Le 10 février 1914, au milieu de l'Atlantique Nord, à mi-chemin entre les Açores et New York, le Canope, paquebot transportant 800 émigrants italiens de Naples à New York, se porte au secours d'un cargo qui a lancé un appel de détresse, en pleine tempête. Or, non seulement, le Canope arrive trop tard sur le lieu du naufrage, mais en se déroutant, il s'est mis en travers des lames ; ayant ainsi embarqué de l'eau, ses réserves de charbon sont devenues de la boue impropre à faire fonctionner les moteurs et il coule à son tour, coque intacte. le Commandant Godde est-il responsable de la noyade de deux-cents de ses passagers ? A-t-il commis une faute ? Et au-delà de la question de sa responsabilité, peut-il se remettre d'une telle tragédie ?
Le sel de la mer est un ouvrage passionnant ! L'édition de 1966 en livre de poche regroupe en fait trois récits, qui forment un tout extraordinaire :
1. Capitaines de la Route de New York : le naufrage du Canope. 2.
le sel de la mer : après la tempête en mer, la "tempête sous un crâne" ; lors de l'enquête préalable au procès, Godde explique les décisions qu'il a prises, heure par heure, et est interrogé sur celles qu'il n'a pas prises; une fois la lecture terminée, on comprend mieux ce que signifie l'expression "la solitude du chef". 3. Dieu te juge : quelques années plus tard, à l'occasion d'un nouveau commandement, et jusqu'à son dernier souffle, le Commandant Godde revit son procès et reste hanté par ces heures terribles et tragiques, entendant sans cesse en lui-même le reproche : "Godde, le capitaine qui a perdu son navire". On se gardera bien de révéler le dénouement, qui ne manque pas de sel, c'est-à-dire de grandeur.
Une fois habitué au vocabulaire maritime élémentaire (bâbord = gauche; tribord = droite; gaillard d'avant = pont à l'avant du bateau; dunette = pont à l'arrière du bateau; proue = avant; poupe = arrière; roulis = mouvement du bateau qui le fait "rouler" de droite à gauche et inversement; tangage = mouvement du bateau qui le fait pencher vers l'avant et vers l'arrière), on est prêt à appareiller pour la traversée de l'Atlantique Nord. Très vite, on est pris par l'histoire. le Canope, un navire maudit, dont toutes les compagnies se sont débarrassées pour le vendre au plus vite; ses maux inexplicables et redoutés : l'avarie de machine devant Beachy Head (page 106), le "roulis du diable" (page 92) subi dans le Golfe de Gascogne (page 106), à faire hurler à la mort les émigrants (page 87), la démarche du chef-mécanicien Charrel qui demande à Godde, le matin même, de surseoir à l'appareillage (page 82), le refus de Vox, commandant du Virginia venu au secours du Canope, de lui passer une remorque, de façon à ne pas mettre ses passagers en danger (page 100).
Et puis, en écho, Godde qui va se raccrocher, comme à des bouées de sauvetage, au fait que Derieu, son prédécesseur, était prêt à prendre la mer, que lui-même voulait assurer un voyage pour se faire une juste appréciation du Canope, que justement celui-ci s'était bien comporté jusqu'au déroutement vers le Marco Polo, que ce cargo en perdition justifiait que le Canope aille lui porter secours...
Roman magistral,
le sel de la mer l'est à plus d'un titre : de la mer, il a l'immensité et la profondeur ; du sel, il a le goût et la saveur. Avec en toile de fond, le code maritime qui impose de porter assistance à toute personne en danger de se perdre, à condition que ce soit sans danger sérieux pour son propre navire... Un vrai suspense, haletant, oppressant. Des chapitres courts, eux-mêmes constitués de paragraphes courts. Une lecture rendue aisée, qu'on peut interrompre et reprendre. Pas de grande phrase, mais un scénario captivant qui vous saisit et ne vous lâche plus. Pour utiliser un terme actuel, je dirais addictif. Un thriller. Un chef d'oeuvre. A emporter sur une île déserte (pourvu qu'on ait la chance qu'un canot de sauvetage puisse nous y déposer !).