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EAN : 9782207261460
448 pages
Denoël (30/11/-1)
3.13/5   71 notes
Résumé :
Un scandale éclate dans un lycée de jeunes filles : M. Saladin, le professeur de musique, est renvoyé pour avoir entretenu des relations coupables avec l’une de ses élèves, Victoria. Les camarades de classe de l’adolescente et sa jeune sœur se confient tour à tour à leur professeur de saxophone. Toutes sont en émoi, comme brusquement propulsées dans un monde de désir, de choix, de fantasmes dont elles pressentent obscurément qu’ils forgent la vie tout entière. Les a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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J'ai aimé, mais sans passion.

Je parle de quoi, à votre avis ? de ma vie ou de ce roman déroutant ? A votre avis ?
Eh bien, ce type de questionnement, je l'ai ressenti continuellement tout au long de l'histoire.

Le point de départ, c'est au lycée, dont une élève de terminale, Victoria, est sortie, ...sort, avec un prof de 30 ans, Mr Saladin. Et ça fait des vagues...Et des vagues ! du psychologue de l'école à la professeur de cours particuliers de saxo, en passant par l'Institut d'Art dramatique de cette ville ; de la jeune soeur de 15 ans, Isolde, en passant par les autres filles de l'école, et d'une fille en particulier, Julia, supposée lesbienne, des mères autoritaires ou effondrées, jusqu'à Stanley, élève acteur.

Ces vagues psychologiques constituent la trame de l'histoire. Mais ces vagues sont aussi théâtrales, elles passent continuellement de l'illusion à la réalité, sans même qu'on sache (que je sache, en l'occurrence), où se trouve la frontière.
L'auteure décortique le fonctionnement des sentiments, et je lui rends hommage pour cela. C'est très fin, les fils ténus reliant chaque raisonnement, chaque sensation sont mis à jour. Les condisciples de la jeune fille qui a préféré un adulte sont-elles jalouses ? Se sentent-elles flouées ? Et les mères, auront-elles encore du pouvoir sur leurs filles ? Et la jeune soeur ? Veut-elle attirer l'attention sur elle ? La prof de saxophone qui recueille quelques confidences use-t-elle aussi de son pouvoir ? Qu'est-ce que c'est, avoir de l'influence sur quelqu'un ? Et qu'est-ce qu'un enseignant, un bon professeur ? Et l'amour, l'Amour ?
L'auteure analyse également à fond l'illusion théâtrale : qu'est-ce que le théâtre ? Un acteur est-il encore lui-même quand il joue ? Qu'est-ce que les autres voient de lui ? Jusqu'où peut-on oser la réalité ? Et est-ce la réalité, ce qui est joué ?
Par un continuel jeu de miroirs, l'auteure m'a perdue, m'a reconquise, m'a exaspérée aussi, souvent. Je déteste errer dans un labyrinthe de glaces.

Bref, un roman sur lequel je pourrais écrire une thèse, je pense.
Mais c'est là le problème : à partir du moment où tout est décortiqué, analysé, perfusé, fouillé, trituré, le rêve s'envole, le coeur démissionne. Nulle part je ne me suis sentie accrochée par ces fils ténus, emportée. L'analyse froide et à plat me scotche intellectuellement mais ne me fait pas décoller. Et si en plus, je m'y perds, alors là....

Alors, oui, j'ai quand même aimé ce roman, mais sans passion.
5/10
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Livre pris un peu par hasard, motivée par le résumé de quatrième couverture: un scandale autour d'une liaison entre un professeur de musique et une élève dans un lycée de jeunes filles... J'ai eu envie de voir le traitement donné à ce récit.

Et je n'ai pas été déçue. Eleanor Catton, jeune Néozélandaise, a publié ce premier roman très prometteur à seulement 23 ans. Elle offre au lecteur une intrigue originale tant sur le fond que sur la forme. Elle ne s'attache pas uniquement à la description pure et simple de l'événementiel, ni ne multiplie les détails croustillants. Pour prendre l'image des ondes provoquées sur l'eau par la chute d'une pierre, cette pierre étant la liaison illicite, Eleanor Catton s'applique plutôt à décrypter les ondes.
Elle dresse toute une série de portraits essentiellement féminins, mêlant fantasmes, peurs, attentes des adolescentes, frayeur d'une sorte de contagion de la part des parents. Les personnages défilent chez la professeur particulière de saxophone, femme mordante et qui ne mâche pas ses mots. Ce studio de répétition finit par s'assimiler au confessionnal ou au divan du psy, selon les caractères. Même si on n'y dit pas forcément la vérité, jeu de miroir entre les désirs et la réalité.

