" Écrire, maintenant, uniquement pour faire savoir qu'un jour j'ai cessé d'exister ; que tout, au-dessus et autour de moi, est devenu bleu, immense étendue vide pour l'envol de l'aigle dont les ailes puissantes, en battant, répètent à l'infini les gestes de l'adieu au monde.
Oui, uniquement pour confirmer que j'ai cessé d'exister le jour où l'oiseau rapace a occupé seul l'espace de ma vie et du livre, pour régner en maître et dévorer ce qui, une fois encore, cherchait, en moi, à naître et que je tentais d'exprimer.
Inutile est le livre quand le mot est sans espérance. "
C'est par cette magnifique épigraphe que s'ouvre
le Livre de l'Hospitalité d'
Edmond Jabès. Ces quelques lignes contiennent à elles seules toute l'émouvante tonalité du livre, comme une confidence que le poète fait, sachant sa mort proche, certain que les mots ont encore quelque chose à dire, à révéler.
Inquiet de la précarité de la nature humaine,
Edmond Jabès interroge obstinément tout ce qui peut faire naître le possible, l'inattendu, l'inespéré. Par des textes en fragments, par de courtes assertions et des questions, en prêtant sa voix à un sage, le poète met en lumière le sens de l'écriture avec tout ce qu'elle permet de rapport à l'autre, au monde, à Dieu, à ce qui fonde une hospitalité du regard et du coeur.
En se faisant l'hôte d'une vie commune et singulière, le poète fait advenir une parole par laquelle il se remémore le passé, il questionne le présent pour penser l'avenir, au seuil d'un avenir encore impensé.
Le Livre de l'Hospitalité contient une écriture d'une intuition débordante, d'une beauté simple et grave, une écriture qu'il nous faut accueillir, qui parle de notre solitude, de notre finitude, de ce qui confond la vie et la rend si singulière.
" Tu parviendras, une seule fois, à l'exprimer, au cours de ton existence et ce sera lors de ton ultime tête-à-tête avec la mort.
Tout ce que tu diras - il faudra le dire avec prudence - tient en quelques phrases lapidaires.
Grand sera, alors, ton étonnement de constater que tu auras eu besoin de ta vie entière pour rassembler un si petit nombre de mots ".