Le suicide. Quel mot affreux… qui n'a pas dans son entourage entendu ce mot qui explique une disparition soudaine ? Quand quelqu'un s'est suicidé, on dit souvent des phrases toutes faites, on essaie de changer de sujet et certains cherchent à connaitre des détails. Ça aide peut-être à un certain niveau mais finalement, chacun éprouve des difficultés car rien ni personne n'est réellement adapté pour évoquer le suicide.
Ecrit en 2014 et édité par les Éditions Max Milo en langue française en 2017, « Lettres de suicide » est un livre peu épais, léger, loin de la lourdeur du sujet. Un sujet tabou souvent traité de manière sérieuse.
Simon Critchley est un philosophe anglais, professeur à New York et chroniqueur au New York Times. Avec ce livre, ce philosophe veut rompre le silence en regardant le suicide « en face, avec un peu de froideur », du point de vue de ceux qui ont voulu mourir, donc de ce qui reste d'eux càd leur lettre d'adieu. « Les mots de quelqu'un qui vit ses derniers instants, qui essaye de communiquer mais qui n'y parvient pas parce qu'il a décidé de mettre fin à tout ça ».
Dans ce livre, en première partie, il y a bien sûr de la philosophie. Affronter l'acte libre du suicide contre la réprobation déshonorante de l'acte. Faire porter l'étiquette de la faute, religieuse ou morale. La condamnation du péché, l'échec, le déséquilibre du raisonnement. La sacralisation de la vie, le droit à mourir dans la dignité.
Dans la deuxième partie du livre, Simon Critchley analyse les lettres de suicide en tant que genre littéraire. Il a l'expérience d'un atelier d' « Écriture créative de notes de suicide » où il a proposé aux intervenants d'écrire leurs propres lettres de suicide. Il utilise aussi les lettres de suicides de gens connus : celles de Kurt Cobain, celles des suicidés d'après la crise de 2008, de Jean Améry, rescapé d'Auschwitz, de l'artiste et écrivain Édouard Levé, des meurtriers de Columbine ou de Newtown, qui ont tué en masse avant de se tuer.
Ce que j'en retiens essentiellement, c'est l'alternance entre l'amour et la haine. L'expression d'une haine profonde souvent envers soi-même et de l'amour envers ceux qui restent. Mais aussi que la haine d'une autre personne peut aller jusqu'au suicide par revanche.
Le suicide est également une sorte d'acte public. Faire une déclaration en passant à l'acte. La peur de s'éteindre. Se suicider en pleine notoriété pour garder éternellement cette notoriété. Un « mélange étrange de dépression et d'exhibitionnisme »
La notion qui m'a profondément touchée c'est l'explication d'Emil Cioran, un philosophe roumain . Il parle de la « réputation pessimiste du suicide, dans le sens où quelque chose va être résolu dans la mort, ou que quelque chose sera sauvé ou changé ». C'est une illusion habituelle dans l'acte du suicide. Cioran remarque de façon très froide que « rien ne sera sauvé par votre mort ».
La troisième partie est le seul « Essai sur le suicide ». écrit par un philosophe anglais du 18ième siècle, le siècle des lumières, David Hume . Celui-ci réfute toutes les raisons données pour priver l'homme de sa liberté naturelle à décider de sa mort.
Je remercie Babelio, Masse Critique et les Éditions Max Milo de m'avoir permis de découvrir ce livre que j'ai trouvé fort intéressant.
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En écrivant, on prend du recul et on sort de la vie pour la voir plus posément, en en étant à la fois un peu éloigné et plus proche. Avec un œil plus calme. On peut, quand on écrit, tous les porter en terre, les fantômes, les hantises, les regrets et les souvenirs qui nous écorchent vifs.
[...]je veux ouvrir un espace pour penser le suicide comme un acte libre qui ne devrait pas être critiqué moralement ni purement et simplement condamné. Il faut le comprendre et nous avons désespérément besoin à ce sujet d'une discussion plus approfondie, plus indulgente et plus réfléchie. Trop souvent, tout le débat sur le suicide est dominé par la colère. Les épouses survivantes, les familles et les amis de quelqu'un qui s'est suicidé accueillent toute tentative de discussion à ce sujet avec une rage qu'il est aisé de comprendre. Mais nous devons avoir de l'audace. Nous devons parler.
Les rasoirs font mal
Les rivières sont humides
Les acides laissent des marques
Et les drogues donnent des crampes.
Les armes, c'est interdit
Les cordes peuvent se relâcher
Le gaz sent vraiment mauvais
Autant continuer à vivre.
Un vrai chrétien doit se battre avec la douleur et continuer le combat comme un soldat.
Simon Critchley, auteur du livre "Les philosophes meurent aussi" (François Bourin Editeur), était l'invité du journal des "Nouveaux chemins de la connaissance" sur "France Culture" les 6 et 7 janvier 2011.
partie 2