L'auteur révèle le monde mouvant de l'adolescence, ses tabous, ses non-dits, ses us et coutumes d'une semaine ou d'un mois, ses coteries, son hypocrisie, ses traumatismes, ... Chacun semble jouer un rôle, sous l'oeil vigilant de la communauté. Et gare à celui ou celle qui désire sortir des sentiers battus! Eleanor Catton montre la force de la majorité, écrasant les différences sous peine d'exclusion.

Le roman n'est pas forcément d'un abord simple, du fait d'une chronologie non linéaire et comme destructurée. Pourtant, une fois habitué, on y trouve un réel plaisir de lecture.
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Scandale au lycée, le professeur de musique est accusé d'avoir eu une relation sexuelle avec l'une de ses élèves, Victoria.
À partir de là, on assiste aux réactions des proches : parents, soeur, amies, professeurs, étudiants en art dramatique ou musique, et ce sans qu'à aucun moment les deux protagonistes n'interviennent directement dans le récit. Rivalité, jalousie, manipulation... Sentiments ou émotions sont habilement décrits.

L'adolescence est le sujet central de ce roman. "Les ados ont une telle conscience d'eux-mêmes, chacun d'eux est son propre public, le spectateur intransigeant de ses transformations, de son corps, de ses limites. L'adolescent a déjà tous les attributs d'un adulte, sans en assumer les responsabilités."

Parallèlement à ce fait divers, on assiste également à la mise en scène de cette relation par le groupe d'étudiants en théâtre, puisqu'ils décident d'en faire le clou de leur spectacle de fin d'année. J'ai adoré toute cette partie où le jeu théâtral est mis à l'honneur, où les exercices de comédiens révèlent les personnalités de chacun.

Le récit est donc construit par étapes sans suite logique. On saisit des instants, des fragments de cette relation, soit à travers les témoignages des personnages, soit à travers les scènes jouées par les étudiants. Et au final, on a beaucoup de mal à cerner les personnalités de deux héros. Où se situe la réalité ?

Ainsi, Eleanor Catton construit l'identité de ces deux personnages à travers le regard des autres. Quel est le rôle de chacun dans cette histoire ? C'est bien un roman troublant sur la perception qu'ont les autres de nous. C'est aussi un roman sur la période troublée de l'adolescence, répétition de l'âge adulte ?
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Voici un livre pour le moins original ! On n'y entre pas facilement, mais cela vaut le coup de forcer la porte…

L'argument de départ, un scandale sexuel dans une école. Monsieur Saladin, le professeur de musique, est accusé d'avoir abusé de Victoria, une élève qui n'a pas encore fêté ses 18 ans. L'histoire provoque deux ondes de choc. La première, ce sont les réactions des élèves, et plus particulièrement de la jeune soeur de Victoria, Isolde. La deuxième nous entraîne dans une école de théâtre où les élèves de première année ont choisi de représenter ce fait divers pour le spectacle de fin d'année. En coulisses, les adultes mènent la danse : Julia la prof de saxo, les enseignants de l'école de théâtre et le psy essaient de prendre en charge ce petit monde qui oscille entre fantasme et raison.

Eleanor Catton utilise un ton provocateur qui permet aux non-dits de s'exprimer clairement. Elle joue des effets théâtraux en se servant des pratiques de l'improvisation. L'intime est exposé sur la scène : ici on parle de désir, de perte de l'innocence ( si elle a jamais existé), on répète son propre rôle, celui que l'on jouera toute sa vie, avec parfois l'envie de jouer le rôle d'un autre, comme si les personnages étaient interchangeables. Catton associe la maîtrise de l'écriture à l'énergie de le jeunesse.
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Coup d'essai, coup de maître.

Je me suis laissée happer dès les premières pages par ce roman envoûtant et protéiforme, tour à tour roman d'apprentissage, fable perverse sur l'éveil de la sexualité et réflexion sur la représentation théâtrale. Eleanor Catton signe une oeuvre forte et dérangeante, dans la veine d'une Laura Kasischke, elle-même brillante conteuse et peintre de la noirceur adolescente. Derrière une écriture délicate et sensuelle se cache en effet un univers machiavélique, dont personne, pas même le lecteur, ne sortira indemne.

