Conter les petits avec élégance. Présenter sur un plateau de porcelaine fine des tranches de vie émiettées par la Grande Dépression. Vêtir les oubliés du rêve américain d'un habit de lumière chaude.
John Cheever réchauffe les malmenés, leur offre une revanche littéraire. Plume contre chômage, métaphores contre combats ordinaires, art contre anonymat.
Le maître incontestable de la nouvelle aux USA. le grand styliste à déguster comme un bonbon acidulé.
Du côté de Boston, les filatures se sont tues. Pourtant, la course des saisons continue. "Le ciel était lourd comme de la chair; il n'y avait aucun doute sur la réalité du printemps." (Confiserie 1)
Chez Amy, dont les hôtes trompent la solitude, Fred et Richard "collaient leur dos à la rondeur de la colline" (confiserie 2).
Ailleurs, des gitans européens déguisés en Indiens Cherokee obtiennent le droit de camper sur les terres d'une ferme, moyennant 5 dollars. Une fillette vient rompre le contrat oral. "Elle est petite, blonde, elle a les paupières lourdes et quand elle parle, elle lève la tête, comme pour rejeter ses paupières en arrière afin qu'elles ne retiennent pas sa voix". (confiserie 3)
Ici, le commis voyageur retrace une carrière dans la chaussure, de la fortune au chômage. "On nous a oubliés. Notre savoir est inutile" dit-il.
Moins oubliés que ce couple charmant forcé de vendre la maison, accroché à la pensée magique qu'elle et lui finiront bien par trouver de l'argent, eux qui en ont toujours eu. Eux dont le fils cadet envisage des études que nul ne sait comment financer. Lui auquel le frère aîné de passage n'avouera rien de sa propre existence: "Je ne pouvais lui raconter ce que c'était d'habiter une chambre meublée et de se nourrir jour après jour de chocolat et de pain rassis". "J'ai envie de gagner beaucoup d'argent, dit-il". le rêve américain surnage dans les dettes.(confiserie 5)
Comme surnagent ces femmes que la plume de
Cheever n'égratigne pas. La vie y suffit bien.
Bayonne, ni jeune ni jolie, ne supporte pas l'arrivée d'une serveuse plus affriolante. le rush de midi est son moment de gloire. Travailler ce n'est pas seulement gagner de quoi payer son loyer.
Dorothy, la danseuse arc-boutée sur sa nouvelle identité. Princesse Nika, soliste, sinon rien. Ici, l'écrivain effleure la folie. Avec grâce.
Béatrice, la strip-teaseuse quinquagénaire, époustouflante. Sue, mariée à un homme plus vieux, naïve, attendrissante. Elise, l'adolescente impavide au jugement sûr.
Aucune ne cède aux circonstances. Aucune ne plie.
Douze nouvelles enfin publiées. Dans l'Amérique elliptique des années 30-40, pauvreté rime avec dignité.