Pour s'installer chez son nouveau compagnon, Mathieu doit faire du ménage, se délester de tous ces 'papiers' encombrants.
Chiche, il va se défaire de ses journaux intimes, il en a des dizaines, puisqu'il a commencé à en écrire à l'âge de onze ans. Plutôt que les brûler tous afin que personne ne tombe dessus (le risque avec les poubelles de tri sélectif), il décide au contraire de les disperser un peu partout, d'en donner certains, quitte à ce qu'ils soient lus. Certains seront incorporés à des oeuvres (transformés en recette de cuisine, vêtement, parfum...). Certains iront à l'autre bout du monde. La 'disparition' de chacun répond à un scénario précis.
Mais avant de s'en défaire, Mathieu Simonet a relu ces carnets. Ils ont donc aussi servi de matériau à l'élaboration de cet ouvrage. Sans souci de chronologie, l'auteur en livre ici des fragments bruts, il les explicite parfois, revenant ainsi sur certains épisodes de sa vie et réfléchissant au travail d'écriture - qui n'est pas son 'métier', l'auteur est avocat de profession.
Même si l'ouvrage a des allures de patchwork, même si Mathieu Simonet s'y livre de façon très/trop personnelle, même si la démarche peut sembler nombriliste et prétentieuse, une trame intéressante à portée plus générale se dessine, notamment sur l'évolution des relations mère-fils. Et bien sûr, le fruit de ce travail de synthèse est passionnant, si l'on s'intéresse à l'écriture, pour soi ou pour les autres - et à la création artistique, de manière plus générale.
Il faut quand même aimer l'introspection pour apprécier pleinement ce texte, il me semble, et sans doute éprouver plus d'empathie pour le personnage que je n'ai réussi à le faire.
Une excellente idée, en fin d'ouvrage : quelques pages vierges invitent le lecteur à se lancer à écrire - je ne me sens pas prête.
• Merci L. ! 🎁😊
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Mathieu Simonet écrit depuis très longtemps. Sur des carnets il a raconté l'intime, ses parents, des extraits de vie… Des histoires sentimentales et familiales égrenées au fil de pages…Et puis un jour il s'est débarrassé petit à petit des carnets.
Mais pas d'une façon très classique…Après les avoir relus il les a laissés dans différents endroits ( bibliothèque, musée, pays lointains, fleuve..) et puis il les a donnés pour que les dépositaires s'en débarrassent à leur guise.
« Chloé m'a appelé. Elle s'est décidée à se séparer de mon carnet de poèmes. J'ai arraché les pages. Je les ai scotchées rue du Liban à Paris. Avec j'ai écrit le mot FIN »
« Un chimiste parfumeur a transformé mon carnet en odeur »
C'est cette aventure peu banale que raconte ce livre. On y retrouve la franchise de Mathieu Simonet, les visages de son père et de sa mère qui le hantent toujours et le désordre de son écriture. Rien n'est linéaire.
Minutieux, précis, cru, touchant…..Une triste et joyeuse balade dans l'univers de cet écrivain qui nous dit » L'écrivain est un impudique en quête de pudeur, un menteur en quête de vérité »
Il y a du silence dans ces lignes, mais aussi un questionnement douloureux…
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Ce qui est écrit, même cru, n'est jamais sale.
Peut-être que je me trompe. Peut-être que je ressemble à un peintre qui viendrait de vomir sur une toile, et qui se retournerait vers des badauds : « Bah quoi ? Je crée ! »
[...]
La question de l'intimité, de mon intimité - qui s'oppose à mon désir d'écrire, d'être lu -, ce complexe, cette contradiction, c'est une poupée que j'ai tordue. Dans le sens de l'écriture. C'est un choix sur lequel je ne reviendrai pas. Même si ces questions reviennent parfois. J'ai la réponse. Une réponse peut-être erronée. je me moque d'être pathétique. J'ai mon écriture dans mes bras. Je me moque d'être pathétique avec elle. Elle me console comme on ne me consolera jamais.
Je comprends que mes phrases, même si elles ont plus de dix ans, même si elles ont été écrites longtemps avant que je n'aie connu [mon compagnon] Baptiste, peuvent le heurter dans son intimité, parce que sa famille, ses amis, ma famille et mes amis, peuvent faire des liens, entre mon écriture, lui, moi. Je comprends.
