«
le miracle du manguier » est un roman bien singulier, un peu inclassable, qui mêle énigmes et rebondissements, personnages insolites et événements étranges s'il en est ! On pourrait dire qu'il s'agit d'un récit d'aventures qui s'apparente à un conte, avec du fantastique, de l'intrigue policière, de l'exotisme et de l'humour, et qui a une puissance d'évocation cinématographique mâtinée d'un art du suspense que le grand
Hitchcock lui-même n'aurait certainement pas renié !
L'auteur,
Leo Perutz, publie ce roman en 1916. Dans la génération des écrivains de la Mitteleuropa, qui compte notamment
Franz Kafka,
Stefan Zweig et
Arthur Schnitzler, il occupe sans doute une place à part. Et ayant lu ce livre, je trouve que c'est un auteur qui gagne à être lu et relu à l'envi.
Au début de ce livre, un médecin a décidé de partir en voyage. Il s'apprête à sortir de son appartement, quand un jeune homme sonne à sa porte et lui demande de se rendre très vite chez un baron qui a besoin de ses soins urgents… Or, quand le docteur arrive au domicile en question, c'est le baron qui le reçoit, et il n'est pas malade ! Il a fait appeler le docteur en urgence pour son jardinier, un Indien de Ceylan, qui est à son service. Celui-ci est gravement malade et c'est alors que le baron va expliquer au médecin que sa propre vie dépend de la guérison de son jardinier !
Le jardinier aurait été empoisonné par la morsure d'un dangereux serpent très venimeux qu'il aurait ramené d'Inde… le médecin ayant vu l'état du patient, annonce au baron que son jardinier va probablement
mourir dans un temps très proche. Avec cette annonce alarmante, le baron est alors dans tous ses états et dit au docteur que son jardinier est absolument irremplaçable et qu'il ne doit pas
mourir. le médecin remet donc son voyage à plus tard et va, tant que faire se peut, soigner le malade agonisant.
On est vite confronté à beaucoup d'étrangetés dans ce récit romanesque !
Le baron apparaît au médecin tel un vieil original, un vieillard décrépi. Mais ne serait-ce qu'une apparence ? Celui-ci a une jolie fille de seulement vingt-quatre ans, à laquelle il interdit de se regarder dans un miroir, à tel point qu'il brise tous les miroirs qui se trouvent à sa portée !
Et notre docteur lui-même manquera bien de perdre sa raison en tombant amoureux de cette fille du baron, qui est une femme-enfant…
Depuis qu'il est arrivé dans cette maison, le médecin observe bon nombre de détails curieux, et le trouble est dans son esprit. Il va agir tel un détective, en essayant de trouver des solutions à toutes sortes d'énigmes… Les réflexions que se fait à lui-même le médecin à chaque étape de son enquête, apparaissent entre guillemets, et c'est comme si ses réflexions s'exprimaient dans les phylactères d'une bande dessinée.
Bientôt, le vieux baron apprend au médecin qu'il est fiancé à une jeune et jolie actrice d'à peine deux ans de plus que sa propre fille ! Une telle ravissante et jeune actrice ne peut manifestement pas être tombée amoureuse d'un tel homme « cacochyme » se dit le docteur ! La suite va démontrer combien ses doutes étaient fondés… Sous son apparence,
le « baron fou » n'est pas si vieux que cela… le docteur, qui est un médecin rationaliste mais bien naïf, est furieux contre lui-même de ne pas s'être aperçu plus tôt du tissu de mensonges dans lequel il est tombé. Mais les pistes se brouillent… ce qui apparaît un temps invraisemblable, ne l'est plus le temps suivant… on suit les raisonnements du docteur et on se questionne avec lui.
Effectivement, la mission de notre médecin va bien plus loin que celle de simplement soigner ! le baron ne se sent pas en forme pour accueillir sa fiancée et se sert du docteur comme d'un intermédiaire pour trouver une excuse…
Tout cela fait penser à des scènes de pièces de théâtre de vaudeville. A la lecture, on imagine bien les attitudes, les façons de se mouvoir des personnages, et c'est comique !
Mais revenons-en au jardinier du baron… le baron explique que cet Indien est venu de Ceylan, qu'il avait été exclu de sa caste à la suite d'un très grave sacrilège qui avait été commis dans un temple où il avait été autrefois serviteur. Ses jours étaient en danger et c'est la raison pour laquelle le baron l'avait emmené avec lui en Europe.
Et le docteur, qui est féru de botanique, va bientôt découvrir dans le parc de la maison du baron, qu'une serre grandiose a été construite, qui abrite un véritable échantillon de la forêt vierge de Ceylan, où trône un énorme manguier.
A coup sûr, l'auteur de cette miniature jungle tropicale ne pouvait être que le jardinier indien !
Le médecin va de surprise en surprise… Et nous lecteurs, on est désarçonnés, et on finit par s'habituer très vite à l'inconcevable, à l'inexplicable !
Il s'avère que ce jardinier est plus qu'un simple jardinier. C'est un sadhu, un mage hindou. Il peut, grâce à certaines forces supérieures, assurer son emprise sur des organismes étrangers par de mystérieuses pratiques…
Et c'est notamment l'occasion de se rappeler des pratiques du Yogi Harida, qui a réellement existé.
Ce jardinier au service du baron est-il un véritable fakir, un charlatan ? Il semble qu'il possède vraiment une faculté mystérieuse et qu'il en garde jalousement le secret…
«
le miracle du manguier » est publié en 1916 par
Leo Perutz (1882-1957), un écrivain Juif de langue allemande, originaire de Prague, qui a vécu et travaillé essentiellement à Vienne. Mais l'Anschluss et l'interdiction de ses ouvrages vont décider de son destin, et en 1938 il s'exilera en Palestine. L'après-guerre sera pour lui synonyme d'oubli et de désintérêt. C'est grâce à
Jorge Luis Borges, qui était un de ses admirateurs, que ses livres seront tirés des oubliettes !
«
le miracle du manguier » est « Une histoire invraisemblable », comme le dit le sous-titre du livre.
Leo Perutz manie l'illusion et il conduit ses personnages aux limites du réel palpable.
Ce livre est distrayant. le récit et l'intrigue singuliers ne reculent pas devant les concessions de la mode du temps avec son exotisme et son goût pour le surnaturel et la magie.
Un roman plein d'entrain, plaisant à lire, à l'intrigue bien ficelée, ce qui me fait penser que
Leo Perutz est un auteur injustement oublié !