Voici donc le récit de Charette, l'homme qui ne cherchait pas l'Histoire, laquelle est pourtant venue le trouver, depuis les expéditions navales, dans sa première vie d'officier de Marine, jusqu'à la Vendée soulevée, à la tête de ces damnés de la Terre que la Révolution contraignit d'abord et massacra ensuite sans fléchir.
« Chante, chante la colère de Charette ! » semble écrire Philippe de Villiers, choisissant de raconter cette aventure tragique à la première personne, dans un souci, peut-être, d'identification, fort compréhensible quand on connaît la biographie de l'auteur. Cela confère aussi une dimension intime au personnage, loin des poncifs pro-républicains qui faisaient écrire jadis à un Michelet : « On a souvent discuté la triste question de savoir qui avait eu l'initiative de ces barbaries, et lequel des deux partis alla plus loin dans le crime. On a parlé, on parle insatiablement des noyades de Carrier ; mais pourquoi parle-t-on moins des massacres de Charette ? L'entente des honnêtes gens pour réveiller sans cesse certains souvenirs, étouffer les autres, est chose admirable. D'anciens officiers vendéens, rudes et féroces paysans, avouaient naguère à leur médecin, qui nous l'a redit, que jamais ils ne prirent un soldat (surtout de l'armée de Mayence) sans le faire périr, et dans les tortures, quand on en avait le temps. Quand on n'aurait pas ces aveux, la logique seule dirait que le plus cruel des deux partis était celui qui croyait venger Dieu, qui cherchait à égaler par l'infini des souffrances l'infini du crime. Les républicains, en versant le sang, n'avaient pas une vue si haute. Ils voulaient supprimer l'ennemi, rien de plus ; leurs fusillades, leurs noyades étaient des moyens d'abréger la mort, et non des sacrifices humains. Les Vendéens au contraire, dans les puits, les fours comblés de soldats républicains, dans les hommes enterrés vifs, dans leurs horribles chapelets, croyaient faire une oeuvre agréable à Dieu. »
Voici comment naît une légende maudite. Mais, à ma connaissance, Charette ne faisait pas tanner la peau de ses victimes pour en faire des culottes !
Oui, il est étonnant qu'on pardonne encore à la Révolution un génocide manifeste et qu'on accable François-Athanase Charette de la Contrie de tous les maux. Certes, le « Roi de la Vendée » était lui aussi un chef de guerre, forcément implacable avec l'ennemi, mais le sieur Turreau, à la tête des Colonnes infernales envoyées par la Convention pour exterminer ces ennemis de la Patrie, a exaucé au-delà des espérances son propre voeu : « La Vendée doit être un cimetière national. » Que dire de Carrier, qui organisa les noyades de masse, précipitant dans la Loire des chapelets d'hommes, femmes et enfants vendéens ? Il s'appelait Jean-Baptiste, d'où son goût pour l'immersion !
Quant à ceux qui prétendraient que c'est faux, les auteurs de ces massacres ont laissé des comptes rendus détaillés, dont certains sont reproduits par
De Villiers en fin de volume. de ce point de vue, le chapitre « le grand brûlement » ne triche pas avec les faits. On peut aimer la République et détester, par bien des aspects, l'Ancien Régime, mais on ne peut nier l'évidence : la Terreur a tutoyé le diable en Vendée !
Charette semblera à certains lecteurs un peu trop idéalisé par
De Villiers, lequel n'a jamais fait mystère de son attachement à des valeurs communes. Cependant, le général vendéen, avec ou sans
De Villiers, est en soi une figure qui incite à un certain romantisme littéraire. Drapé dans sa résignation à affronter un destin contraire jusqu'au bout, le ciseau des Parques chatouillant souvent le fil de sa vie, il paraissait difficile d'éviter quelques emportements romanesques en l'évoquant.
Quelque part,
De Villiers rétablit aussi son honneur, car cet homme ne s'est battu ni pour l'or ni pour la gloire ; juste pour maintenir son mode de vie : chez lui ! Ce qui est légitime, quoi qu'en disent quelques néo révolutionnaires, qui acclamaient hier encore Mao ou Pol Pot, rien que du beau linge !
Quant à ceux qui persisteraient à voir dans la révolte vendéenne la seule manifestation d'esprits rétrogrades, attachés à leurs privilèges d'Ancien Régime, peut-être pourraient-ils m'expliquer pourquoi ce sont des régions modestes, voire franchement pauvres, comme la Vendée et la Bretagne, qui se sont soulevées contre la tyrannie du bonheur obligatoire révolutionnaire ?!
Le style, enfin, trahit indéniablement l'enthousiasme de l'auteur, lequel se contiendra mieux avec
le Roman de Saint Louis, toujours à la première personne, modèle bien moins accessible que Charette ! Enthousiasme accouchant de ces phrases qui font regretter le temps béni où la langue française régnait avec panache : « A la sortie de la rade, en face de nous, s'élève une montagne d'écume où la vague et les embruns se prennent dans l'abîme des nuages infinis. Je ressens ce court moment d'ivresse. On est passé de la foule à la houle. On ne se retourne plus. Devant nous, c'est un autre univers qui s'ouvre. On a largué les amarres, largué les discussions inachevées, les marottes dérisoires et même les passions humaines. On a laissé à quai les potins de la ville, les rumeurs des lavoirs, les relents, les rêves et les fantaisies du voisinage qui nourrissaient nos vies confinées et les saisons de nos coeurs. On s'est coupé de la terre, on s'éloigne. » …On s'y voit !
En conclusion, ce livre vaut déjà pour le fond et la forme, mais aussi pour sa valeur mémorielle. Tandis que nous autres Français passons notre temps à nous accuser çà et là de crimes souvent grossis pour la cause repentante, il serait bon qu'un chef d'Etat reconnaisse un jour officiellement le génocide vendéen, car génocide il y eut.
Charette, c'est une vie qui a définitivement sa place dans le roman national, insaisissable voyageur de l'Histoire et des océans…