L'auteur entretient volontairement une certaine ambiguité : Victoria était-elle consentante ? A-t-elle été violée ? L'incertitude alimente le malaise, et suscite bien des jalousies. Perturbées, les jeunes filles se confient volontiers à leur professeur de saxophone, qui les voit défiler chaque semaine dans son studio. On s'attache rapidement à Isolde, la soeur de Victoria, à peine sortie de l'enfance, fraîche fleur sur le point d'éclore. On se prend de pitié pour Bridget, adolescente mal dans sa peau et complexée, constamment dénigrée par sa mère et invisible aux yeux de tous. On admire la force de caractère de Julia, jeune femme indépendante qui vit pleinement ses désirs et son homosexualité. le choix du saxophone comme dénominateur commun n'est évidemment pas anodin. A-t-on jamais vu instrument plus sensuel et plus masculin ? J'ai tout de suite été séduite par cet élément incongru, qui en dit long sur l'originalité du roman.

J'ai retrouvé avec plaisir l'univers des écoles de musique et des cours de théâtre, que j'ai beaucoup fréquentés durant ma folle jeunesse. La prof de saxophone est ici un personnage savoureux, qui semble vouloir constamment tirer les ficelles. On peut y voir le double de l'auteur, manipulant ses personnages comme des marionnettes au gré de ses propres désirs. Dans sa bouche fleurissent de superbes répliques, des propos parfois énormes, qu'elle assène nonchalamment à ses élèves ou à leurs parents. le trait est souvent à la limite de la caricature, mais procure au lecteur un plaisir pervers.

Il m'arrive rarement de prendre des notes au cours de mes lectures, mais je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager ces quelques lignes, qui vous aideront peut-être à cerner le personnage :

"Quelquefois, pour s'amuser, la prof de saxophone essaie de s'imaginer ce que donnerait une autre distribution. Elle s'imagine la fille qui joue Bridget dans le rôle convoité d'Isolde, opère la conversion en esprit, lissant les pauvres cheveux qui ne ressemblent à rien en un rideau uni qui tombe, soyeux, à partir de la raie au milieu, appliquant du rose aux joues et imprimant à ces traits qui s'y prêtent si peu l'expression à la fois insouciante et blessée qui est devenue la marque d'Isolde." (page 152)

Et si la vie n'était qu'une représentation, un simulacre d'existence ?
Quelle idée fascinante ! La Répétition nous propose ainsi une intéressante réflexion sur le théâtre. A travers le personnage de Stanley, jeune apprenti-comédien récemment admis à l'institut d'art dramatique local, nous découvrons les dessous de la représentation théâtrale. Stanley fait l'expérience du Théâtre de la Cruauté. Mais qu'est-ce donc ??? N'étant pas omnisciente, je reconnais volontiers avoir usé des services de mon ami Google pour écrire la suite de mon billet !

Intermède culturel :
Le Théâtre de la Cruauté est une théorie développée par Antonin Artaud (1896-1946), selon laquelle le théâtre consiste à projeter notre monde intérieur dans l'espace scénique, replaçant ainsi l'homme au centre de la création. le comédien privé de repères se retrouve alors plongé dans un monde sauvage et violent, accédant de cette façon à une dimension sacrée, métaphysique, pouvant conduire le spectateur jusqu'à la transe.
Fin de l'intermède culturel.

Difficile dans ce contexte d'identifier la limite entre le jeu et la réalité. Eleanor Catton établit une analogie avec les rôles que nous sommes amenés à interpréter tout au long de notre vie, parfois à l'insu de notre plein gré. Les jeunes héros du roman en font l'amère expérience : devenir adulte, cela signifie endosser un nouveau rôle, l'incarner sans commettre d'erreur, et en subir les désagréments. Cette initiation se fait bien souvent dans la douleur...

