Il m'est parfois arrivé de faire l'éloge de telle ou telle profession intimement liée au
livre, comme celle de bouquiniste par exemple, ou bien au contraire d'en critiquer certaines qui me semblent nuire à l'idéal que je place dans le
livre et la littérature. Ainsi se comptent un géant américain de la distribution de A à Z sur l'internet ou encore quelques pratiques éditoriales particulièrement peu regardantes sur la qualité des produits proposés au lectorat. Permettez-moi aujourd'hui une nouvelle petite digression pour tenter un éloge, certes dérisoire mais sincère, à l'adresse d'une profession dont la mission est ô combien louable.
En effet, j'aimerais aujourd'hui célébrer — avant qu'ils ne s'éteignent, menacés qu'ils sont par les chasseurs sans scrupules susmentionnés — ces quelques éditeurs opiniâtres, petits et pauvres pour l'essentiel, travailleurs et exigeants, qui mettent encore toute leur âme dans ce métier, en publiant des auteurs moins connus, moins consensuels, mais avec un amour véritable de la littérature. Une idée chevaleresque de ce qu'elle devrait être, qui se battent pour qu'elle demeure un art et non seulement une marchandise périssable.
J'ai lu récemment deux de ces
livres étonnants, publiés sous la houlette d'éditeurs un peu auteurs eux-mêmes, et je voudrais même, non pas leur faire de la publicité, car cela j'en suis bien incapable, mais les célébrer moindrement. Il y a les éditions Sulliver dont j'ai lu et critiqué récemment l'ouvrage de
Bernard Thierry intitulé
Livre. Il y a aujourd'hui les adorables petites éditions Paul & Mike qui mettent à disposition des amoureux de la littérature ce recueil de nouvelles de l'élégant écrivain breton
Alain Emery.
À ces deux-là et aux quelques autres qui luttent pour leur survie (mais au travers de leur survie, c'est un peu la nôtre qui se joue aussi, nous, les lecteurs exigeants soucieux d'indépendance et d'une pensée plurielle) j'aimerais rendre un réel hommage et, faute de mieux, adresser un sincère remerciement. Votre courage force le respect, continuez longtemps de faire ce que vous faites, Mesdames et Messieurs les authentiques éditeurs, vous qui n'êtes pas seulement des marchands de
livres.
Me voici donc aux prises avec ce recueil de cinq nouvelles. Quatre d'entre elles sont courtes et la cinquième, plus longue à elle seule que les quatre autres réunies donne sont titre à l'ouvrage. On navigue toujours à la frontière entre le polar, la psychologie et le régionalisme.
La première nouvelle du recueil, intitulée Quatre Joueurs Attablés a de loin ma préférence (elle a d'ailleurs reçu le prix Calipso en 2011). Les autres, bien qu'animées des mêmes caractéristiques dans l'écriture (récits à la première personne, quelques belles formules percutantes) et dans le fond (des morts soudaines ayant l'air de suicides mais qui n'en sont peut-être pas tout bien considéré), m'ont un peu moins séduites.
Alain Emery aime plonger dans ce que l'humain a de plus sombre et détestable en lui mais qu'il garde soigneusement enseveli, à l'abri des regards indiscrets. Il y est donc fréquemment question de bas instincts (jalousie, ambition mal placée, acharnement collectif, violence conjugale, rumeur, ingratitude, etc.).
Mais ce qui intéresse
Alain Emery, ce n'est pas nécessairement le fin mot de l'histoire, c'est, un peu à la manière d'un
Dostoïevski, le processus psychologique qui a conduit à l'événement. Vous imaginez qu'on pénètre dans les gouffres les plus sombres du cerveau humain avec une mince lampe de poche…
Bref, un petit
livre à découvrir si vous souhaitez sortir un peu des blockbusters anglo-saxons ou scandinaves, retrouver quelque chose qui confine à la saveur régionale franchouillarde d'un
Maupassant, tout en ne lâchant rien sur les qualités d'écriture (ce qui n'est pas toujours le cas des blockbusters sus-mentionnés). Toutefois, gardez à l'esprit que ceci n'est que mon avis, plus frêle et balbutiant que la racine d'un fleuve, c'est-à-dire pas grand-chose.