J'ai aimé
Eugène Green. J'ai vu à peu près tous ses films, lu huit de ses livres. L'entremêlement du réel et de la magie, hérité du meilleur de la littérature médiévale. La présence d'une spiritualité de la nuit, héritière des théologies négatives, à rebours des dogmes positifs. Un sens de l'humour et une gravité entremêlés. L'intelligence des détours et équivoques du langage.
Et pourtant, au fil des livres, au fil des films, cette affection se défait.
L'enfant de Prague ressemble d'assez près à un scénario. Il aurait pu être tourné par l'auteur, on se figure assez bien ce qu'aurait pu être sa mise en scène à l'écran, Prague, ses ponts, ses habitants, traversant les siècles en dépit du Temps. Un lointain écho du Pont des Arts. Pour ce qui est de ses qualités, on peut dire que ce roman est aussi évocateur que les autres, l'écriture en est aussi fluide, simple, le réel s'y mêle élégamment à l'imaginaire et la construction narrative est habile. Dans le jargon littéraire contemporain, on appelle sans doute cela un roman choral : il y a plusieurs points de vue, plusieurs lignes narratives, plusieurs personnages principaux qui se révèlent parfois être le double les uns des autres. Il y a au coeur du roman l'histoire d'une femme, une histoire de femme, et puis, aussi, l'histoire d'une ville.
Pourtant, quelque chose coince, quelque chose grince. Une impression de répétition du même discours qui s'est épuisé au fil des livres. Pire, une impression qu'
Eugène Green devient dogmatique de lui-même. Qu'il écrit comme s'il appliquait une énième fois sa propre thèse sur la transcendance, comme s'il répétait une fois de plus les mêmes oxymores sur la lumière de l'obscurité... Par surcroît, le recyclage narratif de la maternité virginale de Marie, interroge, non sans perplexité, sur la façon dont
Eugène Green conçoit le destin d'une femme. L'enfant comme accomplissement,
Eugène Green, vraiment ?
De la même façon, les charges satyriques, ici, tombent à plat, avec l'impression que l'auteur ne sait plus très bien lui-même pourquoi il attaque ceux dont il se moque... En tout cas cela échappe complètement au lecteur. Car que viennent faire dans ce contexte praguois une série de charges contre d'éminents psychanalystes français que l'on ne reconnaît même pas, bien qu'ils soient clairement identifiés comme lacaniens ? Car
Eugène Green attaque, sans doute depuis toujours, les idéologies et les dogmes, les socialistes, les psychanalystes, comme il l'a fait précédemment avec les féministes, les psys, les baroqueux, les post-structuralistes, et j'en passe. Mais curieusement, lui qui exalte ici la naissance de l'enfant comme expression du sublime, ou du divin, dans la vie humaine, oublie singulièrement d'écorner l'Eglise catholique, ses dogmes et ses idéaux totalitaires... Et cette conclusion, fût-elle symbolique, du salut par l'Enfant, dans ce livre apparaît, de façon pour la première fois éclatante, un indice de quelque chose qui, plutôt qu'une atypicité de l'auteur, ou une position d'outsider (le côté dans lequel je plaçais
Eugène Green jusqu'à récemment), deviendrait une autre forme de... dogmatisme réactionnaire.
Une déception, donc, qui n'est pas seulement la déception d'un livre, puisque celui-ci est loin d'être mauvais, mais la déception face à un auteur.
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