(p. 95-96)
Je n'arrive jamais à rester dans le 'concret'. Mon cerveau transforme toujours tout en écriture. Non pas que j'invente. Mais j'ai un rapport distancié au réel. Comme s'il n'était là que pour m'offrir un matériau d'écriture. Dès lors, je ne suis jamais totalement triste face à une dispute amoureuse, à un décès, à une dépression. J'y vois une forme de cadeau, de glaise, dans laquelle je peux dessiner des sculptures. Pour autant, je ne cherche pas à vivre des situations douloureuses POUR écrire. J'ai, face au bonheur, le même rapport, la même distance. Je suis comme un schizophrène. D'un côté je suis l'acteur de ma propre vie, de l'autre je suis le photographe de cet acteur. Et c'est dans le corps de ce photographe que je me sens le plus vivant.
(p. 10)
En décembre 1991, j'ai décidé d'écrire un roman. Je séchais mes cours. Je me réveillais la nuit pour écrire. Je ne voulais voir personne. Je m'alimentais mal. Je ne pensais qu'à ça. Finir un roman. Ce sentiment d'urgence venait de mon échec de mon premier projet, 'Jeunesses vaincues'. J'attribuais cet échec à un problème de temps. J'avais découvert que l'écriture allait moins vite que la vie. Que les thèmes qui m'intéressaient au début de l'écriture de 'Jeunesses vaincues' ne m'intéressaient plus quelques mois plus tard. Il fallait donc que j'écrive suffisamment vite pour que les personnages de mon roman continuent de m'intéresser jusqu'au dernier mot.
(p. 72-73)
Faut-il se séparer de ses journaux intimes ? Les garder a-t-il un sens si on ne les relit jamais ? Il aurait été pour moi inimaginable de me séparer de mes journaux intimes. Pourtant, dans un geste masochiste, j'imaginais d'orchestrer pour chaque séparation une forme de suicide : l'un serait coulé dans un canal, l'autre serait immolé, un troisième serait planté sur le pic d'une grille. Au début, j'ai effectivement orchestré des sortes de "suicides", puis j'ai adouci la disparition de mes carnets, je les ai déposés dans des oeuvres d'art, dans des bibliothèques, dans des lieux publics : En parallèle, je les relisais intégralement (ce que je n'aurais pas fait si je n'avais pas su qu'ils allaient ensuite disparaître). Peu à peu, ce projet était de moins en moins un geste masochiste, mais au contraire un geste joyeux, ludique, que je voulais faire partager. J'en parlais à tous ceux que je rencontrais. Certains étaient touchés, et voulaient y participer. À ceux-là, je donnais un carnet, et leur laissais carte blanche.
Ce qu'il y a de terrible pour l'écrivain qui ne publie pas, c'est cette impression qu'il lui faut payer, qu'il lui faut supplier pour pouvoir être lu. Ce n'est pas le lecteur qui dit merci à l'écrivain parce qu'il l'aurait ému, c'est l'écrivain qui a genoux photocopie son œuvre, et en rampant demande aux autres de bien vouloir tout lire. Ou juste un peu. Quelques pages. puis il repart la honte au cœur. Cette impression morbide d'avoir écrit les mots les plus forts, et de ne toucher personne. (p 86)
Ancien avocat et désormais romancier très singulier, Mathieu Simonet propose des actions poétiques, comme dans son livre "La fin des nuages". C'est d'abord un récit de deuil, car Mathieu Simonet a perdu un être très cher, Benoît, qui a fondé un grand festival de musique chaque été sur le parvis de l'hôtel de ville de Paris. Chaque année, l'angoisse de Benoît, c'était qu'il pleuve… Ce qui n'arrivait jamais. Benoît est décédé en 2020 d'un cancer et cette année-là, le festival a été annulé pour cause de pandémie. L'auteur invité sur le plateau de la Grande Librairie était alors en deuil, a cette idée folle et magnifique, qu'il pleuvrait ce jour-là, que le dernier souffle de Benoît provoquerait de la pluie. Et le jour du festival, il a plu.
Ce livre est aussi une enquête, qui raconte comment des faiseurs de pluie ensemencent les nuages, et plaident pour que ces nuages aient des droits et soient même inscrits au patrimoine de l'Unesco.
Cet ouvrage pose des questions environnementales, géopolitiques, sanitaires, légales... avec toujours cette question en tête : à qui appartiennent les nuages ?
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous :
https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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