Tout cela est passionnant, d'autant plus que La Répétition est un roman admirablement construit, d'une grande originalité formelle. Je n'en dévoilerai pas plus ici, ne souhaitant pas gâcher le plaisir de la découverte ! J'ai personnellement été un peu déroutée par les toutes dernières pages, que je ne suis pas sûre d'avoir bien interprétées : la frontière entre réel et imaginaire se brouille, on ne sait plus très bien ce qui est du domaine du fantasme, de la représentation. Cela est évidemment voulu par la romancière, qui souhaitait que le lecteur continue à se poser des questions après avoir refermé le livre. Objectif atteint (et de quelle manière) !

Il semblerait que La Répétition se soit taillé un beau petit succès critique, en France comme à l'étranger. Je ne suis donc pas la seule à avoir apprécié le style et l'univers de Miss Catton. J'attends maintenant avec curiosité son prochain ouvrage.

Une oeuvre fascinante, d'une richesse et d'une maturité étonnantes. Un coup de coeur !
Lien : http://leslecturesdeleo.blog..
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critiques presse (6)
Telerama
19 octobre 2011
Démantelant les certitudes du lecteur, Eleanor Catton semble peindre ses personnages d'après les multiples perspectives suggérées par la surface d'un miroir craquelé. Une sensation accentuée par une narration qui avance - et recule - par tableaux, telle une mosaïque dévoilant progressivement une fresque protéiforme et kaléidoscopique : la réalité, l'imagination et la fiction théâtrale s'entremêlent, sans solution de continuité.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
28 septembre 2011
Malgré quelques tunnels et des digressions encombrantes, cette Répétition est un beau roman sur les tartuferies sociales, sur le "mentir-vrai" cher à Aragon et sur les ambiguïtés de l'adolescence, lorsque le diable s'échappe des coulisses pour semer la zizanie.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LaLibreBelgique
27 septembre 2011
Intrigante et déjouant les certitudes, Eleanor Catton n’avait que vingt ans lorsqu’elle a écrit de main de maître ce roman en forme de pénétrante réflexion sur les charnières de l’existence. Une ode aux premières fois, avant que tout ne soit que répétition.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LePoint
19 septembre 2011
Écrit par Eleanor Catton, jeune première néo-zélandaise aujourd'hui âgée de 26 ans, ce livre très théâtral met en scène le bourgeonnement du désir comme la quête des identités. Un roman troublant sur un âge troublé.
Lire la critique sur le site : LePoint
LeMonde
26 août 2011
Roman, théâtre - ou les deux ? Indéniablement roman, et pourtant. La Répétition, d'Eleanor Catton, remarquable premier roman, respire le théâtre. Jusqu'à son titre.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
26 août 2011
L'art d'Eleanor Catton est remarquable de naturel. Son texte si construit sonne juste. Sans fausse note. Une révélation.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Qui, parmi toutes les filles de notre année, qui donc a le plus de chances de virer lesbienne ?
Cette dernière question déclenche toujours des cris et des claques et des hoquets hilares. Elles soupèsent en esprit celles qui ont le moins de noms à leur tableau de chasse, celles qui sont momentanément en disgrâce ou un petit peu moins bien de leur personne. L'impopularité, le mutisme, l'introversion studieuse, la moindre réticence à marcher sur les pas du plus grand nombre - ce sont là autant de symptômes, de l'avis unanime des filles qui s'agglutinent pour poser leur diagnostic. Elles lancent des noms tout haut et se tordent de rire comme un sabbat de sorcières écervelées pour jeter un mauvais sort.
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- C’est une façon intéressante de voir les choses, dit la prof de saxophone.
- Moi je veux une excuse, insiste Julia. Si on découvre que j’ai été traumatisée, ce ne sera plus de ma faute. Ce ne sera pas dégouttant, ce sera tragique. Ce sera un effet – l’effet d’une cause qui n’est pas en mon pouvoir. Je serai une pauvre victime.
- Vous voulez toutes être traumatisées, éclate soudain la prof de saxophone. Toutes. S’il y a bien une chose, une seule, que toutes mes élèves ont en commun, c’est ça. C’est le thème que vous déclinez, toutes, des variations : le désir suprême d’être victime. Vous y voyez le seul moyen pratique de prendre l’avantage sur vos copines, et vous n’avez pas tort. Si j’abusais de toi, Julia, je te rendrai un service formidable. Je te donnerai carte blanche pour une orgie d’autodétestation et d’apitoiement sur toi-même où aucune des tes camarades ne pourrait espérer rivaliser.
