incompris de tous.
Il se redressa et cala son dos avant d'écrire sur une page blanche :
Novembre 1868. Je m'appelle Edward Morgan, j'ai vingt ans. Je voyageais avec un groupe de Crows amicaux quand nous avons été attaqués par des Cheyennes. J'ai été séparé des autres et, en traversant un ruisseau, mon cheval est tombé sur moi, brisant sa jambe et la mienne. J'ai fait de mon mieux. Veuillez prévenir...
Il raya les deux derniers mots. Ils étaient trop brutaux. Il s'était apprêté à écrire : Veuillez prévenir Mlle Victoria Willis qu'Edward Morgan ne pourra pas rentrer pour l'épouser parce qu'il est mort de faim et de froid sous les racines d'un arbre quelque part dans le Territoire du Montana. Non, il pouvait procéder avec plus de douceur.
Juste avant de plonger dans le camp des chercheurs d’or de Skull Creek, la route enjambait le sommet d’une colline aride et passait sous la branche horizontale d’un grand peuplier de Virginie.
Une courte longueur de corde, récemment coupée, pendait à la branche et se balançait dans le vent lorsque Joe Frail emprunta cette route pour la première fois, à pied, en menant son cheval bâté par la bride. Le camp n’avait que quelques mois d’existence, mais on avait déjà pendu quelqu’un, sans doute à juste titre. Les prospecteurs, en général, s’intéressaient plus à l’or qu’aux pendaisons. Quand Joe Frail leva les yeux vers la corde, ses muscles se contractèrent, car il se rappelait la malédiction qui pesait sur lui.
Cela se passait avant que Crawford ne devienne une légende, et après qu'il eut cessé d'en être une, si l'on peut dire. Il était comme un dieu déchu. Il s'était couvert de gloire et avait trinqué avec ses pairs, il avait pris tous les risques et connu la souffrance, il avait gagné et perdu. Mais ses pairs étaient morts. Les chariots des émigrants avaient suivi vers l'ouest des pistes qu'il avait involontairement aidé à tracer, et tandis que la frontière se déplaçait toujours plus avant, des colonies s'étaient développées là où ses feux de camp n'avaient illuminé que la nuit vaste et silencieuse.
Quand il disparut, les historiens ressuscitèrent les légendes et se rendirent compte que la plupart d'entre elles étaient vraies. Il avait tendu des pièges pour attraper des castors et échanger leurs fourrures. Il avait vécu avec les Indiens et s'était battu contre eux. Il avait descendu l'impétueux fleuve Missouri et la Roche Jaune, ou Yellowstone, il avait vu une montagne de verre noir et l'endroit où l'enfer remonte à la surface de la terre, faisant jaillir de l'eau bouillante vers le ciel. Il avait participé aux conseils des chefs, il avait pris des scalps sans jamais perdre le sien. Mais à l'époque où je travaillais pour lui, il ne restait plus personne qui l'ait connu lorsqu'il était jeune, fort, au faîte de sa gloire.
En ce dernier été de sa vie, il n'était plus qu'un vieil homme aveugle, soigné par sa fille indienne.
Il avait prévu l'heure de sa mort, mais pas la manière dont elle arriverait. Il avait entendu le sifflement des balles, senti les vibrations des flèches cheyennes, hurlé sous les griffes du grizzly - autant d'éventualités qu'un homme menant la vie qu'il avait menée se devait d'envisager. Et il faut bien mourir un jour.