- Oui, c’est bien ce que je me tue à vous dire, approuve Julia.
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M. Saladin a laissé derrière lui un méfiance singulière, tout ensemble ingénue, fasciné et aguichante, qui a ravagé mes élèves comme un virus. La jeune fille violée est suivie partout où elle va de chuchotements et de coups de coude et d'une jalousie aveugle et endolorie. Lorsque les lumières s'éteignent, les parents pleurent et se demandent l'un à l'autre ce qu'il lui a fait, mais c'est une toute autre question qui tracasse les filles : qu'est-ce qu'elle a fait, elle ? Qu'est-ce qu'elle sait maintenant qui la rend tellement dangereuse, comme la lente fuite ambrée d'un gaz nocif ?
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- Si tu t’imagines les cheveux sagement nattés, ton kilt bien repassé, en train de jouer Sweat Georgia Brown au ténor à la remise des prix de ton lycée, si tu te vois déjà prendre la pose, le parfait petit agneau sous les projecteurs, je suis désolée, tu n’y es pas.
Les ongles de la prof de saxophone sont rouges sang aujourd’hui, des ongles qui battent doucement un rythme tandis qu’elle enchaine :
- Ce n’est pas la langue du saxophone. Le saxophone parle la langue des bas-fonds, l’argot blasé et mélancolique du demi-jour – sale et sexy et suant et dur. C’est la langue des orphelins, des bâtards et des putains.
Bridget ne bouge pas. Entre ses mains, le saxophone baisse la tête, comme une fleur fanée.
- Le saxophone, dit encore la prof, est la cocaïne de la famille des bois. On admire les saxophonistes parce qu’ils sont dangereux, parce qu’ils ont exploré la face la plus sombre, la plus sinistre de leur personnalité. Dans ton jeu, Bridget, je ne vois rien de sale ou de sexy. Tout ce que je vois est bien récuré, rose et blanc, propre sur soi, expurgé et assommé de tranquillisants comme un caniche à exposition.
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p34
La prof de saxophone prend une voix de circonstance, tout sucre tout miel :
- Voulez-vous que je vous dise ce qui, à mon avis, ne va pas ? Il me semble que c’est un peu comme si ce type horrible au lycée, cet individu vil et répugnant, avait laissé l’empreinte de son gros doigt gras sur les verres de vos lunettes. Vous avez beau regarder ailleurs, vous ne voyez que lui.
Je sais, vous auriez voulu que votre fille découvre la chose comme cela se fait en temps normal. Qu’elle s’initie derrière les remises à vélos ou sous les tribunes du terrain de rugby ou dans son module d’éducation à la santé, en assimilant des faits inscrits au marqueur sur le tableau blanc. Vous auriez voulu qu’elle regarde en cachette des magazines et des films interdits. Quelle commence par une partie de touche-pipi, les yeux fumés, les doigts poisseux, au salon d’un copain, un samedi soir, quand les copines sortent vomir dans les pots de fleurs. Cela aurait pu se répéter. Cela aurait pu devenir une phase. Mais vous auriez été préparée.
…/… -Vous auriez voulu quelle attende d’être en première avant d’avoir une vraie relation, avec un garçon sans caractère, qui en jetterait et ne vous plairait guère, mais avec qui vous finiriez par la prendre en flagrant délit, un beau jour où une intuition vous ferait rentrer un peu plus tôt que d’habitude, et voilà, ça y serait : sur le canapé, au beau milieu de la moquette ou même dans son lit de jeune fille, avec ses ours en peluche et ces petits coussins roses à fanfreluches quelle n’aime plus vraiment, mais dont elle ne se séparera jamais.
Elle insiste :
- Je respecte ces choses que vous auriez voulues pour votre fille. C’est sans doute, je le conçois, ce que toute bonne mère souhaite, et il y a quelque chose d’atroce à penser que cet individu vicieux ait pu ravir sournoisement l’innocence de votre enfant sans même la toucher, en lui fourrant ses sales petits secrets dans la gorge comme des bonbons bon marché. Mais…
Sa voix n’est plus qu’un murmure :
- Ce qu’il faut comprendre, ma chère, c’est que ce petit avant-goût qu’on vient d’offrir à fille est un échantillon d’une chose qui pourrait se réaliser. Elle l’a avalé. Elle le porte maintenant en elle.
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